Introduction
Comment travailler les apprentissages disciplinaires en français langue de scolarisation ? Après avoir établi quelques principes de l’enseignement-apprentissage de la grammaire, on présente différentes pistes d’activités grammaticales, alliant les savoirs et les savoir-faire grammaticaux.
1. Questions de principes : dépasser les contraires
Dans l’apprentissage du français, le français langue de scolarisation est issu de la réflexion sur le FLS, mais il concerne aussi les apprenants de FLM. Par exemple, parmi les difficultés d’apprentissage du français, une des plus importante concerne le verbe, dans la diversité de ses conjugaisons et dans la subtilité des emplois de ses temps et modes, surtout à l’indicatif (Chervel, 1977).
En FLM, les textes officiels placent l’étude de la langue au cœur de tous les apprentissages. En français, la grammaire n’est pas isolée, mais elle est reliée aux activités d’écriture et de lecture. En FLE, on souligne les liens et les interactions entre grammaire et littéracie.
Le terme de littéracie, (…) [a été] défini précisément en 2000 par l’OCDE comme « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités ». (Meyer & Pellat, 2017, p. 1)
Le développement de la littéracie s’accompagne d’une redéfinition des compétences grammaticales mises en jeu, de la maitrise du code linguistique à celle des usages discursifs. Même si la maitrise de l’écrit est privilégiée dans le cadre de la littéracie, l’oral est à prendre en compte, à la fois dans les interactions en classe et dans la description de ses structures spécifiques.
Dans les démarches, l’opposition entre deux approches de la langue a marqué l’histoire de la didactique du FLE. Après les SGAV qui préféraient fortement une pratique intuitive de la langue, les approches communicatives ont remis en avant la réflexion métalinguistique. La pratique intuitive est toujours nécessaire, mais la grammaire explicite favorise les apprentissages, à condition de ne pas la restreindre à la correction grammaticale, comme le fait le CECRL. Autrement dit, les savoirs grammaticaux et les savoir-faire sont liés, comme le considère l’approche neurolinguistique (ANL) :
La compétence implicite est nécessaire pour pouvoir communiquer oralement ; le savoir explicite est nécessaire pour pouvoir communiquer avec précision en utilisant les formes écrites de la langue. Chaque entité constitue une composante indépendante, mais non suffisante, de l’habileté à utiliser une langue à des fins de communication. Dans la perspective neurolinguistique de l’apprentissage d’une L2/LÉ, l’équation devient celle-ci : compétence implicite + savoir explicite = habileté à communiquer. L’idée que les deux composantes doivent être développées pour atteindre l’habileté à communiquer constitue un ingrédient essentiel de l’élaboration de l’ANL (Germain & Netten, p. 5).
Des expérimentations plus récentes (Chnane-Davin & Cuq, 2017) (Guedat-Bittigoffer & coll, 2023) confirment la valeur de cette approche.
2. Activités grammaticales (savoirs et savoir-faire)
Le guide officiel La grammaire du français du CP à la 6e (2022) présente des pistes intéressantes pour la didactisation de la grammaire aux cycles 2 et 3 de l’enseignement en France. Il s'appuie sur l’ouvrage de référence officiel, Grammaire du français. Terminologie grammaticale (2020).
Ainsi, pour le choix des notions grammaticales à présenter aux apprenants, ce guide donne la priorité aux cas prototypiques.
Si l’enseignement de la grammaire à l’école n’a pas vocation à décrire l’ensemble du système de la langue française, il est important de définir clairement les zones de ce système qui sont accessibles à la description grammaticale. Ces zones sont celles des structures prototypiques. Toutes les entités et structures grammaticales (natures de mots ou de groupes de mots, fonctions, phrases, etc.) présentent des cas prototypiques, distincts de cas plus marginaux. (MEN, 2020, p. 3-4)
Cela permet de définir une progression grammaticale adaptée aux capacités des apprenants. En FLSco, on commencera par les faits de langue centraux. Par exemple, on découvre le déterminant avec son représentant prototypique, l’article défini (Le chat dort sur le paillasson).
Quels critères de définition des notions utiliser, sémantiques ou morphologiques ? Les recherches de l’approche neurolinguistique (Germain & Netten, 2012) montrent que l’accent mis sur la signification favorise davantage l’apprentissage que l’accent mis sur la forme. Dans la tradition scolaire française, on définit les notions à partir d’une sémantique intuitive, peu scientifique, qui leur donne un contour flou, mais qui est facile à comprendre. Ainsi, on dit que « le verbe exprime une action ou un état dans lequel se trouve le sujet ». Si l’on veut donner une définition morphologique, on peut dire que le verbe « change tout le temps » et le montrer, en changeant dans des phrases les sujets et les temps des verbes. Les deux critères ne s’excluent pas : la forme vient appuyer la signification.
Le choix des exemples s’avère crucial. Quel que soit le critère choisi, dans le cadre d’une activité de découverte, on choisira des exemples prototypiques, sans ambiguïtés. Par exemple, pour le verbe, on s’attachera à prendre comme exemples des verbes qui expriment nettement l’une ou l’autre notion sémantique (action : chanter, courir, sauter,… vs état : être, sembler,…), en évitant les exemples douteux (dormir, connaitre sont des verbes statiques, et non dynamiques). Les exemples jouent un rôle essentiel dans l’apprentissage d’une notion, dont ils favorisent la maitrise. Et l’on peut penser que l’appui sur des exemples concrets pour maitriser une notion sera plus efficace avec des élèves en difficulté qu’une définition abstraite.
Les programmes actuels recommandent de pratiquer avec les élèves des manipulations (DRAS) qui facilitent l’apprentissage (Pellat, 2023, p. 22-27) :
- le déplacement consiste à changer de place un élément d’une phrase, notamment pour vérifier la mobilité de certains termes, comme les compléments circonstanciels. La plage est nettoyée tous les matins / Tous les matins, La plage est nettoyée.
- le remplacement (ou substitution) consiste à remplacer un élément (mot ou groupe) présent dans une phrase par un élément qui peut figurer dans la même position. Il permet de constituer les classes de mots, comme le déterminant, qui peut être remplacé par l’article défini : ces / plusieurs / deux chiens aboient. → les chiens aboient.
Il fait apparaitre la fonction d’une proposition subordonnée : Je souhaite qu’elle vienne → Je souhaite sa venue : subordonnée conjonctive COD. - l’addition consiste à ajouter un élément (mot ou groupe) dans une phrase : le tailleur est rusé → le vaillant petit tailleur est rusé.
- la suppression consiste à supprimer un élément (mot ou groupe) dans une phrase. C’est l’inverse de l’addition : le vaillant petit tailleur est rusé → le tailleur est rusé.
Ces deux opérations inverses permettent de révéler le caractère facultatif d’une unité linguistique, comme l’adjectif épithète dans les exemples.
Ces manipulations sont employées comme tests linguistiques pour identifier une notion grammaticale (classe ou fonction). En principe, on doit s’appuyer sur au moins deux manipulations. Par exemple, pour identifier un complément circonstanciel, on appliquera conjointement les tests de déplacement et de suppression : La plage est nettoyée l’été tous les matins / L’été tous les matins, la plage est nettoyée (déplacement) – La plage est nettoyée (suppression).
Les manipulations, qui constituent des activités grammaticales, seront associées à des activités de réinvestissement. Ainsi, l’addition peut être utilisée pour enrichir un texte, en ajoutant des expansions du nom (adjectif épithète, complément du nom, subordonnée relative), des compléments circonstanciels car l’utilisation authentique de la langue, à l’oral et à l’écrit, permet d’asseoir les apprentissages.