Le Français Langue d’Intégration et le droit à la langue du pays d’accueil. Remarques sur un révélateur et un « politiseur » de débat

  • French as a Language of Integration and the right to the host country language. Remarks on a revealer and a debate “politiser”
  • Französisch als Integrationssprache [FLI] und das Recht auf die Sprache des aufnehmenden Landes. Bemerkungen zu einem aufschlussreichen und „politisierenden“ Faktor in der Debatte

DOI : 10.57086/cpe.721

Depuis 2011, une loi oblige les adultes migrants qui souhaitent obtenir la nationalité française, à justifier d’une connaissance suffisante du français, par une attestation que délivre un organisme labellisé FLI. Cette décision succédait à la présentation officielle d’un référentiel qui assimile le « droit à la langue » au « droit à la langue du pays d’accueil », au « droit à la formation linguistique », au « droit à la formation professionnelle » et au « droit à la formation linguistique et civique républicaine », et qui associe syntagmatiquement et sémantiquement les droits aux devoirs du citoyen. Le processus FLI a provoqué de vifs débats entre universitaires. Ces controverses ont révélé que des oppositions politiques traversent et structurent les champs des sciences du langage, de la didactique des langues et de la formation linguistique. Les conflits d’interprétations et de positions sur le FLI ont révélé de profonds désaccords sur la question de l’association / acculturation des migrants, sur la langue nationale, mais aussi sur les définitions de la langue, de la société et de la République française.

Since 2011 a law requires adult migrants who want to obtain French nationality to show proof of sufficient knowledge of the French language with a certificate issued by a “FLI” labeled organization. This decision followed the official presentation of a framework which equates the language right to the right of the host country language to the right of language training to the right to vocational training and to the right of a republican linguistic and civic training. Which associates syntagmatically and semantically citizen’s rights with citizen’s duties. The FLI process generated vigorous debates among academics. Those controversies revealed that latent political oppositions are crossing and structuring the scientific fields of language sciences, didactics, and language training. Conflicts of interpretations and positions over FLI revealed profound disagreements on migrants “association”/acculturation, on the national language, but also on the definitions of language, society and the French Republic.

Seit 2001 sind erwachsene Einwanderer gesetzlich verpflichtet, eine hinreichende Kenntnis der französischen Sprache nachzuweisen, wenn sie die französische Staatsbürgerschaft erwerben wollen ; der Nachweis muss von einer FLI-zertifizierten Organisation erbracht werden. Dieser Entschluss beruht auf der Veröffentlichung eines Referenztextes, der „Sprachrecht“ mit „Recht auf die Sprache des aufnehmenden Landes“ mit „Recht auf sprachliche Ausbildung“, mit „Recht auf berufliche Ausbildung“ und mit „Recht auf republikanische sprachliche und bürgerliche Ausbildung“ gleichsetzt, so wie er auch syntagmatisch und semantisch die bürgerlichen Rechte mit den bürgerlichen Pflichten verbindet. Diese Prozedur des FLI hat heftige Debatten in der akademischen Welt ausgelöst, die zeigen, dass politisch widerstrebende Kräfte sowohl Sprachwissenschaften, Sprachdidaktik als auch Ausbildung im Sprachenbereich durchkreuzen und formen. Die Konflikte um Auslegung und Stellungnahme zum FLI haben tiefe Unstimmigkeiten in der Frage der Eingliederung/ Akkulturation der Einwanderer offengelegt, zur Frage der nationalen Sprache, aber auch zur Definition von Sprache, Gesellschaft und französischer Republik.

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1. Éléments d’un processus de politique linguistique

1.1. L’événement FLI1

À l’initiative du gouvernement de droite de 2011, une loi oblige les adultes migrants qui souhaitent obtenir la nationalité française, de « justifier d’une connaissance suffisante […] de la langue française » (Loi n° 2011-672 du 16 juin 2011)2. Cette loi est venue après un décret créant un label qualité intitulé « Français langue d’intégration », pour les organismes habilités à évaluer le niveau de français des candidats à la nationalité et/ou à les former. Ces mesures ont attiré l’attention sur les enjeux politiques de l’apprentissage de la langue nationale.

Elles ont politisé la question linguistique et la question didactique, en faisant débattre, sur la place publique médiatique, de sujets souvent donnés comme trop « techniques » par les décideurs et les experts, ou trop « scientifiques » par les spécialistes académiques. Le débat public a fait jouer au FLI le rôle d’un révélateur de problèmes souvent tacitement considérés comme hors sujet par les experts ou les clercs, mais aussi d’un révélateur d’idéologies pratiques3 qui travaillent les modèles, les terminologies et les études savantes des sciences du langage et de la didactique des langues. L’irruption du FLI dans le paysage de l’enseignement du français aux étrangers questionne la neutralité axiologique et politique des spécialistes, et elle interroge le descriptivisme acritique qui domine la didactique du français.

1.2. Soulever des questions, chercher des histoires, donner du jeu

1.2.1. Des termes-notions et des associations d’idées à mettre en crise

Les désaccords autour du FLI obligent à définir des termes dont les significations sont des enjeux « socio-idéologiques », comme disent Bakhtine et Voloshinov (Lefranc, 2008), et méritent discussion : langue et République, droits humains et droits du citoyen, citoyens passifs ou actifs, étrangers ou nationaux, valeurs et principes. J’aimerais ici donner du jeu à la didactique des langues et encourager à des recherches sans moraline. Enfin, puisqu’une sociodidactique critique se doit d’être à la fois descriptive et prescriptive, j’expliciterai ma position idéologique, au lieu de la passer en implicite taken for granted, comme tant de travaux de « didactique de management appliqué ».

1.2.2. Sources

Je me cantonnerai aux années antérieures au FLI et à la première année du FLI, en centrant mon propos sur les enjeux de la formation linguistique et civique des migrants non européens. Je ne traiterai pas ici de la restructuration des organismes de formation qu’entraîne la demande du label ou de l’agrément FLI.

Ma documentation rassemble les premiers écrits pro-FLI et anti-FLI. Du côté pro-FLI, j’ai sélectionné les principaux documents officiels : le livret du Référentiel FLI, avec son Avant-propos, et surtout le référentiel proprement dit4, qui détaille les contenus d’enseignement et les reformule dans des tableaux de compétences (Vicher et al., 2011). Ce Référentiel était accompagné d’un dossier de presse du Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration (Commission communication, 2011). J’ai aussi tenu compte du Mémo du formateur (Etienne, 2012), un livret de 50 pages dont 30 sont consacrées au traitement pédagogique des « valeurs républicaines » ; ainsi que du Rapport sur le Droit à la langue, commandé par la DAIC à l’AEFTI (AEFTI, 2012). Enfin, j’ai examiné le texte ProFLI (2011), en réponse aux anti-FLI, écritepar les rédacteurs du référentiel avec le soutien d’universitaires — dont moi — et de formateurs ; j’y ai associé l’article de Candide (2001) cité dans ce texte de réponse.

Du côté anti-FLI, j’ai choisi deux textes de sociolinguistes et de didacticiens de langue. La pétition Flic ? Le français langue d’intégration contrôlée (FLIC, 2011) rédigée par des universitaires de Paris 3 et Paris 8 ; puis l’autre pétition : Le FLI peut-être… mais…, qui vient d’universitaires de Tours qui travaillent sur le plurilinguisme et la langue des migrants ; j’y ai joint leur annexe, Référentiel FLI : notes de lectures critiques (Sodilang, 2011a et 2011b).

1.3. Du droit à la langue du pays d’accueil au CAI/DILF, post CAI et FLI

1.3.1. Formation linguistique des adultes migrants

Dans les années 1960, l’enseignement du français aux migrants se confondait avec l’alphabétisation : « l’alpha ». Leclercq (2012) distingue quatre secteurs : les syndicats et les associations de bénévoles, le secteur privé subventionné, l’Éducation nationale et l’AFPA. Elle remarque qu’alors « deux courants structurent la formation bénévole associative : un courant confessionnel et charitable d’une part, un courant politique de soutien aux droits fondamentaux des immigrés d’autres part. » (Leclercq, 2012 : 175). En 1963, le syndicat CGT a ainsi organisé des cours d’alphabétisation pour des Algériens en coopération avec l’Amicale générale des travailleurs algériens (AEFTI, 2002). C’est en 1971, quelques mois après la parution de la loi sur la formation continue, que naît l’AEFTI. Créée à l’initiative de bénévoles français et immigrés, des militants de la CGT et des militants de gauche, y compris chrétiens, cette association organise des cours d’alphabétisation et de français, afin d’aider les travailleurs immigrés à s’insérer par le biais de la formation. C’est aujourd’hui une fédération qui regroupe les AEFTI de plusieurs régions de France. Au fil des ans, en liaison avec d’autres associations de France et d’autres pays, mais aussi en relation permanente avec les ministères concernés au moins depuis 1973 (date des premières subventions par les services de l’État), l’AEFTI contribue à la définition des politiques linguistiques et éducatives gouvernementales en direction des migrants, et surtout à la mise en œuvre des formations sur le terrain. De nombreux formateurs de l’AEFTI créent également des ressources pédagogiques où les contenus professionnels s’articulent aux contenus sociaux et civiques.

