Les images zombies, des émulsions altérées révélatrices d’une multiplicité de strates temporelles

DOI : 10.57086/radar.596

p. 35-50

Résumé

La métaphore fantastique est ici mobilisée pour désigner le statut in limbo d’images dont la matérialité témoigne d’une mutation. On les nommera zombies par analogie entre plusieurs de leurs caractéristiques et celles de ces créatures surnaturelles : leur statut de revenantes, leur positionnement au croisement de deux états et la présence de stigmates d’altération de leur corps. Elles sont le résultat de démarches d’exhumation dans des fonds publics ou privés, dont nous citerons trois cas. À partir d’archives du cinéma, Éric Rondepierre a extrait des photogrammes touchés par l’humidité où les personnages des films semblent interagir avec le soulèvement de la pellicule (Précis de décomposition, 1993-1995). Luce Lebart, alors responsable entre 2011 et 2016 des collections de la Société Française de Photographie, réhabilite les défaillances de la conservation dans une édition où la moisissure se répand sur les sujets des compositions (Mold is Beautiful, 2015). Enfin, Thomas Sauvin récolte des négatifs voués à la destruction pour recréer un récit de la Chine de la deuxième moitié du xxe siècle (Beijing Silvermine, depuis 2009). Dans l’ensemble de sa collection, les clichés victimes de l’usure du temps ont une place spécifique. Cet article s’intéressera au lien de proximité entre la photographie et l’expérience du temps, que les perturbations visibles sur les émulsions des images zombies exacerbent.

Index

Mots-clés

accident, défaut, appropriation, image (d’archive), image (reprise), impureté, monstruosité, photographie, procédé anténumérique, résurgence

Plan

Texte

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En 1935, Erwin Schrödinger propose une expérience de pensée avec un chat pour personnage central. De façon quelque peu sadique, il s’agit de jouer à la roulette russe en déposant le félin dans une boîte fermée, accompagné d’un poison ayant une certaine chance de se déverser, sans pour autant que cela ne soit inévitable. Le contenant est opaque et il n’est pas possible de connaître l’issue de l’expérience avant d’en avoir ouvert le couvercle. Ainsi, avant ce moment de découverte du dénouement (funeste ou non), le chat est théoriquement à la fois mort et vivant. En cela, Schrödinger illustre de façon incarnée un principe qui admet une certaine incertitude au sein de la physique quantique.

Encore plus présent dans l’imaginaire collectif, le zombie est une créature que l’on retrouve dans divers mythes et productions culturelles, avec des attributs variables selon le contexte dans lequel il apparaît1. Il est un revenant, un mort-vivant. Il n’est ni l’un ni l’autre ou bien les deux en même temps. Son état est incertain, il se trouve entre deux mondes. En termes de physionomie, son corps monstrueux est l’expression d’une décomposition entamée avant qu’une énergie hors du commun (contamination virale, morsure ou sort) ne lui redonne l’illusion de la vie. Décharné voire démembré, il est néanmoins en capacité de se mouvoir afin de continuer son impossible quête de satiété.

Ce que nous apprend l’expérience de Schrödinger ou ce que nous inspire la figure du zombie est que la matière, notamment organique, peut se retrouver dans des situations troublantes. L’émulsion des images anté-numériques2, qu’elles soient de nature photographique ou cinématographique, peut dans certains cas faire écho à ces exemples quand les marques d’une altération de sa matérialité apparaissent ostensiblement dans le cadre. Dans cet article, nous désignerons par l’expression d’images zombies trois formes d’exhumations de clichés issus de fonds publics ou privés, ayant la particularité plastique d’avoir été corrodés : les Précis de décomposition (1993-95) d’Éric Rondepierre, la proposition éditoriale Mold is Beautiful (2015) de Luce Lebart et le projet Beijing Silvermine (depuis 2009) de Thomas Sauvin.

Selon la formule bien connue de Roland Barthes, la photographie est marquée intrinsèquement du sceau de la mort par sa capacité d’enregistrement de « ce qui a été3 ». Le sujet capturé dans l’image rend compte d’un moment précis de l’existence, qui se trouve inscrit irrémédiablement dans le passé. Ce constat qui serait l’apanage de toute photographie a été largement repris, au point de devenir un lieu commun. Or, ce texte fondateur ne lie pas la photographie à sa propre existence organique, et par extension sa déliquescence.

