Âge et durée de résidence : favoriser l’inclusivité pour les migrants adultes inscrits dans une formation subventionnée de Français à visée Professionnelle

DOI : 10.57086/dfles.1036

Abstracts

Alors que les recherches concernant l’influence de l’âge et de la durée de résidence sur le développement linguistique en langues étrangères et secondes abondent, il reste toujours difficile de faire émerger des tendances générales. Les études sur ces facteurs sont relativement rares concernant les publics d’adultes migrants et notamment ceux inscrits dans des dispositifs de formation intensive à visée professionnelle. Notre recherche s’est appuyée sur une collecte de données quantitatives et qualitatives auprès de plus de 70 stagiaires de niveau A0 qui ont suivi une formation longue (448 heures) pendant 16 semaines dans un centre de langues de la CCI Campus Alsace avec pour objectif principal l’accès à l’emploi (partenariat avec Pôle Emploi). Les analyses montrent que le facteur âge affecte très faiblement le niveau final en fin de formation (en moyenne A2+). La durée de résidence (jusqu’à 8 ans sur le territoire français avant le début de la formation) n’a aucun impact sur le développement linguistique. L’exploration des profils des stagiaires ne permet pas de faire émerger des facteurs explicatifs traditionnellement mobilisés dans les études sur l’âge et la durée de résidence (langue première, vieillissement cognitif, affiliation, niveau de scolarisation). Il est donc recommandé aux responsables de formation d’inclure dans les formations intensives à visée professionnelle des stagiaires de tout âge indépendamment de leur temps de présence sur le territoire français.

While research on the influence of age and length of residence on language development in foreign and second languages abounds, it is still difficult to identify general trends. Studies on these factors are relatively rare concerning adult migrants and in particular, those enrolled in intensive vocational training programs. Our research was based on collecting quantitative and qualitative data from more than 70 trainees at the A0 level, who received extensive training (448 hours) for 16 weeks in a language center of the CCI Campus Alsace with the main objective of access to employment (partnership with public employment centers). The analyses show that the age factor affects very little the final level at the end of training (on average A2+). The length of residency (up to 8 years in France before the start of the training) does not influence language development. The exploration of trainee profiles does not bring to light any traditional explanatory factors linked to age and duration of residence such as first language, cognitive aging, affiliation, level of education). Therefore, training administrators should include trainees of all ages in intensive vocational training, regardless of their time of arrival in France.

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1. Introduction

Les travaux concernant l’impact de l’âge sur le développement linguistique en langues étrangères et secondes montrent que ce facteur est à traiter avec beaucoup de précaution tant il cristallise de variables afférentes :

[age] is, the sum of an individual’s cognitive, neurological, and linguistic development, along with motivational, identificational attitudinal, and experiential characteristics at the point at which L2 learning begins (Pfenninger, 2020, p. 663).

Bien que les recherches soient nombreuses et anciennes dans ce domaine, il est toujours difficile de faire émerger des résultats de recherche solides qui pourraient éclairer les décideurs en politiques éducatives afin qu’ils développent des programmes adaptés à différentes tranches d’âge (DeKeyser, 2013). Cependant, plusieurs faisceaux d’indices concordants semblent montrer que plus on est jeune, plus on développera des compétences élevées dans la langue cible du nouveau territoire de migration (Birdsong, 2018). Si ceci est particulièrement vrai pour les enfants en milieu naturel, les résultats de recherche semblent être plus flous concernant les adultes, même si de nombreux chercheurs posent de facto que les adultes apprennent moins bien que les enfants (DeKeyser, 2013).

Afin d’interroger l’influence de l’âge sur le développement linguistique chez les adultes en contexte d’apprentissage, nous avons choisi de collecter des données auprès de migrants inscrits dans des formations linguistiques en Français à visée professionnelle, c’est-à-dire dans un dispositif avec pour ambition de développer les compétences linguistiques de personnes éloignées de l’emploi en raison de leur faible niveau dans la langue du pays hôte.

Dans notre propos, nous reviendrons dans un premier temps sur les résultats de recherche concernant le développement linguistique en langues étrangères et secondes chez les enfants et chez les adultes en relation avec le facteur Âge (A) ainsi que le facteur Durée de résidence (DR). Nous soulèverons quelques biais méthodologiques et conceptuels qui ne permettent pas toujours de conclure sur ces deux facteurs en relation avec le développement linguistique. Nous décrirons ensuite le contexte de notre étude et plus particulièrement le dispositif de formation. Puis, nous présenterons nos résultats de recherche que nous tenterons d’éclairer en présentant différents éléments explicatifs qui sous-tendent les facteurs Âge et Durée de résidence.

2. Revue de la littérature

2.1. Âge et développement linguistique en langues secondes et étrangères chez les enfants

L’hypothèse de la période critique selon laquelle l’acquisition d’une langue seconde serait plus difficile après la puberté (Lenneberg, 1967) a été largement débattue (Singleton, 2003) et il ne semble pas exister de mécanismes neuronaux particuliers qui empêcheraient l’acquisition d’une langue étrangère pour des apprenants plus tardifs (Cabeza & coll., 2005 ; Kinsella, 2009 ; Hartshorne & coll., 2018). En effet, l’étude de Krashen (1973) a pu apporter la preuve que la finalisation de la latéralisation du cerveau à la puberté n’avait pas d’incidence sur l’acquisition d’une langue seconde chez les enfants, ce que défendait Penfield et Roberts (1959) ainsi que Lenneberg (1967). Un changement hormonal avait un temps était avancé mais aucune étude n’a pu montrer que les filles, avec une puberté qui se déclenche plus tôt, avaient plus de difficultés que les garçons à apprendre une langue étrangère ou seconde (Hartshorne & coll., 2018). Finalement, les recherches concernant des modifications éventuelles au niveau des mémoires (déclarative et non-déclarative) n’ont pas non plus permis d’établir qu’il y avait des modifications majeures pendant la puberté qui pourraient affecter l’apprentissage d’une langue étrangère ou seconde (Hartshorne & coll., 2018).