Depuis les années 2000, l’AEFTI associe explicitement le droit à la formation pour tous au droit à la langue du pays d’accueil. Ces dernières années, elle a participé à l’élaboration du Diplôme d’Initiation à la Langue Française (DILF) — composante linguistique du Contrat d’Accueil et d’Intégration (CAI) — et à celle du FLI. Parmi les responsables actuels de l’association et de ses revues, la didacticienne Sophie Etienne est l’auteure d’un référentiel pour le niveau A.1.1.5, et elle a fait partie de l’équipe du référentiel FLI qui répondait à une commande de la DAIC et de la DGLFLF. Citant Sophie Etienne, le Rapport sur le droit à la langue que l’AEFTI a produit pour la DAIC explique, à propos du CAI, que « les personnes qui désirent s’installer durablement sur le territoire ont besoin non pas uniquement de s’adapter à la vie quotidienne, mais bien de pouvoir participer à la vie sociale, partager une vision analytique du monde qui les entoure, de prendre de la distance donc de disposer d’une formation plus complète » (AEFTI, 2012 : 38) que celle du DILF, et pour elle, c’est l’objectif du FLI. Dans le même rapport, en continuité avec sa politique linguistique, l’AEFTI promeut une formation à un français pratique pour l’emploi (et des emplois qualifiés) et pour la vie de tous les jours, mais aussi une formation à la réflexion, à la communication et à l’action civiques, y compris syndicales. Ces propos où Georges Athiel, vice-président de l’AEFTI Languedoc-Roussillon, raconte sa création après une lutte pour la régularisation de sans-papiers (AEFTI, 2002 : 203-204), relient la reconnaissance des droits aux luttes sociales :

Tout au long de ce conflit nous nous sommes rendu compte combien les difficultés de la langue représentaient un handicap. Handicap pour communiquer, handicap pour revendiquer ses droits, handicap pour devenir un citoyen à part entière. […] Le handicap de la communication pour les travailleurs représente au contraire un avantage majeur pour les patrons qui profitent de l’ignorance de leurs ouvriers6.

C’est l’accent mis sur la dimension civique et sociale qui fait la spécificité des formations de l’AEFTI et celles d’autres associations comme la CIMADE, dirigées et/ou animées par des militants d’origine immigrée ou migrants qui travaillent avec d’autres Français. C’est aussi le cas avec des associations de défense des migrants comme l’ATMF, dont la Charte de 2009 « prône une citoyenneté active » et défend « la protection des droits des migrants et de leurs familles ». Si l’influence de ces organisations sur l’interprétation et la concrétisation des politiques publiques depuis 1971 a été marquante, il faudra cependant étudier de près les effets concrets de la « professionnalisation » actuelle du métier de formateur sur les contenus internationalistes et humanistes de l’enseignement aux migrants, et les effets des relations rapprochées avec les financeurs et les employeurs.

1.3.2. Le droit à la langue du pays d’accueil

En 2001, sous le gouvernement Jospin, Christine Candide, alors chargée de mission au FAS (devenu DAIC, en passant du Ministère du Travail au Ministère de l’Intérieur) écrit dans son article « Apprentissage de la langue : vers une lente émergence d’un droit » (Candide, 2001) : « À ma connaissance, il n’y a pas de politique de formation définie comme telle sur la question de l’apprentissage de la langue pour les migrants. Il n’y a pas de texte de loi. »

En 2001, une pétition nationale est lancée « pour la reconnaissance d’un véritable droit à l’apprentissage de la langue française à tous les migrants », avec la création d’un collectif d’associations. En 2004 est créée « l’association des associations » Droit à la langue du pays d’accueil, dont l’objectif est de « faire émerger un droit nouveau : l’accès de tous à la formation linguistique »7. Entre 2001 et 2011, ces associations ont organisé des rencontres et des collectifs de travail avec des membres du Sénat, ce qui aboutira en 2006 au dépôt d’un projet de loi au Sénat par le groupe Communiste Républicain et Citoyen, puis d’un second en 2012. Entre-temps, en 2004, l’Assemblée a promulgué une loi qui intègre l’apprentissage de la langue au Code du travail dans le cadre de la « la formation professionnelle tout au long de la vie ». On verra plus loin comment le « droit à la langue » se rattache au « droit à la formation et à la qualification » : des droits qui sont comme des « droits des travailleurs » et sont associés aux « droits de l’homme et du citoyen ».

1.3.3. Du Contrat d’Accueil et d’Intégration au Français Langue d’Intégration

Comme « processus de structuration et d’institutionnalisation du secteur de la formation linguistique » (Leclercq, 2012 : 180-181), le FLI prend place dans une évolution vers la professionnalisation des formateurs dont Leclercq situe le tournant à la fin des années 1970. De 2005 à 2007, cette évolution a pris un tournant législatif, sous les gouvernements de droite. Des lois puis un arrêté vont obliger les migrants qui en ont besoin « à s’inscrire à une formation linguistique pour apprendre la langue du pays d’accueil » (une expression utilisée dans les textes en français du Conseil de l’Europe, et ceux de la DGLFLF). Cette formation validée par le DILF, diplôme national, est prescrite dans le cadre du CAI, qui, à partir de 2006, « rend obligatoire la signature d’un contrat pour tout étranger primo-arrivant de plus de 16 ans, hors Union européenne » (Etienne et alii, 2012), et qui doit obtenir un titre de séjour. En plus des cours de français, ces résidents étrangers doivent participer à une demi-journée de formation civique où ils sont informés, en principe dans leur langue, des réalités institutionnelles, juridiques, sociales et culturelles de la République. La création du FLI par un décret ministériel va changer beaucoup de choses.

Fin 2011, le Ministre de l’intérieur Claude Guéant décide d’instaurer un label FLI® ou « qualité FLI », pour les organismes de formation au FLI, et un agrément FLI®, pour les associations de bénévoles. Le terme-notion de « français langue d’intégration » a été choisi par la DGLFLF du Ministère de la Culture et la DAIC du Ministère de l’Intérieur pour désigner le français de cette nouvelle formation8. Cette appellation succède à celle de français langue d’insertion avancée par Brétegnier (2011). Alors que le CAI séparait les contenus linguistiques et civiques, avec le FLI, l’instruction civique fait partie intégrante de la formation linguistique, i.e. des contenus à apprendre et dont on vérifie l’acquisition. La notion d’intégration républicaine prend de plus en plus d’importance.

1.3.4. Le Référentiel FLI

Le Référentiel succède à d’autres référentiels destinés à la formation linguistique et/ou professionnelle des migrants (Leclercq, 2012) et notamment au référentiel pour le DILF (Beacco et alii, 2005 ; Etienne, 2008). Le document FLI cadre et oriente les audits en vue de la labellisation des organismes et de l’agrément des associations de bénévoles, au moyen de la liste des critères et des descripteurs attributifs : point légaux et réglementaires, compétences des formateurs, objectifs et contenus linguistiques et culturels, et « principes fondamentaux de la République française » (Vicher et alii, 2011 : 6). Les auteurs del’Avant-propos sont le directeur de la DAIC et le délégué général de la DGLFLF. Le référentiel FLI proprement dit a été rédigé par des experts de la formation linguistique des migrants : des universitaires et des formateurs de FLE-FLS.

2. Controverses, polémiques, donc production de connaissances ?

Texte normatif, le référentiel a un statut réglementaire. Son discours à but pratique didactise une mesure de la politique gouvernementale des années 2004-2012. Il accompagne une loi, des règlements et des décisions administratives sur les statuts des étrangers, qui font obligation aux résidents non européens de connaître la langue d’une nation dont la Constitution dit : « La langue de la République est le français ».

2.1. Interpréter le FLI

Les rédacteurs du référentiel associent le FLI au « droit à la langue française pour les migrants », dont le FLI serait la concrétisation. À l’opposé, ceux qui rejettent ou critiquent le FLI en soulignent les risques et les dangers pour les formateurs et les immigrés.

