Introduction
Depuis l’avènement des technologies de l’information et de la communication pour l’éducation (TICE), tous les gouvernements tentent d’intégrer le numérique dans les systèmes éducatifs pour cadrer avec les critères de modernité des établissements (MINEDUC, 2012 ; Moualou Nzigou, 2014). Au Gabon, avec la crise sanitaire résultant de la covid-19, le passage effectif à l’enseignement en ligne de la maternelle à l’université est devenu une question de la plus haute importance pour éviter une année blanche. S’il apparaît que le secteur de l’enseignement public a rencontré des difficultés structurelles, le secteur de l’enseignement privé, notamment au supérieur, a pu mieux s’organiser. Ainsi, des plateformes ont été créées pour assurer la continuité des apprentissages. C’est dans une université privée du Gabon (UP)1 que nous avons été invitée à donner des cours en ligne à une dizaine d’apprenants. Nous y intervenons dans la section Licence « Métiers de l’Éducation et de l’Enseignement » (MEE) qui propose des cours magistraux et des travaux dirigés pour les différentes options ouvertes, dont celle de professeur de français. Il s’agit d’une formation initiale qui prépare à une formation professionnelle dans l’enseignement2. Elle est ouverte aux bacheliers ayant de bonnes bases dans les matières fondamentales conditionnant leur inscription en première année. Du fait de son ouverture récente, les effectifs par classe dans les MEE varient de 10 à 20 étudiants. Dans notre classe, nous avions 12 étudiants.
À travers cette contribution, nous présentons une situation pratique d’enseignement en ligne conduite sur l’utilisation d’une application pour la création d’un document collaboratif. Il s’agit de Google Docs que nous avons expérimenté pour créer un texte argumentatif de façon collaborative. Plusieurs recherches montrent qu’en situation d’enseignement en ligne, les activités collaboratives permettent une meilleure appropriation des dispositifs numériques (Paquelin, 2009) et que les activités d’apprentissage collaboratif sont des pratiques intéressantes où chaque participant peut tirer le meilleur parti de cette dynamique d’interaction. Comment cette expérience s’est-elle déroulée ? Considérant le travail collaboratif comme un levier d’apprentissage, quelles sont les retombées de cette expérience ?
Nous présenterons d’abord le contexte de ce travail et la méthodologie choisie. Puis, nous verrons la mise en place du dispositif d’enseignement en ligne à l’UP. Ensuite, nous analyserons l’articulation entre les propositions théoriques et les pratiques vis-à-vis des outils du numérique et de leur utilisation effective. Ce travail s’inscrit dans une perspective qualitative à travers l’analyse des écrits des apprenants de cette structure privée. Nous espérons que les résultats de cette expérience participeront à une meilleure intégration de l’enseignement en ligne dans nos systèmes éducatifs.
1. Contexte et méthodologie
1.1. Contexte
1.1.1. La continuité pédagogique
Dès mars 2020, une communication officielle a été diffusée sur les chaînes de radio et de télévision gabonaises annonçant l’entrée sans délai en confinement total du pays. Encore inconnu du lexique populaire, le mot « confinement » a d’abord suscité des interrogations. Pour un grand nombre, il s’agissait de vacances gratuites et payées permettant de faire une pause. Mais au fil des jours, cette pause a fait place à la psychose résultant de l’augmentation fulgurante des contaminations et des décès dus à l’épidémie de covid-19 dans le monde. Dans le système éducatif, le terme « confinement » renvoie à la fermeture totale ou partielle des établissements scolaires et universitaires publics et privés. Cette fermeture a été l’une des conséquences de cette pandémie. Désormais, les gouvernements invitaient à passer du présentiel à un enseignement en ligne. Et comme les autres pays du monde, le Gabon a dû assurer la continuité pédagogique en s’arrimant à ce mode d’enseignement imposé. Mais qu’entend-on par continuité pédagogique ?