Il existe pourtant des images dont la surface est porteuse de vides, de soulèvements et de boursouflures. Quand ces phénomènes se trouvent sur le même plan que le sujet des images, ils induisent une expérience démultipliée du passage des années pour celles et ceux qui en sont témoins. L’impact mortifère du temps y est explicite, ne serait-ce que par l’analogie entre le corps de l’image et le corps humain. Mais, les œuvres évoquées dans cet article sont aussi un échantillon des pratiques artistiques contemporaines d’appropriation. Plus qu’au passé, ces œuvres renvoient tout autant à notre époque actuelle et à ses propres questionnements sur l’image et son auteur·e. Dans une ère médiatique qualifiée de post-photographique, le monde est vu à travers le prisme du numérique, de ses flux et de son instantanéité. En retournant à la matière anté-numérique et à ses accidents, les artistes traduisent les mutations qu’ont connues les usages photographiques en l’espace de quelques décennies. Si l’on prend encore un peu plus de recul, ces images nous parlent d’enjeux mémoriels au long cours, qui touchent à l’éternité de l’art et à sa capacité à traverser les âges. Néanmoins, toute photographie n’est pas artistique, elle peut aussi être uniquement domestique ou se présenter initialement comme un exercice technique. Se poser la question de la conservation de ce type d’images demande alors de changer certains paradigmes. Par leur statut de transfuges d’un état de rebut à celui d’œuvre, les images zombies sont une porte d’entrée aux enjeux de légitimation des matériaux dits « pauvres ».

Le temps d’une existence humaine : des images qui meurent avec leurs sujets

Le premier degré d’une analyse des images zombies se trouve dans la relation entre ce que figure l’image et ce que rajoutent au motif général les perturbations générées par une conservation non optimale. Les moisissures prennent place sur le support en colonisant son territoire, en séparant des contours et en formant des anomalies qui, jusqu’à un certain point, dialoguent avec les restes du sujet encore visibles. En effet, l’émulsion appliquée sur les bandes de film est un élément organique4 soumis à la périssabilité. Quand la figure y est humaine, le parallèle entre la dégradation de l’image et la décomposition charnelle est facile à dresser. Les artistes qui s’emparent de ces clichés meurtris en les tirant de l’oubli peuvent donc être vus comme des goules, se nourrissant de corps enfouis, ou bien comme des archéologues qui retracent le passé en faisant parler les os. Ce qui est certain, c’est qu’ils exhument, ils mettent au jour des images symboliquement enterrées jusque-là dans des archives institutionnelles ou non.

On retrouve le terme même de décomposition dans le titre du travail qu’a mené Éric Rondepierre, Précis de décomposition5. C’est en 1993 que l’artiste commence ses recherches dans les archives filmiques de la Library of Congress de Washington. À partir des photogrammes qui lui fournissent une masse considérable d’images, il extrait une sélection de ceux blessés par l’humidité. Le choix auquel il procède au sein de ces nombreuses portions altérées de films est crucial dans sa démarche. Il n’a pas cultivé ces corruptions mais les cueille, et par la migration de contexte opérée, les transforme en des objets artistiques autonomes. Car chaque image de Précis de décomposition présente le face-à-face entre une perturbation et des personnages. Les tâches accentuent les postures, étirent les traits ou font advenir des formes étrangement humaines (Fig. 1). Par l’œuvre du hasard, la dégradation semble s’être invitée sur le tournage des séquences. À la manière de Schrödinger, Éric Rondepierre prend acte de la dégradation advenue dans le huis clos de ces boîtes d’archives scellées. Plus encore, il l’arrête. Il photographie isolément les photogrammes en question et les retire de ce fait du flux de l’image cinématographique. C’est en cela que son travail se place dans le champ photographique. Mais cet arrêt dans la dégradation ne vaut que pour un temps car ses propres négatifs, dont la matière partage des similarités avec les bobines filmiques, courent en théorie le même danger.

Fig. 1. Éric Rondepierre, Répulsion, 1993-1995

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Photographie issue de la série Précis de décomposition (1993-1995).

Dans l’Image fantôme, Hervé Guibert consacre un chapitre à ce qu’il appelle l’image cancéreuse. La photographie d’un inconnu qu’il chérit commence sous ses yeux à se farder de tâches qui annoncent la perte de l’image. Le vocabulaire qu’il utilise pour désigner les mutations du papier en cours est explicite : « maladie », « suppuration », « ouvertures des chairs », « lambeaux », « cratères »6. La photographie est ici à l’agonie, voire même déjà morte puisqu’il se demande juste après s’il faut l’enterrer7. Seulement, en y regardant de plus près, il remarque que les altérations de l’image ont redonné une expression vivifiée au visage du sujet8. De façon paradoxale, la modulation permise par l’attaque extérieure a insufflé quelque chose de neuf dans l’image. Voilà la même sensation que procurent les instantanés de Précis de décomposition qui reprennent vie, extraits de leur contexte initial et de l’oubli général. La dégradation métamorphose l’espace de l’image, sans omettre la présence latente de la mort elle-même.

Loin des rayonnages des archives institutionnelles, c’est dans un atelier pékinois de recyclage artisanal9 que Thomas Sauvin trouve les négatifs qui forment la matière première de Beijing Silvermine. L’artiste-collectionneur les achète au kilo pour les sauver de la destruction complète. Après leur numérisation ou leur tirage, ces images sont valorisées à travers des expositions et éditions. Dans le lot qui compose son corpus foisonnant, près d’un quart des photographies témoignent matériellement des conditions de stockage à l’évidence inadaptées des entrepôts de recyclage. Ces accidents créateurs de formes suscitent particulièrement son intérêt, notamment quand ils recréent un cadre. C’est dans un livre monographique et au premier abord non thématique10 que l’on peut avoir un aperçu de cette attention portée aux images altérées par Thomas Sauvin. La couverture donne le ton avec un portrait en pied dont le personnage est partiellement effacé par une tâche aux contours dilués et aux teintes vibrantes (Fig. 2). Ce type d’orbes est caractéristique de l’action de moisissures sur un négatif couleur, mais détonne par son emplacement central dans l’image11. À l’intérieur de l’ouvrage, les images abîmées sont mises aux côtés de photographies dont le sujet est lui-même mortuaire : cercueils, pierres tombales et autres objets de rites funéraires. On retrouve exclusivement ces deux régimes d’images dans les dernières pages qui fournissent un dénouement naturel aux photographies infantiles du début du livre.