Comment interpréter le FLI ? Dans une perspective dialogique et agonale, j’ai choisi de privilégier les points de désaccord entre les pro et les anti sur la question, politique, de la France multilingue et multiculturelle. La diversité conflictuelle des positions se manifeste à travers la diversité des stéréotypes associés au sigle FLI. J’emploie ici stéréotype au sens d’Anscombre (2001) — qui reprend Putman. Par ce terme, je désigne les lexies simples et complexes (mots, syntagmes et phrases), qui figurent de manière répétée dans le cotexte du sigle FLI. Ces lexies marquent les idées que les discours associent au FLI dont elles définissent ainsi le sens, et elles guident la compréhension des énoncés. Pro-FLI et anti-FLI divergent nettement par le choix de leurs chaînes de stéréotypes, i.e. de leurs associations d’idées définitionnelles. Ils s’opposent sur les éléments du contexte sociohistorique qu’ils choisissent de retenir et de rattacher au FLI, et sur les conséquences pratiques qu’ils infèrent.

Que l’on rapproche FLI et droit à la langue, comme les promoteurs et défenseurs du FLI, et on le présentera comme une conquête sociale et civique pour les migrants :

Le CAI, le DILF et enfin le FLI s’inscrivent […] dans le combat mené depuis longtemps par les associations de défense des migrants pour le droit à la langue, c’est-à-dire pour le droit d’apprendre le français, condition indispensable, si elle n’est pas suffisante, pour faciliter la vie sociale et citoyenne des migrants. (ProFLI, 2011).

En revanche si, comme les pétitionnaires anti-FLI, on rattache le FLI à la politique d’immigration « choisie » des gouvernements Sarkozy, on le caractérisera comme une mesure contre les migrants qui fait partie des nouvelles contraintes pour l’obtention du titre de séjour (CAI) ou pour la naturalisation (FLI), et comme une violence symbolique exercée par l’obligation d’apprendre le français standardisé, au détriment de la langue d’origine ou d’autres langues de France (voir FLIC, 2011, et Sodilang, 2011a et 2011b).

Contextualiser le FLI et les tensions entre les droits et les devoirs qui travaillent les textes et les pratiques de cette acculturation républicaine, c’est renvoyer à l’histoire et à l’actualité politiques. Tandis que les pro-FLI affirment que cette nouvelle formation prolonge une tradition républicaine et progressiste française, des anti-FLI soulignent qu’elle « se produit à une période de pré-campagne électorale où les signes de connivence, de la part de la droite à l’intention de l’extrême-droite, se multiplient » (Sodilang, 2011a). Aux critiques, les rédacteurs du référentiel FLI ont répondu notamment : « Nous resterons vigilants à ce que les formations gratuites nécessaires pour atteindre le niveau B1 soient effectivement mises en œuvre et que le respect du principe du droit à la langue du pays d’accueil continue d’être garanti. » (id.).

Ce n’est pas faire un procès d’intention aux critiques ni aux experts du référentiel que de considérer le processus FLI comme l’application pratique d’une politique linguistique, et de l’interpréter en lien avec les réalités institutionnelles et pédagogiques concrètes auxquelles il s’articule effectivement et auxquelles il aura contribué. Je précise que je considère le référentiel et le Mémo comme des formations discursives de compromis et des outils didactiques à dominante progressiste. En effet, ils prescrivent explicitement aux organismes et aux formateurs d’instruire les migrants sur leurs droits, et sur les réalités sociales françaises.

Après Chardi (2010), qui a recueilli et étudié les réflexions divergentes de migrants sur leur expérience du CAI, et après Marchandot (2013), qui a souligné en particulier les difficultés pour un formateur au DILF et au FLI de parler de la laïcité, d’autres chercheurs-formateurs qui enseignent aux migrants conduisent aujourd’hui des recherches sur l’enseignement du français selon le nouveau paradigme politico-didactique. Leurs enquêtes et leurs analyses devraient nous aider à mieux comprendre comment le paradigme/processus CAI-PostCAI-FLI restructure peu à peu le champ de la formation aux migrants, réorganise les programmes et les pratiques de classe des formateurs, et transforme les manières d’apprendre, de parler, de penser et d’agir des stagiaires9.

Comme phénomène de gouvernement, en quoi la technologie culturelle du FLI échappe-t-elle ou cède-t-elle à la logique autoritaire qui régit la machinerie CECR et la labellisation des centres de FLE (Lefranc, 2009b, 2014) ? Va-t-on montrer que le FLI est plus politique (démocratique) que policier (technocratique), pour emprunter les termes de Rancière (2005) ? Ou bien, avec les mots de Foucault, n’est-ce qu’une pure manifestation de la gouvernementalité de sécurité (« gouvernance »), dont la biopolitique contrôle et modèle la vie des populations, par l’organisation et la gestion des formations des jeunes et des adultes ?

2.2. Le français de la formation au FLI

2.2.1. Une langue de culture, d’histoire et d’idéologies

Pour Candide (2001), apprendre une deuxième langue, c’est apprendre une autre vision du monde et des relations sociales :

L’apprentissage d’une langue non maternelle constitue une ouverture sur une manière différente de penser, c’est-à-dire de se percevoir et de se représenter le monde, chaque langue étant par essence un mode de représentation spécifique qui structure sur un mode interactif la pensée d’un sujet, et détermine ses rapports aux autres.

Je rapprocherai ces phrases de l’Avant-propos du Référentiel FLI :

La langue détermine la façon de raisonner des peuples et le regard qu’ils portent sur le monde. […] La langue est aussi le vecteur de la culture et elle seule permet d’appréhender le sens de valeurs difficilement transmissibles dans les langues d’origine. (Vicher et al., id. : 3)

Le référentiel FLI reprend cette idée d’une langue porteuse d’acculturation :

des Masters présentant une orientation FLI seront désormais proposés dans certaines universités françaises, dans lesquels sera traitée la question de l’enseignement/apprentissage de la langue-culture française comme langue vectrice d’intégration sociale, économique et citoyenne. (id. : 13)

Est-ce une conception dépassée de la langue ? Des anti-FLI reprochent au référentiel d’avancer une vision non scientifique :

Les approches dites « interculturelles » (pour prendre ce terme comme générique), sauf dans une interprétation assez inédite, sont assez peu compatibles avec l’idée selon laquelle une langue serait porteuse de valeurs (on voudrait les imposer qu’on n’argumenterait pas autrement) (Sodilang, 2011a).

Ce que Sodilang (2011b) reprend et complète :

un lien présenté comme évident et causaliste entre la langue et la culture (p. 4 : « la langue détermine la façon de raisonner des peuples ») ou la langue et les valeurs (p. 4) ; à situer, au-delà de l’hypothèse Sapir-Whorf, dans la lignée des romantiques allemands — Herder, Humboldt — et du nationalisme du XIXe siècle ; […] d’un point de vue plus didactique : il faut également s’interroger sur la pertinence du parti-pris d’enseigner conjointement la langue et ces valeurs, alors que les démarches didactiques pourraient être, en partie au moins, distinguées.

À condition de rejeter l’idée du conditionnement des mentalités et des conduites par la seule langue, l’hypothèse dite Sapir-Whorf continue d’être prise au sérieux dans le monde des sciences du langage internationales. Elle paraîtra encore moins absurde si l’on relie « langue » et « culture », non plus en juxtaposant ces notions, mais en considérant que la langue fait partie intégrante de la socioculture (voir Cuq, 2003), et qu’elle est en interdépendance systémique avec les autres composantes sémiotiques et matérielles de la société. Bakhtine et Volochinov encouragent à aller encore plus loin en posant que le sémantisme des discours et des mots est toujours idéologiquement chargé et orienté, et j’ajouterai, quant à moi, non seulement « en emploi », mais également « en langue » : au cœur du sémantisme conventionnel des moyens linguistiques. De plus, comme Meschonnic, je pense que les discours font et sont la langue, et je caractérise le français légitime, administrativement et académiquement standardisé, comme une langue-trésor-corpus, une langue faite de discours sélectionnés et toujours idéologiquement orientés. Les plus autorisés et diffusés sont constitués de formes-à-sens qui ont été travaillées, systématisées et instrumentalisées au cours des siècles, notamment par des scribes et des clercs10. Ces discours et énoncés de référence, d’imitation et d’apprentissage, servent de modèles et de guides-de-pensée privilégiés aux parleurs (Lefranc, 2013). Dans cette perspective, la thèse de la neutralité idéologique des langues, que ce soit en surface ou en profondeur, ne serait qu’une fiction logiciste et positiviste, une illusion savante.