Notion ayant émergé à la suite de la décision de confinement des systèmes éducatifs dans le monde, la continuité pédagogique est le fait de maintenir un lien pédagogique entre les professeurs et les élèves et de poursuivre les apprentissages à distance hors de la salle de classe. Cependant, cette réalité de l’école à distance a pu déstabiliser les enseignants, les apprenants et les parents, car cette décision était sans précédent. En effet, dans le monde moderne, c’était la première fois que les systèmes éducatifs étaient contraints au confinement et par conséquent à la continuité pédagogique. Wagnon (2020) souligne qu’en France, le système éducatif a été pris de court, car la continuité pédagogique n’avait pas encore de contenus. De plus, il fallait passer à l’enseignement à distance dans l’impréparation totale du côté des enseignants et des apprenants. Il en a été de même au Gabon où les responsables d’établissements ont été invités à passer à l’enseignement à distance. C’était la panique, car même si ce mode d’enseignement était connu, dans la pratique c’était la grande inconnue.
Bien qu’il y ait une absence de consensus sur la définition de l’enseignement et de la formation à distance, nous parlerons maintenant de l’enseignement en ligne. Nous considérons l’enseignement en ligne comme un processus d’apprentissage au moyen des technologies de l’information et de la communication pour l’éducation (Essono Ebang, 2020). Selon Deschênes et Maltais (2006), l’enseignement en ligne ou formation à distance est une pratique éducative privilégiant une démarche d’apprentissage qui rapproche le savoir de l’apprenant. Autrement dit, quelle que soit la crise, la démarche d’apprentissage par ce canal reste envisageable en tout lieu et à tout moment. Toutefois, comment répondre à la demande d’enseignement en ligne alors que les enseignants et les apprenants ne disposent pas d’un accès à une connexion stable et à un équipement adéquat ?
1.1.2. L’enseignement en ligne à l’UP
Initié en Afrique avec le bogue de l’an 2000, l’enseignement en ligne est présent dans les maquettes de formation des universités et des grandes écoles du Gabon. D’ailleurs, dans les données mondiales de l’éducation pour le Gabon, il est mentionné que l’une des finalités du système éducatif est de « développer l’accessibilité et l’emploi des technologies nouvelles dans les établissements » (UNESCO, 2010, p. 2). Pourtant, nous avons observé qu’une grande partie des enseignants en milieu universitaire ne maitrisaient pas le concept de l’enseignement en ligne souvent vécu comme une dépossession du savoir et du savoir-faire (Philippart, 2021) privant l’enseignant et l’apprenant de la relation sociale qu’offre la classe réelle. C’est ce qui a conduit plusieurs enseignants à adopter une posture de rejet face à ce mode d’enseignement (Moussavou et Essono, 2020). La généralisation de cette posture dans le milieu académique a conduit les responsables de l’UP à trouver des stratégies pour assurer la continuité pédagogique dans un climat serein. Voici un aperçu de ces actions.
Tableau 1 : Actions menées par l'UP
Actions | Outils | Résultats | |
Enseignants | – Création d’un groupe WhatsApp pour chaque classe – Connexion au site de UP – Création d’identifiants sur le site – Cours en mode hybride – Envoi de syllabus de cours – Travaux collaboratifs |
– Site internet UP – Moodle – Zoom – Google Docs |
– Difficultés pour la majorité des enseignants à passer à l’enseignement en ligne – Continuité partielle des cours en ligne – Problèmes de fiabilité et de disponibilité de la connexion internet dans plusieurs zones |
Étudiants | – Connexion au site de UP – Cours en mode hybride – Travaux collaboratifs |
– Site internet – Zoom |
– Communication asynchrone/synchrone – Cours partiels en ligne – Absence ou utilisation d’appareils inadaptés – Coûts de connexion élevés pour les étudiants – Difficultés de prise en main de certains outils |
Administration | – Création d’un site internet pour l’université – Création des groupes WhatsApp spécifiques : Administration, enseignants, étudiants à chaque niveau – Achat de trois (3) connexions internet permanentes – Test de plusieurs outils de télétravail avec les enseignants, les étudiants et les administratifs – Expérimentation d’une plateforme de cours en ligne (Moodle) – Réunions en ligne |
– Site internet – Zoom |
– Création d’identifiants sur le site – Communication asynchrone – Visioconférences |