En revanche, de nombreuses études (Birdsong, 2005, 2018 ; DeKeyser & Larson-Hall, 2005) ont démontré que plus l’apprenant était jeune, plus il développait, en milieu naturel, un niveau de compétence élevée en langue étrangère, notamment dans le domaine de la morphosyntaxe et de la prononciation. Il faut noter que ces recherches ne se focalisent pas sur le rythme d’acquisition mais seulement sur le stade final d’acquisition en comparant les locuteurs non-natifs avec des locuteurs natifs.

Le même questionnement a été exploré en contexte institutionnel et il apparait que les enfants plus âgés, dans une même situation d’apprentissage, sont plus performants que les enfants plus jeunes (Dornyei, 2009 ; Muñoz, 2008 ; Pfenninger & Singleton, 2017) quand on mesure le rythme d’apprentissage. Ceci est vrai pour les enfants en immersion tardive qui rattrapent les enfants inscrits en immersion précoce (Genesee, 1981 ; Lorenzo & coll., 2010) mais aussi pour les enfants inscrits dans des cours traditionnels (Muñoz, 2006). Pfenninger et Singleton (2017) indiquent que le développement des capacités cognitives permet aux enfants plus âgés de saisir plus rapidement les opportunités d’appropriation en salle de classe. Pour ce qui est du niveau de compétence développée dans les classes d’immersion, des études anciennes (Cummins, 1980 ; Cummins, 1981 ; Swain, 1981) ont pu démontrer que les apprenants plus jeunes avaient un avantage en termes de prononciation et que les plus âgés avaient développé une meilleure compétence de production en syntaxe et en morphologie mais aussi pour la compréhension écrite du vocabulaire.

Les articles de Muñoz (2008) et de DeKeyzer (2013) relèvent que les recherches portant sur l’âge souffrent de manière générale de problèmes conceptuels et/ou méthodologiques ce qui ne permet pas de conclure de manière certaine sur les facteurs explicatifs sous-tendant les résultats. Tout d’abord, de nombreuses études concernant les migrations ne définissent pas de façon assez précise la situation des locuteurs à leur arrivée : ont-ils déjà été en contact avec la langue hôte dans un contexte institutionnel ? Ont-ils accès à un input conséquent produit par des locuteurs natifs dès leur arrivée ? On peut facilement imaginer des configurations pour lesquelles l’âge de contact (age of exposure) est différent de l’âge d’arrivée (age of arrival) ; or, ce dernier facteur est le plus souvent celui retenu comme l’âge du début d’acquisition (age of onset). De plus, les études en milieu naturel ont tendance à évaluer le niveau d’acquisition final (ultimate attainment) alors que les études portant sur le milieu éducatif portent plutôt sur les rythmes d’apprentissage (rate of learning) ce qui pose problème quand on tente de comparer des locuteurs en situation de migration avec des apprenants en classe. Pour ce qui est des échantillonnages, Munoz (2008) et DeKeyzer (2013) indiquent qu’il est important de sélectionner des apprenants qui sont isolés les uns des autres (et non des groupes-classe), issus de toutes les couches sociales (alors qu’il y a une sur-représentativité des classes supérieures) et en nombre suffisant (au moins 20 participants par groupe). Ensuite, le choix des structures linguistiques à tester doit permettre d’évaluer la compétence des plus jeunes et des plus âgés (sans favoriser ces derniers qui ont de meilleure compétence cognitive) mais aussi de rendre compte des apprentissages aussi bien pour les niveaux les plus faibles que les plus élevés. Finalement, le type de programme suivi doit être décliné avec suffisamment de détails car il existe de grandes différences entre des dispositifs proposant un input largement insuffisant (quelques heures par semaine), des cours intensifs (input massif), des dispositifs en langue cible (immersion) ou des programmes d’étude dans le pays hôte (séjours linguistiques incluant des contacts avec des locuteurs natifs).

Une récente étude de Hartshorne et coll. (2018) a cherché à dépasser ces limites conceptuelles et méthodologiques en recueillant des données auprès de 669 498 locuteurs (de 7 à 89 ans) ayant appris l’anglais comme langue seconde et en mobilisant un questionnaire en ligne (132 items) pour sonder la compétence grammaticale de ces derniers. Il en ressort que c’est à partir de 17,4 ans que l’on note un déclin dans le rythme d’apprentissage aussi bien en situation immersive de migration qu’en situation scolaire ; cette tendance se renforce à partir de 30 ans. Toutefois, aucun facteur explicatif n’a pu être isolé qu’il soit cognitif, social (niveau d’interaction avec le groupe cible) ou environnemental (effet de la langue première).

2.2. Âge et développement linguistique en langues secondes et étrangères chez les adultes

En formation pour adultes, il existe peu d’études liant âge et développement linguistique. Birdsong (2006) montre, par l’analyse de données en neurolinguistique, que la mémoire procédurale commence à décliner très doucement à partir de 20 ans. Ceci implique que les ressources mobilisées par un adulte sont différentes de celles d’un enfant mais pas nécessairement déficientes (Dabrowska & coll., 2020). Birdsong (2018) complète en indiquant que le déclin de la mémoire procédurale se fait à des rythmes différents et induit une plus grande variabilité dans le développement linguistique chez les adultes à mesure qu’ils avancent en âge. Cette variabilité est de plus couplée au déclin des autres facultés cognitives avec chacune leur rythme propre, ce qui augmente encore l’empan de variabilité dans les rythmes d’appropriation (Hartshorne & Germine, 2015). Des recherches récentes sur des populations d’apprenants âgés (> 65 years) (Mackey & Sachs, 2012 ; Nillson & coll., 2021) tentent d’identifier par imagerie ou par le biais de tests cognitifs les aires cérébrales qui sembleraient être affectées par le déclin cognitif. Cependant, à date, aucun lien n’a pu être établi entre les aires « touchées » et l’apprentissage d’une langue étrangère ou seconde.

