L’atelier de français — un dispositif d’enseignement et de formation en FLE au défi la crise sanitaire : un retour d’expérience en visioconférence

DOI : 10.57086/dfles.210

Abstracts

Que faire quand les cours de formation FLE, à cause d’une crise sanitaire sans précédent, ne peuvent plus avoir lieu en présentiel ? Comment trouver des alternatives d’enseignement en ligne appropriées ? Quels sont les défis à relever d’un point de vue pédagogique, didactique et technique ? Comment garder un semblant d’unité de groupe lorsque nous faisons cours à des participants isolés les uns des autres ?
Nous présenterons dans cet article notre expérience de plus d’une année d’un dispositif d’enseignement de français auprès d’enfants, l’Atelier de français » à l’École supérieure de pédagogie de Karlsruhe. Ces cours d’atelier sont dispensés par nos étudiants. Ils sont accompagnés de deux séminaires de didactique. Nous partons d’enregistrements vidéo des séances de l’Atelier de français en présentiel et en visioconférence. Nous aborderons plus particulièrement les sujets suivants : le changement de cadre du dispositif, les déroulements différents des cours (atelier et séminaire) et les stratégies d’enseignement et de formation modifiées.

What should we do when the FLE training courses, due to an unprecedented health crisis, can no longer take place in person? How do we find suitable online education alternatives? What are the challenges from a pedagogical, didactic and technical point of view? How do we maintain a semblance of group unity when we teach participants who are isolated from each other?
In this article, we will report on our one year-experience at the Karlsruhe Higher School of Pedagogy with in-service teachers delivering French classes to children through a special workshop (l’Atelier français). This Workshop was accompanied by two didactic seminars. We will use video recordings of the face-to-face workshop sessions in person as well as recordings of videoconference sessions to stress. We will deal more particularly with the following topics: the description of the new mode of class delivery, the characterization of the Workshop and seminars, and the modified teaching and training strategies that were implemented.

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Text

1. Notre démarche

Nous présenterons d’abord l’Atelier de français, son organisation générale, nos hypothèses d’apprentissage de langue pour débutants et notre concept didactique. Ensuite, nous exposerons quelques particularités du mode de communication et d’interaction de la visioconférence en synchrone. Cette description nous aidera à mieux comprendre le fonctionnement de l’Atelier de français en ligne dont l’enseignement est assuré par des étudiants. Par la suite, nous comparerons comment nos présupposés théoriques et didactiques se sont mis en place dans l’enseignement en présentiel et en visioconférence. Nous aborderons les différents moments de parole et de socialisation de l’Atelier de français. Nous discuterons de l’évolution du cadre didactique de notre approche systématique de la langue et des changements des procédés d’enseignement. Nous montrerons comment l’enseignement d’une discipline en langue 2 et ses expérimentations se réalisent en visioconférence. Nous relaterons également comment nous organisons la formation des étudiants-enseignants et de leur supervision. Enfin, nous esquisserons quelques pistes concernant l’avenir de l’enseignement en ligne.

2. Les finalités de l’Atelier de français1

Le Département de français de l’École supérieure de pédagogie de Karlsruhe a comme vocation de former les futurs enseignants de français du primaire et du secondaire pour le land du Bade-Wurtemberg. À ce titre, les étudiants suivent, entre autres, un stage de pratique accompagnée semestriel dans un établissement scolaire. L’enseignant titulaire de la classe, qui est également le tuteur du stagiaire, aide l’étudiant à acquérir ses premières compétences d’enseignement du FLE. Cet apprentissage par l’expérience vécue et sa réflexion avec le tuteur a ses avantages : il met l’étudiant en situation d’acteur pédagogique dans le cadre de la classe d’accueil et lui permet de découvrir des méthodes que le tuteur sait utiliser. Il y a aussi des limites à cette pratique, plus particulièrement à l’école primaire. L’étudiant stagiaire reste cantonné aux méthodes, aux techniques d’apprentissage et aux rituels que l’enseignant tuteur maîtrise et a établi dans sa classe de FLE.

C’est la raison pour laquelle le Département de français de l’École supérieure de pédagogie de Karlsruhe a mis en place l’Atelier de français, lieu où les étudiants et les formateurs se confrontent aux nouveaux concepts didactiques, expérimentent et développent de nouvelles techniques d’apprentissage de langue en y intégrant des approches inspirées de la pédagogie de Montessori, de Freinet, de la pédagogie institutionnelle ainsi que les concepts d’immersion et de Discipline Enseignée en Langue 2 (DEL2). Ce lieu encadré et expérimental amène une plus-value aussi bien au niveau de l’expérience pédagogique que sur le plan théorique. Sous le regard des formateurs et formatrices, les étudiants assurent l’enseignement auprès des enfants. Ils sont amenés à gérer l’hétérogénéité du groupe d’apprenants (niveau de langue et diversité des langues), leur plurilittératie et doivent lier l’apprentissage formel du français à l’acquisition de contenus (disciplinaires) correspondant à leur niveau intellectuel. L’Atelier de français est accompagné de deux séminaires de didactique où nous mettons en perspective les vécus professionnels et les observations en les confrontant aux théories didactiques et pédagogiques actuelles.

L’Atelier de français s’adresse à des élèves âgés de 5 à 12 ans, qui y assistent une fois par semaine pendant toute une après-midi (3 heures). Il s’agit d’une activité extra-scolaire, à laquelle les parents de la ville de Karlsruhe peuvent inscrire leurs enfants pour les faire profiter d’une offre supplémentaire en langue française. Celle-ci s’effectue dans le cadre administratif de la fondation Hector (Hector Stiftung) et du service de l’Éducation, enfance et jeunesse de la ville de Karlsruhe. Le groupe, très hétérogène, comporte généralement une quinzaine d’enfants.

Au niveau du déroulement d’une après-midi d’atelier, nous disposons de deux grandes parties d’apprentissage : d’un côté, les activités d’imitation et d’automatisation de l’apprentissage systématique de la langue où nous recourrons à la technique de la visualisation picturo-graphique et lexico-syntaxique simultanée (VPS) et, de l’autre côté, les activités en situation immersive, c’est-à-dire celles consacrées à des thèmes issus de la disciplines enseignées en langue 2 (DEL2).