Dans le tableau ci-dessus, nous résumons les actions menées par l’UP à la suite de l’entrée en confinement du pays et de la décision d’assurer la continuité pédagogique. Pour commencer, l’université a créé un site internet permettant aux enseignants et aux étudiants d’avoir des identifiants et de se familiariser à cette plateforme. Puis, elle a initié la création de groupes WhatsApp pour les étudiants, les enseignants et les administratifs. Ces groupes ont d’abord permis la transmission d’informations pédagogiques relatives à la reprise progressive des cours et à l’instauration d’un enseignement hybride. Certains enseignants s’en sont servis pour envoyer des supports de cours numérisés. Comme l’enseignement en ligne ne se résume pas à l’envoi de documents numérisés aux apprenants, mais qu’il s’agit de scénariser les cours, la direction de UP a choisi de former des enseignants volontaires pour la mise en ligne des cours sur la plateforme Moodle. En parallèle, les étudiants ont été formés à l’utilisation du site internet et de l’application Zoom. C’est finalement Zoom qui a été retenue par les enseignants choisissant de faire les cours en ligne, car l’application offrait certaines facilités techniques. Initialement, nous devions travailler sur la plateforme de l’établissement, mais pour des raisons indépendantes de notre volonté, nous nous sommes retrouvés à travailler sur l’application Zoom qui offrait une quarantaine de minutes de connexion gratuite renouvelable. Cette application nous a permis d’organiser des cours en visioconférence en laissant les étudiants interagir virtuellement avec les pairs et l’enseignant. Pour une meilleure utilisation de cette application, nous avons réalisé une capsule formative sur l’utilisation de Zoom (https://youtu.be/BeOG0lhNMzM). Le lien de la capsule a été envoyé sur le groupe WhatsApp avant le début des séances de cours virtuelles afin de prendre connaissance de l’application Zoom et de voir toutes les possibilités qui s’offraient à eux. Nous avons conçu des cours de 1 h 30 (au minimum) organisés sous forme de classe virtuelle sur Zoom avec des étudiants volontaires, n’ayant pas souvent de forfaits suffisants, et pour la plupart, n’ayant ni téléphone Android, ni ordinateur, ni tablette. Il leur fallait emprunter les appareils des parents ou amis. Par-dessus tout, plusieurs étudiants découvraient la plateforme Zoom et les aléas de la connexion instable en fonction du lieu.
À l’UP, les enseignants ont eu le choix de faire les cours en ligne ou de poursuivre l’enseignement en classe avec un effectif de 30 étudiants au maximum. Pour notre part, nous avons choisi l’enseignement en ligne à travers l’utilisation de divers outils numériques parmi lesquelles Google Docs.
1.2. Méthodologie
L’expérience que nous avons réalisée avec Google Docs est une initiative personnelle que nous avons soumise à l’appréciation de la direction de l’UP qui a donné son accord et a permis aux étudiants de se connecter quand ils le pouvaient sur le site internet de l’UP.
1.2.1. Mise en œuvre de l’activité
Ce travail a été mené avec un échantillon de 12 étudiants inscrits en première année en formation à l’enseignement du français. Dans le cadre du cours de techniques d’expression de 30 heures réparties en 15 séances de 2 heures chacune, nous avions déjà réalisé neuf séances en présentiel. Nous précisons que lorsque vous avez 2 heures de cours en présentiel il ne faut pas s’attendre à faire la même la chose que dans une classe virtuelle. En effet, nous avons observé qu’une heure en classe virtuelle équivaut à deux heures en présentiel. La charge de travail est bien plus importante en mode virtuel où l’enseignant joue plusieurs rôles à la fois. Nous rappelons aussi que nous avions déjà un groupe WhatsApp. Ce groupe nous a été d’un très grand apport, car nous pouvions échanger en continu sur différents supports quand certains rencontraient des difficultés de compréhension de la consigne ou pour d’autres raisons. D’ailleurs, les textes illustratifs et explicatifs sur le texte argumentatif ont été envoyés aux étudiants par ce canal. Afin de nous assurer que les étudiants possédaient au moins un appareil informatique pour suivre l’activité, nous avons réalisé un sondage avec l’application Wooclap. Les douze étudiants avaient un smartphone et trois avaient en plus un ordinateur portable. Nous pouvions donc travailler à distance.