Le texte publié à la suite de ces ultimes pages, est signé de François Durif. Diplômé de l’École des Beaux-Arts de Paris, celui-ci deviendra par la suite assistant funéraire. C’est au prisme de cet emploi qu’il écrit, en comparant son expérience de l’image des défunts au sein des pompes funèbres. Il apostrophe Thomas Sauvin, ce « chasseur d’images », et crée des résonances entre les deux postures. En parlant d’un collègue qui venait « mater son mort », François Durif se demande : « Quelle pulsion scopique l’animait pour s’autoriser à franchir ce seuil ? Il est vrai que cet accès au corps sans défense – manipulé, manipulable – du défunt fait partie du quotidien du croque-mort12 ». Si l’on admet que le corps du défunt est par analogie celui de l’image et celui des individus qu’elle représente, nous pouvons en déduire que Thomas Sauvin est le croque-mort de Beijing Silvermine, pris entre une posture de voyeur et de soignant. Il use d’une matière vouée à l’inertie car jetée par ses propriétaires pour recréer la narration d’un phénomène du passé. L’accumulation des résonances au sein de ces photographies amateures dresse le portrait de la classe moyenne chinoise au sortir de la Révolution Culturelle, et ainsi les individualités se perdent au profit de la création d’un tableau sociologique. Sans pouvoir raviver le souvenir intime des sujets en eux-mêmes des photographies, faute d’informations suffisantes pour les identifier, la valorisation de ces images vernaculaires traduit l’imagerie d’une époque, de même qu’une fascination contemporaine pour ces fragments d’un autre monde.

Fig. 2. Thomas Sauvin X Beijing Silvermine, A 9687 13

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Le temps d’une époque : les reliques du passé dans un présent postphotographique

À la fin de La nuit des morts vivants (1968) de George Romero, et après toute une nuit de résistance face aux monstres, Barbra connaît un très court moment d’égarement qui lui est fatal. En se battant contre un groupe de revenant·es qui tentent de pénétrer dans la maison où elle se cache, elle reconnaît son frère Johnny, décédé puis transformé en zombie quelques heures auparavant. C’est cette incertitude d’une poignée de secondes sur la nature de l’être situé en face d’elle qui causera sa perte. Encore davantage lorsqu’il apparaît sous des traits familiers, le zombie effraie parce qu’il vient d’un autre monde. Il bouleverse l’équilibre entre les mort·es et les vivant·es en s’octroyant le droit d’outrepasser la limite qui les sépare. Alors que les sociétés modernes cherchent de plus en plus à éloigner les défunt·es du monde social13, le rappel d’un passé révolu ou d’un avenir mortel inévitable que le revenant inspire nous dérange. Dans le cas des photographies, les diverses marques d’appartenance à une époque ou du passage du temps peuvent nous effrayer en nous exposant à l’entropie qui guette nos souvenirs et leurs supports. Mais, cette répugnance se double d’une certaine fascination. Ces extraits d’un temps autre ont un pouvoir d’attraction sur nous car ils nous renvoient à un passé que l’on se plaît à fantasmer.

Dans La Chambre claire, Roland Barthes insiste sur l’idée de la photographie comme partenaire du réel. Il affirme que « quoi qu’elle donne à voir et quelle que soit sa manière, une photo est toujours invisible : ce n’est pas elle qu’on voit 14». Ces mots ont été publiés en 1980 et doivent de fait être replacés dans leur époque. Cependant, aujourd’hui face à de nombreuses pratiques artistiques contemporaines qui privilégient la mise en lumière de la matière de l’image et moins strictement de ce qu’elle représente15, cette affirmation n’est plus exacte. La photographie en tant qu’alliance de dispositifs optiques, chimiques et aujourd’hui numériques se montre en tant que telle, sans se faire discrète. Les images zombies font en cela figure d’exemples car elles sont la traduction à la fois de leurs sujets et de leur existence matérielle à travers leurs blessures visibles. Cette convergence de démarches artistiques qui s’intéressent aux procédés mêmes de l’image est une caractéristique de notre entrée dans la condition post-photographique. Cette notion désigne un moment de bascule à partir duquel les usages sociaux de la photographie ont évolué en parallèle de l’avènement du numérique. L’ouvrage paru en 2022 de Michel Poivert, Contre culture dans la photographie contemporaine, établit le panorama de ce champ de pratiques entre utilisations de procédés anciens, appropriations et expérimentations plastiques. Les possibilités techniques apportées par le numérique redirigent les préoccupations artistiques vers des réflexions propres au médium et vers ses usages sociaux. La possibilité de représentation pure et simple du réel étant désormais donnée à tous·tes, l’intérêt d’une part des artistes se tourne à la fois vers ce qui fait l’ontologie du médium et les évolutions qu’il a connu16. Michel Poivert consacre un chapitre de son livre à ce qu’il nomme « la photographie surcyclée », un néologisme qui désigne les pratiques de réutilisation d’images existantes. Il en parle en tant que « l’une des formes les plus singulières de recomposition de la photographie à l’ère numérique. Celle qui consiste à ne plus prendre de photographies, au sens d’une “prise de vue” mais à reprendre celles réalisées par d’autres »17. Dans une définition contemporaine, le ou la photographe peut donc être la personne qui réagence des vues existantes plutôt que d’en créer des originales.