La dynamique de formation des migrants par le FLI réinvente le français, corpus et définition, pour en faire un idiome intrinsèquement culturel, idéologique et politique :

L’apprentissage de la langue inclut la compréhension des principes fondamentaux qui fondent la vie en société en France ; […] Les emplois de la langue reflétant les usages, les codes sociaux et culturels de la société française et la compréhension des notions fondamentales à l’intégration servent donc également de base à l’enseignement/apprentissage du français. (Vicher et alii, id. : 14)

Rompant avec la linguistique appliquée, la didactique du FLI et l’artefact « langue du FLI »11 nous rapprochent du français institué de Renée Balibar (1985). Cela paraît également compatible avec la vision anthropologique de Rastier quand il reprend Wittgenstein et sa conception d’une langue « forme de vie » (Rastier, 2002). Si la langue, cette formation linguistique qui fait partie de la formation sociale française (Balibar et Laporte, 1974), est bien une forme de vie, communiquer en français avec des habitants de France, ce serait donc exister, s’adapter, se transformer et innover dans cet État-nation, à travers ses expériences d’interactions verbales en français avec les autres citoyens. Selon Hajjat (2010 : 65) : « Pour les républicains (des années 20), l’apprentissage de la langue française est le meilleur véhicule de l’idéologie républicaine. »

Les auteurs du FLI prescriraient donc eux aussi une langue française politiquement marquée.

2.2.2. Des formes verbales porteuses des normes-valeurs républicaines

Les rédacteurs du référentiel ont une approche sociale du Français Langue d’Intégration. Les formateurs vont enseigner une langue ouvertement normative, et faire

connaître les normes élémentaires sans lesquelles la communication serait impossible et trouver un équilibre entre norme et sur-norme, sur le plan linguistique et sociolinguistique. Au début du processus d’appropriation du FLI, il convient de choisir des situations particulières d’échanges sociaux où le choix de la norme et du registre est difficile à faire comme par exemple : le tutoiement et le vouvoiement. (id. : 25)

Les mêmes auteurs associent la connaissance des institutions et des services publics, à la connaissance et au respect des lois, mais aussi de ces « codes sociaux » sur lesquels a insisté d’Iribarne (2007), les règles de politesse et les usages de sociabilité. Il s’agit pour les migrants « de s’approprier les règles du “vivre ensemble” » (id. : 14-15).

La formation des migrants au FLI va-t-elle exiger davantage ? Le migrant devra-t-il non seulement obéir aux lois, se comporter en public selon les normes, les valeurs-et-principes et les usages, mais en plus y croire, y adhérer en son for intérieur, par une identification intime et affective, voire même en persuader ses enfants et ses proches ? Si l’on pense en termes de « principes » plutôt que de « valeurs », la notion d’adhésion pose problème.

L’Avant-propos associe « insertion » et « adhésion » aux valeurs : « Il vise de façon conjointe un usage quotidien de la langue et l’apprentissage des outils d’une bonne insertion dans la société française (y compris par l’adhésion aux usages et aux valeurs de la République). » (id. : 3)

Le référentiel également :

L’insertion dans la société d’accueil par le travail, les relations interpersonnelles et les échanges du quotidien ne suffisent pas à qualifier l’intégration. Celle-ci suppose de surcroît une adhésion aux valeurs partagées par la communauté. L’équilibre de notre société repose sur des principes démocratiques (id. : 7)12

Significativement, les versions de ce référentiel ont eu des formulations différentes pour désigner le rapport des futurs citoyens naturalisés à la nation française. Dans une des avant-dernières versions dont j’ai pris connaissance, j’ai remarqué la formule « avec pour objectif l’intégration et l’adhésion à la société française » qui est devenue « avec pour objectif l’intégration à la société française » (id. : 22) dans la dernière version. En revanche, le mot adhésion n’apparaîtra jamais dans la réponse aux anti-FLI (ProFLI, 2011). C’est montrer que les lexies adhésion à la société et adhésion aux valeurs républicaines posent problème. Selon les principes d’une philosophie politique républicaine qui refuse les catéchismes et l’identification affective contrainte, on devrait plutôt dire que les migrants doivent s’adapter : qu’ils doivent accepter de se conduire selon les règles du jeu social instituées pour la vie en commun, sans être forcés à croire qu’elles sont la Vérité.

La traduction FLI du droit à la langue l’assimile au « droit » à l’enseignement du français républicain dans des organismes audités et autorisés. Ce qui, pour les adultes migrants, exige d’accepter d’être exposés à des informations (l’indifférence religieuse ou l’athéisme de nombreux Français, y compris d’origine immigrée) et des manières de (des femmes qui, en classe de FLI, sont assises à côté des hommes) qui ne leur plairont pas forcément. Plus encore, apprendre à partir de discours, c’est toujours, en cherchant à les comprendre et en les imitant, devoir les faire siens au moins momentanément et partiellement. En apprenant des formes-à-sens, on les mémorise, on les incorpore peu ou prou, techniquement, au risque d’en accepter les contenus et d’y adhérer « en douce »13. Tout cela parce qu’on veut passer des tests et pouvoir continuer à vivre en France. La mise en œuvre pédagogique de ce « droit à la langue » impose des devoirs et présente des risques.

2.2.3. Principes ou valeurs ?

Du CAI au FLI, l’« intégration républicaine » devient centrale, si l’on en juge par les ressources didactiques qui ont complété le référentiel, comme le Mémo du formateur, dont 30 pages (sur 48) sont consacrées aux « valeurs de la République ». Les Pro-FLI avaient défini leur position dans un texte au journal Médiapart : « Le référentiel, comme document d’orientation en matière de politique linguistique, a fait le choix d’un modèle d’intégration républicain et citoyen basé sur les principes issus des Lumières et de la Révolution Française. » (Pro-FLI, 2011)

Les présentations du FLI n’accordent pas toujours la même importance aux lexies principes et valeurs. Dans le Dossier de presse, valeurs figure trois fois et principes deux fois. Dans l’Avant-Propos, valeurs apparaît trois fois dont une avec principes, qui a aussi trois occurrences. Les auteurs du référentiel ont préféré principes, utilisé 18 fois, à valeurs, seulement 5 fois.

Sur quoi se fondent les droits et les devoirs attachés au FLI ? Sur des « principes », « des valeurs », des « valeurs et principes » ? Avec d’autres, je pense que l’usage aujourd’hui fréquent du terme valeurs dans les discours administratifs, académiques et politiques pose problème, surtout quand on parle de « valeurs républicaines ». Reprenant la distinction de Kintzler (2007), j’insisterai sur la rupture historique entre, d’une part, des principes que l’on donne comme philosophiques, juridico-politiques et historiques (des constructions humaines que l’on a le droit de questionner et de critiquer), et d’autre part, des valeurs culturelles et identitaires implicitement transcendantes qu’il serait interdit d’examiner, de discuter et de satiriser. Dans ses emplois courants, le terme ambigu de valeur joue sur un flou sémantique qui mêle la notion de « valeurs sacrées », taboues, à celle de « principes ».

Dans les discours d’autorité qui circulent, valeur se charge de mystère et de transcendance surnaturelle (cultuelle) ou nationaliste (culturelle). Je préfère penser en termes de principes rationnels à finalité démocratique, dont la fonction est de guider l’organisation d’une société « suffisamment bonne » pour tous. En république laïque, à la fois libérale, pluraliste et délibérative, « des principes doivent toujours être objet de discussion » (Policar, 2012 : 304). La valeur « bon » ou « mauvais », « juste » ou « injuste » attachée à tel ou tel comportement social est donnée comme le résultat d’une élaboration politique à poursuivre, et non comme un commandement à respecter, sans comprendre et sans discuter.

Selon cette philosophie, les citoyens devraient donc respecter des droits et des devoirs, tout en sachant qu’ils sont sociohistoriques, donc évolutifs — cf. le droit au travail —, et qu’ils reposent sur des principes que l’on peut rationnellement critiquer. À cet égard, la notion d’intégration citoyenne des migrants utilisée dans le référentiel mérite réflexion :

(le) modèle de société dit « républicain », qui prévaut en France met l’accent, non sur les différences culturelles ou communautaires, mais sur l’universalité de valeurs humaines fondamentales et de l’individu qui est d’abord un citoyen avant d’être membre d’un groupe culturel particulier. (id. : 5) (…) Aider les apprenant(e)s à surmonter leurs différences pour pouvoir participer au corps social commun. (id. : 27)14

Le segment surmonter leurs différences ci-dessus rompt avec la phraséo-idéologie du « respect » a priori de toute différence culturelle. Certaines différences feraient donc obstacle au « vivre ensemble » entre les migrants et les autres citoyens, et il incomberait aux migrants de les dépasser parce qu’ils ont le devoir de se mélanger pour participer à la nation15.

