Intégration linguistique des élèves-migrants subsahariens dans l’environnement scolaire au Maroc : au croisement d’expériences familiales

DOI : 10.57086/cpe.1592

Cette étude examine l’intégration linguistique des élèves immigrants au Maroc. La recherche repose sur un entretien avec six parents d’élèves originaires d’Afrique subsaharienne, visant à explorer leur environnement familial, les expériences de leurs enfants à l’école, et recueillir leurs opinions. Les résultats mettent en évidence que les conditions personnelles et objectives actuelles entravent une réelle intégration. L’environnement familial n’encourage pas l’intégration, car les langues locales et officielles ne jouent qu’un rôle mineur sur le marché du travail, où la préférence est donnée au français. De plus, le Maroc est souvent considéré par ces immigrants comme une étape transitoire vers l’Europe.

This study examines the linguistic integration of immigrant students in Morocco. The research is based on an interview with six parents of students from sub-Saharan Africa, with the aim of exploring their family environment, their children’s school experiences, and gathering their opinions. The results highlight that current personal and objective conditions hinder genuine integration. The family environment does not promote integration as local and official languages play a minor role in the job market, where French is preferred. Furthermore, Morocco is often seen by these immigrants as a transitional step towards Europe.

Este estudio examina la integración lingüística de estudiantes inmigrantes en Marruecos. La investigación se basa en una entrevista con seis padres de estudiantes originarios de África subsahariana, con el objetivo de explorar su entorno familiar, las experiencias escolares de sus hijos y recopilar sus opiniones. Los resultados destacan que las condiciones personales y objetivas actuales dificultan una integración genuina. El entorno familiar no promueve la integración, ya que las lenguas locales y oficiales desempeñan un papel secundario en el mercado laboral, donde se prefiere el francés. Además, Marruecos a menudo es considerado por estos inmigrantes como una etapa transitoria hacia Europa.

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Introduction

Le Maroc est connu pour sa grande diversité linguistique (Blanchet, 2021), ce qui en fait un lieu propice aux rencontres et aux échanges entre des individus de diverses nationalités. Cette diversité culturelle est renforcée par sa position géographique stratégique en tant que point de passage vers l’Europe. En effet, le Maroc est devenu une destination prisée pour les migrants en provenance d’Afrique subsaharienne, évoluant d’un pays de transit à une destination permanente, notamment en raison d’une décision royale visant à régulariser leur statut de résidants.

Cependant, le système éducatif plurilingue du pays fait face à un défi significatif concernant l’intégration linguistique des élèves subsahariens qui ne maîtrisent ni l’arabe standard ni l’amazighe, les deux langues officielles du pays, ni le darija, l’arabe parlé, la variété d’arabe couramment utilisée. Cette lacune linguistique constitue un obstacle majeur à leur réussite scolaire, en particulier au niveau de l’école primaire1. En conséquence, les élèves subsahariens rencontrent souvent des difficultés importantes et accusent un retard par rapport à leurs camarades marocains (Zerrouqi, 2015). Ils rencontrent des difficultés à appréhender l’arabe sous ses différentes formes (standard et darija) et à s’intégrer dans la culture du pays d’accueil, ce qui les isole et les distingue des autochtones. La question de la déficience linguistique est déjà une problématique complexe pour les élèves marocains. Ce que nous souhaitons souligner ici, c’est que de nombreux Marocains présentent un déficit significatif en termes de compétences fondamentales en langue arabe, qu’il s’agisse de la variété écrite officielle ou du darija, l’arabe de la communication courante. En fait, moins de 6 % de ceux qui réussissent à accéder au niveau du collège sont capables de lire, écrire et communiquer de manière appropriée en arabe standard (MENESFCRS, 2008 : 64). Cette problématique est d’autant plus préoccupante pour les élèves issus de familles immigrées qu'ils doivent maîtriser l’arabe standard en tant que langue officielle du pays pour suivre leurs cours et progresser dans leur éducation, ce qui inclut le développement de compétences essentielles telles que la lecture et l’écriture. Le système éducatif marocain est confronté à ce défi considérable, qui requiert une mobilisation substantielle en termes de ressources humaines, logistiques et pédagogiques pour répondre aux besoins particuliers de cette catégorie d’élèves. Dans ce contexte, cette étude s’attache à examiner la problématique de l’intégration linguistique en évaluant le degré d’implication des familles subsahariennes résidant au Maroc, dont les enfants fréquentent les établissements scolaires marocains. À travers un entretien structuré, nous entreprendrons une analyse approfondie de l’environnement familial, social et linguistique au sein duquel évoluent ces enfants, ainsi que de son incidence sur leur intégration linguistique, que nous définissons comme la capacité d’un individu à s’adapter à la langue prédominante du pays d’accueil, en l’utilisant de manière adéquate dans diverses situations de communication au sein de la communauté hôte (Calinon, 2013 ; El Qobai, Mounir et Daoudi, 2022).