Pour la démarche systématique d’entraînement des aptitudes langagières, nous favorisons une approche ludique et contextualisée. Le jeu présente un atout de motivation grâce au côté agréable de l’activité : il donne un contexte dans lequel le langage trouve son sens. Il permet également une interaction des joueurs qui se fait le plus souvent par l’oralisation et qui facilite alors la prise de parole de l’enfant pour établir des contacts sociaux. Du côté de l’acquisition d’autres contenus, notre démarche consiste à mettre en place l’immersion et le tâtonnement expérimental.

En acquisition de langue, nous partons des hypothèses suivantes :

  • L’exposition biaisée à la langue (skewed input, Nakamura 2012) favorise l’ancrage et la mémorisation des nouveau faits de langues. Il s’agit de la prise en compte de la fréquence d’occurrence (token frequency), c’est-à-dire de l’apparition répétée d’une seule et même structure linguistique au sein d’un schéma fixe. La répétition forte de cette occurrence permet à l’apprenant de l’enregistrer dans sa mémoire de travail et de la rendre plus disponible pour une utilisation ultérieure, d’abord sur le plan de la réception puis sur celui de la production (Henk 2019 ; Kusyk 2017).
  • Une exposition à langue et une assimilation compréhensibles de la langue favorise la progression de la maîtrise de la langue si elles se réalisent à travers des interactions socialisées et contextualisées et lorsque ces dernières se situent dans la zone proximale de développement langagier (Vygotski 1985, p.207). C’est l’hypothèse d’interaction développée par Krashen (1985), Long (1981), Pica (1987) et Ellis (1991).
  • Des séquences de réparation et d’étayage, l’auto- et l’hétérostructuration (par des pairs) ainsi que la mise en place de routines langagières soutiennent favorablement l’acquisition de la langue. Il s’agit l’hypothèse de la production linguistique guidée (Edmondson et House 2006, p.271 ; Aguado Padilla 2002).
  • La participation active et réelle de l’apprenant à la décision de ce qui va être l’objet d’apprentissage favorise également l’acquisition de la langue. Dans une conversation, plus l’apprenant prend la parole de façon auto-initiée plus il soutient son processus d’apprentissage. C’est l’hypothèse de la prise de parole auto-initiée par l’apprenant et de la participation au choix des contenus (Slimani 1987).

Les principes guidant l’enseignement-apprentissage linguistique de l’Atelier de français se définissent comme suit :

  • L’apprentissage de la langue se focalise prioritairement sur le contenu et les concepts disciplinaires à apprendre dans une autre langue. Le contenu prime sur les aspects formels de la langue.
  • L’utilisation de la langue s’insère toujours dans des interactions sociales et langagières. Ces activités prouvent leur efficacité lorsqu’elles font du sens pour les apprenants et lorsqu’elles établissent et renforcent le lien social. Elles sont toujours contextualisées.
  • Les élèves assimilent avec curiosité de nouveaux mots ; ils sont ouverts et si le contenu les intéresse, ils s’approprient facilement de nouveaux concepts dans l’autre langue.
  • Les élèves sont déjà en contact avec d’autres langues dont ils se servent avec profit à l’acquisition du français en le comparant à leur première langue ou à d’autres langues.
  • Pour favoriser l’implication de l’élève dans une interaction communicative, la classe de langue doit disposer de moments et de lieux qui permettent de :
    • faire circuler librement de la parole,
    • échanger à propos de sujets qui partent des centres d’intérêt et de besoins de l’élève, où il trouve un sens à interagir et à communiquer en langue étrangère (Boulouh et Schlemminger 2021, p.48).

L’apprentissage guidé de la langue est spiralaire et se fait en quatre phases distinctes. Il commence par la classe inversée (phase 1). Chaque élève reçoit une piste audio et une liste de vocabulaire correspondant au champ lexical à étudier. Les apprenants écoutent les structures et les mots nouveaux à la maison en amont de la prochaine leçon tout en travaillant à des tâches correspondantes sur des fiches de vocabulaire ou d’exercices. Contrairement aux trois autres phases, seul l’apprenant est moteur de son apprentissage dans cette phase. L’apprentissage guidé de la langue avec la technique VPS est en effet spiralaire car l’apprentissage d’un nouveau thème inclut systématiquement la reprise des thèmes précédents. Le travail se fait d’abord sur l’apprentissage du nouveau vocabulaire (phase 2) où l’accent est mis sur la fixation visualisée du genre des mots grâce à un système de couleur (bleu pour le masculin, rouge pour le féminin). Ensuite, les apprenants construisent des phrases simples (Sujet + Verbe + Complément) propres au thème permettant d’utiliser le vocabulaire fraîchement appris (phase 3). Enfin, les apprenants construisent des phrases complexes, dans lesquelles ils utilisent en plus les phrases liées aux thèmes précédents (phase 4). Nous parlerons d’une progression spiralaire à travers une extension lexicale et syntaxique, d’abord sur l’axe paradigmatique puis sur l’axe syntagmatique (Schlemminger et Bichon 2020).

3. Les particularités de l’enseignement et de l’apprentissage par visioconférence2

Afin de mieux comprendre l’enjeu l’enseignement et de l’apprentissage par visioconférence en synchrone, nous exposerons quelques particularités de ce mode de communication et d’interaction. Ce développement nous servira de grille d’analyse pour comprendre ce qui s’est passé dans l’Atelier de français en ligne.

En visioconférence, de longues périodes de regard direct et des visages vus de près sont soudainement devenu la façon dont nous interagissons avec les autres. La distance spatiale envers l’écran vidéo est (très) souvent inférieure à 60 cm quel que soit la vue des vignettes de caméra choisie. Dans une situation de grande proximité imposée, on essaie de maintenir la distance en réduisant le plus possible l’échange de regards tandis qu’en visioconférence, le contraire se produit. En vue « grille », quelle que soit la personne qui parle, chaque personne regarde directement dans la caméra et vise les yeux des autres personnes sans que les regards ne puissent jamais se croiser. D’un point de vue relationnel, la visioconférence crée une proximité d’ordre intime avec plusieurs interlocuteurs qui sont toutefois à une très grande distance spatio-géographique.

