Introduction
Le présent article est le fruit de nos travaux de recherches associés à notre expérience de terrain de plus de 10 ans précisément dans l’enseignement de l’écrit en langue française auprès d’apprenants adultes allophones de niveau C1 défini par le Cadre européen commun de référence pour les Langues (désormais CECRL) (Conseil de l’Europe, 2001). Les cours que nous avons pris en charge visaient la préparation au diplôme approfondi langue française (désormais DALF) mais également le perfectionnement de l’écrit argumenté. Ces cours, en rythme intensif ou extensif, se sont déroulés en université ainsi qu’en centre de langue universitaire tels que les cours de civilisation française de la Sorbonne. Nous avons pu faire le constat des difficultés récurrentes rencontrées par les apprenants lorsqu’il s’agit de s’approprier les normes d’écriture du texte argumenté, notamment en vue de la préparation de l’examen du DALF pour le niveau C1. Nous posons que ces écueils sont liés à une différence de cultures linguistiques, en particulier d’une culture textuelle.
Nous nous intéressons à l’écrit argumenté ou essai argumenté car il présente la particularité depuis les années 2000 d’être un écrit emblématique du DALF C1. Il permet en effet de s’initier et de se familiariser à la rédaction de la dissertation, un écrit académique souvent exigé en France, notamment dans les universités de lettres, sciences humaines et sociales. À ceci s’ajoute l’offre éditoriale réduite de manuels fournissant aux apprenants des stratégies d’apprentissage de l’écrit argumenté au niveau C1. Nos recherches s’inscrivent ainsi dans un ensemble de réflexions portant autant sur la place de l’argumentation en didactique du français langue étrangère (désormais FLE) (Claudel & Doury, 2018 ; Hamez, 2014) que sur la didactique de l’écrit argumenté pour des publics d’apprenants allophones (Hidden, 2013). Dans ce cadre théorique, nous choisissons de resserrer nos réflexions sur le niveau C1 et les enjeux qui en découlent en termes de structuration textuelle, de morphosyntaxe et de lexique mais également de rhétorique contrastive (Kaplan, 1966).
La question est de savoir s’il est possible de modéliser une méthode d’apprentissage qui serait transversale à la diversité des cultures linguistiques des apprenants. Nous appuyons nos travaux sur l’analyse comparée d’un corpus de quatre manuels de FLE préparant au DALF C1. Au regard de l’analyse des résultats, nous apportons notre propre modélisation de méthode qui permettrait de faciliter chez les apprenants l’appropriation de l’écrit argumenté attendu au niveau C1.
Nous proposons ainsi, dans un premier temps, de rappeler les notions en jeu qui se croisent dans ce type de réflexion. Nous évoquons, dans un second temps, les spécificités de l’écrit argumenté, le protocole d’analyse du corpus ainsi que les stratégies proposées par les manuels. Dans un dernier temps, nous apportons les détails et principes de notre modélisation de méthode.
1. Les notions en jeu
Aborder les questions liées à la didactique de l’écrit argumenté en tenant de compte de diversités culturelles dans la conception et dans la production de ce type d’écrit revient à s’appuyer sur différentes notions qui s’entrecroisent. Notre analyse s’appuie sur un cadre théorique qui vient convoquer en premier lieu la notion de littératie, en évitant cependant d’entrer dans les débats définitoires à propos des littératies (Chiss, 2012 ; Molinié & Moore, 2012), ainsi que les théories sur les processus d’écriture et ses étapes. En second lieu, concernant les dimensions culturelles, notre analyse suppose la prise en compte de la notion de culture linguistique (Beacco & coll., 2005 ; Djiecheu 2011 et 2018) dont la culture textuelle constitue l’une des composantes, dans la mesure où nous nous intéressons aux représentations et usages de la langue. En dernier lieu, cette dimension culturelle vient s’adjoindre à des considérations didactiques et nous invite à appuyer notre réflexion sur les notions de culture éducative et didactique mais également sur la notion de stratégie d’apprentissage (O’Malley & Chamot, 1990).
1.1. Littératie et processus d’écriture
Dans le cadre de nos analyses et réflexions, la notion de littératie apparaît comme indispensable dans la mesure où nous nous intéressons en particulier à l’accès à l’écriture, plus précisément, l’écriture à visée argumentative et ses ressorts et obstacles potentiels dans sa mise en œuvre. Dans la littérature scientifique, la notion de littératie a été sujette à des acceptions diversifiées depuis notamment les travaux anthropologiques et ethnologiques de Goody (2007). Pour notre étude, nous resserrons en l’occurrence le cadrage définitoire de cette notion en l’associant à l’étude des « modalités d’appropriation de l’écrit, des fonctions assignées à son emploi dans des systèmes sociaux différents » (Cuq, 2003, p. 158).
De manière générale, l’accès à toute production écrite comporte son lot de complexité. Elle implique pour le scripteur de mobiliser simultanément des connaissances et compétences s’inscrivant dans différentes strates telles que :
- la gestion globale du texte et des paragraphes en termes de clarté et de cohérence du propos ;
- l’usage de connecteurs logiques ;
- la structure des phrases ;
- le choix des modes et des temps verbaux ;
- la conjugaison des verbes ;
- l’orthographe lexicale et grammaticale ;
- le registre de langue et l’adaptation du lexique au contexte de communication cible ;
- le genre des noms.