Cette étude est centrée sur l’identification des facteurs et des raisons qui sous-tendent l’échec de l’intégration linguistique des élèves immigrants dans le système éducatif marocain (cf. infra). À cet effet, nous avons conduit un groupe de discussion composé de six participants originaires de divers pays d’Afrique subsaharienne, dont les enfants fréquentent les écoles marocaines. Notre objectif, à partir de leurs témoignages, est de mettre en lumière leurs conditions de vie ainsi que les difficultés et les obstacles auxquels leurs enfants sont confrontés au sein de l’environnement éducatif.

1. Le contexte éducatif marocain et l’accueil des élèves-migrants

Au Maroc, en plus de l’arabe standard moderne, qui est largement utilisé dans les contextes officiels et les médias, le darija est couramment employé dans la vie quotidienne (Youssi, 2013 : 29). De plus, l’amazighe, qui englobe de nombreux dialectes (Benzakour, 2007 ; Youssi, 2013), est également présent. Le français joue un rôle prédominant dans les activités administratives et économiques (Messaoudi, 2013) et est fréquemment utilisé par les classes aisées et l’élite (Youssi, 2013 : 32). Il convient également de noter la présence discrète de l’espagnol (Vìtores et Bin-Labah, 2014). De plus en plus, l’anglais gagne en importance en raison de son rôle essentiel dans la recherche scientifique et technologique (Messaoudi, 2013).

Dans un tel contexte, les élèves issus de familles immigrées ou réfugiées sont susceptibles de connaître des difficultés d’adaptation au sein du système éducatif et même dans la société. Apprendre la langue d’enseignement du pays d’accueil n’est pas un choix, mais une nécessité imposée aux enfants de migrants pour qu’ils puissent suivre le cursus scolaire, assimiler les leçons et réussir leur scolarité. Par conséquent, l’enseignement-apprentissage de l’arabe standard, en tant que langue officielle et principale, notamment au niveau primaire, représente pour eux un défi considérable (Cortier, 2007).

L’apprentissage de cette langue pose déjà des problèmes importants pour les élèves natifs (Youssi, 2013), et selon le rapport du Conseil supérieur de l’éducation et des études menées à ce sujet, la plupart des élèves ne maîtrisent pas suffisamment les langues enseignées à l’école, en particulier l’arabe standard et le français, que ce soit à l’oral ou à l’écrit (Benzahaf, 2017 ; Bouziane et Rguibi, 2018 ; El-Kacimi, 2023). Cela conduit à formuler l’hypothèse que l’absence de diversité linguistique dans la vie quotidienne des élèves peut résulter de l’insuffisance de maîtrise des langues enseignées à l’école.

Étant donné que cette question d’intégration linguistique est relativement récente, le ministère a commencé à lui accorder de l’attention à partir de 2020, avec le lancement de certaines mesures telles que « les dispositions organisationnelles et pédagogiques pour l’intégration des enfants, des adolescents et des jeunes migrants et réfugiés dans le système éducatif et de formation ». Les précédentes réformes éducatives du Maroc, telles que la Charte nationale de 1999, le Plan d’urgence de 2009-2011 et la Vision stratégique de 2015-2030, n’ont pas tenu compte des changements géopolitiques récents ni des dynamiques régionales, notamment l’augmentation des vagues de migrants. Or, il est devenu nécessaire de réfléchir à innover avec des méthodes pédagogiques qui tiennent compte de la diversité linguistique et culturelle chez les élèves, dans un contexte marqué par la pluralité. Ces méthodes devraient être en mesure de valoriser ces différences en créant une sorte d’homogénéité et d’unité dans la classe, en encourageant les échanges culturels et en adaptant les programmes d’enseignement aux compétences linguistiques et aux représentations culturelles des élèves (Benjelloun, 2019).

Actuellement, des milliers d’enfants de migrants en âge scolaire se trouvent principalement concentrés à Casablanca, Rabat et Tanger. Selon les statistiques officielles, environ la moitié des migrants résidant au Maroc sont des Africains subsahariens, originaires de pays tels que le Sénégal, le Congo, la Guinée équatoriale, le Cameroun, la Côte d’Ivoire et le Mali (voir tableau 1).

Tableau 1 : les apprenants migrants et réfugiés scolarisés au Maroc.

Année scolaire 2018/2019 2019/2020 2020/2021 2021/2022
Éducation formelle 3636 3207 3959 4590
Éducation non-formellea 372 379 407 218
a. L’éducation non-formelle comprend différents modules s’étendant sur trois années de formation, dont l’objectif est d’insérer les enfants dans le système formel ou dans la formation professionnelle.

Source : Politique nationale d’immigration et d’asile au Maroc – Rapport 2020. [https://marocainsdumonde.gov.ma/ewhatisi/2021/10/Rapport-2020-5-10-VF.pdf], consulté le 13 novembre 2023.

Selon plusieurs études, la maîtrise de la langue du pays d’accueil joue un rôle important dans la réussite de l’immigrant et augmente ses chances de stabilité professionnelle et psychologique (Solano et Huddleston, 2020 ; Turney et Kao, 2009). L’école est le principal acteur capable d’aider les nouveaux arrivants à rattraper leurs camarades autochtones. Elle pourrait également traiter leurs difficultés et leur permettre de développer leurs compétences en communication (Bhabha et al., 2019) ainsi que leurs compétences cognitives dans différents domaines, grâce à ses méthodes didactiques, son équipe pédagogique et son accumulation d’expériences professionnelles dans le domaine (Ensor et Goździak, 2016).