Un autre aspect non-négligeable de la distance spatio-géographique est le fait qu’en visioconférence, il n’y a plus de temps perdu. Une fois la caméra coupée, tout lien physique et social est interrompu immédiatement. Cet effet d’écrasement spatio-temporel agit à la fois sur le lieu, le lien social et la notions du temps. Cet effet est supportable lorsqu’il s’agit d’événements singuliers. Lorsqu’il devient la routine quotidienne et pendant longtemps, on peut se poser la question de savoir quelles vont être les répercussions sur les apprentissages.

La distance temporelle joue également un rôle dans la communication, en l’occurrence le facteur » silence ». Dans la conversation en face à face, il a une fonction interactionnelle importante : elle crée un rythme naturel d’échange, organise les prises de parole, etc. En revanche, en visioconférence, le silence rend plutôt anxiogène. Ce phénomène induit, entre autres, des prises de parole simultanées multiples et peut mener à une cacophonie. Dans l’enseignement à distance, la conséquence en est un déroulement beaucoup plus cadencé, sans espace de temps « vides », pourtant productif, en face à face, à l’émergence de nouvelles contributions ou d’idées intéressantes.

En visioconférence, la distance technologique est provoquée par des conditions contextuelles particulières, comme trop de bruit dus aux aléas techniques ordinaires ou le comportement des participants. Il y a des participants qui allument et éteignent leurs microphones, il y a des connexions retardées, le bruit de fond, etc. La réunion se déroule rarement aussi bien que technologiquement possible.

La distance interactionnelle et interpersonnelle montre que la part de la dimension non-verbale est importante et que le langage de notre corps participe activement à notre façon de communiquer. Or, sans que nous en soyons toujours conscients, l’outil de visioconférence altère cette dimension. Il n’est techniquement pas possible de regarder l’autre dans les yeux. Regarder d’une façon déterminée dans l’œil de la caméra signifie qu’on ne rencontre pas le regard de l’autre. La rencontre des regards n’est que factice. Bien que la prise de vue de la caméra amplifie les effets des expressions faciales, du regard et de la taille des têtes, nous recevons globalement moins d’indices que dans une conversation en face à face. En général, lorsqu’il y a moins d’indices de communication présents, ceux-ci ont un impact plus important que lorsqu’il y a de nombreux indices disponibles.

Par ailleurs, la multiplication des interlocuteurs dans un même écran réduit la taille de son visage à celle d’un timbre-poste. Les expressions du visage qui confirment ou invalident les intentions les forces illocutoires et performatives d’un acte de paroles sont plus difficilement identifiables. Il en est de même pour le langage du corps entier. Les gros plans et les plans poitrine réduise l’autre à « l’homme tronc ». Les éléments non-verbaux moins nombreux ont donc un impact plus important et peuvent mener plus facilement à une interprétation erronée du code non-verbal. En somme, les corps sont présents (même s’ils ne sont pas entièrement visibles) comme une image bidimensionnelle. Mais comme nous ne partageons pas réellement le même espace physique, nous ne pouvons pas tout à fait atteindre l’adhérence optimale que nous sommes habitués à obtenir dans la conversation en face à face.

L’ensemble de ses facteurs crée un dispositif communicationnel complexe qui mène à une dissonance sensorielle entre un vécu réel et le virtuel entre l’intimité et la distance. Ce dispositif peut être ressenti comme déroutant et épuisant. Il induit une surcharge cognitive qui est l’un des facteurs de qu’on appelle la « zoom-fatigue » (Bailenson 2021).

Nous discuterons par la suite de quelle manière ces phénomènes se manifestent dans l’Atelier de français en visioconférence par rapport au présentiel.

4. Le cadre de l’Atelier de français

L’Atelier de français en visioconférence mène à un rétrécissement radical du cadre spatio-géographique et à une réduction essentielle des liens socioculturels et sociaux que les enseignants et le groupe d’enfants ont su tisser progressivement (voir fig. 1). La salle de séminaire est spécialement aménagée pour accueillir les enfants : les enfants ne sont pas assis devant les tables austères de la salle de cours, mais travaillent par terre, assis sur des coussins. Pour la pause-goûter, il est possible de se déplacer dans la cour du bâtiment ; pour des expériences, nous utilisons des salles spécialisées comme celle en arts plastiques. En visioconférence, le lieu unique d’apprentissage et d’échange est l’écran de l’ordinateur par caméra interposée. Il n’y a plus de rencontres avec la classe partenaire en Alsace.

Fig. 1 : Le cadre de l’Atelier de français

    en présentiel en visioconférence
1 Lieu l’université plateforme vidéo de l’université
2 Aménagement du lieu salle de cours aménagée,
cour, jardin…
mur virtuel Padlet, plateforme d’exercices LearningApps
  Contexte social classe de correspondance à Strasbourg, sortie au théâtre, à l’opéra à Strasbourg
3 Durée 3h 1,5 h
4 Nombre de participants 10 à 15 enfants CP au CM2 3 – 10 enfants
CE1 au CM2
5 Niveaux pré-A1 à B1- A1 à A2
6 Temps de trajet 30 min.

Vu les conditions sanitaires et d’enseignement des deux côtés des frontières, la correspondance épistolaire n’a pas été reconduite à la rentrée des classes ; les rencontres avec la classe partenaire pour la kermesse scolaire en Alsace, les sorties culturelles communes à l’opéra et au théâtre à Strasbourg n’ont plus été possibles. Une grande partie des relations qui unissent des individus faisant partie de ce groupe social « élèves » se sont estompées. Une correspondance par « vidéo-express » (une vidéo d’une minute) a peiné à se mettre en place. Elle ne peut guère se substituer à la rencontre directe, aux expériences et aux échanges communs.

Comme il est plus difficile de maintenir l’attention en visioconférence, nous avons dû réduire la durée de l’atelier d’un tiers. Les élèves de CP, maîtrisant moins le maniement de l’outil technologique de visioconférence, ne se sont plus inscrits à l’atelier en ligne. Sans en pouvoir expliquer exactement les raisons, nous avons constaté que le groupe d’élèves était moins hétérogène dans le cours en visioconférence (A1 à A2) qu’en présentiel (pré-A1 à B1-). Lorsque nous travaillons à l’université, les enfants habitent plutôt en centre-ville, pas trop loin de notre établissement ; le travail à distance a permis aux élèves qui habitaient loin de s’inscrire à l’Atelier.