Si des modifications cognitives pourraient expliquer certaines variabilités dans le développement linguistique en formation pour adultes, il se pourrait qu’un autre facteur ait un poids plus important, à savoir, l’affiliation ou le degré de proximité que le locuteur maintient avec sa communauté d’origine ou tente de développer avec la communauté cible. Birdsong (2006) indique que des enjeux d’affiliation peuvent compromettre certaines acquisitions en langue cible : en effet, une centration sur son groupe premier est plus probable si l’âge d’arrivée sur le territoire est plus avancé, ceci réduisant les interactions avec les populations locales nécessaires au développement linguistique (Llanes, 2010). Major (2014) a conduit une étude interrogeant le lien entre l’utilisation de la langue cible au quotidien et le développement linguistique pour des groupes de migrants d’âges différents. Un premier tableau rend compte de disparités entre les groupes de locuteurs selon les âges : le groupe 10-19 ans rapporte utiliser la langue cible 76 % du temps alors que les autres groupes 20-29, 30-39 et 40+ ne la mobilisent que 35 % du temps en moyenne avec un écart type de 37 pour le dernier groupe, ce qui atteste de la grande diversité des pratiques pour cet ensemble de locuteurs. Le coefficient de corrélation indique un lien de 0,67 entre le temps d’utilisation de la langue cible au quotidien et le niveau d’acquisition de la langue seconde mesuré par un test d’élicitation (répétition de phrases et calcul de l’aisance et de la précision linguistiques).

Des études plus qualitatives qui s’appuient sur des entretiens auprès de quelques adultes (high performers/low performers) en situation de migration choisie (Forsberg & Arvidsson, 2021 ; Fosberg & coll., 2022) montrent que la grande variation dans le développement linguistique n’est pas à rattacher au facteur âge mais à des facteurs psychologiques et sociaux tels qu’une appétence pour l’apprentissage des langues et un désir de « ressembler » le plus possible à la communauté cible. Toutefois, la recherche de Meniado (2019) pointe un lien entre âge et motivation intégrative : les travailleurs philippins plus âgés qui sont employés à l’étranger développent moins leurs habiletés linguistiques car la dimension intégrative est moins présente à mesure que les locuteurs avancent en âge.

Un autre facteur de variabilité dans le développement linguistique serait la proximité entre la langue première et la langue apprise/acquise. Schepens et coll. (2023) se sont intéressés aux résultats de tests nationaux nécessaires pour venir travailler ou étudier aux Pays-Bas (56 000 participants entre 1995 et 2017). Ils ont pu montrer que plus le locuteur était âgé, meilleur était son score au test de néerlandais B2 pour la tranche 18-25 ans si sa langue première est soit non indo-européenne, soit non germanique ou germanique (autre que l’allemand) ; pour les locuteurs avec l’allemand comme langue première, la corrélation positive subsistait jusqu’à leurs 30 ans. Passé ce sommet, le déclin est faible pour ceux qui avaient l’allemand comme langue première alors que pour les locuteurs des autres langues, les difficultés d’apprentissage sont de plus en plus marquées à mesure qu’ils vieillissent. L’expression orale est la seule compétence où la corrélation décline de façon très marquée dès 18 ans (sauf pour les locuteurs allemands qui progressent jusqu’à 25 ans).

Peu de recherches ont été menées en contexte institutionnel. Castañeda (2017) s’est attaché à présenter des données recueillies dans une formation technique post-bac pour montrer que les apprenants plus âgés se sentaient plus en difficulté (notamment en compréhension orale) lorsqu’ils étaient mélangés avec des apprenants plus jeunes ; ces premiers développaient une anxiété situationnelle liée au contexte classe, ce qui retardaient leur développement linguistique.

2.3. Durée de résidence et développement linguistique

La durée de résidence (DR) est considérée comme un facteur qui pourrait expliquer le développement linguistique en contexte migratoire (Munoz & Singleton, 2011). En effet, plus le temps d’exposition à la langue cible dure, plus les progrès devraient être importants. Krashen et coll. (1979) et DeKeyser (2000) indiquent qu’une durée de résidence entre 5 et 10 ans serait nécessaire pour développer des compétences adéquates et, qu’au-delà de ces limites, les progrès seraient limités. Cependant, certains auteurs avancent que le développement des compétences linguistiques se poursuit tout au long de la vie (Higby & Hobler, 2017). En revanche, il se pourrait que la fossilisation, à savoir la stabilisation de l’interlangue de l’apprenant alors que cette dernière est encore en décalage avec la langue cible, se manifeste différemment selon les composantes linguistiques (phonologique, morphosyntaxique, lexicale). Ainsi, Granena et Long (2013) ont pu avancer que la durée de résidence avait un impact positive concernant l’acquisition du vocabulaire et de tournures phrastiques et plus particulièrement pour les locuteurs qui avaient commencé à apprendre une langue tardivement. Hellman (2008) en étudiant le vocabulaire acquis par 33 adultes d’origine hongroise a pu démontrer qu’après 20 ans d’interactions soutenues avec des locuteurs natifs, 76 % avaient acquis le même niveau de vocabulaire que les locuteurs natifs et 5 d’entre eux avaient même plus de vocabulaire que ce groupe de référence. La durée de résidence semble aussi influencer positivement le développement de la prononciation pour les locuteurs qui ont commencé l’acquisition d’une langue seconde à un jeune âge (9 ans) alors qu’elle n’a aucun impact pour les locuteurs ayant démarré leur acquisition plus tard (23 ans) (Baker & Trofimovich, 2005). Cette tendance est aussi confirmée pour le domaine de la morphosyntaxe par l’étude de Graena et Long (2013).