L’école, en tant qu’espace éducatif, dispose de dispositifs pour identifier le profil des enfants immigrants, leurs expériences, et se concentrer davantage sur la dimension psychologique pour repérer les diverses difficultés d’apprentissage de ces enfants (Strang et Ager, 2008) et mieux comprendre leur situation. Cela permettrait de prendre les mesures d’accompagnement appropriées, afin de les aider à affronter leurs difficultés et de renforcer leur capacité langagière.

Les origines linguistiques des élèves migrants sont en effet caractérisées par une grande diversité, la plupart d’entre eux parlant des langues totalement différentes de celles utilisées dans leur pays d’accueil. Même quand ils ne refusent pas de s’intégrer dans la nouvelle société, ils se trouvent dans l’obligation non seulement d’apprendre une nouvelle langue, la langue dominante sur la scène sociale, mais aussi de renoncer à certains comportements culturels antérieurs (repas familiaux, festivités, pratiques religieuses), et de limiter l’utilisation de leur langue maternelle aux espaces privés au sein de leurs familles (Vertovec et al., 2002 : 112-113). Il est donc essentiel de comprendre à quel point les familles sont prêtes à s’engager dans un tel processus d’apprentissage de la langue de la société.

2. Présentation et analyse du corpus d’entretien

Afin d’explorer cette question, nous avons opté pour une méthode qualitative par des entretiens dirigés selon la méthode de la focus group discussion. Cette approche nous a permis d’impliquer des familles issues de divers pays d’Afrique subsaharienne, résidant dans différents quartiers de Tanger (Mers, Haouma Chok, Mghogha, Tanja balya, Sok Dakhil, Gzanaya) qui ne se connaissaient pas préalablement à l’entretien. Cette méthode présente plusieurs avantages, notamment la création d’un environnement authentique où les participants s’influencent mutuellement (Krueger et Casey, 2000). En effet, l’interaction de groupe génère un effet de synergie parmi les participants (Stewart et Shamdasani, 2014). De plus, lorsque les possibilités de collecte de données sont limitées, les discussions de groupe sont préférées aux entretiens individuels (Johnston et Vanderstoep, 2009), car elles permettent de recueillir des données de haute qualité dans un contexte social donné (Patton, 2002). En outre, elles facilitent une discussion plus ciblée et approfondie, permettant d’explorer les sentiments, les pensées, les perceptions, les expériences et les connaissances des participants, y compris sur des questions délicates, avec transparence et sincérité.

2.1. Présentation des participants à l’entretien

L’entretien sur lequel repose cette étude a été mené par nos soins avec six participants qui ont accepté notre invitation pour discuter des défis linguistiques auxquels leurs enfants sont confrontés dans le contexte scolaire. Plus concrètement, notre invitation a été envoyée à plusieurs parents d’origine subsaharienne résidant à Tanger et ayant des enfants inscrits à l’école primaire. La Direction provinciale de Tanger-Asilah de la Formation et de l’Éducation nous a fourni des informations sur ces familles et leurs adresses. Cette rencontre s’est déroulée le 13 juillet 2023 à la Maison de la jeunesse Beni Makada à Tanger, en collaboration avec des associations traitant des questions liées à l’immigration. Ces associations ont mis une salle à notre disposition et ont organisé la réunion en coordination avec les autorités compétentes. De plus, d’autres acteurs politiques, des chercheurs et les familles des participants ont assisté à cette rencontre en tant qu’auditeurs. De fait, la présence de ce grand nombre d’observateurs induisait un climat de surveillance mutuelle, contrebalancé par la dynamique des échanges qui a permis aux participants de s’exprimer sincèrement. Nous faisons l’hypothèse que les discours recueillis reflètent leurs opinions, même s’ils ne disent pas tout.

Au début de l’entretien, des règles de discussion ont été établies pour créer un environnement de confiance propice à l’ouverture et à la participation de ces informateurs volontaires. La discussion s’est déroulée en français, étant donné que tous les participants s’expriment couramment dans cette langue, et a duré deux heures, se concentrant principalement sur un ensemble de thèmes majeurs, comprenant la présentation des participants, leur situation sociale et les compétences linguistiques du tuteur de l’élève, les conditions d’accueil et de stabilité dans le pays hôte, l’environnement scolaire de l’élève, ainsi que l’intégration des enfants dans le cadre scolaire et social.

À la fin de l’entretien, nous avons extrait les données les plus pertinentes à partir des enregistrements des déclarations de chaque interviewé, dont nous présentons le profil ci-dessous.

Informatrice no 1

Il s’agit d’une jeune Malienne de 35 ans, installée au Maroc depuis 12 ans après avoir quitté son pays en raison du chômage et de la famine. Elle n’a pas eu la chance de terminer ses études secondaires. Elle est capable de s’exprimer en français, mais ne possède aucune compétence, même élémentaire, en arabe standard. En ce qui concerne le darija, elle connaît quelques expressions qu’elle a apprises en échangeant avec des personnes dans l’espace public. Elle n’a jamais bénéficié de cours dans cette langue (darija marocain) malgré les offres associatives (par exemple celle de l’association biladi pour la solidarité et la coopération).