Quand Éric Rondepierre commence en 1993 sa série des Précis de décomposition, il est précurseur de ce mouvement photographique contemporain réflexif sur la matière (tout en passant pour cela par le cinéma). La posture d’appropriation est indissociable de son travail et de celui d’autres artistes à la démarche similaire. Photographes non pratiquant·es18 selon Michel Poivert, ils·elles sont désigné·es comme relecteur·ices d’images19 par Natacha Détré : « les relecteurs collectent des images qu’ils extirpent de leur contexte d’origine, en s’assurant qu’elles soient restituées le plus possible dans leur intégrité, mais paradoxalement cette intégrité est déjà faussée puisque son contexte d’origine a disparu20 ». Éric Rondepierre et Thomas Sauvin reprennent des images, les décontextualisent et les légitiment en tant qu’objets artistiques indépendants. Ainsi, au-delà d’une entité physique visiblement attaquée dans le cas des images zombies, le geste d’appropriation implique un déracinement de l’image. Alors qu’Éric Rondepierre travaille à partir d’un matériel initialement voué à une diffusion publique (des films), Thomas Sauvin change radicalement le statut des images qu’il collectionne. Il use de photographies amateures réalisées par des Chinois·es dans la seconde moitié du xxe siècle : photos de famille ou d’ami·es et de leurs loisirs. On peut supposer que leurs propriétaires (créateur·ices, sujets ou détenteur·ices) n’avaient pas imaginé que ces photographies réalisées en privé sortiraient de ce cadre pour illustrer l’Histoire. Cependant, en les reliant entre elles dans une même exposition ou édition, en faisant converger leurs caractéristiques sociologiques et historiques communes plutôt que de s’attarder sur la personnalité de chaque sujet, Thomas Sauvin reconstruit un récit collectif. Les images de Beijing Silvermine ne racontent pas les personnes qu’on y voit mais la dynamique d’une époque.

À l’intérieur de l’ensemble de sa collection construite au fil des années, les images zombies font office de catalyseur : leur texture et leur grain rappellent l’époque de l’hégémonie du 35 mm et leurs blessures caractéristiques confirment cette supposition. Il n’est pas anodin que Thomas Sauvin parle d’une mine pour définir le lieu où il puise les négatifs et par extension son projet. Entourées de leur aura d’artéfacts relevant d’un monde révolu, ces productions sont susceptibles d’être conçues comme une matière brute, à la merci totale de nos regards. Parfois, on se réfère à elles comme des photographies sans auteur·e, mais ces images réutilisées d’amateur·es semblent plutôt les multiplier. Double dans une appropriation où l’état initial des photographies serait préservé, l’auteur·e est triple lorsqu’on parle d’images zombies. Ce troisième protagoniste dans la création est tout à la fois l’accident, la moisissure ou encore le temps qui modèlent à leur tour la composition. Dans ce partage de l’auctorialité, les strates temporelles se rencontrent, se mélangent ou entrent en conflit à chaque nouvelle signature sur l’image.

La démarche de Luce Lebart insiste de la même manière sur ce trouble dans la paternité créative de l’image. Historienne de l’art et responsable des collections de la Société Française de Photographie de 2011 à 2016, Luce Lebart publie un livre photographique, Mold is Beautiful, qui regroupe une vingtaine de clichés colonisés par les moisissures. Cet ensemble provient d’une même boîte de plaques de verre et d’autochromes21, découverte au hasard d’une recherche dans les archives de l’association historique. En admettant elle-même que « les moisissures sont les ennemies numéro un de l’univers de l’archive22 », elle fournit cependant un hommage aux formes oniriques et texturées que produisent les micro-organismes sur la surface du support photographique : craquelures, déchirures et boursouflures. La figure humaine est quasiment absente de la sélection de photographies, pour mieux laisser la place à de nombreux paysages. Les éléments notamment aquatiques, végétaux ou stellaires y dialoguent avec des corruptions qui s’emparent du motif général. Il n’y a d’ailleurs que ces moisissures qui soient créditées (par le titre du livre) de la création de ces images. Les opérateur·ices des photographies initiales ne sont à l’origine que d’une première étape de leur existence et non de la silhouette avec laquelle elles nous apparaissent aujourd’hui.