Les recherches sur la durée de résidence (DR) semblent, toutefois, être confrontées à un problème méthodologique qui avait déjà été soulevé par Stevens (2006), à savoir que cette variable est influencée par l’âge du début d’apprentissage (A) ainsi que l’âge au moment du test (AT) selon la formule suivante : AT = A + DR (ou DR = AT-A). Comme nous avons pu le voir dans la section 2.2., l’âge semble avoir une influence sur le développement linguistique même s’il est difficile d’établir précisément les compétences affectées ou la tranche d’âge impactée. Concernant l’âge au moment du test (AT), celui-ci pourrait aussi influencer les résultats : en compilant 47 études, Higby & Obler (2016) ont pu montrer que si les locuteurs avaient moins de 55 ans au moment de la passation du test, les résultats de 57 % des études affichaient une influence positive entre la durée de résidence et le développement linguistique. Cependant, ce taux tombait à 47 % pour les locuteurs de plus de 55 ans et à 27 % pour les locuteurs de plus de 60 ans. Ainsi, il semblerait que la variable Durée de résidence est aussi liée à l’âge de l’apprenant au moment du test : plus celui-ci est jeune lorsqu’il passe son test, plus la durée de résidence a une influence positive sur son développement linguistique en langues secondes.

Finalement, d’un point de vue conceptuel, la durée de résidence est le plus souvent opérationnalisée comme la durée de contact avec la langue cible en contexte migratoire. Or, certains locuteurs ont pu avoir eu un accès à la langue cible par le biais d’instruction formelle avant leur déplacement sur leur nouveau territoire de migration : c’est par exemple le cas avec l’anglais qui est enseigné dans de nombreuses écoles ou le français avec les anciennes colonies. De plus, l’accès à la langue cible n’est pas garanti une fois sur le territoire de migration puisque les locuteurs adultes, plus particulièrement, peuvent se retrouver dans des situations de ghettoïsation. La recherche de Mackay et coll. (2006) indique que les participants (n = 138 immigrés italiens au Canada) utilisaient la langue cible entre 10 % et 94 % du temps avec une moyenne de 53 %, ce qui implique une grande variabilité dans l’accès à la langue cible. Pour Major (2014), les locuteurs hispanophones âgés de plus de 20 ans (n = 30) utilisaient l’anglais en Utah en moyenne 35 % du temps avec des variations plus importantes à mesure qu’ils vieillissaient alors que les moins de 20 ans (n = 8) utilisaient la langue cible en moyenne 76 % du temps. La durée d’exposition telle que reflétée par la durée de résidence est importante pour évaluer le développement linguistique mais l’interaction soutenue avec des locuteurs natifs pendant cette période est aussi capitale (Muñoz & Singleton, 2007).

3. Questions de recherche

Comme nous avons pu le voir, il semblerait que l’âge influence le développement linguistique chez les adultes en contexte migratoire avec des paliers qui combinent des explications liées à des éléments cognitifs (apprentissage tout au long de la vie/déclin), à des enjeux d’affiliation (notamment la motivation intégrative) ou à l’influence de la langue première. Les contextes institutionnels sont très peu étudiés et notre première question cherche à analyser le lien entre l’âge et le développement linguistique dans une formation linguistique intensive à visée professionnelle. Plus précisément, les apprenants plus âgés ont-ils des résultats plus faibles que les apprenants plus jeunes, en fin de formation, lors de la passation de tests linguistiques standardisés ?

La durée de résidence reflète normalement un contact continu avec la langue cible mais pour certains migrants enfermés dans des relations centrées sur leur langue première, le contact peut être ténu. Notre seconde question vise à analyser si les apprenants présents sur le territoire français depuis plusieurs années progressent plus rapidement (amorçage) ou moins rapidement (résistance) que les apprenants étant arrivés plus récemment dans le cadre d’une formation en français langue de professionnalisation.

Finalement, nous essaierons d’apporter des éléments explicatifs à nos résultats en convoquant des éléments plus qualitatifs aux données quantitatives recueillies.

4. Méthodologie

4.1. Dispositif pédagogique

Dans le cadre d’un plan massif de formation propulsé par le gouvernement, Pôle Emploi Strasbourg a retenu la candidature de la CCI Campus Alsace afin qu’elle assure 27 actions de formation Français Langue Étrangère (FLE) multisectoriel pour une durée de 448 heures chacune. Ce dispositif visait, selon le cahier des charges défini par le commanditaire, à permettre au public demandeur d’emploi sélectionné, à la fois de développer sa maitrise de la langue française, en lien avec une future activité professionnelle et avec les actes liés à la recherche d’un emploi et/ou d’une formation, mais également de définir et de travailler la construction d’un projet professionnel réaliste et réalisable, l’objectif principal étant l’insertion professionnelle à court terme. Les stagiaires percevaient une rémunération de quelques centaines d’euros pendant l’intégralité de leur formation. Afin d’assurer les 27 actions de formation, 25 enseignants ont été recrutés par la coordinatrice du CCI Campus afin de renforcer l’équipe pédagogique déjà en place. Il s’agissait de s’appuyer sur des professionnels de l’enseignement du FLE ayant des compétences et de l’expérience dans le domaine de l’insertion professionnelle mais également une bonne connaissance du marché de l’emploi et du réseau d’acteurs locaux (entreprises, associations, partenaires sociaux…).

