Il y aurait certainement à écrire une histoire de la construction de cet objet inédit que fut, pour le ministère de l’Éducation nationale, l’enseignement du français en direction de ce que l’on appelait un temps le public des enfants de migrants, construction marquée par une certaine instabilité des concepts en usage pour désigner l’ensemble des problématiques associées à ce domaine, et selon une chronologie1 qui est beaucoup plus ancienne qu’on ne peut le penser.
La dénomination des élèves, pour commencer, va donner lieu à de nombreuses hésitations terminologiques : enfants étrangers en 1970, enfants de migrants étrangers ou enfants étrangers non francophones, en 1973, enfants de migrants en 1976, qui deviennent en 1981 des enfants étrangers non francophones, puis des enfants étrangers nouvellement arrivés en France en 1986, pour devenir en 2002 des élèves nouvellement arrivés en France sans maîtrise suffisante de la langue française ou des apprentissages, la dénomination actuelle, en vigueur depuis 2012 devenant celle d’élèves allophones nouvellement arrivés, les mentions de migrant et d’étranger disparaissant progressivement. De même pour ce qui est de la dénomination des lieux d’accueil de ces élèves. Sont créées en 1970 les classes d’initiation et les cours de rattrapage intégré. Pour les élèves accueillis dans les collèges sont créées des classes d’accueil, et en 2012 on rassemble le tout dans des unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants ou UPE2A. Formulation complexe on en conviendra qui trouve certainement son origine dans la volonté d’éviter une scolarisation de ces élèves dans des classes spécifiques, distinctes des classes ordinaires d’apprentissage, du CP au CM2 et de la 6e à la 3e2.
Et pour faire bonne mesure, ajoutons les évolutions liées à l’objet même de l’apprentissage dans sa dimension proprement linguistique, pour passer progressivement, dans les phases initiales de la dénomination de français langue étrangère, à celle de français langue seconde, reconnue en 2000 par le ministère de l’Éducation nationale, à l’occasion de la publication de la brochure Le français langue seconde (Viala et coll., 2000), par le CNDP, dans l’ensemble des documents qui accompagnent la réforme des programmes du collège. Mais cette dénomination, qui fut si longue à être reconnue, fut très rapidement concurrencée par celle de français de scolarisation à laquelle Michèle Verdelhan-Bourgade attacha son nom, ce qui ne l’empêcha pas d’ailleurs de diriger, quelques années plus tard, en 2007, chez De Boeck, un ouvrage intitulé Le français langue seconde : un concept et des pratiques en évolution.
Considérons donc que l’objet ainsi construit, du moins dans son profil actuel, car il sera certainement appelé à évoluer, fasse du concept de français langue de scolarisation le point d’ancrage d’un domaine d’apprentissage spécifique s’adressant aux publics contemporains3, enfants allophones (sans spécification de la nationalité), considérés comme vulnérables à bien des égards. Ce n’est certes pas d’aujourd’hui que se pose la question du français langue de scolarisation, mais peut-être dispose-t-on actuellement d’outils qui peuvent mieux répondre à l’insertion de ces publics à l’intérieur de l’institution scolaire française, institution qui est tout, sauf transparente, dans son mode d’organisation particulier et dans la scénographie pédagogique qui y prend place4, une école dans laquelle les référents culturels de la réussite ne sont pas forcément ceux qui sont pertinents dans l’école d’origine de l’élève.
À quoi il convient d’ajouter la dimension plurilingue qui pendant longtemps fut certes évoquée, mais sans que l’on dispose d’outils de référence appropriés pour le professeur. Aujourd’hui cet univers paraît plus accessible, dans son principe même, comme dans ses éléments spécifiques5, et permet au professeur d’aider les élèves à entreprendre le parcours qui les conduit de leur langue d’origine au français, langue de scolarisation qui s’inscrit dans un répertoire particulier d’usages, langue « disciplinée » par référence à une norme, et par les outils que l’élève devra progressivement apprendre à maîtriser, livres de grammaires et dictionnaires.
Le FLSco combine ainsi un répertoire particulièrement complexe de compétences : découverte d’une nouvelle langue dans la spécificité de sa syntaxe et de sa morphologie, maîtrise du discours dans sa variété élaborée centrée sur la transmission/représentation des savoirs dans laquelle la place de l’écrit occupe une place particulièrement importante, et si l’on y apprend à parler, ce sera plus souvent à « parler comme un livre » plus que comme un locuteur pris dans des échanges où la réactivité de chacun l’emporte. Bref, soyons clair, un cumul de difficultés dont la gestion dans l’espace de temps imparti, fort limité en général, est loin d’aller de soi.
En même temps, se priver des ressources théoriques aujourd’hui disponibles, ne pas en explorer les mises en œuvre possibles ne serait guère raisonnable, toute la difficulté résidant dans l’équilibre délicat à respecter dans le cadre de codes scolaires, dont la dimension pour partie masquée peut troubler des publics habitués à évoluer dans des scénographies d’apprentissage différemment construites. Il y a en effet mille et une manières d’apprendre et la manière française n’est pas forcément la plus transparente, la plus aisée d’accès.