La Société Française de Photographie est une association dès 1854, qui permettait initialement une forme de sociabilité autour de la technique photographique et de son perfectionnement. Prenant au départ les contours d’un boys’ club bourgeois23, ses collections ont été alimentées par les productions de ses membres férus de l’optico-chimie. Les archives de la SFP se sont enrichies progressivement d’acquisitions, réalisées notamment au fil des expositions organisées, pour constituer désormais une « véritable mémoire collective24 » des progrès et des applications de la photographie. La démarche de Luce Lebart se place moins ici du côté de l’appropriation que de celle d’un agent de récolement, faisant l’inventaire de l’état de ses archives. Alors que sa fonction au sein des collections de la SFP implique de les faire perdurer dans leur état, avec Mold is Beautiful, elle fournit une preuve poétique d’accidents qui y sont survenus, dans un acte presque manifeste. En ce sens, c’est une forme d’acceptation de l’impossibilité à garder toute la mémoire photographique du monde, ou en tout cas dans sa forme strictement originelle.

Fig. 3. Luce Lebart, Mold is Beautiful, Poursuite Édition, 2015

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Le temps de l’éternité : un aveu de la fragilité matérielle de la photographie

Dans La Crise de la Culture, Hannah Arendt opère une distinction entre objets de loisir et objets culturels. Initialement paru en 1961, ce livre s’inscrit dans une époque marquée par l’arrivée de formes de culture de masse. Des penseurs tels que Theodor W. Adorno ou Guy Debord se sont démarqués en s’opposant vivement à ces évolutions médiatiques. Hannah Arendt adopte une position intermédiaire qui admet la nécessité vitale du divertissement et y oppose l’apparente vacuité (de satisfaire un besoin) de l’œuvre d’art. Outre cette nécessité vitale, un autre élément déterminant de la distinction entre ces deux types d’objets est leur relation au temps25. Selon ce postulat, l’art peut être désigné ainsi grâce à sa capacité d’outrepasser le temps limité de la vie humaine. Il s’offre à une suite de générations qui vont en faire l’expérience sans pour autant le faire s’éroder. Il ne disparaît pas après son utilisation comme le serait un croissant26.

Selon cette définition, la posture de la cinématographie ou de la photographie semble incertaine si l’on prend en considération leur instabilité matérielle. Hannah Arendt faisait-elle référence à la matière elle-même de l’objet d’art ? Ou bien cette « immortalité potentielle dans le cas de l’œuvre d’art27 » serait-elle plus souple dans sa définition ? Il faudrait pour cela admettre que la postérité d’une œuvre peut s’effectuer dans d’autres formes que sa matérialité initiale. La photographie est aujourd’hui instituée comme art et nul·le n’en douterait comme le faisait vivement Charles Baudelaire en son temps28. Les débats sur cette capacité de la discipline photographique à atteindre le rang d’art sont désormais désuets mais sont pourtant rejoués aujourd’hui dans les questions de classification que posent notamment les images vernaculaires.

Un autre point de vue énoncé dans La Crise de la Culture peut nous intéresser quant à l’étude d’images zombies, extraites de leur sépulture métaphorique que sont les archives29. Arendt pose que, pour relever de la culture, les œuvres doivent être « isolées loin de la sphère des nécessités et de la vie humaine30 ». Éric Rondepierre et Luce Lebart ont cherché leur matière de travail respectivement l’un dans une archive cinématographique et l’autre dans un fonds de conservation photographique. La « mise à distance31 » dont parle Hannah Arendt peut se retrouver dans l’acte d’archivage et de conservation préventive, dans des lieux à l’accès restreint et hors de la vue de tous·tes. L’écartement des objets photographiques de l’activité humaine leur permet de maintenir leur état initial quand les conditions optimales sont réunies. Le but est de leur faire traverser les siècles à venir. Or, le risque d’un oubli plane sur ces documents auxquels seule une minorité de personnes peut accéder. Bien que les fonds soient valorisés dans diverses formes de diffusion, l’exemple des images zombies illustre l’érosion qui se déroule silencieusement au sein de ces lieux, pourtant régis par des protocoles rigoureux. Et quand cette maladie advient, ces images sont le plus souvent exclues davantage du regard. Or, les démarches artistiques étudiées ici prennent certes acte d’une dégradation indubitablement entamée mais la contrent, au moins momentanément, par le transfert de l’image sur un nouveau support. Les images d’Éric Rondepierre, rephotographiées à l’argentique, autant que celles scannées par Thomas Sauvin ou Luce Lebart finissent tôt ou tard sous une forme numérique, qui vous permet notamment aujourd’hui de les voir dans le corps de cet article. La capacité de reproduction de la photographie est au cœur même de son identité, et, sans que le numérique ne soit la solution ultime à son accès à la postérité, le passage perpétuel d’un support à un autre semble jusqu’à aujourd’hui le moyen privilégié de la survie des images. Certains matériaux deviennent obsolètes mais les technologies évoluent, de même que les instruments de visionnage. Une image à laquelle on donnerait les moyens de naviguer entre ces contraintes se révélerait pérenne, mais peut-être en perdant l’aura de son être originel.

