Atelier « Jeux littéraires » en FLE : une exploitation pluridimensionnelle

DOI : 10.57086/dfles.175

Résumés

L'atelier « Jeux littéraires » se propose de réinterpréter les ateliers d'écriture créative pour l’enseignement des langues, dans une approche globale de la langue-culture cible, conjuguant des apports théoriques culturels à des pratiques d'approfondissement linguistique à partir de l'expression personnelle des apprenant·e·s.

We will present our workshop « Literary games » which draws on the conceptual framework of creative writing workshops applied to foreign language teaching. Our pedagogical framework rests on a global approach encompassing language and culture in order to improve linguistic acquisition as well as intercultural development from the learners’ personal written productions.

Index

Mots-clés

écriture créative, enseigner la culture, motivation

Keywords

creative writing, teaching culture, motivation

Rubriques

Retour d’expérience

Plan

Texte

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Cadre de l'expérience

Cette expérience est menée au sein d'un institut universitaire d'apprentissage du français délivrant des diplômes universitaires de langue française des niveaux A1 à C2 selon les définitions du CECRL (Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues), à un public étranger adulte, majoritairement étudiant. L'atelier s'inscrit dans le cadre d'enseignements optionnels de type FOS (Français sur Objectif Spécifique), proposés à des apprenant.es de niveau B1 et B2. Sous cette forme, le rythme des rencontres est d'une heure hebdomadaire, sur un semestre, soit un total de onze séances d'activités et d'une douzième séance d'évaluation sommative. Cependant, certaines activités ont également été ponctuellement intégrées en cours de langue, des niveaux A1 à C2.

Réflexions préopératoires

Le sentiment à l'origine de ce projet est celui d'une double frustration : celle constatée chez les apprenant·e·s surtout débutant·e·s de devoir se limiter à des échanges basiques, triviaux, en rapport avec leurs compétences linguistiques ; celle de l'enseignant·e désirant échanger avec ses apprenant·e·s savoirs personnels et références culturelles.

Si la définition d'un Cadre a permis de rationaliser l'enseignement/apprentissage de langues, la dimension sensitive de l'être apprenant semble être restée laissée-pour-compte. En effet, partant des niveaux définis par le CECRL, nous pouvons distinguer trois stades majeurs d'évolution de l'être apprenant :

  • l’être primaire, au stade de la survie, l'expression des besoins primaires s'acquérant aux niveaux A1 et début A2 ;

  • l’être social, capable de s'insérer dans la société-cible, d'y interagir, correspondant aux acquis des niveaux A2 à B2 ;

  • l’être pensant, pouvant réceptionner et produire un discours réfléchi, élaboré.

Dans ce rapport à la langue éminemment pragmatique, où place-t-on l'être sensitif ? Et par extension, le plaisir hédonique à la langue ?

Il en est de même du mode d'intégration de la culture dans l'enseignement/apprentissage d'une langue. Bien que la plupart des manuels utilisés en classe de langue intègrent des rubriques d'ouverture culturelle, celle-ci est généralement orientée vers la langue-culture cible, en mode instructif plutôt qu'inspirant. Les éventuelles activités proposées seront de type « faire comme ». Quant à la culture d'origine des apprenants, elle n'est envisagée que comme dialogue interculturel dans le groupe apprenant, et non comme constituant d'une sensitivité individuelle. De même, les activités à valeur artistique ou culturelle sont généralement prétextes à une pratique communicationnelle de groupe, très rarement à l'expression de sentiments individuels.

Force est de constater que la réflexion didactique du siècle dernier a effectivement permis de porter l'apprenant·e au centre de l'apprentissage, mais uniquement dans son statut d'apprenant·e dans lequel la projection de l'être sensitif n'a pas de réelle place. Si, dès l'immédiat après-guerre, Célestin Freinet avait posé et exploité en enseignement/apprentissage de langue maternelle l'intérêt motivationnel et pédagogique de la création littéraire personnelle, son champ d'application restait très pragmatique et social : création de journal, correspondance, … Ce type de productions de communication sociale sera naturellement repris dans une approche communicative de la didactique des langues.

Parallèlement, la libération publique de l'écriture, grâce notamment et peut-être paradoxalement à l'élaboration de contraintes par les théoriciens de l'OUvroir de LIttérature Potentielle, se concrétisera dans les années soixante-dix par le succès des ateliers d'écriture. Entre introspection du mécanisme créatif et régulation collective, la formule ne propose pas davantage d'expression de l'intime.

Si l'expression individuelle, dans ses dimensions culturelle et intime, semble donc être un terrain vierge à exploiter pour l'enseignant·e, il ne s'agirait pas pour autant d'en occulter les objectifs langagiers de l'enseignement/apprentissage des langues, si justement posés par le Cadre. Se pose d'emblée la nécessité d'appréhender ce terrain selon une approche complexe et globale.