Pendant son séjour, elle a exercé diverses activités, à commencer par la mendicité, puis elle a travaillé comme femme de ménage dans des restaurants et des cafés, avant d’être recrutée comme domestique par une famille française. Actuellement, elle est coiffeuse spécialisée dans les tresses africaines (rasta) et travaille de manière indépendante, bien que de manière non officielle, au sein d’un complexe commercial. Elle est mariée à un jeune Malien sans diplôme travaillant dans le secteur du bâtiment. Le couple a deux enfants, dont l’aînée a 8 ans et est scolarisée à l’école primaire en classe 2 (CE2 dans le système éducatif français), tandis que le cadet de 5 ans n’a jamais eu accès à la crèche ou à la garderie en raison de contraintes financières.

La famille est relativement isolée, ce qui signifie qu’elle a une vie sociale limitée. L’aînée, qui est scolarisée, bénéficie de cours supplémentaires en arabe standard, allant d’une à deux heures par semaine, assurés par l’école elle-même. Parfois, il y a un désengagement de la part de l’école, selon la mère. Cette dernière s’inquiète du niveau scolaire de sa fille. L’année précédente, elle a obtenu à peine la moyenne, et ses résultats scolaires étaient décevants. Les contenus en français et en mathématiques sont suffisamment maîtrisés, mais dans les autres matières, notamment celles enseignées en arabe, ses notes sont basses.

Ce manque de compétence linguistique en arabe standard expose l’élève au harcèlement en raison de sa mauvaise prononciation et de la confusion des mots. Elle est sujette à des moqueries et fait l’objet d’un racisme constant. Elle a du mal à suivre les leçons.

Informateur no 2

C’est un citoyen sénégalais de 44 ans, dont la principale motivation pour émigrer était d’ordre économique. Malgré plusieurs tentatives pour rejoindre l’Eldorado que représente pour lui l’Europe, il s’est vu contraint de rester au Maroc, notamment en raison de la naissance de son premier enfant, âgé de 11 ans au moment de l’entretien. Sa principale source de revenus provient de son travail sur un marché de gros en tant que manutentionnaire de denrées alimentaires. Son salaire est généralement peu élevé, et il réside dans un modeste appartement situé dans un quartier populaire. Sa femme, de son côté, gagne sa vie en vendant des bijoux sur les trottoirs, mais ses revenus sont inférieurs à ceux de son mari. La famille peine à subvenir à ses besoins fondamentaux.

L’informateur a obtenu un certificat d’études collégiales dans son pays d’origine. Il affirme avoir une connaissance suffisante du darija, mais en réalité, il ne maîtrise que les courtes sourates communément récitées dans la prière en langue arabe classique. Au sein de son foyer, la communication se fait principalement dans leur langue maternelle (le wolof), le français est modestement utilisé. Son enfant, actuellement en 3e année scolaire, a redoublé une fois la deuxième année parce qu’ils étaient en situation irrégulière et qu’ils vivaient sous la menace d’être renvoyés dans leur pays d’origine.

L’enfant, lui aussi, parvient à se débrouiller en darija, mais il éprouve encore des difficultés en écriture, et surtout en lecture, de l’arabe standard. Toutefois, grâce aux cours supplémentaires dispensés par l’établissement scolaire, ses compétences linguistiques s’améliorent de manière significative. En ce qui concerne ses résultats scolaires, ils sont généralement modestes, à l’exception d’une performance remarquable en français grâce au soutien de ses parents dans cette matière.

Informateur no 3

Le troisième informateur est un Congolais âgé de 39 ans, établi au Maroc depuis onze ans. Pour lui, le Maroc ne représente qu’une étape transitoire, car il nourrit des aspirations à une vie meilleure en Europe. Il est marié à une Guinéenne avec qui il a une fille âgée de six ans et demi. Le couple a suivi une formation professionnelle qualifiante d’une durée d’un an au Maroc, offerte par une association. Lui s’est spécialisé en cuisine, tandis que sa femme a suivi une formation en pâtisserie. À l’heure actuelle, il exerce à temps plein dans un restaurant, tandis qu’elle travaille à temps partiel dans une boulangerie. La famille habite dans un petit appartement situé dans un quartier populaire. Leur niveau d’instruction demeure élémentaire, car ils n’ont pas eu la possibilité de compléter leur éducation primaire en raison de l’insécurité et de la distance entre leur domicile et l’école dans leur pays d’origine.

En ce qui concerne leurs compétences linguistiques, il affirme que tous deux maîtrisent bien la langue française à l’oral. Cependant, en ce qui concerne l’arabe ou ses variantes, ils ne possèdent que quelques notions rudimentaires. L’apprentissage de la langue arabe ne suscite guère d’intérêt de leur part, car ils parviennent à communiquer en français. De plus, à l’origine, ils n’avaient pas envisagé de demeurer au Maroc aussi longtemps. Au sein de leur foyer, la langue française prévaut, mais la langue maternelle (le lingala) est également employée.