Mais dans ce cas, quelles images décider de garder ? À la manière de la Bibliothèque Nationale de France, filmée dans Toute la mémoire du monde par Alain Resnais (1956), qui réceptionne frénétiquement toutes les publications imprimées en France chaque jour, faudrait-il tenter de garder toute la mémoire photographique du monde ? Peut-on affirmer que seules les photographies d’art méritent la perpétuité de leur conservation ? Si la réponse à cette dernière question est négative, il convient de clarifier la place de la photographie amateure. Quand Thomas Sauvin fait échapper à la destruction totale des images que leurs créateur·ices avaient pourtant destinées à cet effet, il opère une légitimation d’un matériau sur lequel le monde de l’art a longtemps porté peu d’intérêt. Aujourd’hui, et notamment dans notre ère post-photographique, l’archive vernaculaire s’est invitée dans les institutions et c’est désormais son identité très proche des frontières artistiques qui en fait une sorte de chimère. Des initiatives spontanées de sauvegarde existent32 mais ne peuvent en aucun cas conserver toute photographie prise par chacun·e.

Une autre voie de résolution de ce dilemme est celle de l’acceptation totale du caractère périssable de la photographie. Car dès sa naissance l’aléa, l’erreur et la dégradation faisaient partie de l’expérience du médium33. Cependant, cette acceptation doit se faire sans compromis et vaines illusions d’éternité. Les images zombies sont des exemples de valorisation de ce qui est couramment négligé, invisibilisé. Elles se trouvent à un pas de côté de ce qui est attendu d’une image d’archives, à savoir une forme que l’on espère invariablement intacte. Et c’est en cela qu’il faut les montrer. Vivantes, les images zombies le sont objectivement à travers les organismes microscopiques qui réarrangent leur émulsion. Symboliquement, elles sont aussitôt réanimées dès lors qu’un regard magnanime se pose sur elles.

1 Le zombie semble être de plus en plus présent dans notre culture populaire, au point qu’il devienne un paradigme pour certain·es afin de penser la

2 Par cela, nous entendons les images issues de procédés d’enregistrement antérieurs à la technique de prise de vue numérique.

3 « La photographie ne dit pas (forcément) ce qui n’est plus, mais seulement et à coup sûr, ce qui a été ». Roland Barthes, La Chambre Claire, Paris

4 Elle se compose généralement de gélatine animale, bien que des techniques plus anciennes utilisaient de la fécule de pomme de terre ou de l'œuf.

5 Ce titre est emprunté au texte éponyme (1949) d’Emil Cioran, auteur pour le moins pessimiste. Éric Rondepierre ne dresse cependant pas de lien avec

6 « J’allais de temps en temps lui rendre visite pour suivre la marche de la maladie, constater le degré de suppuration et d’ouverture des chairs. […]

7 « Il allait peut-être falloir l’enterrer, mais comment enterrer une image ? », Ibid., p. 168.

8 « L’expression de son visage se modifia : une légère déclive de son œil, un léger accident chimique fit qu’il se mit à me regarder, à me voir alors

9 Les négatifs y sont collectés pour en extraire le nitrate d’argent qu’ils contiennent.

10 Thomas Sauvin, Paris, Éditions de la Martinière, 2022. Ce livre fait partie de la collection « Percevoir » où chaque ouvrage se compose d’un

11 Le stockage des pellicules 35 mm dans des feuillets de rangement produit généralement une intrusion des micro-organismes sur les bords de la bande.

12 François Durif, « Cran d’arrêt », in Thomas Sauvin, Paris, Éditions de la Martinière, 2022.

13 Norbert Elias en parle comme le refoulement de la mort hors du monde social, causé par notre avancement dans le processus d’individuation. Voir :

14 Roland Barthes, La Chambre Claire, Paris, Gallimard, 1980, p. 18.

15 L’intensification récente de la présence de telles pratiques au sein des écosystèmes artistiques ne signifie pas pour autant que des démarches

16 « L’abandon des continuités historiques et la réactivation des technologies du passé sont une façon de redonner vie à la photographie dans un

17 Idem, p. 13.

18 Idem.

19 Natacha Detré, Les « relecteurs d’images » : une pratique artistique contemporaine de collecte, d’association et de rediffusion d’images

20 Ibid., p. 40.

21 Les autochromes, dont le brevet a été déposé en 1903, sont l’un des premiers dispositifs de restitution photographique des couleurs en positif.

22 Texte de présentation de l’exposition Mold is Beautiful présentée en 2016 à Cosmos Arles Books.

23 Clément Chéroux, « Le jeu des amateurs, L’expert et l’usager (1880-1910) », in André Gunthert et Michel Poivert (dir.), L’Art de la photographie

24 Jean-Claude Gautraud, Le temps des pionniers, Arles, Actes Sud, 1999.

25 « Parmi les choses qu’on ne rencontre pas dans la nature mais seulement dans le monde fabriqué par l’homme, on distingue entre objets d’usage et

26 « Quoi qu’il arrive, tant que l’industrie des loisirs produit ses propres biens de consommation, nous ne pouvons pas plus lui faire reproche du

27 Ibid., p. 268.

28 Charles Baudelaire, « Le public moderne et la photographie » [1859], in Études photographiques, n°6, mai 1999 [en ligne] URL : https://journals.