1.2.2. Justification de la démarche collaborative
Étant donné que plusieurs étudiants rencontraient des difficultés pour se connecter au moment des séances de classe virtuelle, nous avons dû faire preuve d’innovation et d’imagination pour assurer les cours et maintenir l’attention des étudiants. Ce cours de techniques d’expression en mode virtuel m’a paru l’occasion d’intégrer les outils du numérique jusqu’à lors peu connus des étudiants. Cette innovation avait un triple avantage : proposer une activité d’apprentissage nouvelle avec une application que découvraient les étudiants ; enseigner l’écriture d’un texte argumentatif à de potentiels futurs enseignants du secondaire ; mutualiser les connaissances.
C’est pourquoi nous leur avons proposé de réaliser un travail d’écriture collaborative en mode asynchrone, afin que chacun y participe selon sa disponibilité. Les recherches dans le domaine font ressortir plusieurs avantages à l’apprentissage collaboratif, notamment sur les plans pédagogique, social et psychologique. La dynamique du travail collaboratif fait appel à la notion de communication et aux concepts qui la sous-tendent : écoute, expression de soi, partage, rétroaction. Elle intègre une démarche individuelle et une démarche collective. Chaque membre du groupe a une responsabilité envers le groupe et la tâche d’un membre est fonction de celle des autres. On parle ainsi d’interdépendance positive entre les coéquipiers, ce qui peut contribuer à la cohésion du groupe en favorisant la stabilité, la satisfaction et une communication efficace (TELUQ, 2020). La consigne était la suivante : rédiger un texte argumentatif ayant pour thème « l’enseignement à distance en milieu universitaire. » Ce travail devra respecter les caractéristiques d’un texte argumentatif et son organisation.
À travers cette activité nous voulions amener les étudiants à :
- Réfléchir à la problématique de l’enseignement à distance ;
- Soutenir clairement leurs idées ;
- Interagir avec les pairs pour écouter et s’enrichir mutuellement ;
- Travailler en ligne de manière collaborative et développer l’esprit d’équipe.
Pour atteindre ces objectifs de formation, notre choix s’est porté sur l’application Google Docs qui nous paraissait l’outil idéal sur les plans technologique et didactique.
1.2.3. Outil de collecte : Google Docs
L’expérience de l’enseignement en ligne à travers la classe virtuelle a été une première pour l’ensemble des étudiants du cours de techniques d’expression que nous avons mené sur neuf séances en mode synchrone. Aussi, pour réaliser l’activité d’écriture collaborative, il a fallu leur expliquer l’intérêt de cet exercice et choisir ensemble l’outil qui convenait le mieux. Il était important de donner l’occasion aux étudiants de choisir les outils de travail afin de plus les impliquer. C’est ainsi que nous avons opté pour Google Docs que certains connaissaient sans toutefois l’avoir utilisé dans le cadre académique.
Google doc est une application web présente dans le drive de la plateforme Google. Il s’agit d’un outil de travail collaboratif qui permet de travailler à plusieurs, en même temps, sur un même document, de façon synchrone ou asynchrone. Il laisse la possibilité de travailler à partir d’un téléphone, d’une tablette ou d’un ordinateur même sans la connexion internet. En mode asynchrone, les interventions des étudiants et de l’enseignant dans les canaux de communication du cours sont révélatrices du sentiment d’appartenance à la communauté d’apprentissage développé dans le groupe (TELUQ, 2020).