En tenant compte de la disponibilité des stagiaires et de leur niveau, ce sont 8 dates de formation qui ont été proposées entre septembre et janvier. Chaque session se déroulait pendant 16 semaines avec 28 heures d’enseignement par semaine (programme intensif). Chaque groupe de niveau de A0 à B1/B2 était composé de 8 à 16 personnes et un binôme d’enseignants se relayait pour atteindre les objectifs communicatifs, professionnels, culturels et linguistiques fixées pour chaque niveau. L’approche actionnelle a été mobilisée pour préparer les apprenants à interagir dans des situations de la vie quotidienne, sociale ou professionnelle. Il s’agissait notamment de travailler les structures linguistiques générales pour chaque niveau mais aussi de proposer des ressources en lien avec le projet professionnel du stagiaire afin qu’il puisse postuler dans la branche de son choix (bâtiment, cuisine, sécurité…). Chaque stagiaire devait ensuite s’inscrire au Test de connaissance du français (TCF) afin de vérifier les acquis linguistiques.

4.2. Participants

Plusieurs réunions d’information collectives et des entretiens individuels ont été proposés à des demandeurs d’emploi qui n’avaient pas le français comme langue première et qui étaient confrontés à un problème de recrutement à cause de leur niveau de langue insuffisant. Plus de 852 candidats ont été présentés à la CCI ; 422 ont été inscrits à la formation intensive et 292 stagiaires ont passé le test de connaissance de français (TCF).

Les stagiaires étaient sur le territoire français en moyenne depuis 3 ans. Certains avaient pu suivre une formation de 120 heures proposée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). D’autres suivaient pour la première fois une formation collective.

La plupart des stagiaires venaient de pays asiatiques (58 %), ce qui inclut la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan mais aussi des pays de l’ex-URSS comme la Tchétchénie ; le reste était issu de l’Europe de l’Est ou centrale (28 %), ou de l’Afrique hors Maghreb (13 %). L’âge moyen était de 38 ans avec un écart type de 10.

4.3. Instruments et mesures

4.3.1. Test de placement, Test de connaissance du français (TCF), âge et durée de résidence

La formation linguistique intensive ayant une visée professionnelle, chaque stagiaire a été convoqué pour un entretien oral afin de déterminer dans un premier temps les motivations pour l’accès à l’emploi et ses disponibilités. Dans un second temps, un échange à l’oral permettait de positionner la personne en termes de compréhension et production orales. S’ensuivait une compréhension écrite adaptée au niveau oral identifié. Pour finir, une production écrite était demandée pour les niveaux supérieurs à A0. Un niveau global était alors défini et chaque stagiaire était inscrit dans un groupe de niveau lui correspondant. Ainsi, parmi les stagiaires ayant validé leur formation par le Test de connaissance du français (TCF), 78 stagiaires ont commencé avec le niveau A0 ; 98 avaient déjà un niveau A1 ; 79 ont été identifiés avec un niveau de départ A2 et 37 possédaient en début de formation le niveau B1.

Pendant la formation, un nombre important de stagiaires initialement inscrits (n = 130) ne s’est pas présenté au test de fin de formation pour de multiples raisons : abandon pour cause médicale, recrutement professionnel pendant la formation, soucis familiaux et/ou de logement, etc. Cependant, 292 stagiaires ont passé le Test de connaissance du français (TCF) conçu par France Education International (anciennement le CIEP). Ce test permet de positionner les apprenants grâce à des épreuves obligatoires (compréhension et production orales ; compréhension écrite et structures de la langue). Une épreuve écrite facultative a été proposée aux apprenants qui avaient déjà le niveau A2 en début de formation.

Les informations concernant l’âge et la durée de résidence ont été collectées en même temps que l’évaluation des niveaux à partir des entretiens individuels de début de formation.

4.3.2. Analyse des données

Afin de répondre à nos questions de recherche, des analyses statistiques ont été menées à partir de données collectées sur le sous-groupe A0 (n = 78) ayant suivi avec assiduité la formation et passé le TCF. Ce niveau présentait une homogénéité de départ dans toutes les compétences (EO = EE = CO = CE = A0), ce qui permettait de mesurer le développement linguistique en fin de formation sans avoir à tenir compte des disparités qui pouvaient exister au sein d’un même niveau (par exemple, en début de formation, un apprenant pouvait être de niveau B1 à l’oral mais avec un niveau A1 à l’écrit). Quelques valeurs très éloignées des moyennes (âge = 38 ans ; durée de résidence = 3 ans) ont été supprimées et les statistiques portent sur 77 individus pour le facteur âge et 70 individus pour la durée de résidence.

4.3.3. Éléments qualitatifs

Les données quantitatives fournies par la CCI Campus Alsace ont été transmises en fin de formation sans pouvoir identifier les individus dans le cadre de la règlementation RGPD. Chaque facteur faisant l’objet d’un fichier particulier, certaines analyses statistiques plus fines ne pouvaient être menées. Afin de faire émerger des facteurs explicatifs, nous avons alors conduit quelques entretiens (n = 8) avec une partie du dernier groupe de débutants (n = 16). Cet entretien comportait des questions de profilage suivies de questions plus ciblées concernant leur expérience d’apprentissage pendant la formation (voir annexe). Les interactions ont duré en moyenne une dizaine de minutes. De plus, nous avons pu avoir accès aux bilans de formation (n = 26) rédigés par les enseignants référents de deux groupes d’apprenants de niveau A0 qui avaient suivies les deux premières sessions de formation proposée par la CCI. Ainsi, au final, nous avons pu collecter des informations qualitatives (n = 34) sur près de la moitié des apprenants de niveau A0 (n = 78).