Leur enfant de 11 ans est actuellement en quatrième année de l’école primaire, mais avec un an de retard. L’acquisition de l’arabe standard représente un défi considérable pour lui en classe. Il se sent désorienté, voire entravé, lorsqu’il est confronté à un enseignement dispensé en langue arabe. Le père affirme que son enfant est l’objet de discrimination et de moqueries de la part de ses pairs, parfois même de ses enseignants, en raison de sa couleur de peau, de ses cheveux crépus et de son accent. Ces problèmes ont contraint la famille à changer d’établissement scolaire à deux reprises. Les cours supplémentaires visant à renforcer les compétences linguistiques en arabe sont rares. En classe, la situation s’avère encore plus ardue, car les leçons ne sont pas suffisamment adaptées aux élèves qui rencontrent des difficultés dans cette discipline. Toutefois, malgré ces obstacles, les parents se montrent satisfaits des résultats scolaires de leur enfant. À leurs yeux, l’essentiel réside dans la maîtrise adéquate de la langue française, la connaissance de l’anglais et des matières scientifiques, car, d’après leur expérience, l’arabe revêt une moindre importance sur le marché du travail. Ils privilégient l’intégration professionnelle par rapport à l’intégration sociale, conformément à leur propre trajectoire.

Informatrice no 4

Il s’agit d’une Camerounaise âgée de 31 ans, mariée à un Congolais qui a réussi à traverser la frontière pour s’installer en Espagne deux ans auparavant, mais qui se trouve actuellement en situation irrégulière. Elle réside au Maroc depuis huit ans, bénéficie d’une solide maîtrise du français et de l’anglais, et est titulaire d’un diplôme de baccalauréat en économie. Son emploi actuel dans un centre d’appel, bien que lucratif, s’avère stressant. Néanmoins, elle est satisfaite de sa rémunération, d’autant plus que son mari envoie périodiquement de l’argent, leur permettant ainsi de jouir d’un niveau de vie confortable. Ils habitent dans un appartement spacieux au sein d’un quartier populaire. Ils ont un garçon de 6 ans, récemment inscrit dans une école privée.

Pour elle, le Maroc n’est qu’un refuge temporaire en attendant de rejoindre légalement son mari en France ou en Belgique. Par conséquent, son principal objectif n’est pas de s’intégrer socialement au Maroc. Leur enfant a fréquenté l’école maternelle pendant deux ans, bénéficiant d’activités principalement dispensées en français. Elle considère la langue française comme prédominante dans le système éducatif privé. Les cours supplémentaires de renforcement linguistique en langue arabe sont principalement payants, contrairement à ceux proposés par des associations, qui sont gratuits. La mère avait elle-même bénéficié de ces cours lors de son arrivée au Maroc, sur une période de six mois. Cependant, elle a rapidement trouvé un emploi et a cessé d’y assister.

Concernant son enfant, elle exprime sa satisfaction quant à la qualité de l’enseignement et de l’accueil reçus dans son environnement scolaire. Bien qu’il subsiste des manifestations de racisme envers les personnes à la peau noire dans l’espace public, à l’école, les élèves sont traités de manière équitable et le respect mutuel est valorisé. La mère suit de près le parcours de son enfant, établissant un contact régulier avec ses enseignants pour se tenir informée de son évolution. En général, son enfant s’intègre bien à l’école privée, notamment en classe, où la communication s’effectue principalement en français, tandis qu’à l’extérieur, la situation est inverse.

Informateur no 5

Le cinquième interviewé est un homme originaire de Côte d’Ivoire, âgé de 36 ans, qui est marié et père de trois enfants. Son choix de migrer est principalement motivé par le manque d’opportunités d’emploi ainsi que par les récents troubles politiques dans son pays d’origine. Depuis 2018, il réside au Maroc, ayant échoué à deux tentatives de traversée clandestine vers l’Europe. Actuellement, il travaille en tant que travailleur saisonnier dans une exploitation agricole tout en vendant également des articles (cartes SIM, bracelets, kits, etc.) pour améliorer ses revenus. Sa femme qui est de même nationalité, quant à elle, n’a pas d’activité professionnelle rémunérée. Ils louent une modeste maison en périphérie de la ville, en colocation avec une autre famille.

Leur fils aîné, âgé de 8 ans, est scolarisé en deuxième année primaire. L’inscription de cet enfant à l’école a été facilitée par l’intermédiaire d’une association, car le père ne disposait pas de titre de séjour. Le père lui-même possède une maîtrise moyenne du darija, ce qui lui permet de communiquer dans certaines situations professionnelles. Sa femme est mieux intégrée dans son environnement et maîtrise parfaitement le darija. Il convient également de noter que leur fils aîné parle couramment cette langue, acquise principalement grâce à leurs interactions avec les autochtones.

Le père considère que leur stabilité au Maroc pourrait se prolonger si l’option de l’émigration vers l’Europe devenait impossible. Toutefois, en raison de son absence d’expérience professionnelle dans l’industrie ou l’artisanat, il est contraint de travailler de manière saisonnière dans le secteur agricole. Malgré cela, leur revenu leur permet de subvenir à leurs besoins essentiels. De plus, ils reçoivent occasionnellement des aides humanitaires de la part d’associations et d’autorités locales, notamment à l’occasion des fêtes religieuses et de la rentrée scolaire. Leur fils bénéficie également de cours de soutien gratuits en langue arabe, ainsi que dans d’autres matières, dispensés par une association caritative.