Élaboration de l'atelier « Jeux littéraires »

La dénomination de « Jeux littéraires » n'est pas anodine en ce qu'elle se réfère à la notion de littérature autant que de pratique et de plaisir, et en ce qu'elle se différencie des ateliers d'écriture traditionnels.

L'atelier se veut une proposition globale, touchant à la fois : l'Histoire de l'Art et de la Littérature en tant que disciplines de spécialisation et/ou référentiels culturels, l'approfondissement lexico-grammatical de la langue au travers des activités ciblées d'écriture collectives et individuelles, des notions de stylistique conviées aux besoins créatifs des apprenant.es.

Cette démarche globale se concrétise par des va-et-vient constants entre ces pôles, dans le but d'activer régulièrement les types de motivation différents chez les apprenant.es et donc de garder une dynamique au sein du groupe. Voici pour exemple le calendrier de l'option Jeux littéraires niveau B2 menée durant le premier semestre 2019/2020 à l'IIEF (Institut International d'Études Françaises, à l'Université de Strasbourg) :

Séance Apports théoriques Travaux Modalités
1 Créations littéraire et plastique au XXème siècle Mot illustré Individuel / hors classe
2 L'écriture visuelle : le calligramme Calligramme Individuel / hors classe
3 Typographie et Art : le dadaïsme    
4   Centon En groupe / en classe
5 Écriture et inconscient : le surréalisme Cadavre exquis En groupe / en classe
6 Acrostiches et holorimes Acrostiche Individuel / hors classe
7 Théâtre de l'absurde et pataphysique    
8 Écriture à contraintes : l'Oulipo Logo-rallye En groupe / en classe
9   Logo ...corrigé En groupe / en classe
10 … contraintes : lipogramme et monovocalisme Méthode S+7 En groupe / en classe
11 Le nouveau roman S+7 corrigé En groupe / en classe
12 Contrôle de connaissances + distribution d'un recueil des œuvres du groupe

La configuration du groupe-classe entraînera certaines adaptations.

Un petit nombre de participant·e·s permettra de privilégier des travaux individuels, des corrections en binôme, la lecture partagée des œuvres (basée toujours sur le volontariat) et l'élaboration collective d'un recueil global des productions. Avec un groupe plus important (l'atelier donné en exemple ci-dessus a été mené avec plus de 40 inscrit·e·s), les travaux collectifs seront naturellement privilégiés lors de la séance, les écritures individuelles relayées à des temps hors-classe avec des délais de dépôt et de retour de l'enseignant·e, qui devient de surcroît maître d'œuvre d'un recueil anthologique final.

Le tableau ci-dessus n'indique pas par ailleurs les temps nécessaires de retour des travaux et de corrections avant publication. Selon le nombre de participant·e·s et les outils technologiques disponibles, ces retours et corrections pourront être faits en classe, par messagerie, ou via une plateforme de dépôt de travaux type Moodle.

De même, selon les moyens technologiques et budgétaires de l'institution, mais aussi l'aisance de l'enseignant·e avec les outils, le recueil final pourra donner lieu à une version papier ou en ligne. Si une version en ligne limite les dépenses financières, écologiques et organisationnelles de la publication, le plaisir de l'objet-trophée et témoignage du travail accompli n'est pas à mésestimer.

Réflexions postopératoires

La démarche se veut très flexible et à même de répondre à des motivations variées. Cependant elle se prête particulièrement à un public universitaire, dont l'intérêt pour la langue-culture cible sera avant tout culturel voire disciplinaire. En effet, une bonne part des étudiant.es préparant le niveau B2 en FLE (Français Langue Étrangère) projette une entrée en université française et s'intéresse de fait aux enseignements optionnels de spécialité qui permettent d'appréhender la terminologie propre aux disciplines potentiellement convoitées. L'option « Jeux littéraires » touche particulièrement les domaines de la Littérature, des Arts et de la Linguistique.

Travailler le domaine de spécialité de l'apprenant·e s'interprète aussi comme une prise en compte du plaisir dans l'apprentissage, dans la limite où cette spécialité correspond à un choix personnel et désintéressé.

Nous pouvons étendre cette dernière remarque à tout apprenant·e volontaire de langue. Les activités intégrées à l'option « Jeux littéraires » permettent un travail approfondi sur la langue-même, que ce soit à un niveau lexical, grammatical, comme syntaxique. Les exercices à contraintes par exemple, comme le logo-rallye où il s'agit de produire un texte à partir de mots imposés, exercent efficacement la correction linguistique … tout en préservant la personnalité de la production. Il n'est pas question d'imiter selon le principe d'exercices structuraux, mais de formuler selon une approche communicative de l'enseignement/apprentissage de langue, puis de « faire » dans une démarche actionnelle. Le recueil final des productions revêt ici une importance majeure, en ce qu'il matérialise la performance, la réussite, à un double-niveau : linguistique mais aussi créatif. D'ailleurs, l'opiniâtreté des étudiant.e.s dans la correction et la finalisation de leurs productions dès lors qu'une publication est garantie est révélatrice de cette force motivationnelle relatée par Soulaf Hassan (2016) :

L’atelier d’écriture créative leur fait pratiquer la fonction du langage que le linguiste Roman Jakobson nomme « poétique », et où la forme du texte devient l’essentiel du message. Cette fonction est peu utilisée en classe où l’enseignement se concentre le plus souvent sur une langue utile, fonctionnelle et efficace. C’est pourtant un élément essentiel de l’apprentissage : le plaisir pris par les apprenants est une source de motivation incomparable (p.96).