Fig. 2 : Les lieux physiques de l’Atelier de français en présentiel et en visioconférence

© Atelier de français.

Cependant, l’enseignement par visioconférence nous a fait découvrir de nouveaux outils didactiques comme le logiciel de création d’exercices interactifs en ligne (gratuit) LearningApps (https://learningapps.org/), développé par la Haute École Pédagogique de Berne (accessible en cinq langues). Notre tableau noir et la photocopieuse ont été remplacés avantageusement par le tableau en ligne collaboratif qui permet de créer et de partager des documents sur le mur virtuel Padlet (padlet.com). Les élèves téléchargent, par exemple, les fiches de travail de l’atelier.

5. Les différents moments de parole et de socialisation de l’Atelier

Au-delà des deux moments d’apprentissage — les activités d’imitation, d’automatisation et l’immersion à l’aide de la DEL2 — nous avons mis en place d’autres — ce que nous appelons en pédagogie institutionnelle — « institutions ». Il s’agit d’un ensemble complexe d’éléments, des activités, des lieux, de moments, de l’organisation, où « nous sommes agis par les divers éléments, mais nous pouvons aussi agir sur ces éléments, agir et non pas nous agiter. Lieu de l’angoisse peut-être, mais aussi lieu de l’action : lieu de vie » (Vasquez et Oury 1967, p.105-106). Nous comptons les institutions suivantes : le Quoi de neuf ?, la Vie d’Atelier, la Correspondance, la Pause-goûter, la Relaxation et les Critiques et Félicitations  (voir fig. 3). Il s’agit de lieu de parole et d’échanges, de socialisation et de travail coopératif.

5.1 Le Quoi de neuf ?

Les enfants qui arrivent avant l’heure dans la salle de cours ont à leur disposition des jeux, des coloriages, un baby-foot… Ils sont accueillis et accompagnés par l’ensemble des étudiants. Chaque atelier commence par le Quoi de neuf ?. Il constitue l’accueil, un moment de transition qui permet à chacun de renouer avec le groupe, de retrouver sa place parmi leurs pairs. Les enfants s’expriment librement, en langue cible ou en langue maternelle (langue de scolarisation) pour parler ce qu’ils ont vécu de particulier depuis le dernier atelier ou tout simplement pour dire comment ils vont. L’enfant s’adresse au groupe parce qu’il a quelque chose à lui communiquer. L’étudiant-enseignant résume les paroles des élèves en une phrase en français et la note au tableau. À la fin de semestre, ces phrases seront imprimées et distribuées à chacun sous forme de recueil. Il sera lu. Chacun reconnaîtra alors ses phrases.

En visioconférence, il n’y a plus de lieu d’accueil avant le début de l’atelier. Les enfants se connectent au fur à mesure et les étudiants-enseignants leur souhaitent la bienvenue. Des chansons françaises font passer le temps jusqu’à ce que chacun soit connecté. Il suit le Quoi de neuf ?. Les enfants parlent après avoir été invités à le faire. Mais étant seuls devant leur écran, ils manquent de spontanéité. Il y a moins la perception d’appartenir à un groupe, comme en présentiel, où une personne peut en interpeller une autre, où l’échange est de mise. La dynamique de groupe est amoindrie.

Fig. 3 : Le déroulement de l’Atelier de français.

  en présentiel : 180′ durée fonction en visioconférence : 90′ durée
1 Accueil 10′ lieu de bienvenue : les enfants ont à leur disposition des jeux, des coloriages, un baby-foot… Accueil 5′
2 Quoi de neuf ? 15′ lieu de transition de l’extérieur vers l’atelier : les enfants se retrouvent dans le groupe et partagent leur vécu. Quoi de neuf ? 10′
3 Vie d’Atelier / correspondance 20′ le Conseil : les règles de vie sont discutées et arrêtées, nous fixons les tâches et discutons d’éventuels conflits ;
correspondance : les lettres de la classe de correspondance en France sont lues une fois ; nous préparions les réponses.
Vie d’Atelier réduite  
4 VPS 45’ travail systématique de la langue VPS 30’
5 Pause-jeu / goûter 20′ moment de détente, petite collation
6 Relaxation 10′ Moment de relaxation pour préparer la prochaine phase d’apprentissage Relaxation 10′
7 Immersion — expérimentation 50′   Immersion — expérimentation 30′
8 Critiques — félicitations 10′   Critiques — félicitations 5′

5.2 La Vie d’Atelier

La Vie d’Atelier est le lieu de régulation du groupe :

Il joue en effet un rôle essentiel dans la mise en relation des différentes institutions comme dans l’articulation des registres de parole sollicités par la dimension coopérative et groupale. Il est à la fois un espace de parole, une aire de régulation et un lieu de décision. […] C’est un lieu de pouvoir, réel parce que limité. En effet, si les décisions qui y sont prises sont susceptibles de produire des effets dans les activités ou les relations du groupe, cette institution conduit aussi à repérer les limites dans lesquelles il peut agir. (Geffard sous presse, chapitre 6)

Ici, les règles de vie sont discutées et fixées ; les tâches des élèves, appelées Métiers, comme ranger le matériel, ramasser les coussins, balayer… sont répartis ; d’éventuels conflits sont discutés. Lorsqu’il a du courrier des correspondants français, à la place de la Vie de l’Atelier, le groupe lit les lettres de France et écrit les réponses. En vidéoconférence, il n’y a pas de lieu à investir, pas d’espace à organiser, pas de projet à réaliser. Les quelques règles de vie en visioconférence sont vite rappelées et sont surtout d’ordre technologique : éteindre son microphone lorsqu’on ne parle pas, etc. Nous avons du mal à mettre en place un échange avec des correspondants français. Le sentiment d’appartenir au groupe de l’Atelier de français est moins fort.