29 « Non seulement elles ne sont pas consommées comme des biens de consommation, ni usées comme des objets d’usage : mais elles sont délibérément

30 Ibid., p. 267.

31 Ibid., p. 268.

32 The Anonymous Project mené par Lee Shulman a pour ambition de collecter un maximum de négatifs ou diapositives couleur amateures de la seconde

33 Peter Geimer, Images par accident, une histoire des surgissements photographiques, Dijon, Presses du Réel, 2018.

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COULOMBE Maxime, Petite philosophie du zombie, Paris, Presses universitaires de France, 2012.

DETRÉ Natacha, Les « relecteurs d’images » : une pratique artistique contemporaine de collecte, d’association et de rediffusion d’images photographiques, Christine Buignet (dir.), Toulouse, Université Toulouse le Mirail – Toulouse II, 2014.

DURIF François, « Cran d’arrêt » in Thomas Sauvin, Paris, Éditions de la Martinière, 2022.

ELIAS Norbert, La solitude des mourants [1982], Paris, Pocket, 2002.

GAUTRAUD Jean-Claude, Le temps des pionniers, Arles, Actes Sud, 1999.

GEIMER Peter, Images par accident, une histoire des surgissements photographiques, Dijon, Presses du Réel, 2018.

GUIBERT Hervé, L’image fantôme, Paris, Les Éditions de Minuit, 1981.

POIVERT Michel, Contre-culture dans la photographie contemporaine, Paris, Textuel, 2022.

Filmographie

ROMERO Georges A., La nuit des morts vivants, 1970.

RESNAIS Alain, Toute la mémoire du monde, 1956.

Notes

1 Le zombie semble être de plus en plus présent dans notre culture populaire, au point qu’il devienne un paradigme pour certain·es afin de penser la société (et ses peurs). Voir Maxime Coulombe, Petite philosophie du zombie, Paris, Presses universitaires de France, 2012.

2 Par cela, nous entendons les images issues de procédés d’enregistrement antérieurs à la technique de prise de vue numérique.

3 « La photographie ne dit pas (forcément) ce qui n’est plus, mais seulement et à coup sûr, ce qui a été ». Roland Barthes, La Chambre Claire, Paris, Gallimard, 1980, p. 133.

4 Elle se compose généralement de gélatine animale, bien que des techniques plus anciennes utilisaient de la fécule de pomme de terre ou de l'œuf.

5 Ce titre est emprunté au texte éponyme (1949) d’Emil Cioran, auteur pour le moins pessimiste. Éric Rondepierre ne dresse cependant pas de lien avec le propos du texte.

6 « J’allais de temps en temps lui rendre visite pour suivre la marche de la maladie, constater le degré de suppuration et d’ouverture des chairs. […] Son front partait en lambeaux ou se recouvrait d’écailles, sa bouche se tordait, rétrécissait, entamée de cratères et de bulbes, le trou de ses narines dévorait lentement la chair qui l’enveloppait. » Hervé Guibert, L’image fantôme, Paris, Minuit, 1981, p. 167.

7 « Il allait peut-être falloir l’enterrer, mais comment enterrer une image ? », Ibid., p. 168.

8 « L’expression de son visage se modifia : une légère déclive de son œil, un léger accident chimique fit qu’il se mit à me regarder, à me voir alors qu’il ne m’avait jamais vu. » Ibid.

9 Les négatifs y sont collectés pour en extraire le nitrate d’argent qu’ils contiennent.

10 Thomas Sauvin, Paris, Éditions de la Martinière, 2022. Ce livre fait partie de la collection « Percevoir » où chaque ouvrage se compose d’un portfolio d’un·e artiste en 70 pages. Le texte qui l’accompagne n’est pas didactique mais vient en écho du travail artistique.

11 Le stockage des pellicules 35 mm dans des feuillets de rangement produit généralement une intrusion des micro-organismes sur les bords de la bande.

12 François Durif, « Cran d’arrêt », in Thomas Sauvin, Paris, Éditions de la Martinière, 2022.

13 Norbert Elias en parle comme le refoulement de la mort hors du monde social, causé par notre avancement dans le processus d’individuation. Voir : Norbert Elias, La solitude des mourants [1982], Paris, Pocket, 2002.

14 Roland Barthes, La Chambre Claire, Paris, Gallimard, 1980, p. 18.

15 L’intensification récente de la présence de telles pratiques au sein des écosystèmes artistiques ne signifie pas pour autant que des démarches similaires n’ont pas existé avant. Le xxe siècle a aussi vu passer son lot de photographes qui expérimentaient la matière elle-même par des photogrammes (notamment Man Ray), des chimigrammes (Pierre Cordier l’invente dans les années 1960) ou des manipulations diverses du support négatif ou papier (Raoul Ubac au début du siècle ou Sigmar Polke dans les années 1970).