Dans le cadre de ce cours, donner aux étudiants la possibilité de travailler de façon asynchrone sur une production collective est une manière de leur laisser la liberté de travail au moment souhaité et de les inciter à développer leur capacité à argumenter : ceci cadrait parfaitement avec le sujet les invitant à produire un texte argumentatif. Aussi, afin que tout le monde ait le même niveau d’information sur l’utilisation de Google Docs, nous leur avons partagé un tutoriel détaillant les usages de cet outil. Ensuite, nous avons créé un document sur Google Docs que nous avons envoyé par lien sur WhatsApp en accès libre de modifications aux étudiants3. Celles-ci étaient enregistrées en temps réel et nous suivions les ajouts des uns et des autres, le développement de ce travail collaboratif. Voici un récapitulatif de cette collaboration :
Tableau 2 : Interventions des étudiants
Participants | Fréquence | Type d’interventions | |
Jour 1 | Jour 2 | ||
Étudiant 1 | 5 | 1 | Ouverture des discussions Propositions de thèses Relance/ Questionnement Mise au point finale |
Étudiant 2 | 2 | 3 | Propositions de thèses Relance/Questionnement Argumentation |
Étudiant 3 | 2 | 0 | Choix d’une orientation pour le sujet Appel à choisir collaborativement une thèse |
Étudiant 4 | 5 | 1 | Explication du sujet Argumentation |
Étudiant 5 | 2 | 1 | Rappel de la consigne de l’enseignant |
Étudiant 6 | 4 | 1 | Orientations pour le développement du sujet Argumentation Recadrage et questionnement Rappel pour finaliser la rédaction en ligne |
Étudiant 7 | 1 | 2 | Propositions de thèses Choix d’une orientation à défendre |
Étudiant 8 | 1 | 0 | Argumentation |
Dans le tableau ci-dessus, nous observons que cette activité s’est étendue sur deux journées. Sur les 12 étudiants que nous avions en Licence 1 durant les cours en présentiel, seuls huit ont pu faire l’activité d’écriture collaborative4. Pour ces derniers, la fréquence des interventions varie d’un étudiant à un autre, mais nous voyons que l’étudiant 1 s’est positionné comme un meneur en ouvrant la discussion, en suscitant le questionnement et en suggérant la synthèse des échanges. L’intérêt de cet exercice étant d’amener les étudiants à travailler de manière collaborative en ligne, nous avons fait la synthèse des échanges entre pairs pour montrer les étapes de cette collaboration et l’implication des uns et des autres.
2. Les résultats de cette expérience
Comme nous l’avons mentionné, la durée des interactions entre pairs pour cette activité d’écriture collaborative en ligne a requis deux jours. Les étudiants ont échangé entre eux durant les séances de classe virtuelle et en dehors, selon leur disponibilité. Cette option de travail asynchrone a d’ailleurs été très appréciée, car nous avons pu observer que certains travaillaient tard dans la nuit, tandis que d’autres participaient pendant la journée. Nous relevons que les interactions entre pairs se sont bien déroulées, car chacun a contribué selon sa posture argumentative, même si certains semblaient s’être plus engagés que d’autres. Ensuite, en fonction de la consigne du sujet, certains étudiants ont recadré les formulations des pairs. Étant donné que nous suivions ces échanges et que la collaboration de tous était essentielle, nous avons assuré notre présence virtuelle pour maintenir la dynamique de ces interactions asynchroniques. Cette posture d’observateur nous a permis de vivre tout le processus de construction du texte argumentatif par les étudiants. Nous ne sommes pas intervenue sur Google Docs, mais, uniquement sur WhatsApp pour répondre aux questions que se posaient les étudiants sur Google Docs et mieux les orienter. Le groupe WhatsApp nous a permis d’envoyer aux étudiants les modèles et les canevas des textes argumentatifs afin qu’ils aient tous une bonne compréhension de cet exercice.
Nous notons qu’il n’a pas été nécessaire de désigner un coordinateur afin de réaliser la synthèse de ces interactions en vue de la production du texte final. En fait, il a vraiment été question d’un travail d’écriture collaborative où chacun venait compléter le texte initial d’un des membres dans un élan de va-et-vient scriptural, avec pour seul objectif le respect de la consigne. Durant ces échanges, nous ne sommes pas intervenue sur Google Docs, car nous voulions véritablement donner la possibilité aux étudiants d’organiser leur travail comme les futurs enseignants qu’ils étaient. C’est uniquement sur le groupe WhatsApp que nous avons répondu aux interrogations de certains concernant la compréhension du sujet. Nous précisons que Google Docs et WhatsApp ont été des outils complémentaires dans cette expérience d’enseignement en ligne.
2.1. Analyse des données
Nous avons procédé à une analyse de contenu, méthode consistant à traiter les données textuelles. Nous avons retranscrit les échanges des étudiants sur un support Word pour une meilleure utilisation des données. Puis, nous avons fait une typologie des interventions, ce qui nous a permis de voir les apports et les postures de chacun. De cette typologie il ressort les principales interventions suivantes :
- Propositions de thèses
- Relance/questionnement
- Argumentation/orientation
- Rappel de la consigne
- Synthèse
Pendant les échanges, l’étudiant 1 s’est porté volontaire pour réunir les propositions des pairs dans le document en ligne. Ainsi, tous suivaient la construction du texte et pouvaient ajouter ou retirer des formulations. À ce stade, nous observons que les interactions entre pairs ont contribué au développement des qualités rédactionnelles et méthodiques de travail. Le texte argumentatif produit a été le résultat d’un travail collectif structuré comportant une vingtaine de lignes. Quels en sont les apports didactiques ?