2.2.4. Un FLI langue laïque

Le référentiel FLI traite de la laïcité à la française. Une notion dont la définition même est un sujet de controverse. C’est aussi un thème politique et philosophique associé en France depuis trente ans, successivement ou simultanément, au débat école publique/école privée, à la séquence stéréotypée voile-islam-islamisme-immigration, et, plus récemment, aux conflits sur le « mariage pour tous » ou sur le traitement de la question des sexes et des genres à l’école. Le référentiel définit la laïcité en rompant avec l’acception pluri-religieuse à laquelle on la réduit souvent. On quitte le « quelle religion pratiquez-vous ? » pour décrire une société composée de « ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas » (Aragon). Kintzler rappelle que selon la laïcité républicaine « personne n’est tenu d’avoir une religion plutôt qu’aucune » (idem : 18). On retrouve cette idée dans le référentiel :

Une formation FLI doit traiter des droits inaliénables des citoyens garantis par les lois de la République française : liberté d’expression, droit de choisir ses représentants, droit à l’instruction gratuite, droit à la protection des individus, des salariés, de la vie privée, droit au respect des opinions politiques, syndicales, religieuses mais aussi de l’athéisme, l’agnosticisme ou l’apostasie. À cet égard, la laïcité est un principe fondamental en France. (Vicher et al., id. : 23)

Cela implique qu’on a le droit d’abandonner les croyances ou les opinions de sa famille ou de son entourage. On voit ici comment la « liberté de conscience individuelle », notion qui fait partie des principes de la langue FLI, s’oppose au terme-notion d’appartenance culturelle dont les implications d’assujettissement et d’assignation se sont imposées peu à peu au sein des sciences humaines comme en didactique. En France, par principe, un adulte majeur ne devrait pas se retrouver sous tutelle, il ne doit allégeance/vassalité à aucune autorité familiale ou communautaire, qu’elle provienne de la majorité ou d’une minorité. Enfin, stricto sensu, les enfants « n’appartiennent pas » à leurs parents.

Cette conception de la laïcité où les mythidéologies (Détienne, 2003) sont « tenues en respect » (Lefranc, 2007), rappelle les singularités de la sociohistoire de la France et de la laïcité à la française : les guerres de religion du XVIe siècle, puis, de la République à l’Empire, des « guerres avec la religion » au cœur des guerres avec l’Europe monarchique et des guerres civiles, puis par les révolutions et les luttes sociopolitiques du XIXe siècle qui ont abouti à la loi de séparation de l’Église et de l’État. Cette forme de laïcité s’oppose aux cléricalismes, mais elle se distingue également des autres sécularismes d’Europe. Si la laïcité protège la liberté des religions, elle protège aussi la liberté de les critiquer et d’en faire rire publiquement, ce que les autorités religieuses n’ont plus la liberté d’interdire, mais ce qu’elles tentent pourtant de faire au nom du « respect » des cultures ou des croyances. Enfin, la langue-trésor-corpus de la République ne se présente ni comme divine ni comme religieuse, à la différence de l’arabe et de l’hébreu légitimes, voire de l’allemand de Luther et de l’anglais de la King James Bible.

2.2.5. Républicains contre multiculturalistes

Ces lignes du référentiel sont en désaccord avec la vulgate de la didactique institutionnelle :

L’utilisation du terme « intégration » peut susciter un débat, dès lors qu’il renvoie à l’existence de deux pôles antagonistes : celui du relativisme culturel radical et celui du modèle de société dit « républicain », qui prévaut en France. Ce dernier met l’accent, non sur les différences culturelles ou communautaires, mais sur l’universalité de valeurs humaines fondamentales et de l’individu qui est d’abord un citoyen avant d’être membre d’un groupe culturel particulier. (id., 2011 : 8)

Les signataires du texte de Tours y voient une « présentation caricaturale du multiculturalisme » (Sodilang, 2011b : 8). Je pense au contraire que cette schématisation éclaire des oppositions idéologiques trop souvent refoulées, et invite à débattre d’une question traitée dans les champs politique, médiatique, mais aussi académique (philosophique et anthropologique), alors que la didactique dominante, celle du Conseil de l’Europe, présente l’acceptation des différences culturelles comme allant de soi, dans une vision enchantée et irénique de la diversité des manières de vivre et de donner sens à sa vie. Le référentiel rompt avec cette façon de voir quand il subordonne les différences culturelles aux « valeurs » de la République, et demande aux apprenants de les surmonter (cf. supra 2.2.3.).

Le FLI reprend une vision moderne (et non postmoderne) de la société où l’on reconnaîtra quelques principes des Lumières et de l’héritage progressiste français et international (cf. l’insistance sur la connaissance du droit du travail, id : 41). Libérale, laïque et « sociale », cette philosophie de la société s’oppose de fait aux traditions qui imposent la subordination culturelle, et souvent cultuelle, des « membres » aux autorités du groupe, à ses règles de conduites et à ses croyances. Comme certaines normes-valeurs sont incompatibles avec les principes républicains de la vie publique et privée, les migrants et les Français d’origine immigrée qui vivent en France sont dès lors confrontés à des pressions et des interdits de normalisations contraires : surnormalisation républicaine versus normalisations culturelles. Dans une démocratie qui « politise » les habitants, la société n’est pas une famille (Mendel, 1992) ni un ensemble de communautés qui coexistent, et les institutions tour à tour contraignent ou incitent les individus à prendre des distances par rapport aux habitudes familiales ou communautaires. Les apprenants de FLI devront donc affronter des situations politico-culturelles qui interrogent des idées et des mœurs qui pour eux allaient de soi.

3. Le Référentiel : sa présentation et le document. Des devoirs et des droits

Si le FLI exerce autant de pressions normatives sur les résidents étrangers non-européens, qu’en est-il de leurs droits ? Pour donner une idée de l’importance que nos sources accordent aux notions de « droits » et de « devoirs », j’ai compté les occurrences des lexies droits, pouvoir (dans le sens « a le droit »), liberté et devoir (nom et verbe), en tenant compte des cotextes. J’ai fait de même avec les lexies citoyen et citoyenneté, et avec celles qui renvoient à la notion de « participation active » à la vie collective.

3.1. Documents officiels

3.1.1. Le dossier de presse : sous le signe des devoirs

Titré La réforme du contrôle de la connaissance de la langue française par les candidats à la nationalité, le dossier remis aux médias lors de la présentation officielle du FLI est composé d’une présentation de huit pages suivie d’une page avec les nouveaux articles du Code civil (voir Annexe II), et de six pages de textes de décrets et d’arrêtés ministériels. Je me suis limité aux neuf premières pages, très lisibles et donc mises en vedette, en négligeant l’annexe moins lisible. Ce dossier insiste sur les devoirs des candidats. Ses énoncés mettent en scène les candidats comme des actants qui doivent obligatoirement, doivent faire preuve, devront prouver, doivent faire (7 occurrences du verbe devoir et une du nom devoirs), et dont les connaissances sont contrôlées (2 occurrences de contrôle ; 8 en tout si j’ajoute le titre du document répété en haut de la page). Droit ne figure qu’une fois, dans le segment droits et devoirs, et liberté n’apparaît pas. Enfin, on a deux emplois du verbe pouvoir dans le sens « l’étranger a le droit », mais l’un est négatif : « Nul ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté Française. » (Commission communication, 2011 : 10)

Ce document officiel où prévaut la dimension « contrainte sur les migrants », est bien en phase avec la politique d’immigration de 2011-2012. Des lecteurs pressés ont pu penser qu’il résumait le FLI. On verra infra que les vingt-huit pages didactiques et « techniques » des rédacteurs du référentiel tiennent un discours plus « républicain social ».

3.1.2. L’Avant-Propos

En deux pages, l’Avant-Propos présente deux occurrences de devoirs et deux de droits. On n’y trouve pas droits du citoyen mais la lexie devoirs de citoyen : « B1 : niveau de l’assimilation. Il permet d’exercer ses devoirs de citoyen et est nécessaire pour acquérir la nationalité française. » (Vicher, et al., id. : 3)

Un candidat au FLI qui a obtenu l’attestation de niveau B1 (« B1 à l’oral » précise le référentiel) est linguistiquement capable d’exercer ses devoirs civiques, et c’est à cette condition qu’il peut prétendre acquérir la nationalité française. Symptomatiquement, sur les deux occurrences de droits, l’une concerne les organismes de formation, et l’autre les migrants ; et droits est associé à devoirs dans la formule l’équilibre des droits et des devoirs.

3.1.3. Le texte du référentiel

À la différence de l’Avant-Propos, les vingt-neuf pages du référentiel utilisent plus souvent droits (du citoyen, du salarié) que devoirs. 35 occurrences de droits — la notion de « droit » est un peu plus marquée si l’on ajoute les 4 occurrences de peut dans le sens « a le droit de », contre 14 devoirs — plus 4 occurrences d’obligations (du candidat). À noter qu’à la différence du dossier de presse, contrôle ne figure ni dans l’Avant-Propos ni dans le référentiel.

La lexie droits des citoyens apparaît 7 fois (devoirs des citoyens, 5 fois). 13 occurrences précisent les différents « droits » (dont un droit de vote des femmes) ; droits des salariés apparaît 6 fois et devoirs du salarié 3 fois (avec droit) ; droit du travail et droit syndical chacun une fois ; droit, pris dans son sens général, a 5 occurrences (dont 2 avec devoirs) ; droits sociaux, droits des étrangers et droits des migrants apparaissent respectivement une fois (sans devoirs) ; enfin, au début du texte du référentiel, on a deux fois l’expression droit à la langue, dont une occurrence dans droit à la langue du pays d’accueil.