5. Résultats

Comme nous l’avions indiqué dans la partie méthodologie, les statistiques n’ont été conduites que sur le niveau A0 qui présentait une homogénéité de départ.

5.1. Facteur Âge

Les statistiques descriptives indiquent un âge moyen de 38,6 ans avec un écart type de 10,2 et des résultats TCF moyens de 259 points (A2+) avec un écart-type de 49,2 points.

Tableau 1 : Statistiques descriptives Facteur Âge

 

Âge

TCF

N

77

77

Moyenne

38,6

259

Écart-type

10,2

49,2

Minimum

20

172

Maximum

59

403

Le nuage de points montre une répartition des données selon une droite légèrement inclinée vers le bas avec un coefficient de corrélation r de Pearson = -0,285 et une valeur p = 0,012. La courbe de tendance polynomiale révèle deux creux dans la courbe aux extrémités sur les tranches d’âge 20-29 et 50-59.

Figure 1 : Représentation graphique de la corrélation âge/TCF avec courbes de tendances linéaire et polynomiale

Figure 1 : Représentation graphique de la corrélation âge/TCF avec courbes de tendances linéaire et polynomiale

Il existe donc un lien significatif plutôt faible entre l’âge et les résultats obtenus par le groupe A0 au TCF : ainsi, plus la personne qui suit la formation est âgée, plus elle a de chances d’avoir un score un peu moins élevé au TCF.

Un calcul des moyennes et des écarts types pour les différentes tranches d’âge (20-29/30-39/40-49/50-59) révèle que la baisse est d’environ cinquante points (un demi-niveau) entre les plus jeunes et les plus âgés avec une variabilité moindre pour la dernière tranche d’âge (± 25,6).

Figure 2 : Représentation graphique des moyennes avec les écarts-types Âge/TCF

Figure 2 : Représentation graphique des moyennes avec les écarts-types Âge/TCF

5.2 Facteur Durée de résidence

Les analyses statistiques ont été conduites sur le même groupe A0 en supprimant les quelques valeurs supérieures à 8 ans de résidence (n = 70).

Les statistiques descriptives indiquent une durée moyenne de résidence de presque 4 ans sur le territoire français avant le début du cours de français proposé par la CCI Alsace. Le niveau moyen de réussite est situé au palier A2+ (256 points).

Tableau 2 : Statistiques descriptives Facteur Durée de résidence

 

Durée de résidence

TCF

N

70

70

Moyenne

3,89

256

Écart-type

2,03

49,7

Minimum

1

172

Maximum

8

403

Le nuage de points montre une répartition des données selon une droite légèrement inclinée vers le bas avec un coefficient de corrélation r de Pearson = -0,187 et une valeur p = 0,120.

Figure 3 : Représentation graphique de la corrélation Durée de résidence/TCF

Figure 3 : Représentation graphique de la corrélation Durée de résidence/TCF

Il n’existe donc pas de lien significatif (p > 0,10), même faible, entre la durée de résidence et les résultats au TCF : ainsi, tout apprenant qui débute un cours de français au niveau 0 a les mêmes chances de progresser qu’il soit arrivé récemment sur le territoire ou depuis plus longtemps (jusqu’à 8 ans).

Une représentation graphique des moyennes et des écarts-types indique que la différence entre les moyennes du test TCF est d’un peu plus d’un tiers de niveau entre les apprenants étant arrivés plus récemment (M = 278) et les apprenants ayant résidé le plus longtemps sur le territoire (M = 239).

Figure 4 : Représentation graphique des moyennes avec les écarts-types Durée de résidence/TCF

Figure 4 : Représentation graphique des moyennes avec les écarts-types Durée de résidence/TCF

5.3. Indicateurs biographiques

Les entretiens menés en fin de formation avec une partie du dernier groupe de stagiaires ayant commencé la formation avec le niveau A0 dévoilent des profils très différents. Sur les 3 hommes et 5 femmes ayant répondu aux questions de profilage, 2 ont moins de 30 ans, 3 sont dans la trentaine et 3 dans la quarantaine. 4 viennent d’arriver (durée de résidence = 1 an) ; les autres sont en France depuis au moins 4 ans.

Les nationalités sont diverses (2 Serbes, 1 Tchétchène, 1 Iraquien, 1 Croate, 1 Syrien, 1 Palestinien et 1 Ougandaise). Le niveau de formation initiale dans le pays d’origine varie entre une formation élémentaire (n = 1), un niveau collège (n = 2), l’obtention du Bac (n = 2) et des diplômes de l’enseignement supérieur (n = 3). En plus de leur langue maternelle, les stagiaires ont appris d’autres langues pendant leur scolarité ou de manière informelle, à savoir au moins quatre ans d’anglais pour 7 d’entre eux, mais aussi du russe, de l’arabe, de l’hindi, de l’espagnol ou de l’italien. Tous connaissent l’alphabet latin ; certains ont été exposés à deux (n = 3), voire trois (n = 2) alphabets parmi les suivants : arabe, syriaque, cyrillique et brahmique. Les stagiaires ayant exercé des métiers nécessitant des diplômes supérieurs dans leur pays d’origine souhaitent s’insérer dans le même domaine (banque, vétérinaire, cadre) avec des postes comportant peut-être moins de responsabilités. Pour les autres stagiaires femmes qui ont exercé dans des métiers de service (caissière, vendeuse, coiffeuse), les projections d’insertion sont plutôt tournées vers le métier d’assistante maternelle. Un homme souhaite garder son métier d’origine, à savoir, balayeur.

Concernant les situations familiales, un stagiaire est célibataire, 3 stagiaires sont en couple avec des personnes originaires du même pays et ont des enfants, une est veuve avec des enfants, une est séparée avec des enfants, une divorcée sans enfants sur place et un stagiaire est marié mais son épouse et ses enfants sont à l’étranger.