2.2. Les apports didactiques
Tout au long de ce travail collaboratif, nous n’avons pas été contactés par les étudiants au sujet de l’évaluation. En effet, dans les exercices traditionnels, les étudiants sont préoccupés par les notes. Celles-ci influencent souvent leur implication par la suite. Mais dans ce cas de figure, cette activité semble avoir été intégrée comme une séance découverte, une nouvelle vision de l’enseignement surtout que cette expérience de coécriture en ligne était une première pour les étudiants de l’UP. Nous n’avons donc pas mis l’accent sur la note, car ce n’était pas ce que nous cherchions à atteindre. Nous visions plutôt la consolidation des apprentissages et la dynamique de collaboration, puisque le rôle des pairs s’avère important dans le développement des compétences argumentatives.
Enfin, cette activité a révélé le rôle des pairs dans le développement d’une posture réflexive. En effet, nous avons observé que les étudiants prenaient en compte les propositions et orientations des pairs. À travers les relances et les questionnements, ils sont parvenus à réfléchir aux actions à mener pour bien traiter le sujet et ainsi, rédiger un texte argumentatif sur l’enseignement à distance. Ils sont non seulement arrivés à la reprise compréhensive des éléments de définition de l’enseignement en ligne, mais de plus, ils ont pu apprécier cet enseignement durant les échanges. Puisque les étudiants ont pu effectuer des retours sur leurs interactions, nous pouvons affirmer que les discours des pairs sont non seulement complémentaires, mais qu’ils ont en plus contribué au développement des compétences argumentatives et de la réflexivité des étudiants.
2.3. Évaluation de l’activité
2.3.1. Dispositif d’évaluation
Nous avons expérimenté l’écriture du texte argumentatif en ligne avec Google Docs. Au terme de cette activité collaborative, une évaluation de cette expérience s’imposait. Nous avons donc réalisé un questionnaire avec Microsoft forms comportant huit questions, à savoir :
- Q.1 Au terme de ce cours de Techniques d’expression, quel mode d’enseignement avez-vous préféré ?
- Q.2 Quels types de difficultés avez-vous rencontrées durant ce cours ?
- Q.3 Concernant l’enseignement en présentiel, que faut-il améliorer ?
- Q.4 Quel a été votre apport en présentiel (l’apport maximal étant 5 étoiles) ?
- Q.5 Concernant l’enseignement en ligne, que faut-il améliorer ?
- Q.6 Quel a été votre apport durant l’enseignement en ligne (l’apport maximal étant de 5 étoiles) ?
- Q.7 Êtes-vous pour le travail collaboratif ?
- Q.8 Qu’avez-vous pensé du travail d’écriture collaborative sur Google Docs ?
2.3.2. Appréciations des étudiants
Ce dispositif d’évaluation nous a permis de connaître l’appréciation globale des étudiants de Licence 1 de l’UP du mode d’enseignement préféré à l’utilisation de Google Docs. Concernant le mode d’enseignement (Q.1), il apparaît dans la figure ci-dessous que la majorité préfère les cours en présentiel. Cela est la conséquence des difficultés mentionnées à la question 2.