En ce qui concerne le niveau scolaire de leur fils, le père affirme qu’il est assez satisfaisant, avec de bonnes performances en français. Cependant, l’enfant éprouve des difficultés dans les matières scientifiques tout en démontrant une compétence raisonnable en lecture et en écriture en arabe. Cependant, il exprime régulièrement des préoccupations quant au traitement des élèves de la part des enseignants, à l’absence d’explications claires des leçons et à la charge de travail excessive. Néanmoins, le père nie toute forme de discrimination ou de racisme, affirmant qu’au début, il a lui-même a pu faire l’objet de harcèlement, mais que, avec le temps et son intégration dans la société, il est désormais accepté.

Informateur no 6

Le dernier informateur est un homme âgé de 37 ans originaire de Guinée équatoriale, marié à une compatriote. Il est titulaire d’un diplôme professionnel de technicien en moteurs automobiles qu’il a obtenu dans son pays d’origine, ainsi que d’un diplôme spécialisé acquis au Maroc. Il parle couramment le français et l’espagnol. Actuellement, il travaille au sein d’une entreprise internationale et bénéficie d’un salaire décent, tandis que sa femme se lance dans l’e-commerce et poursuit des études universitaires en économie.

Au cours de son séjour au Maroc, il a bénéficié de plusieurs formes d’assistance, à la fois caritatives, telles que l’aide alimentaire et vestimentaire, et en matière d’hébergement de la part des associations, ainsi que d’un soutien professionnel et linguistique en darija. Cependant, une fois qu’il a été embauché, il a cessé de suivre des cours, car la langue principalement utilisée dans son environnement professionnel est le français, alors que l’emploi de l’anglais est occasionnel.

Il réside dans un quartier relativement huppé où il loue un appartement modeste, et il possède une voiture. En ce qui concerne l’idée de s’installer définitivement au Maroc, il indique ne pas envisager cette option, car il envisage son avenir en Europe, où il espère trouver davantage d’opportunités ainsi qu’une amélioration de ses conditions matérielles et de son statut social. Le domaine dans lequel il travaille (la construction automobile) est très demandé en Europe, et il considère que l’expérience est la seule chose qui lui manque. Par conséquent, il est constamment à la recherche de contrats de travail, que ce soit en Europe ou au Canada.

Sa fille, âgée de sept ans, fréquente la deuxième année primaire dans une école privée. Il explique que ce choix n’a pas été fait au hasard, car ses collègues de travail, en particulier les Marocains, lui ont révélé que les écoles publiques connaissent des problèmes liés à la surpopulation, à la violence et à la qualité de l’enseignement. De plus, la langue prédominante pour la communication et l’enseignement dans ces écoles est l’arabe, ce qui l’a poussé à inscrire sa fille dans une école privée.

L’informateur souligne que l’arabe ne l’intéresse pas beaucoup, car il considère que le français est la clé pour progresser et accéder à de meilleures opportunités, en particulier lorsqu’il est accompagné de l’anglais. Sa fille éprouve des difficultés en langue arabe et dans les matières enseignées dans cette langue, mais il précise que l’école met à disposition de nombreuses ressources pour faciliter la compréhension des leçons, notamment grâce à une alternance linguistique (français, anglais et arabe). En effet, l’école autorise les élèves étrangers à répondre en français ou en anglais s’ils ne maîtrisent pas l’arabe. Les examens sont également adaptés à leurs besoins. En outre, des cours supplémentaires d’arabe sont proposés moyennant des frais supplémentaires.

2.2. Analyse

À l’issue de cet entretien, nous formulons l’hypothèse selon laquelle l’environnement familial des élèves migrants n’encourage pas leur processus d’intégration, principalement en raison du statut de pays de transit du Maroc, ainsi que de la position peu favorable de la langue arabe standard écrite sur le marché du travail. Les données recueillies auprès de nos informateurs devraient permettre de confirmer cette hypothèse en se basant sur un ensemble de critères qui seront pris en considération, notamment les attitudes linguistiques, l’accès à l’éducation, le profil démographique, l’environnement familial, l’intention de stabilité, etc. Nous commencerons par exposer les points communs relevés dans les différents témoignages avant de nous intéresser de plus près aux divergences entre certains positionnements.

Les six personnes interrogées partagent un ensemble de caractéristiques démographiques communes. Globalement, elles affichent un âge moyen d’environ quarante ans. De plus, lors de leur arrivée au Maroc, la plupart d’entre elles n’avaient pas de responsabilités familiales, étant généralement célibataires. Ces personnes ont été poussées à quitter leur pays à cause de contextes marqués par l’instabilité économique et les conflits armés, des facteurs qui les ont incitées à rechercher de meilleures opportunités dans une région plus sécurisée, où elles pourraient réaliser leur potentiel de travail.