Sur une échelle de 0 (A1-) à 2 (A2) en termes de compréhension et production orales pendant l’entretien, deux stagiaires n’atteignent pas le niveau A1 dans les deux compétences, deux ont le niveau A1 et trois atteignent le niveau A2 pour les deux compétences ; une stagiaire a développé un niveau A2 en compréhension et un niveau A1 en production. Ces entretiens se sont déroulés après 400 heures de formation.

5.4 Bilans de formation

Les bilans de formation indiquent pour chaque stagiaire le niveau obtenu pour le TCF ainsi que pour les compétences Compréhension orale (CO), Compréhension écrite (CE), Production orale (PO) et Structures linguistiques (SL). La figure ci-dessous synthétise les résultats pour les 26 stagiaires inscrits dans les deux premières formations avec comme niveau de départ A0.

Figure 5 : Résultats TCF et compétences

Figure 5 : Résultats TCF et compétences

On remarque que seulement 3 stagiaires (en jaune) n’ont pas obtenu le niveau A2 ou B1 (en vert clair et foncé) – niveau a minima visé par la formation. L’expression orale reste une compétence sous-développée par rapport aux ambitions du programme avec 5 stagiaires n’ayant pas dépassé le niveau A0. Au contraire, la compréhension écrite et la connaissance des structures linguistiques semblent mieux maitrisées avec un nombre important de stagiaires ayant atteint le niveau B1.

Les commentaires des enseignantes relèvent des éléments qui semblent freiner les apprentissages des stagiaires (« utilise trop souvent sa langue maternelle avec ses collègues », « peu scolarisé dans son pays d’origine », « pas assez impliquée », « manque d’assiduité », « problème de prononciation, de confiance en soi, de transcription des sons », « problèmes familiaux, administratifs, de santé ») alors que d’autres points sont perçus comme sous-tendant une dynamique positive (« pratique le français au quotidien », « s’appuie sur l’espagnol », « autonome », « dynamique », « s’appuie sur l’espagnol pour développer son lexique », « études/métier de haut-niveau »). Un seul commentaire mentionne l’âge et cible plutôt le projet professionnel que l’apprentissage de la langue : « Compte tenu de son âge, elle ne souhaite pas suivre une formation professionnelle ».

6. Discussion

Comme nous avions pu le synthétiser dans notre revue de la littérature, les études portant sur l’âge et la durée de résidence en lien avec le développement linguistique souffrent généralement de certains biais méthodologiques ou conceptuels (Muñoz, 2008 ; DeKeyser, 2013). De plus, peu de données existent concernant l’influence de ces facteurs pour les publics adultes.

Dans le cadre de notre recherche sur une cohorte de stagiaires inscrits dans un dispositif de français à visée professionnelle, nous avons essayé d’éliminer certains biais méthodologiques afin de pouvoir conclure de manière plus sereine. En nous appuyant sur des niveaux A0, à savoir des stagiaires qui suivaient pour la première fois un cours de français, nous pouvions nous assurer que le niveau de départ était homogène. De plus, le format de la formation, à savoir 28 heures pendant 16 semaines, permettait de contrôler l’environnement d’apprentissage du français qui était cantonné exclusivement à la salle de classe sans apport véritable de situations d’apprentissage informel. Le nombre important d’heures (448 heures) concourrait à pouvoir déceler les progrès linguistiques sur un temps suffisamment long. Le test mobilisé (TCF) avait l’avantage de pouvoir positionner avec un même outil les apprenants sur une échelle de A0 à C2. Finalement, les stagiaires avaient été sélectionnés pour leur motivation instrumentale assumée (décrocher un emploi en France) et chacun avait à cœur de développer ses compétences linguistiques afin de pouvoir s’insérer économiquement dans le tissu local.

L’enquête quantitative montre que l’âge a très peu d’impact sur l’apprentissage du français dans le contexte du dispositif de formation intensive à visée professionnelle proposé par la CCI Alsace. La corrélation négative bien que significative est plutôt faible (0,285). En comparant les tranches d’âge, si une baisse est notable entre les plus jeunes et les plus âgés, les plus jeunes (20-29) décrochent comme le montre la courbe polynomiale par rapport à la tendance linéaire. A contrario, l’observation du nuage de points montre que les stagiaires entre 30 et 49 ans peuvent enregistrer les plus fortes progressions (jusqu’au niveau B2) comme des performances faibles (infra A2). Ces résultats infirment les recherches de Scheppens (2023) et Major (2014) qui notent un décrochage à partir de 30 ans, quel que soit le facteur explicatif (langue maternelle ou interactions sociales).

Alors que la date d’arrivée est régulièrement avancée comme un facteur à considérer dans le cadre du développement des compétences linguistiques, il apparait dans notre étude que c’est véritablement la date de contact avec la langue (date of exposure) qui est importante. En effet, alors que certains locuteurs étaient en France depuis plusieurs années et qu’aucun acquis linguistique n’avait été relevé dans le cadre du test de placement, la formation intensive leur a permis d’acquérir le français au même rythme que d’autres ayant rejoint le territoire quelques mois auparavant (pas de lien significatif, même faible, entre la durée de résidence et les résultats au TCF). Ce résultat indique clairement qu’une formation linguistique reste un moyen privilégié pour n’importe quel allophone d’acquérir la langue cible quel que soit sa date initiale d’entrée sur le territoire. Non seulement l’absence de contact avec la langue cible pendant des années ne préjuge pas des acquisitions futures, mais le fait qu’un input massif puisse être proposé par le biais d’une formation intensive permet de contourner la problématique de l’accès aux locuteurs natifs pour échanger et apprendre de manière informelle (Muñoz & Singleton, 2007 ; Mackay & coll., 2006 ; Major, 2014). Notre recherche pointe aussi deux moments où la variabilité est plus importante, à savoir la première année sur le territoire ainsi que la quatrième.