Hors des considérations pragmatiques et utilitaristes, un atelier d'écriture créative reste avant tout un espace d'expression personnelle. Or l'expression d'une émotion individuelle ne nécessite pas forcément un grand développement d'outils linguistiques, elle peut se faire par des biais non-verbaux : photographie, dessin, mime, …. Si l'on s'éloigne en un premier temps de l'enseignement/apprentissage de la langue, c'est souvent pour y revenir avec plus de force. De fait, notre démarche n'exclut pas les niveaux de langue débutants, comme nous pourrons le constater à travers deux expériences.

Tout d'abord, avec un groupe multiculturel de niveau A0 vers le A1, nous étions partis de la notion « se situer dans l'espace » pour élaborer une carte sentimentale collective de la ville : chaque apprenant·e devait proposer la photographie de son lieu préféré, légendée d'un texte libre de forme et de longueur. Le rendu final a largement dépassé la demande initiale, les apprenant.es s'étant tous appliqués à partager leurs ressentis avec le groupe.

Enfin, le premier contact avec un groupe de réfugiés primo-arrivants s'était établi par le partage, via internet et le Tableau Blanc Interactif (TBI), d'œuvres artistiques qui nous étaient chères. Si la séance avait certes permis un (peu d') enrichissement lexical, son véritable intérêt a résidé dans le sentiment de reconnaissance mutuelle et la cohésion de groupe qu'elle a provoqués, cohésion nécessaire à la mise en place d'activités ultérieures.

Pour conclure

Qu'il s'agisse d'enseignement semestriel ou d'activité ponctuelle, de rendus spontanés ou de publications matérielles, les domaines de la littérature créative et de la stylistique offrent de par leur richesse de grandes possibilités de modularité selon les besoins, capacités et envies des apprenant·e·s.

La démarche connaît cependant des limites. Sa réception par les apprenant·e·s n'est pas assurée : autant pour des raisons personnelles que culturelles, « se mettre en mot » peut susciter des réactions très variables : de méfiance, de peur, de rejet, …. Si les réticences sont exprimées, elles se contourneront aisément en insistant sur la liberté de l'auteur·e de traiter de sujets non-personnels.

L'enseignant·e est confronté·e à des difficultés plus infrangibles. En premier lieu, et comme tout travail personnalisé, la démarche implique un fort investissement de temps en termes de préparations, relectures, corrections, retours, mises en forme. Qui plus est, si un rendu collectif est envisagé, la qualité de ce rendu sera liée aux compétences disponibles au sein du groupe de travail, avec le risque que l'enseignant·e ait totalement à prendre en charge la phase finale très chronophage de mise en forme.

En second lieu se pose l'épineuse question de la notation : peut-on évaluer le degré d'expression personnelle? Faut-il uniquement évaluer la participation ? Comment intégrer ces travaux dans les grilles universitaires de validation de savoirs ?

Bibliographie

Hassan, S. (2016). La pratique des ateliers d’écriture créative en classe de FLE comme formation à la compétence linguistique, interculturelle et esthétique : le texte littéraire au sein du projet didactique [Thèse de doctorat, Université Côte d’Azur].

Conseil de l'Europe (2001). Cadre Européen Commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer. Conseil de l'Europe, Strasbourg, Division des langues vivantes.

Annexe

Quelques travaux étudiants

1re de couverture du livret, option B1 « Jeux littéraires », mai 2016

Calligramme, option B2 « Jeux littéraires », mai 2017

Logo-rallye, option B1 « Jeux littéraires », mai 2016

Acrostiche, option B2 « Jeux littéraires », décembre 2019

Citer cet article

Référence électronique

Valérie Metz, « Atelier « Jeux littéraires » en FLE : une exploitation pluridimensionnelle », Didactique du FLES [En ligne], 1:2 | 2020, mis en ligne le 01 novembre 2020, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/dfles/index.php?id=175

Auteur

Valérie Metz

Après un master en Didactique des langues et multimédia, Valérie Metz enseigne le Français Langue Étrangère à l’Institut international d’études françaises de l’université de Strasbourg. En sa qualité de guide-conférencière, elle y prend également en charge divers enseignements optionnels dans les domaines de l'histoire régionale, l'histoire de l'art, l'histoire de la littérature, ainsi que des ateliers d'écriture.
Elle intervient également dans des enseignements d'ouverture de licence, en didactique des langues et multimédia, à l’université de Strasbourg.

Droits d'auteur

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