Le deuxième point commun concerne la durée de leur résidence au Maroc, qui s’étend généralement sur une période de cinq à dix ans. En théorie, cette durée devrait normalement permettre une forme d’intégration linguistique (Piguet et Wimmer, 2000 ; Young, 2019). Cependant, la plupart des interviewés confirment qu’ils n’ont pas acquis une maîtrise suffisante du darija. Cette situation découle en partie de leur crainte de se mêler à une culture qui leur est étrangère, ainsi que de leur absence d’intention de s’établir de manière permanente au Maroc.

Le troisième point commun concerne la compétence en langue française de ces informateurs, notamment à l’oral, ce qui peut constituer un atout majeur sur le plan professionnel. En effet, au Maroc, la maîtrise du français facilite grandement l’accès au marché du travail et accroît les opportunités d’obtenir un emploi rémunéré et respecté. C’est ce qu’a déclaré l’informateur no 3 : « le français est le plus important dans le marché du travail, l’arabe c’est difficile et n’a pas vraiment un statut progressé dans le pays, au privé les leçons sont données majoritairement en français ».

Le quatrième aspect commun à tous les informateurs réside dans leur statut de parents avec des enfants qui poursuivent leur scolarité, que ce soit dans le système éducatif public ou privé. De manière prépondérante, il apparaît que ces enfants considèrent la langue arabe et les matières enseignées dans cette langue comme une barrière difficile à franchir. Ils éprouvent un sentiment d’insécurité linguistique qui nuit à leur capacité de s’exprimer et d’écrire, ce qui les empêche de participer à diverses activités, et entrave le développement de leurs compétences en communication dans ce contexte scolaire. Cette situation les plonge dans l’isolement et les frustre sur le plan psychologique en raison de leur déficit linguistique en langue arabe, qui se traduit par leur incapacité à manier une langue de manière conforme aux conventions et aux attentes, que ce soit dans le cadre de la communication orale ou écrite (Kelly, 2014). Ce déficit linguistique les conduit à éprouver un sentiment d’infériorité, comme on peut le lire dans les propos de l’informateur no 3 : « Mon enfant éprouve toujours des difficultés avec la langue arabe, ses résultats sont souvent faibles dans les matières enseignées en arabe. Parfois, il rentre à la maison en larmes, voire il refuse parfois même d’aller à l’école. »

Un dernier point à noter est que la majorité des personnes interrogées considèrent que leur séjour au Maroc sera de courte durée. Elles n’avaient pas l’intention de s’installer de manière permanente dans ce pays, et elles se concentrent sur le développement de leurs compétences professionnelles, accumulant ainsi de précieuses années d’expérience, dans l’espoir de trouver de meilleures perspectives en Europe.

En dernier lieu, il convient de noter que la plupart des migrants rencontrés dans le cadre de ce focus group présentent un niveau d’éducation relativement bas, à l’exception de quelques individus ayant achevé leur éducation secondaire ou obtenu un diplôme professionnel ou universitaire. Cette constatation suggère que cette catégorie de personnes aurait rencontré des difficultés pour s’intégrer économiquement dans leurs pays d’origine, non seulement en raison des conditions politiques ou sécuritaires, mais également en raison de l’absence des qualifications minimales requises pour accéder au marché du travail : diplômes, années d’expérience et compétences linguistiques.

En se fondant sur les données disponibles, il est possible d’affirmer que le milieu familial des enfants en question ne parvient généralement pas à offrir les conditions objectives minimales requises pour favoriser le processus d’intégration de ces derniers au sein de la société marocaine. Ce constat semble valable pour toutes ces familles, quelles que soient leurs particularités. De plus, il est à noter que les familles subsahariennes se privent elles-mêmes de l’opportunité d’apprendre la langue arabe couramment parlée, ce qui aurait potentiellement pu constituer un avantage pour leurs enfants.

Selon les témoignages recueillis, il apparaît que l’environnement familial dans lequel ces enfants évoluent ne leur offre généralement pas non plus les conditions objectives minimales pour réussir leur intégration à l’école. C’est pourquoi l’apprenant n’est pas motivé pour acquérir les connaissances et les compétences scolaires, pour participer activement aux activités de groupe en classe, ni pour suivre assidûment les enseignements en vue d’acquérir les compétences essentielles (Fortier, Noël et Ramel, 2018).

De leur côté, les familles ont également manqué l’occasion d’apprendre la langue locale pour communiquer, car la plupart d’entre elles n’avaient pas l’intention de s’établir de manière permanente au Maroc. Cela les amène également à ne pas accorder une grande importance à la compétence linguistique en arabe standard ou en darija, en tant que facteur clé de stabilité. D’autant plus que la plupart de ces enfants vivent au sein de communautés fermées, qu’ils évoluent au sein de regroupements ethniques, de clans, et qu’ils utilisent leurs langues maternelles ou le français en fonction de ces contextes ethniques.