5.3 Critiques et félicitations

Autant le « Le Quoi de neuf ? » permet à chacun de se retrouver dans le groupe, autant le bilan court et régulier comme Critiques et Félicitations est un moment où le groupe se défait. Il a une perspective évaluative et prospective : évaluative puisqu’il fait référence de manière plus ou moins explicite à la subjectivité de chacun, au lien établi entre les membres du groupe et aux objectifs que celui-ci s’est fixé ; prospective puisqu’il est question de manque ou d’écart constaté entre le désir initial, manifeste dans les attentes, la fin (momentanée) de la vie du groupe et le degré de réalisations de ses objectifs. L’échange permet une projection dans l’avenir et d’élaborer un travail, voire une évolution du projet initial (Schlemminger sous presse b, chapitre 6).

Au moment des Critiques et Félicitations, les enfants donnent une appréciation du travail de l’après-midi pour dire ce qui s’est bien passé ou ce qui doit être amélioré. Les demandes de parole sont notées au tableau et peuvent, le cas échéant, être traitées plus en profondeur au prochain atelier dans la Vie d’Atelier. Nous avons constaté qu’en visioconférence, l’effet d’écrasement spatio-temporel et la distance interactionnelle mènent à une dislocation du lien social et affectif et de la dynamique du groupe. Dans l’atelier en ligne, cet effet est encore renforcé par l’annulation pure et simple de la pause-jeu et du goûter, impossibles à réaliser à distance. Le moment de relaxation qui, en visioconférence, articule les moments d’apprentissage permet néanmoins d’introduire un moment de de détente dans le déroulement de l’après-midi.

Toutefois, il y a des possibilités technologiques pour améliorer le maintien des liens sociaux et groupaux. Il s’agit de progiciels comme gather.town (https://gather.town) ou wonder.me (https://www.wonder.me) qui associent des outils de la visioconférence et de déplacement dans un univers virtuel en 2D, aménageable par les organisateurs. Les utilisateurs peuvent se déplacer sur l’écran à l’aide de leur avatar et choisir à qui ils veulent parler. Lorsque l’avatar rencontre deux ou plusieurs participants proches, ceux-ci peuvent entamer un échange audio pour discuter. Lorsque les avatars s’éloignent, la communication audio s’estompe progressivement jusqu’à disparition. Nous sommes en train d’explorer son utilisation dans l’Atelier de français.

Quant à notre orientation pédagogique, la pédagogie institutionnelle, et quel que soit le mode d’enseignement, en présentiel ou à distance, il est important de rappeler l’invariant suivant :

[t]oute la difficulté de la [pédagogie institutionnelle] vient de là : il ne s’agit pas, ici, d’organiser des dispositifs variés d’échanges, dans une optique purement organisationnelle, en vue d’améliorer, de mettre au goût du jour son management… Les enjeux sont d’une toute autre nature et, tout particulièrement, impliquent le maître dans son désir, sa façon de se situer par rapport à la Loi. Tout cela, renvoie à une formation des enseignants qui prenne en compte ces dimensions. (Imbert 1995, p.264)

Il est donc important de savoir par quelles motivations nous sommes amenées à enseigner d’une manière ou d’autre et d’en prendre conscience. La formation initiale des futurs enseignants est également un lieu pour mener cette réflexion.

6. Le cadre didactique de l’approche systématique de la langue (VPS)

Bien que la conception de l’Atelier de français et de ses objectifs d’apprentissage, présentés plus haut, restent les mêmes, les actes pédagogiques et les techniques et procédés d’enseignement diffèrent entre un cours en présentiel ou en cours à distance (voir fig. 4). En présentiel, nous disposons d’un boîtier d’environ 400 cartes-mot et cartes-image (voir fig. 5). En vidéoconférence, le matériel pédagogique est dématérialisé.

Fig. 4 : Le cadre didactique de l’approche systématique de la langue (VPS).

    en présentiel en visioconférence
1 Matériel carte-image, carte-mota
plateau de cartes-mot
plateau de cartes-image
présentation PowerPoint
mur virtuel, logiciel de création d’exercices
2 Technique Visualisation picturo-graphique (VPS) 4 phases 4 phases
  Approche ludique plateaux de cartes-mot et de cartes-image ; de nombreux jeux à jouer en équipe jeux non collectifs
3 Langage du corps, mobilisation des sens gestes, mimiques, kinésique, sens du toucher gestes, mimiques
4 Consignes verbale, iconographique, langage du corps iconographique, verbal, messagerie instantanée (chat)
5 Pédagogie différenciée différenciation pédagogique ouverte différenciation pédagogique fermée
6 Progression spiralaire outils mnémotechniques en salle de classe pas de supports permanents
a. Rappelons que la présentation de la graphie du mot n’a pas comme objectif premier de faire apprendre le code écrit du mot ou les relations grapho-phonologiques, parfois complexes, du système alphabétique de la langue française. Il s’agit seulement de susciter une identification globale du mot, créant un lien entre les unités graphiques de l’écrit et les unités phoniques de l’oral.

Fig. 5 : Cartes-mot et cartes-image en format A6 et A7

Pour le tableau magnétique ; les cartes en format A6 sont complétées du genre : barre bleue pour le masculin, barre rouge pour le féminin, barre jaune pour le pluriel.

© Verlag l’Océan.

En présentiel, pour la phase 1 (la classe inversée), les élèves ont un cahier de vocabulaire et un CD. Les étudiants-enseignants leur indiquent quel nouveau champ lexical est à préparer. Nous avons constaté qu’il n’est pas évident de demander aux enfants d’effectuer des tâches à la maison pour une activité qui se situe en dehors de la structure scolaire officielle. Cependant, en visioconférence, le principe de la classe inversée fonctionne très bien : les élèves reçoivent le lien de notre mur Padlet et téléchargent la liste de vocabulaire (voir fig. 6). À l’aide de Google Traduction, ils peuvent écouter les mots nouveaux. Les cartes-mot et les cartes-image n’étant pas disponible matériellement, les élèves sont amenés à les télécharger et à les imprimer s’ils veulent participer aux activités pédagogiques de l’atelier en ligne.

En phase 2, la visualisation picturo-graphique simultanée constitue un premier ancrage permettant à l’apprenant de bâtir progressivement un dictionnaire mental de la langue à apprendre. Celle-ci présente simultanément cinq démarches cognitives :

  1. la représentation iconographique de l’objet (le signifié) sous forme de carte-image : « je vois l’image » ;
  2. la représentation graphique (le signifiant visuel) sous forme de carte-mot : « je vois la graphie du mot » ;
  3. la perception haptique (le signifiant haptique) sous forme d’activité tactilo- kinesthésique : « je touche et je bouge en rapport avec le mot » ;
  4. la représentation phonique (le signifiant auditif, l’image acoustique) en écoutant la prononciation du mot : » j’entends le mot » ;
  5. puis la réitération orale du mot : « je dis le mot ».