Ce passage associe le droit à la langue aux autres droits des migrants, puis à leur devoir :

Le droit à la langue du pays d’accueil étant acté pour les migrants, il s’agit de créer les conditions d’une formation linguistique de qualité […]. Le droit à la langue, et à tous les autres droits auxquels les migrants peuvent prétendre, est assorti d’un devoir de respect des principes fondateurs de la République française, piliers d’un vivre ensemble « à la française ». (id. : 7) (C’est moi qui souligne.)

Les tableaux demandent aux formateurs d’enseigner des devoirs :

Aborder avec les apprenant(e)s les devoirs des citoyens qu’il faut respecter en toutes circonstances : instruction obligatoire, respect de l’égalité absolue des hommes et des femmes16, respect des institutions de la République française et de ses représentants, respect de la justice et de ses représentants, obligation de s’acquitter des impôts, sur lesquels s’appuie l’État solidaire. (id. : 26)

Si, par définition, le discours du Référentiel est à dominante prescriptive, et si le processus de surnormalisation socioculturelle des migrants passe désormais par l’apprentissage du français d’intégration, on a vu que le référentiel, tableaux compris, donne explicitement la priorité aux droits des citoyens français, futurs Français, ou étrangers, sur leurs devoirs.

3.2. Quels droits ?

Dans l’État de droit français, le « droit à l’apprentissage de la langue du pays d’accueil » est-il un droit à, un droit de, un droit sur ? Ce serait à la fois un droit de (droit-liberté) et un droit à (droit-créance), mais également un droit sur (droit-pouvoir) qui oblige l’administration à en garantir l’exercice. C’est un droit individuel, et un droit collectif qui concerne les familles dont les enfants vont à l’école. Les mères, à qui revient souvent la charge de l’éducation, « peuvent » et sont incitées à apprendre la langue de la scolarisation de leurs enfants.

Le FLI prend plus de sens si on le rattache à l’histoire de la France, où les droits de l’homme ont juridiquement rompu avec les droits absolus des divinités et avec l’absolutisme des autorités étatiques, mais aussi avec les droits absolus des autorités communautaires : ces droits sur les individus ont été rejetés. De la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 à la dernière Constitution, les Républiques ont rompu avec la surnorme, ou supernorme, du passé féodal dont les normes et les valeurs ont été juridiquement désacralisées : « désurnaturalisées ».

Mais c’est souvent davantage un idéal à atteindre qu’une réalité concrète. Ainsi les droits des femmes et les droits de l’enfant contraignent en principe les maris ou les mères à modifier leurs manières de, et à renoncer à plusieurs des droits qui leur donnaient des pouvoirs sur la vie d’autres membres. En réalité, des témoignages montrent que dans la France d’aujourd’hui, de nombreux migrants qui habitent dans des quartiers de relégation, et qui aimeraient assouplir les contraintes des traditions voire s’en libérer, se résignent à ne pas exercer leurs droits, et acceptent au nom de valeurs sacrées ou par réalisme pragmatique — par peur des représailles —, de taire leurs doutes sur les dogmes religieux, de ne pas sortir, etc. Des réalités oppressives que les discours didactiques sur l’interculturel taisent trop souvent.

3.3. Quels citoyens ?

Devenu adjectif, le terme « citoyen » est aujourd’hui utilisé dans un continuum phraséo-idéologique à charge moraliste où les gens sont invités à faire de beaux gestes, de bonnes actions pour la Terre, les malades, les plus pauvres, etc. Cette culture tranche avec l’idéal attaché au sens républicain de ce terme (de Condorcet à Alain) et qui dépeint des citoyens actifs et libres, éclairés par l’instruction et le débat contradictoire. Des citoyens qui sont ainsi en mesure et en capacité — en capabilité (Sen, 2012) — d’exercer leur liberté de conscience, et prennent le droit de critiquer publiquement l’ordre des choses, ou les idées et les croyances majoritaires ou minoritaires : celles des oppresseurs ou des victimes, des exploiteurs ou des exploités. Ils ont la liberté d’exercer leur jugement, c’est-à-dire leur raison, et même leur bon sens (Descartes et Paine). Ce droit sur les idées, les discours et les pratiques, dont bénéficient théoriquement les citoyens de la République, s’avère incompatible avec un « respect des cultures » ou des croyances qui oblige à en accepter les manifestations sans distance ni examen critiques, ni droit de réponse.

Quel sens le FLI donne-t-il au mot citoyen ? Dans les neuf premières pages du Dossier de presse, citoyen n’a qu’une occurrence. Le terme et la notion de « citoyen » apparaissent plus souvent dans le Référentiel. Les deux pages de l’Avant-Propos contiennent 2 occurrences de citoyenneté (dans Direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté) et une de citoyen (maisdans la lexie devoirs de citoyens). Quant au référentiel, on y remarque 3 occurrences de citoyenneté, 13 du nom citoyen — on a vu supra que droits des citoyens a 7 occurrences et devoirs des citoyens 5 —, et 11 apparitions de l’adjectif citoyen, parmi lesquelles je remarque 7 français langue d’intégration, sociale, économique et citoyenne qui lient les trois dimensions socioculturelles. Enfin, j’ai noté qu’à la différence du référentiel, l’Avant-propos n’utilise pas l’expression intégration citoyenne. Tout se passe comme si la tradition militante avait marqué le référentiel de son empreinte (cf. supra 1.3.1.).

Pour les partisans du droit à la langue du pays d’accueil, dont les rédacteurs du référentiel, la reconnaissance de ce droit ouvre à l’exercice de droits civiques et politiques avec ou sans la nationalité française. Ceux qui insistent sur la dimension d’instruction civique du CAI et du FLI voient donc la citoyenneté comme un continuum. Statut évolutif, la citoyenneté des icitiens17 partirait des « mineurs en droit » par l’âge ou par la nationalité étrangère (les adultes migrants ou réfugiés non européens), aux « majeurs en droit » que sont les adultes nés français ou naturalisés. En France, tout le monde bénéficie légalement de certains droits civiques (liberté de conscience, d’expression et d’association), et de droits sociaux que les services sociaux d’État et les institutions républicaines ont l’obligation de garantir administrativement. L’étranger non européen serait donc un peu citoyen sans le CAI, il le deviendrait un peu plus avec le CAI, et serait un citoyen complet une fois naturalisé après un FLI. En même temps, tout apprenant formé à la langue sociohistorique du DILF-FLI devient un habitant mieux informé et formé, un adulte connaisseur de ses droits, libertés et pouvoirs, et de ses devoirs et obligations. En devenant plus instruit et conscientisé, on gagne un savoir-pouvoir qui rend capable d’exercer des droits individuels et collectifs de citoyen actif (droit syndical, droit d’association). Même si un migrant ne jouit pas des mêmes droits et protections que les bénéficiaires d’une pleine citoyenneté (terme souvent utilisé dans les associations), celle qui leur donne le droit de voter et de se présenter aux élections. L’extrait suivant du référentiel donne une définition étendue de la citoyenneté en énumérant des droits qui ne sont pas seulement ceux du droit de vote, réservé aux nationaux, mais aussi ceux de tous les habitants, notamment les droits des salariés… et des étrangers :

Développer les connaissances des apprenants migrants sur les droits de tout citoyen français, comme le précise le champ du FLI, entre autres sur :

— les droits inaliénables des citoyens garantis par les lois de la République française : liberté d’expression, droit de choisir ses représentants, droit à l’instruction gratuite, à la protection des individus, droit des salariés, de la vie privée, droit au respect des opinions politiques, syndicales, religieuses… ;

— mais aussi sur le droit des étrangers. (id. : 26)

Il est révélateur que les lexies participation et participer, avec le sens de « participation citoyenne », soient utilisées 6 fois dans le référentiel mais jamais ni dans l’Avant-Propos ni dans le Dossier de presse. De plus, le référentiel désigne 8 fois les stagiaires comme des participants à leur formation. Si le statut de citoyen se définit par la participation effective à des actions civiques pour la défense non seulement de ses intérêts et des intérêts de sa famille, mais aussi pour la défense des salariés et/ou de l’intérêt général, beaucoup de migrants exercent déjà leurs droits de citoyen actif en tant que syndiqués, lors d’assemblées générales dans leur entreprise ou au sein d’une association.

