Apprendre à écrire et apprendre à parler au prisme de l’insécurité linguistique

p. 103-105

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Introduction

L’ouvrage de Corine Weber, actuellement professeure des universités à l’université Sorbonne Nouvelle Paris 3 et responsable de l’unité de recherche 2288 DILTEC (Didactique des langues, des textes et des cultures), synthétise un parcours de recherche riche en thématiques, en terrains de recherches et en méthodologies mobilisées. Nous présenterons ci-après quelques éléments de réflexion qui peuvent nourrir des pratiques pédagogiques en cours de FLE.

L’insécurité linguistique

Terme mobilisé dans les discours ordinaires, l’insécurité linguistique est une notion qui permet d’expliquer le rapport qu’un locuteur peut avoir envers son parler qu’il compare à une norme plus ou moins idéalisée. Corinne Weber reprend ici la définition de Coste (2001, p.12) : « Il y a insécurité chaque fois que je me perçois dans ma prestation comme inadéquate au regard d’un standard, d’un niveau d’exigence, d’une norme que d’autres, plus “compétents”, plus “légitimes” sont à même de respecter ».

L’écrit et l’erreur en Français langue maternelle

Les recherches de Weber ont porté, dans un premier temps, sur le rapport d’élèves français en échec scolaire et les discours qui pouvaient circuler autour de leurs écrits fautifs. On sent le désarroi de ces élèves qui petit à petit au cours de leur scolarité passent du statut d’élève qui est en décalage par rapport à des écrits normés à un statut d’élève en décalage physique par rapport à la classe (il est relégué en fond de classe) à une exclusion du système scolaire (ne pouvant pas participer aux activités, il décroche). Face à cette situation, Weber (p.26) a proposé de « créer des conditions favorables de prise de parole sur la langue, de mise en confiance, en évitant tout jugement de valeur sur les raisonnements et les conduites exprimées lors des tâches de production ; favoriser les instances réelles et spontanées, saisir “à chaud” l’initiative réflexive lorsque ces sujets écrivent, mais aussi et surtout, privilégier le caractère individuel, pour déceler les stratégies singulières mises en œuvre ». Cette méthodologie de recherche a permis de déceler une conflictualité entre la linéarité de la pensée (le sens qui se construit au fur et à mesure que l’on écrit) et les retours réflexifs nécessaires pour respecter l’orthographe. Des entretiens auprès d’un public adulte inscrit en formation continue confirment ces premières observations avec un rapport à l’écrit encore plus exacerbé (p.28) : « on hésite tout le temps, on n’ose plus écrire… c’est la honte… je fais toujours des fautes ».

Plusieurs pistes pédagogiques sont ébauchées afin d’accompagner ces publics en situation d’insécurité linguistique de telle manière à leur redonner une légitimité face à leurs écrits et de pouvoir poursuivre leur développement linguistique. Tout d’abord, il s’agit de replacer l’erreur dans son statut de manifestation d’une compétence en cours d’élaboration et non pas comme l’évidence d’un système cognitif défaillant. Ensuite, les verbalisations métalinguistiques des apprenants doivent se situer au cœur de l’accompagnement pédagogique afin de pouvoir identifier les conceptualisations erronées. À cet effet, Weber s’appuie sur une échelle de développement proposée par Barré de Miniac (2010) pour identifier les étapes de construction d’une conscience linguistique. En reprenant les stratégies de raisonnement mobilisées par les apprenants, on pourra indiquer à ces derniers les aménagements à opérer pour corriger leurs productions écrites.

L’oral et l’erreur en Français langue étrangère

L’insécurité linguistique existe aussi à l’oral. Pour les apprenants de langues étrangères, le filtre phonologique révèle lors du passage à l’écrit des distorsions témoins d’une interlangue en construction (ex : la prificture). L’enseignant doit de nouveau interroger le statut de l’erreur lorsqu’elle se manifeste à l’oral et proposer dans l’interaction des actions de remédiation. Corinne Weber reprend ici les dernières avancées en matière de répertoire verbal développé depuis une vingtaine d’années et qui permettent de laisser place à l’hétérogénéité, la pluralité, la diversité pour se substituer à la notion originelle de difficultés.

L’accent en Français langue étrangère

L’accent demeure un élément clé de l’insécurité linguistique tant pour les locuteurs de français langue maternelle que pour les apprenants en français langue étrangère. Cet idéal rarement atteignable est souvent source de frustration car il renvoie le locuteur à son identité originelle. Corinne Weber montre ici qu’une norme « standard » est souvent idéalisée par les locuteurs allophones et que ces derniers, sauf séjours linguistiques prolongés, repèrent rarement les autres variétés de français qui circulent sur le territoire francophone. Elle propose alors de s’appuyer sur des corpus de français parlé pour faire « entendre » les particularités du français oral.

Didactique de l’oralité

Dans cette section Corinne Weber déroule les éléments qui peuvent être repérés lors de séquences pédagogiques centrées sur l’oral. Elle distingue trois niveaux d’oralité : l’oralité normée qui se rapproche de l’écrit et qui est mobilisée dans des contextes institutionnels formels (entretien d’embauche, conférence, etc.), l’oralité courante avec une syntaxe plus libre et la chute du schwa et l’oralité marquée dans laquelle tous les traits de l’oral sont accentués (voyelles plus ouvertes, vocabulaire relâché, syntaxe abrégée). Corinne Weber propose des exploitations didactiques systématiques pour approcher l’oralité et qui s’appuient sur les éléments suivants : les marques de prononciation, les marques prosodiques, les marques posturo-mimo-gestuelles, les marques variationnelles lexicales, les marques intonatives quand elles se substituent à la syntaxe et finalement les marques interactionnelles (p.109).

Conclusion

Le livre de Corinne Weber est dense par son ancrage théorique et ses multiples références. Une table de matière détaillée permet au lecteur de lire de manière séparée les différentes réflexions qui ont jalonné le parcours de la chercheure. Chaque section se nourrit de terrains variés (FLM, FLE, centres de langues, francophonie, littéracie numérique, formation d’enseignants) et permet d’entrevoir des applications dans les cours de FLE de tous niveaux. La notion d’insécurité linguistique reste centrale dans l’ouvrage et donne une lecture originale à de nombreuses observations réalisées en classe de FLE.

Bibliographie

Weber, C. (2022). Oralité et didactique du Français Langue Étrangère. Lambert-Lucas.

Citer cet article

Référence papier

Nathalie Gettliffe, « Apprendre à écrire et apprendre à parler au prisme de l’insécurité linguistique », Didactique du FLES, 1:2 | 2022, 103-105.

Référence électronique

Nathalie Gettliffe, « Apprendre à écrire et apprendre à parler au prisme de l’insécurité linguistique », Didactique du FLES [En ligne], 1:2 | 2022, mis en ligne le 15 décembre 2022, consulté le 25 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/dfles/index.php?id=537

Auteur

Nathalie Gettliffe

Maître de conférences à l’université de Strasbourg. Après une formation à la didactique du FLS en Colombie-Britannique (Canada), elle continue ses recherches dans le domaine des technologies digitales au sein du groupe de recherche Technologie et communication du laboratoire interuniversitaire des sciences de l’éducation (LISEC). Plus particulièrement, elle centre ses analyses sur la dynamique des interactions dans des dispositifs variés d’enseignement des langues (présentiel, hybride, distanciel).

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