Fig. 6 : En visioconférence : 3 cartes-mot / cartes-image sur une feuille A4, à découpe.

© : Schubi / Atelier de français.

Avec la maîtrise des liens entre le signifié, le signifiant visuel et auditif, l’élève peut — au niveau de la compréhension — identifier l’image phonique du mot, interroger son dictionnaire mental et accéder au sens de la chaîne phonique qu’il entend. Au niveau de l’expression, la reconstitution de ses liens lui permet de les encoder afin d’énoncer une phrase sensée. Un deuxième ancrage, corporel (plus particulièrement kinesthésique) s’effectue au travers de nombreux jeux, pour fixer les nouveaux mots avec leur genre (pour plus de détails, voir Schlemminger 2019). Pour cette phase de fixation du nouveau vocabulaire, les plateaux de cartes-mot et de cartes-image (voir fig. 7) sont d’un grand soutien, car ils permettent d’organiser différents types de jeux.

Fig. 7 : Plateau de cartes-mots et de cartes-images

© Verlag l’Océan.

En visioconférence, ces mêmes plateaux sont inopérants. De plus, la vision de l’autre par écran interposé et la multiplication des interlocuteurs dans un même écran réduit la taille de son visage. Les expressions du visage qui confirment ou invalident les intentions les forces illocutoires et performatives d’un acte de paroles sont plus difficilement identifiables. Il est de même pour le langage du corps entier. Les gros plans et les plans poitrine réduisent l’autre à « l’homme tronc ». Les éléments non-verbales moins nombreux ont donc un impact plus important et peuvent mener plus facilement à une interprétation erronée du code non-verbal. Ces restrictions dues à l’outil de la visioconférence et à la distance spatio-géographique rendent l’activation les fonctions à la fois cognitives et sensibles des élèves plus difficile. L’ancrage et la mémorisation des nouvelles structures de la langue sont entravées. L’outil PowerPoint, la présentation de cartes-mot et de cartes-image plus grandes (que le format A6 ou A7) ou d’objets réels (lorsque c’est possible), ne sont qu’un médiocre ersatz car ils ne peuvent mobiliser les sens comme en présentiel.

Les phases 3 et 4 ont pour objectif de faire construire des phrases, selon le modèle spiralaire et l’extension syntaxique et lexicale. Les jeux y ont leur place. En visioconférence, il est très difficile d’organiser des jeux d’équipes ; ils sont individualisés. La progression spiralaire est plus difficile à mettre en place car les nombreux outils mnémotechniques, présents en salle de classe, manquent dans l’enseignement en ligne. Quant à la pédagogie différenciée, en présentiel, la différenciation est ouverte, c’est-à-dire l’étudiant-enseignant peut guider l’apprenants individuellement pour l’aider à développer son propre parcours d’apprentissage. En visioconférence, nous appliquons davantage une différenciation fermée où des chemins et des objectifs sont donnés d’avance.

Somme toute, on pourrait dire que l’outil de la visioconférence limite les procédés d’enseignement et les activités pédagogiques. Cependant, les logiciels de création d’exercices comme LearningApps permettent, en partie, de palier à ces déficits. Nous utilisons également davantage de supports écrits (fiches d’exercices). Même s’il est plus difficile de donner des consignes en ayant recours au langage du corps, aux gestes et mimiques, la messagerie instantanée (chat) peut être d’une certaine aide, pour expliquer un jeu en langue de scolarisation tout en restant à l’oral en immersion dans la langue cible.

7. Le cadre didactique de l’enseignement d’une discipline en langue 2

La formation en DEL2, également appelée « Enseignement d’une matière intégré à une langue étrangère » est l’une des spécialités de la formation des enseignants des universités de la région métropolitaine du Rhin supérieur (Geiger-Jaillet, Schlemminger et Le Pape Racine 2016) avec des diplômes nationaux propres à cette formation. Nous disposons d’une certaine compétence dans ce domaine. L’enseignement à distance nous met devant de nouveaux défis à savoir comment dispenser un cours en DEL2 en ligne (voir fig. 8). Cette question se posa dans toute sa banalité matérielle : comment faire une charlotte aux fraises en ligne ? comment expérimenter avec l’eau (le cycle de l’eau, par exemple) lorsque nous n’avons pas de salle de cours à notre disposition.

Fig. 8 : Le cadre didactique de DEL2.

    en présentiel en visioconférence
1 Matériel physique virtuel, devant écran, utilisation individuelle
2 Groupe - individu expérimentation en groupe expérimentation individuelle
  Rôle de l’enseignant actif ne peut pas intervenir auprès d’un élève
3 Rallye lecture lectures individualisées

Il s’est avéré que cet enseignement est plus simple à réaliser que nous le pensions. Certains sujets nous paraissent toujours impossible à mettre en place, par exemple notre Rallye de lecture (Chapelet 2017). Pour d’autre sujet, tout ce qui relève du travail en équipe se fait individuellement. Certaines expérimentations se font à la maison, en famille. Les résultats sont présentés sous forme de photos pendant la visioconférence, par exemple la fondue au chocolat (voir fig. 9). Pour d’autres expériences, les enfants trouvent une fiche d’expérimentation sur le mur Padlet avec l’indication des outils dont ils ont besoin.

Fig. 9

En haut : Rallye Lecture : lecture commune ; fiche de lecture. En bas : en visoconférence, la fondue au chocolat est réalisée à maison, la charlotte aux fraises est réalisée dans la salle de cours.

© Atelier de français.