Dans les cours de langue des associations et des organismes de formation, un grand nombre de formateurs de FLE-FLS (dont beaucoup sont bilingues) expliquent déjà leurs droits aux migrants, en français et souvent dans les langues de leurs stagiaires. Plus encore, les enseignants font passer ces droits des paroles aux actes quand ils les aident dans leurs démarches administratives et juridiques, et leurs activités professionnelles. Les documents pour la formation FLI institutionnalisent donc ces pratiques sociales et politiques des acteurs sociaux d’en bas. D’ailleurs, plusieurs formateurs, interrogés en 2014 par des étudiants de Master 2 dans le cadre d’une enquête, ont répondu qu’il n’y avait rien de nouveau dans le référentiel FLI, que c’était « ce qu’ils avaient l’habitude de faire ».

4. Socialiser/acculturer en République française

Comme la scolarisation des mineurs, la formation des adultes migrants participe d’une inculcation, d’un modelage d’habitus. On a vu supra que la formation à la langue d’intégration est aussi une formation aux manières de vivre à la française républicaine. En articulant « dialectiquement » avec des droits-pouvoirs donnés aux individus par la « traduction FLI » du droit à la langue du pays d’accueil, c’est de surnormalisation dont il s’agit, c’est-à-dire selon moi (Lefranc, à paraître), d’une normalisation étatique qui régule et contient (tient en respect en les affaiblissant) les autres normalisations socioculturelles (familiales et ethnoculturelles, y compris religieuses). Sur le papier et administrativement, les lois de la République l’emportent sur les lois des dieux, des déesses et des esprits (Lefranc, 2013).

Ouvertement prescriptifs, le référentiel et le Mémo imposent la surnorme communicative langagière de l’État-nation qui l’emporte sur les autres normes quand elles entrent en conflit. C’est ouvrir, par implication, à la question des incompatibilités entre des manières de présentes dans l’espace national. Il y a en effet des tensions, contradictions, antagonismes et plus encore entre, d’une part, les lois de la socialisation-acculturation républicaine des individus de France et, d’autre part, les autres types de normalisation exercées sur ces personnes par les autorités familiales ou communautaires, où les individus sont définis réductivement comme des « membres de ». C’est à partir de cet arrière-plan conflictuel que j’interprète à la fois le sens et la portée concrète de l’« équilibre » sociolinguistique visé par le référentiel :

L’intercompréhension nécessite […] le respect de normes élémentaires sans lesquelles la communication serait impossible. Au début du processus d’appropriation du FLI, il convient de trouver un équilibre entre norme et sur-norme, linguistiques mais également sociolinguistiques. (Vicher et al., id. : 11)

Ce que le référentiel présente comme une nécessité a été critiqué par Sodilang (2011b) :

Plus largement : ce qu’il faut discuter (ce qui n’est pas discuté dans le référentiel FLI), d’un point de vue scientifique et politique (même si les réponses divergeront probablement fortement), c’est l’idée même de conditionner l’obtention de la nationalité à un degré de maîtrise du français (principe à situer dans le cadre des États Nations monolingues) et/ou de faire de la maîtrise du français une condition préalable à l’obtention de la nationalité (dans ce cadre, d’autres pistes, plus souples et moins contraignantes, pourraient être explorées).

Le FLI est-il donc un FLIC : un français langue d’une intégration contrôlée (FLIC, 2011) ? Selon ma problématique, qui emprunte aux modèles de Foucault, Bourdieu et Rancière, je réponds oui. Il y a bien de la gouvernementalité dans ce processus FLI qui a émergé au sein de l’« immigration choisie » de la droite, et il y a de la police (Rancière) : de l’organisation sociale imposée aux migrants contrôlés. Comme pour le FL « M », il y a aussi de la violence symbolique (Bourdieu) quand on oblige des sujets-corps parlants à se former en FLI et à se transformer, qu’ils en aient ou non envie18. Le FLI fait bien partie d’une technologie culturelle d’encadrement, d’une gestion biopolitique des populations de France. Reste à se demander si elle ne protège pas en même temps les individus et leurs droits reconnus, si elle ne contribue pas à les émanciper de leurs allégeances « culturelles », de leurs appartenances de proximité, si, par l’éducation linguistique et civique, et par la participation aux affaires publiques à laquelle il éduque et incite, le FLI n’aide pas les individus à s’émanciper et à accroître leur puissance d’agir, y compris en militant au sein d’associations culturellement mixtes.

Bien des instructions du référentiel sont en phase avec les pratiques créatives concrètes, intra-muros (en classe) et extra-muros (en ville), de très nombreux formateurs de CAI-FLI. Que ce soit à un niveau élémentaire (le niveau A.1.1. du DILF) ou au contenu plus riche (le B1 oral du FLI), ces instituteurs traitent les migrants en citoyens adultes et en êtres de raison. C’est par l’appropriation de ce français de formation pratique, professionnelle et de culture sociale et civique, que les étrangers vivant en France seront capables de défendre leurs intérêts, par eux-mêmes et collectivement, de se faire respecter des autorités administratives et des autres citoyens de France. Ainsi se dessine un continuum entre FLI, exercice du droit à la langue du pays d’accueil et empowerment, i.e. augmentation des pouvoirs des migrants.

Le Référentiel et les fiches du Mémo promeuvent une langue d’intégration sociale, professionnelle et démocratique. Intégration à dimensions multiples et citoyenneté progressive vont de pair. Rejeté par beaucoup d’universitaires et de militants, le terme-notion assimilation est employé deux fois dans les vingt-huit pages du référentiel.

Souhaitée ou non, l’intégration, puis l’acculturation et enfin l’assimilation des migrants, et plus encore celle de leurs enfants, s’est toujours réalisée en France, de façon plus ou moins rapide et plus ou moins facile. (id. : 8)

Pourquoi au fond ne pas passer de l’« insertion » à l’« intégration » jusqu’à une forme d’assimilation républicaine (lexie dont le sens usuel sera détourné), à inventer avec les nouveaux et les anciens citoyens ? On la définirait contre les racismes et contre ce que je nomme les racinismes : les réductions de soi ou des siens aux « origines » (géographiques, nationales et/ou ethnoculturelles). La répression des « différences » se limiterait à sanctionner ou à tenir en respect celles qui sont incompatibles avec la République démocratique, et qui, sous des apparences de nouveauté, réactivent des manières de similaires aux us et coutumes traditionnels du passé français, avec lesquelles les combats socioculturels des derniers siècles ont cherché à rompre — voir L’école des femmes et Tartuffe, en langue de Molière.

5. Une surnormalisation républicaine, qui invite à la discussion

Le référentiel FLI et les écrits des Pro-FLI opèrent un glissement et une assimilation de « droit à la langue » à « droit à la langue du pays d’accueil » à « droit à la formation linguistique » et à « droit à la formation linguistique et civique républicaine ». Comme pour le « droit à l’instruction et à la culture » (générale et cultivée), il s’agit en fait d’un droit-devoir contradictoire et complexe qui prétend renvoyer à l’intérêt général, c’est-à-dire à l’intérêt bien compris de tous et de chacun à vivre ensemble à la française républicaine.

La nation se définit comme une association politique et non comme une « culture », ce qui radicalise l’opposition Gesellschaft/Gemeinschaft. En France, État-nation aux populations plurilingues et pluriculturelles, la socialisation des individus est censée se faire par une surnormalisation fondée sur la raison et le débat démocratiques, à travers l’instruction et l’éducation républicaines des jeunes et des adultes. Politique, cette éducation tout au long de la vie se distingue de la lifelong educationdes institutions européennes. Cet idéal politique donne la priorité au « nous » et au « je » universels, rationnels et modernes, sur les « nous » et les « je » culturels-identitaires traditionnels, construits sur une répugnance puriste à l’égard des contacts et des mélanges entre les « ethnies », les classes et les sexes-à-genres.

Le processus FLI va-t-il renforcer la dynamique d’une instruction vue comme un moyen de « se défendre dans la vie » (lexie populaire) en défendant ses droits (expression des syndicats et des associations) ? Parce qu’il oblige à traiter des droits et des devoirs des habitants étrangers migrants, le FLI provoque des débats, fait réfléchir sur « les grandes questions » sans les réserver aux experts. Il réactive la conflictualité et le dissensus politiques qui font « vivre ensemble » démocratiquement, avec des accords et des désaccords, et des compromis en fonction des rapports de forces.

Cependant, cette démocratisation de l’instruction devra aller contre la culture capitaliste dont la logique de marché structure et oriente les offres de formation des organismes, qui sont mis en concurrence, c’est-à-dire en rivalité, pour assurer une formation linguistique à moindre coût. Les financeurs et les employeurs tendent à réduire l’apprentissage du français à un genre de formation professionnelle « technique » où, new public management et pragmatisme obligent, les stagiaires et leurs formateurs sont traités en moyens et non en fin. Dans ces conditions, comment fait-on passer les contenus FLI qui parlent des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen ? A-t-on le temps d’en faire autre chose que des contenus utiles pour les examens ? Des études sur les pratiques d’enseignement et leurs effets devraient montrer si les principes républicains résistent aux pressions néo-libérales sur l’enseignement DILF-FLI (voir déjà Lavielle-Gutnik et Loquais, 2014, et Lebreton, 2014).