L’exploration des facteurs explicatifs par le biais d’un recueil partiel de données d’entretien ou de bilans de fin de formation montre une très grande hétérogénéité dans les profils de départ et il n’est donc pas possible de faire émerger des facteurs particuliers (cognitifs, sociaux, effet de la langue première) qui seraient associés aux variables âge ou durée de résidence. Les parcours migratoires (Adami, 2009 ; 2020) ont pu permettre à certains d’accumuler des ressources qui pourront être mobilisées dans les cours (apprentissage de l’alphabet latin par le biais d’une langue étrangère, apprentissage de langues romanes, commerce/vente et son ouverture vers l’autre, personnalité extravertie, autonomie…) alors que d’autres disposent d’un capital plus limité (peu d’éducation scolaire, métier d’origine avec peu d’interactions sociales, une personnalité en repli, des difficultés d’apprentissage générales…) qui pourrait freiner l’appropriation de la langue cible. À ceci, s’ajoute le poids du quotidien qu’il faut affronter seul ou à deux avec ou sans enfant afin de surmonter des contraintes administratives, de logement ou les aléas de santé. Au final, le dispositif intensif à visée professionnelle a permis de proposer un lieu de formation non discriminatoire en fonction de l’âge ou de la durée initiale de résidence.

Certaines limites de l’étude méritent toutefois d’être relevées. Tout d’abord, les bilans de formation font apparaitre des progressions plutôt centrées sur l’écrit (compréhension écrite et structures de la langue) alors que le développement de l’oral et plus particulièrement l’expression orale devrait être au cœur du dispositif pour les premiers niveaux (Adami, 2020). Ceci permettrait au dispositif d’être encore plus inclusif en accompagnant les personnes disposant d’un capital plus limité en termes de culture scolaire ou de manque d’interactions sociales en général afin de développer des compétences interpersonnelles de base (BICS, Cummins, 1979). Ensuite, les résultats de notre étude portent sur le niveau A0 indiquant que l’âge et la durée de résidence pour ce groupe de niveau n’a pas d’influence particulière sur le rythme d’apprentissage. Cependant, il existe peut-être un « plafond de verre » pour les niveaux plus avancés avec des apprentissages plus sensibles à l’âge et la date d’arrivée.

Conclusion

Bien que les études abondent concernant les facteurs âge et durée de résidence, peu de recherches ont porté sur les publics migrants adultes. De plus, de nombreux biais conceptuels ou méthodologiques ne permettent pas de conclure de manière confiante. En se centrant sur un public précis (stagiaires inscrits dans une formation intensive longue à visée professionnelle de niveau A0), nous avons pu montrer que le facteur âge n’a que très peu d’influence sur le développement linguistique. La durée de résidence souvent perçue comme un facteur problématique (« Comment se fait-il qu’elle/il ne parle pas encore le français après tant d’années en France ? ») ne préfigure aucunement les futurs apprentissages linguistiques. Alors que DeKeyser (2013) plaidait pour que les études sur l’âge servent à orienter des dispositifs adaptés à différentes tranches d’âge, nous avançons qu’il faudrait plutôt inclure très largement tous les demandeurs de formation linguistique dans des programmes de type intensif à visée professionnelle puisque ces derniers semblent pouvoir accompagner de nombreux profils.

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Appendix

Annexe : Trame de l’entretien

  • Questionnaire de profilage :
    • Nom prénom
    • Age
    • Sexe
    • Nationalité et aussi père, mère
    • Langues parlées jusqu’à 18 ans
    • Langues apprises en contexte scolaire et nombre d’année d’études
    • Langues parlées par le père et la mère
    • Niveau d’éducation (et aussi père, mère)
    • Métier exercé dans le pays d’origine
    • Métier envisagé en France
    • Métier du père
    • Métier de la mère
  • Trame d’entretien
    • Pourquoi êtes-vous venu en France ?
    • Pourquoi avez-vous voulu faire cette formation ? Quelles sont vos attentes ?
    • Qu’est-ce que cette formation vous apporte ? Qu’aimez-vous dans cette formation ? Qu’est-ce que vous aimeriez améliorer ?
    • Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans votre apprentissage ? Qu’est-ce qui facilite votre apprentissage ? Comment apprenez-vous le mieux ? Est-ce qu’il y a des éléments extérieurs à l’école qui vous empêche de bien apprendre ?
    • Est-ce que vous aimeriez poursuivre une formation en langues ? De quel type ? en classe ? sur place ? à distance ? pourquoi ?
    • Qu’est-ce que vous voudriez faire après ?

Illustrations

References

Electronic reference

Nathalie Gettliffe, « Âge et durée de résidence : favoriser l’inclusivité pour les migrants adultes inscrits dans une formation subventionnée de Français à visée Professionnelle », Didactique du FLES [Online], 3:1 | 2024, Online since 10 juillet 2024, connection on 13 décembre 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/dfles/index.php?id=1036

Author

Nathalie Gettliffe

Maitre de conférences à l’université de Strasbourg. Après une formation à la didactique du FLS en Colombie-Britannique (Canada), elle continue ses recherches dans le domaine des technologies numériques au sein du groupe de recherche Technologie et communication du Laboratoire interuniversitaire des sciences de l’éducation (UR 2310 LISEC – universités de Strasbourg, de Lorraine et de Haute-Alsace). Plus particulièrement, elle centre ses analyses sur la dynamique des interactions dans des dispositifs variés d’enseignement des langues (présentiel, hybride, distanciel).

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