Dans le cours dont le sujet porte, par exemple, sur les formes de sucre cachées dans les aliments il s’agit de mesurer la quantité d’amidon que contient une pomme de terre. Les élèves font cette expérience, chacun chez soi, en direct devant la caméra : ils montent une petite expérience, observent ce qui se passe et émettent des hypothèses qu’ils notent sur une fiche de travail. Ensuite, les différentes hypothèses sont discutées, certaines rejetées, d’autres validées. Le vocabulaire technique est très limité (max. 5 mots). Dans le cas présent, il s’agit des mots amidon et fructose ; le mot pomme de terre est connu car le groupe vient de travailler sur les fruits et les légumes en VPS. L’essentiel de cette partie immersive de l’atelier est de comprendre l’expérience et de la faire. Si, pendant la discussion, les élèves ont recours à la langue de scolarisation, l’étudiant-enseignant résume le propos en français. L’outil de la visioconférence, dans cette partie de l’atelier, apporte, certes, des contraintes, mais il n’entrave pas trop le travail et le processus d’apprentissage disciplinaire.

8. La formation des étudiants, leur supervision

Dans la formation didactique et pédagogique aussi, la visioconférence a un apport bénéfique. Les étudiants ne viennent plus en permanence pour discuter de leurs préparations. Celles-ci se font en ligne. En visioconférence, les étudiants discutent leur plan de cours, les fiches, etc. avec des documents à l’appui, téléchargés sur le service de stockage et de partage de fichiers Drive. Une intervention et une correction en direct sont faciles à réaliser.

Pendant les Ateliers de français, les enseignants des deux séminaires didactiques (Didactique du FLE et Didactique de Discipline Enseignée en Langue 2) notent leurs observations sur le Drive. Les étudiants qui ne font pas cours assistent à l’Atelier, la caméra et le microphone éteints et prennent également des notes. Pendant les deux séminaires d’accompagnement ces observations servent de base pour discuter et évaluer le cours de VPS et celui de DEL2. Ces séminaires sont aussi le lieu des apports théoriques. Ces enseignements ont lieu en visioconférence. Ils subissent les aléas et les contraintes habituels de l’enseignement en ligne (Schlemminger, à paraître b), mais correspondent, quant aux contenus, à un cours universitaire habituel.

9. La réaction des élèves et des étudiants-enseignants face à l’enseignement par visioconférence

Il est tout à fait opportun de se poser la question de savoir comment les élèves perçoivent le changement du présentiel au distanciel. Nous n’avons pas fait une enquête auprès des enfants. Cependant, le moment Critiques et Félicitations est l’endroit le plus propice pour recueillir leurs avis. En salle de cours, la dynamique du groupe favorise une prise de parole libre comme le montre le tableau (voir fig. 10). Il permet d’entendre la subjectivité de chaque participant de l’atelier puis, au groupe, aux enseignants d’apporter d’éventuels changements.

Fig. 10 : Prise de note des « Critiques et Félicitations ».

12 juin 2018    
Critiques Félicitations Propositions
Céline, (responsable de l’Atelier) : Il y a trop de sucrerie pour la pause Matthias : La fabrication des pompons [dans la partie DEL2]. Faire des pompons plus souvent.
Cosima : Les enfants étaient trop bruyants Annabelle est contente que les pompons existent. [Re-] Faire des crêpes [faites au dernier Atelier].
Annabelle M. S. [co-responsable de l’Atelier)est parti [sans rien dire].   Les pompons devraient apprendre le français.
Les poussins [= les pompons] n’ont pas pu rencontrer M. S.   Offrir un pompon aux élèves de Strasbourg [les correspondants].
Sara : Le carton des pompons s’est cassé.    
Friedrich (étudiant-enseignant) Trop de bruit.    

En visioconférence, la dynamique de groupe est différente ; l’individualisation de l’écran est importante. Les enfants répondent la plupart du temps qu’ils ont apprécié le déroulement de l’atelier. L’esprit critique s’est perdu. C’est la raison pour laquelle nous allons modifier notre moment Critiques et félicitations en introduisant des questions plus précises. Nous espérons un meilleur retour sur l’Atelier en ligne :

J’ai une nouvelle idée pour l’Atelier :

Pour la prochaine fois, je propose de faire…

Ce qui m’a plu :…

Avec les étudiants(-enseignants), la situation est différente. Tant dans les séminaires en présentiel qu’en visioconférence, ils ne manquent pas d’intervenir au moment Critiques et félicitations. Lors des Conseils, leurs remarques donnent lieu à des changements dans le choix et la mise en place des stratégies d’enseignement, dans l’organisations de l’atelier et des séminaires. Les étudiants, de jeunes adultes, sont certainement plus familiers avec l’utilisation des nouvelles technologies de communication et d’information, comme la visioconférence. Nous n’avons pas trouvé de changement quant à leur engagement, comme les extraits des Critiques et Félicitations du semestre d’été 2021 en ligne le montrent (voir fig. 11).

Fig. 11 : Extraits des comptes rendus du secrétariat des premiers séminaires didactiques du semestre d’été 2021.

Critiques et félicitations
Al. : très intéressant à découvrir, chaos technique du début ; les deux étudiantes ont bien fait leur cours. J’aimerais avoir les réponses à mes problèmes d’organisation.
An. : D’accord. intéressant de voir le déroulement [de l’Atelier de français] et les enfants. Soulagée de savoir que chacun aura sa place.
Au. : intéressant ; le retour [des enseignants observateurs] paraît stricte mais bien pour apprendre et évoluer.
Gi. : j’aurais aimé savoir comment marche la contextualisation avant de faire le cours. Je me critique moi-même parce que je n’ai pas bien fait le cours. Bien de savoir maintenant comment préparer [un cours d’Atelier] pour s’améliorer.
Lu. : plus d’une heure pour l’organisation [dans le séminaire de FLE], c’est un peu dommage. Mettre nos apprentissages [didactiques] en premier et après l’organisation, ce serait mieux.
Ja. : Jacqueline : L’atelier me plaît parce que les enfants sont motivés.
Op. [étudiante ERASMUS de France] : c’était stressant et beaucoup à cause de l’organisation, tout est nouveau. Très intéressant de voir une autre manière de travailler. Hâte de découvrir.
Mo. : j’ai l’impression que vous, les enseignants [il y a deux enseignants-observateurs] n’êtes pas toujours du même avis. Il y a des fois des retours très différemment. Ça me donne des soucis.
Em. [présidente de la séance] : je partage l’avis de Mo. [= bon exposé didactique de l’enseignant]. Bravo à Ta, la secrétaire du séminaire. Merci à tous pour la participation.