16 « L’abandon des continuités historiques et la réactivation des technologies du passé sont une façon de redonner vie à la photographie dans un nouveau régime, où l’image se retrouve à égalité avec le médium. » Michel Poivert, Contre-culture dans la photographie contemporaine, Paris, Textuel, 2022, p. 92.

17 Idem, p. 13.

18 Idem.

19 Natacha Detré, Les « relecteurs d’images » : une pratique artistique contemporaine de collecte, d’association et de rediffusion d’images photographiques, Christine Buignet (dir.) Toulouse, université Toulouse le Mirail - Toulouse II, 2014.

20 Ibid., p. 40.

21 Les autochromes, dont le brevet a été déposé en 1903, sont l’un des premiers dispositifs de restitution photographique des couleurs en positif.

22 Texte de présentation de l’exposition Mold is Beautiful présentée en 2016 à Cosmos Arles Books.

23 Clément Chéroux, « Le jeu des amateurs, L’expert et l’usager (1880-1910) », in André Gunthert et Michel Poivert (dir.), L’Art de la photographie des origines à nos jours, Paris, Éd. Citadelles & Mazenod, 2007, p. 262.

24 Jean-Claude Gautraud, Le temps des pionniers, Arles, Actes Sud, 1999.

25 « Parmi les choses qu’on ne rencontre pas dans la nature mais seulement dans le monde fabriqué par l’homme, on distingue entre objets d’usage et œuvres d’art : tous deux possèdent une certaine permanence qui va de la durée ordinaire à une immortalité potentielle dans le cas de l’œuvre d’art. » Hannah Arendt, La Crise de la Culture, huit exercices de pensée politique [1961], Paris, Gallimard, 1972, p. 267.

26 « Quoi qu’il arrive, tant que l’industrie des loisirs produit ses propres biens de consommation, nous ne pouvons pas plus lui faire reproche du caractère périssable de ses articles qu’à une boulangerie dont les produits doivent, pour ne pas être perdus, consommés sitôt qu’ils sont faits. » Ibid., p. 264.

27 Ibid., p. 268.

28 Charles Baudelaire, « Le public moderne et la photographie » [1859], in Études photographiques, n°6, mai 1999 [en ligne] URL : https://journals.openedition.org/etudesphotographiques/185.

29 « Non seulement elles ne sont pas consommées comme des biens de consommation, ni usées comme des objets d’usage : mais elles sont délibérément écartées des procès de consommation et d’utilisation, et isolées loin de la sphère des nécessités et de la vie humaine. Cette mise à distance peut se réaliser par une infinité de voies. Et c’est seulement quand elle est accomplie que la culture, au sens spécifique du terme, vient à l’être. » Hannah Arendt, La Crise de la Culture, huit exercices de pensée politique [1961], Paris, Gallimard, 1972, p. 268.

30 Ibid., p. 267.

31 Ibid., p. 268.

32 The Anonymous Project mené par Lee Shulman a pour ambition de collecter un maximum de négatifs ou diapositives couleur amateures de la seconde moitié du xxe siècle. Nous pouvons citer aussi le cas d’Anne Delrez qui, avec la Conserverie (Metz), recueille les albums et photos de famille ou de la collection de Jean-Marie Donat composée de près de 40 000 photographies.

33 Peter Geimer, Images par accident, une histoire des surgissements photographiques, Dijon, Presses du Réel, 2018.

Illustrations

Fig. 1. Éric Rondepierre, Répulsion, 1993-1995

Fig. 1. Éric Rondepierre, Répulsion, 1993-1995

Photographie issue de la série Précis de décomposition (1993-1995).

Fig. 2. Thomas Sauvin X Beijing Silvermine, A 9687 13

Fig. 2. Thomas Sauvin X Beijing Silvermine, A 9687 13

Fig. 3. Luce Lebart, Mold is Beautiful, Poursuite Édition, 2015

Fig. 3. Luce Lebart, Mold is Beautiful, Poursuite Édition, 2015

Citer cet article

Référence papier

Maïta Stébé, « Les images zombies, des émulsions altérées révélatrices d’une multiplicité de strates temporelles », RadaЯ, 8 | 2023, 35-50.

Référence électronique

Maïta Stébé, « Les images zombies, des émulsions altérées révélatrices d’une multiplicité de strates temporelles », RadaЯ [En ligne], 8 | 2023, mis en ligne le 10 juillet 2023, consulté le 28 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/radar/index.php?id=596

Auteur

Maïta Stébé

Diplômée en sociologie et en arts plastiques, Maïta Stébé se spécialise dans l’étude des objets photographiques au fil de son cursus. Au sein du master Critique-Essais, écritures de l’art contemporain de l’université de Strasbourg, elle a l’opportunité d’exercer sa plume dans différents registres de rédaction spécialisée (communication, médiation ou critique) ainsi que d’être commissaire d’exposition. Son mémoire-essai déploie le sujet abordé dans cet article en y ajoutant une autre analogie, celle des images cobayes. Toujours sous la forme d’émulsions altérées, ces images sont pour leur part directement modifiées et expérimentées dans leur matière par les artistes.

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