En effet, plusieurs parmi eux ont rencontré des difficultés d’ordre financières5 et techniques6. C’est pourquoi à la question 4, la moyenne de leur apport en classe (3.44/5) est supérieure à leur apport en ligne (2.33/5). D’ailleurs, à la question 3, l’un des étudiants avance qu’il n’y a pas grand-chose à améliorer en présentiel, car « tout y est ». En revanche, plusieurs éléments sont à améliorer en ligne, parmi lesquelles l’accessibilité aux outils numériques, la qualité et le coût de la connexion. Un des étudiants répond : « je ne suis pas vraiment d’accord avec l’enseignement en ligne, car un bon nombre d’étudiants n’ont pas des Iphones ou encore des téléphones androïdes. Ce qui est le résultat de plusieurs cours manqués ». Ce rejet traduit l’impréparation dont parle Meirieu (2020) face à la décision d’instaurer l’école à distance. En effet, au lieu de laisser les enseignants et les apprenants trouver des stratégies pour assurer la continuité pédagogique, il aurait mieux valu les préparer à ces différents dispositifs. Il n’est donc pas surprenant qu’au Gabon moins de 40 des apprenants aient pu suivre les programmes jusqu’à la fin (Moussavou et Essono Ebang, 2020). Nous analysons ces différentes réponses comme étant un appel à l’accompagnement des apprenants en contexte d’enseignement en ligne.
Concernant le travail collaboratif, les réponses sont partagées.
Dans le schéma ci-dessus, le travail avec les pairs de manière collaborative a majoritairement été apprécié (78 des étudiants sont pour). En effet, ils le décrivent comme étant une source d’enrichissement et de recadrage lorsqu’on ne comprend pas ce qui est demandé. Pour d’autres, c’est en fonction de la dynamique du groupe : plus les gens s’impliquent, plus le travail en groupe sera intéressant. Ils précisent qu’il faut mettre à leur disposition toutes les modalités requises. Voici quelques réponses :
Ce travail était très enrichissant, car il nous a permis d’apprendre à mieux utiliser nos appareils (Étudiant 3) ;
Je pense que ce travail collaboratif est très intéressant, car nous avons l’occasion de partager, de discuter sur les idées que chacun de nous apporte. Il permet un échange des idées qui nous emmène toutefois à réfléchir et à tomber parfois sur un accord commun. (Étudiant 7).
Ce travail offre plus de liberté et d’assurance aux étudiants éprouvant des difficultés à la prise de parole (Étudiant 4).
Très intéressant et surtout très actif. Savoir que l’enseignant suivait notre progression a permis à la majorité de se mobiliser et d’interagir. La rigueur, le sérieux et l’entente étaient au rendez-vous (Étudiant 8).
Les réponses des étudiants sont assez encourageantes pour innover dans les pratiques enseignantes avec les outils technologiques actuels. À travers leurs échanges nous observons que cette expérience s’est bien déroulée, car tous les participants ont contribué à l’écriture collaborative du texte argumentatif. Les réponses des quatre étudiants ci-dessus traduisent l’impact positif de cet apprentissage sur leur formation. Les retombées sont donc :
- La formation à l’utilisation des outils numériques (Étudiant 3) ;
- L’apport des pairs dans la construction de l’argumentation (Étudiant 7 et 8)
- L’engagement des étudiants (Étudiant 8) ;
- L’estime de soi (Étudiant 4).
Toutefois, des efforts sont encore à faire pour enseigner en ligne dans des conditions optimales : en effet, d’après les résultats du rapport PASEC 2019, il faut « renforcer les politiques en matière de répartition des ressources éducatives selon les besoins des différentes localités, des écoles et des groupes spécifiques » (CONFEMEN, 2020 : 170).
Conclusion
À travers cette expérience, nous observons que, quel que soit le dispositif utilisé (présentiel ou en ligne), la scénarisation préalable du cours est importante. Nous avons expérimenté l’écriture collaborative avec Google Docs dans une classe virtuelle de 12 étudiants. Cette première expérience nous a montré l’importance des interactions dans la classe (en ligne et à distance) pour compréhension et la réalisation des activités du cours. Toutefois pour garantir le succès d’une telle expérience, il faut faciliter l’accès au numérique à tous si l’on veut véritablement réduire les inégalités sociales que peuvent créer ces dispositifs et éviter la fracture numérique. En situation d’enseignement en ligne, nous relevons que la place de l’enseignant est encore plus importante à distance qu’en présentiel, car les apprenants ont toujours besoin de cet encadrement pédagogique qui maintient la dynamique du groupe et le suivi des apprentissages. Aussi, il ne s’agit plus de se demander si les TICE doivent ou non figurer dans les dispositifs d’enseignement à venir : il est plutôt question désormais de proposer des initiatives institutionnelles et individuelles pour s’arrimer à l’évolution du monde.