Ces Critiques et félicitations montrent les préoccupations des étudiants en début du semestre. Elles sont amplifiées par la distance spatio-géographique et interactionnelle. Lors des Conseils, elles peuvent donner lieu, après discussion et délibération, à des changements, parfois importants. Ainsi, le Plan de travail, le document qui évalue les séminaires et confère la note semestrielle, a pu être modifié ; le déroulement du séminaire de didactique du FLE a été réorganisé.

Notre expérience montre que face au même outil technologique, les deux publics, enfant et étudiants, s’emparent différemment des espaces et lieux qui sont à leur disposition.

10. L’avenir de l’enseignement en ligne

Quant à l’avenir de la visioconférence comme outil d’échange et de communication, Cranford, éditeur de la revue scientifique Matter, pense que, pour l’université et la recherche, le bénéfice de cet outil est incontestable :

[a]vec des frais de déplacement nuls et une capacité de s’adapter facilement au nombre des participants, les avantages [de l’utilisation de la visioconférence] sont évidents. Dans le passé lointain des conférences physiques, un chercheur principal pouvait peut-être y assister et amener un étudiant postdoctoral ou un étudiant diplômé senior. En ligne, des groupes de recherche entiers peuvent organiser des soirées de visionnage autour d’un symposium. Chaque présentation peut être enregistrée et potentiellement visualisée infiniment. Je vote pour une version académique de Netflix — un référentiel en ligne de présentations. (Cranford 2020, p.587, notre traduction)

Ce point de vue écologique n’est pas partagé unanimement. Dans son rapport Climat. L’insoutenable usage de la vidéo en ligne. Un cas pratique pour la sobriété numérique, Efoui-Hess (2019, p.1) écrit que :

[l]e numérique émet aujourd’hui 4 % des gaz à effet de serre du monde, soit davantage que le transport aérien civil. Cette part pourrait doubler d’ici 2025 pour atteindre 8 % du total — soit la part actuelle des émissions des voitures. (notre traduction)

Quelle conclusion pouvons-nous tirer de notre expérience ? Elle est singulière. Il est certain que nous reviendrons à l’enseignement en présentiel dès que la situation sanitaire le permettra. Cependant, nous aurons davantage recours à la visioconférence quant à la préparation des cours dans l’Atelier de français.

En ce qui concerne nos conceptions didactiques et pédagogiques face au défi à ce nouvel outil technologique, nous pourrions tirer les premiers résultats suivants :

  • L’apprentissage systématique de la langue, faisant appel aux différents sens (tactile, kinésique…) pour ancrer les nouvelles structures de langue résiste mal aux nouvelles technologies à distance.
  • Une adaptation forte et appropriée aux exigences de la visioconférence permet de maintenir l’ensemble des lieux de parole et d’apprentissage. Mais la distance spatio-géographique et interactionnelle diminue la dynamique de groupe, en l’occurrence son effet de socialisation et de cohésion du groupe d’Atelier du français.
  • Les étudiants-enseignants ont acquis indéniablement ce que Guichon et Tellier (2017, p.16) appellent une compétence sémiopédagogique, c’est-à-dire « l’utilisation appropriée des ressources sémiotiques et technologiques disponibles pour favoriser l’apprentissage en ligne ». Nous nous posons néanmoins la question de comment ces étudiants, futurs enseignants, vont pouvoir réinvestir cette compétence dans l’enseignement en présentiel, car jusqu’à présent, ils n’ont jamais fait cours devant une classe « en réel ».
  • La supervision des étudiants est incontestable la grande gagnante : l’enregistrement des ateliers et le suivi par trace écrite sur Drive en simultané avec l’enseignement permet aux enseignants-observateurs d’apporter une aide et un soutien plus approfondis que lorsque l’atelier a lieu en présentiel.
  • Pour les mêmes raisons, les préparations des cours de l’atelier sont plus minutieuses et détaillées.

Notre enseignement des langues et la supervision des étudiants en ligne sont une expérience très enrichissante tant sur le plan technologique qu’au niveau pédagogique et groupal. Nous pourrions utiliser la métaphore suivante : la pandémie actuelle sert d’accélérateur d’incendie. L’utilisation massive des nouvelles technologues laissera des traces dans l’enseignement. Elle aura des répercussions fortes sur l’organisation et la conception des cours, sur notre pédagogie et sur nos stratégies d’enseignement. On peut supposer que l’outil de la visioconférence aura certainement une place plus importante dans l’enseignement (des langues) secondaire et supérieur sans pour autant remplacer les cours en présentiel.

Comme nous sommes nombreux à travailler en visioconférence, nous disposons d’un terrain de recherche empirique riche. Des travaux permettront d’approfondir, de confirmer ou d’infirmer les premières observations et résultats esquissés dans cet article.

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Notes

1 Cf. aussi notre présentation dans : Schlemminger et Bichon (2020). Return to text

2 Schlemminger (sous presse a), mais aussi l’excellent ouvrage collectif de Guichon et Tellier (2017). Les différentes contributions se basent sur le corpus ISMAEL. L’ensemble des 6 « conversations pédagogiques » en visioconférence entre 7 apprentis-enseignants et, à chaque fois, une ou deux apprenantes en FLE a été transcrit et analysé, en focalisant sur les stratégies d’enseignement de l’oral. Return to text

References

Electronic reference

Gérald Schlemminger, « L’atelier de français — un dispositif d’enseignement et de formation en FLE au défi la crise sanitaire : un retour d’expérience en visioconférence », Didactique du FLES [Online], 2:1 | 2021, Online since 01 mai 2021, connection on 06 décembre 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/dfles/index.php?id=210

Author

Gérald Schlemminger

Gérald Schlemminger est professeur des universités émérite de la Pädagogische Hochschule de Karlsruhe (Allemagne). Il continue à assurer des cours dans son établissement. Il est co-directeur du Collège doctoral trinational « Communiquer en contexte plurilingue et pluriculturel » et encadre actuellement huit thèses (en cotutelle ou en co-direction).
Ses disciplines de référence sont : Sciences du langage : acquisition des langues, bilinguisme scolaire. Didactique des langues et de l’enseignement bilingue (DEL2). Sciences de l’éducation : Éducation nouvelle. Sciences et technologies de l’information : réalités virtuelles et apprentissages, enseignement via vidéoconférence.

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