Leur prise de conscience de la faiblesse de l’arabe sur le marché du travail les pousse également à négliger la langue arabe parce qu’ils ne considèrent pas cette langue comme un atout significatif dans leur parcours professionnel, et qu’ils privilégient l’intégration économique plutôt que l’intégration sociale. Cela est illustré par le fait qu’une fois qu’ils ont trouvé une opportunité d’emploi appropriée, ils cessent généralement de se préoccuper de la langue arabe ou de ses variétés. Nous reproduisons ici le propos de l’informatrice no 6 : « Au début, j’ai cru qu’il serait difficile de trouver un emploi et de m’intégrer professionnellement parce que je ne parlais plus l’arabe. Cependant, contrairement à mes attentes, en raison de ma bonne maîtrise du français, je n’ai pas rencontré de problèmes majeurs. Mes supérieurs me témoignent beaucoup de respect. »

Par ailleurs, les familles à revenu moyen, et qui ont bénéficié d’une éducation scolaire, universitaire ou professionnelle, ont tendance à inscrire leurs enfants dans des écoles privées. Dans ces établissements, les enfants ont plus d’opportunités pour acquérir les compétences de base en langues, en mathématiques, en lecture et en écriture (Hamilton, 2004 ; Jørgensen, 2016 ; Moore, 2004 ; Rutter, 2006). De plus, le français y est utilisé comme langue de communication et d’enseignement, en parallèle avec l’arabe. Les écoles privées mettent également l’accent sur le suivi et le soutien linguistique pour permettre à ces enfants de rattraper les élèves natifs. Dans cette perspective, l’informatrice no 4 a déclaré : « Moi, j’ai choisi l’école privée pour m’assurer de l’avenir de ma fille et de ses résultats, malgré les frais élevés d’études. Mes amies m’ont affirmé que l’école publique n’était pas adaptée à notre cas. »

 

En bref, on observe une certaine résistance à l’intégration linguistique en raison du faible statut de la langue arabe sur le marché du travail. Si l’arabe était reconnu comme une langue officielle dans les grandes entreprises, la situation serait sans doute différente. Le deuxième facteur est le manque de motivation pour s’installer au Maroc en raison des opportunités et des services limités, comme l’indique l’informateur no 5 : « Personnellement, je ne compte pas rester au Maroc, même si je suis devenu comme un Marocain d’origine, je parle leur langue. Mais même les Marocains veulent quitter leur pays. Mon rêve, c’est l’Europe, là-bas il y a beaucoup d’opportunités et le respect des droits de l’homme. »

Conclusion

Les témoignages rassemblés dans le cadre de ce focus group montrent que les enfants des informateurs rencontrés sont arrivés avec des bagages culturels et identitaires considérablement différents de ceux des Marocains. Ils ne maîtrisent pas la langue locale, qui est prédominante pour la communication, et se retrouvent donc plongés dans un système de valeurs et de langage bien distinct du leur. En tant que groupes vulnérables, les familles devraient aspirer à trouver leur place dans la société d’accueil, et donc chercher à acquérir les codes sociaux et linguistiques du pays. Cependant, ces familles perçoivent souvent leur séjour au Maroc comme une étape transitoire, si bien que les parents et leurs enfants ne s’intéressent pas à la langue arabe, ni à la société et à la culture marocaines.

Pour les enfants d’âge scolaire, l’école représente souvent le moyen le plus accessible de s’intégrer non seulement au sein de la société, mais aussi sur le marché du travail, parce que les études et les diplômes offrent des perspectives de stabilité et de sécurité à la fois linguistiques et socio-économiques. Toutefois, dans le contexte multilingue du Maroc, dans le secteur économique, la maîtrise de l’arabe standard n’est pas indispensable, ce qui incite ces élèves à se concentrer davantage sur l’apprentissage du français pour améliorer leurs perspectives d’emploi. Enfin, les témoignages recueillis soulignent que l’école elle-même ne semble pas être parvenue à créer un environnement favorable pour accueillir et soutenir efficacement cette catégorie d’élèves.

Il convient dès lors de soulever une autre interrogation, intrinsèquement liée à un autre aspect dont nous considérons qu’il est particulièrement important, à savoir la capacité du système éducatif marocain à manifester une flexibilité adéquate pour répondre aux besoins spécifiques des élèves en question, particulièrement en ce qui concerne l’offre pédagogique. Cette problématique relative à l’intégration linguistique, de notre point de vue, revêt une dimension de responsabilité partagée entre l’État et les familles migrantes.

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Notes

1 Après le préscolaire, qui n’est pas obligatoire et qui est accessible aux élèves à partir de l’âge de quatre ans, exclusivement pour une période de deux ans, ces derniers sont contraints de rejoindre l’école primaire à l’âge de six ans. Leur scolarité primaire s’étend sur une durée de six années, et en cas de succès, ils accèdent ensuite au collège, puis au cycle d’enseignement qualifiant. Return to text

References

Electronic reference

Badreddine El-Kacimi, « Intégration linguistique des élèves-migrants subsahariens dans l’environnement scolaire au Maroc : au croisement d’expériences familiales », Cahiers du plurilinguisme européen [Online], 15 | 2023, Online since 15 décembre 2023, connection on 06 décembre 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/cpe/index.php?id=1592

Author

Badreddine El-Kacimi

Badreddine El-Kacimi est titulaire d’un doctorat en sciences du langage et s’intéresse à la didactique des langues étrangères. En 2021, il a soutenu sa thèse intitulée « La question du discours et du comportement politique au Maroc à l’épreuve de la modernité » à la FLLA-UIT (Maroc). Il collabore avec plusieurs universités en tant que traducteur.
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