Au-delà des idéaux et des principes progressistes, et malgré quelques améliorations réelles, on doit se demander comment la formation au FLI peut échapper à la machinerie politico-économique d’un contrôle sans contre-contrôle démocratique, et ne pas finir en processus CECRL (Lefranc, 2009). Les formateurs, les associations et les universitaires vont-ils réussir à s’organiser pour résister et rééquilibrer le rapport des forces entre les autorités de gouvernance et les citoyens dans le sens des intérêts des migrants, mais aussi des enseignants de terrain ? Vont-ils conquérir du pouvoir sur les objectifs et les critères d’évaluation et de certification ? Vont-ils mieux contrôler le temps et le rythme de la formation ? Enfin, quelles pressions les didacticiens Pro-FLI exercent-ils, et avec quels effets, pour que les actions concrètes de la formation correspondent à la République sociale et laïque du référentiel ?

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VICHER Anne (coord.), 2011, Référentiel FLI, Paris, DAIC/Ecrimed.

Appendix

Annexes

Annexe I — Des sigles et des mots

ACORT Assemblée citoyenne des originaires de Turquie
AEFTI Associations pour l’enseignement et la formation des travailleurs immigrés et leurs familles
AFPA Association nationale pour la formation professionnelle des adultes
AMF Association des Marocains de France
ATMF Association des travailleurs maghrébins de France.
CAI Contrat d’accueil et d’intégration
CIEP Centre international d’études pédagogiques de Sèvres
CNAFAL Conseil national des associations familiales laïques
DAIC Direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté
DGLFLF Délégation générale à la langue française et aux langues de France
DILF Diplôme d’initiation à la langue française
FAS Fonds d’action sociale
FLI Français langue de l’intégration
FLE Français langue étrangère
FLM Français langue maternelle
FL « M » Une langue que l’institution scolaire présente comme « maternelle », alors qu’il s’agit de la langue française légitime le français standardisé écrit et oralisé.
FLS Français langue seconde
FTCR Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux Rives
Post-CAI Niveau de français entre le niveau CAI et le niveau FLI
SSAE Soutien, solidarité et actions en faveur des émigrants
UNAF Union nationale des associations familiales

Annexe II — Les nouveaux articles du Code civil issus de la loi du 16 juin 2011.

Article 21-2 L’étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu’à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n’ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité.

Le délai de communauté de vie est porté à cinq ans lorsque l’étranger, au moment de la déclaration, soit ne justifie pas avoir résidé de manière ininterrompue et régulière pendant au moins trois ans en France à compter du mariage, soit n’est pas en mesure d’apporter la preuve que son conjoint français a été inscrit pendant la durée de leur communauté de vie à l’étranger au registre des Français établis hors de France. En outre, le mariage célébré à l’étranger doit avoir fait l’objet d’une transcription préalable sur les registres de l’état civil français.

Le conjoint étranger doit également justifier d’une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret en Conseil d’État.

Article 21-24 Nul ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société françaises, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret en Conseil d’État, ainsi que par l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République. À l’issue du contrôle de son assimilation, l’intéressé signe la charte des droits et devoirs du citoyen français. Cette charte, approuvée par décret en Conseil d’État, rappelle les principes, valeurs et symboles essentiels de la République française.

Notes

1 Voir la liste des sigles en Annexe I. Return to text

2 Voir le texte en Annexe II. Return to text

3 Je reprends idéologie avec son sens de « système d’idées ». C’est un « dispositif d’interprétation » plus ou moins systématisé, plus ou moins contradictoire, que reproduisent des discours circulants. Ces discours peuvent produire des effets de vérité. Il y aurait des idéologies scientifiques (avec des garanties de vérité) et des mythidéologies (Détienne, 2003) religieuses ou séculières : politiciennes, managériales, syndicales, administratives, professionnalistes, scientistes, didactiques, et nationales. Les mythidéologies ont des effets de vérité et d’illusion à déterminer. Return to text

4 Dans cet article, « Référentiel » renverra au document complet, et « référentiel » aux 29 pages de la partie didactique. Return to text

5 Je reprends un des sigles utilisés depuis le CECRL. Return to text

6 Je remarque que ces paroles s’opposent à la fois à la vulgate managériale de l’harmonie dans une culture d’entreprise où tout le monde est un « collaborateur », mais aussi, par le choix d’utiliser les termes handicap et ignorance, au discours euphémisant et au déni de réalité de beaucoup de chercheurs. Return to text

7 Elle regroupe des associations de défense et de formation linguistique des migrants et des réfugiés (ACORT, Accueil Laghouat, AEFTI, AMF, CIMADE), des syndicats (CGT, FCPE, FO, FSU, UNSA), la Ligue des Droits de l’Homme et des associations familiales (CNAFAL, UNAF). Je précise que la CIMADE et la Ligue des Droits de l’Homme se sont opposées à la mise en place du FLI, avec des arguments que j’étudierai dans un prochain travail. Return to text

8 L’enseignement obligatoire de ce français pour adultes migrants remplit certaines des fonctions de socialisation nationale assurées, pour les mineurs, par l’enseignement scolaire obligatoire. La langue-corpus–trésor du FLI se compose des discours et des textes issus des formateurs et des documents avec lesquels les stagiaires, salariés ou femmes au foyer, vont travailler pendant leur formation (voir 2.1.). Return to text

9 En dépit des cloisonnements administratifs et académiques de la division du travail scientifique, il n’est pas exclu que ce paradigme influence peu à peu la didactique et la pédagogie du FLE, et même celle du FL « M » : le français légitime standardisé qui est enseigné à l’école, un français officiellement « maternel ». Return to text

10 Heureusement, malgré les censures des autorités politiciennes, économiques, académiques ou religieuses, le corpus et le sémantisme des discours d’une langue standardisée ne sont jamais complètement homogénéisés. L’hégémonie d’une idéologie totalitaire n’éradique jamais toutes les traces discursives des idéologies opposées. Toute langue est donc porteuse de « valeurs » contradictoires, même si elles sont inégalement marquées. Return to text

11 Constitué de discours fabriqués pour la formation destinée aux migrants, ce français du FLI et des classes de FLI se fabrique à l’oral avec des discours ordinaires, ou familiers, ou populaires, et avec des discours standardisés et grammatisés (Balibar et Auroux) : des textes et des écrits oralisés. Return to text

12 Le terme adhésion ne réapparaît que dans le tableau du référentiel consacré à l’Ingénierie de formation, où il renvoie à l’adhésion des formateurs au processus FLI. Return to text

13 L’histoire de l’enseignement du français montre que les exemples de grammaire étaient soigneusement sélectionnés pour véhiculer des messages moraux directs et indirects. Return to text

14 C’est moi qui souligne. Return to text

15 La didactique du FLI pourrait aussi aider à la formation civique permanente des Français non migrants. À condition de traiter les gens comme des citoyens actifs et de rompre avec la « pédagogie » des communicants et des décideurs. Return to text

16 Présenter le respect de l’égalité absolue entre hommes et femmes comme un devoir ou comme un droit, c’est l’imposer aux candidats à la naturalisation. Quand la séance de DILF ou de FLI aborde le sujet, il arrive que des stagiaires (des hommes ou des femmes) refusent, au nom de leurs traditions, de traiter le thème ou d’accepter les conséquences pratiques de cette surnorme. Return to text

17 Terme créé par le comédien Jamel Debbouze pour désigner tous les gens qui vivent ici en France. Return to text

18 De mon point de vue, la vie langagière se passe toujours dans un champ de forces de violence symbolique, des forces heureusement plurielles et contraires. L’émancipation des subordinations familiales, patronales ou étatiques n’a de chance d’advenir que par des luttes philosophiques et politiques avec et contre ces forces, en fonction de ses intérêts. L’hypothèse républicaine repose sur l’idée que les intérêts profonds des personnes correspondraient à l’intérêt général défini selon les principes de l’ordre démocratique, social et laïc. Return to text

References

Electronic reference

Yannick Lefranc, « Le Français Langue d’Intégration et le droit à la langue du pays d’accueil. Remarques sur un révélateur et un « politiseur » de débat », Cahiers du plurilinguisme européen [Online], 7 | 2015, Online since 01 janvier 2015, connection on 06 décembre 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/cpe/index.php?id=721

Author

Yannick Lefranc

Université de Strasbourg. Maître de conférences en français langue étrangère au département de didactique des langues, co-responsable du master 2 FLE-FLS-FLI. Ses travaux portent sur la technologie culturelle et les communications sociales d’apprentissage des langues, au sein de nations où la diversité multiculturelle est travaillée par des classements polarisants.

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