Ceci conduit à explorer les ressorts du processus d’écriture. Les théories autour de ce processus permettent de nourrir notre réflexion car les stratégies qui sont mises en œuvre par l’apprenant traversent ces différentes étapes. Les théories concernant les modèles explicatifs du processus de production de texte ont été explorées dès les années 60 notamment par Rohmer (1965) puis Hayes et Flower (1980). Il en ressort trois grandes étapes (Fayol, 1997) : la préécriture, l’écriture et la réécriture qui correspondent respectivement à une phase de planification, de mise en texte et de révision. Ces composantes ne sont pas à envisager comme des étapes purement successives et mais suivant un constant va-et-vient au cours du processus rédactionnel.
1.2. Culture linguistique et rhétorique contrastive
Lorsque l’on envisage le processus d’écriture en tenant compte des dimensions culturelles, la notion de culture linguistique s’avère opératoire. Dans le cadre de nos travaux sur les dimensions culturelles de l’enseignement et de l’apprentissage d’une langue, nous en avons proposé une définition très détaillée (Djiecheu, 2011 et 2018) en en rappelant les composantes. La culture linguistique renvoie aux différentes représentations et usages d’une langue, d’une aire culturelle à l’autre. Elle peut être appréhendée sous deux angles : celui des cultures métalinguistiques et celui des cultures discursives, dont font partie les cultures textuelles. Les cultures métalinguistiques se fondent sur des savoirs métalinguistiques et désignent les manières culturelles de concevoir la description d’une langue. Les cultures discursives renvoient aux usages ou pratiques de la langue maternelle toujours d’un point de vue culturel (Djiecheu, 2011 et 2018). Dans cette perspective, on considère que les régularités dans la communication varient d’une communauté discursive à l’autre. Les cultures textuelles désignent ainsi les représentations et usages culturellement marqués lorsqu’il s’agit de structurer un écrit.
Dès lors, les théories autour de la rhétorique contrastive proposées par Kaplan (1966) entrent également en jeu dans la mesure où nos travaux nous conduisent à envisager les disparités dans les normes et schémas textuels d’une culture linguistique à l’autre. Les travaux de Kaplan démontrent que la variation n’est pas uniquement liée au niveau de la phrase mais davantage d’ordre rhétorique. En ce sens, les schémas de pensée forgés par l’usage de la langue maternelle viennent se confronter à d’autres usages et normes d’écritures qui ont cours dans d’autres cultures linguistiques. L’ensemble de ce cadre théorique permet de poser une grille d’analyse dans des travaux tels que les nôtres portant sur les difficultés auxquelles sont confrontés les apprenants allophones lorsqu’ils sont amenés à rédiger, parmi les différentes formes de textes, une argumentation qui peut prendre la forme d’un essai argumenté telle que celle attendue dans les examens du DALF. Hidden (2013, p. 42-43) rappelle les exemples de conventions rhétoriques propres à la France qui peuvent représenter des obstacles tels que : le caractère peu spontané et peu personnel des textes, l’importance accordée au plan de texte ou encore des enchaînements souvent explicites dans un souhait manifeste de guider le lecteur. Dans une perspective praxéologique, à l’instar d’autres travaux sur l’argumentation (Gautier, 2019 ; Claudel & Doury, 2018), nos travaux de recherches conduisent à une proposition de solution pour aider à appréhender l’écrit argumenté.
1.3. Culture éducative et stratégie d’apprentissage
Dans la perspective de recherche que nous adoptons, les réflexions autour de la rhétorique contrastive croisent des considérations éducatives et didactiques. Il s’agit en l’occurrence de réfléchir à la transmission auprès d’apprenants allophones de ces normes d’écriture culturellement diversifiées. Les stratégies d’apprentissage peuvent refléter des manières de faire culturellement marquées. Elles convoquent la notion de culture éducative, mais également de culture didactique. Elles peuvent également venir se confronter à d’autres habitus ou répertoires didactiques dont sont empreints les apprenants allophones.
À ce titre, dans la suite des travaux de Beacco et coll. (2005), nous avons également proposé une définition la plus exhaustive possible de ces deux notions de culture éducative et culture didactique (Djiecheu, 2011). Ainsi, le concept de culture éducative renvoie à un ensemble de représentations et de manières de faire relatif à l’acte de transmission et d’appropriation de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être au sein d’une société donnée. La culture didactique est en étroite relation avec une culture éducative de référence. Ainsi, une culture didactique, désigne l’ensemble des principes théoriques et manières, d’une part, d’enseigner, de former et, d’autre part, de s’approprier les savoirs liés aux disciplines d’enseignement au sein d’une société donnée. Elle est associée à la culture éducative en termes de finalités de la méthodologie d’enseignement de référence et des relations pédagogiques au sein de la classe tout en étant caractérisée par des principes spécifiques de structuration des apprentissages. L’enseignant de langue forge son répertoire didactique à partir d’une culture didactique dont il est imprégné et qui lui sert de modèle auxquels s’adjoignent des choix personnels. L’ensemble de ce répertoire didactique de l’enseignant, composé de stratégies d’apprentissage, se construit notamment au gré de son expérience d’apprenant et d’enseignant en formation initiale (Beacco & coll., 2005).
2. Méthode d’apprentissage de l’écrit argumenté dans les manuels
Lorsque des apprenants allophones de niveaux C1 souhaitent s’approprier des stratégies pour maitriser l’écrit argumenté, force est de constater que l’offre éditoriale française spécifiquement à destination de ce public est réduite. Les manuels axés principalement sur la rédaction d’une argumentation s’inscrivent dans un ensemble d’exercices visant la préparation aux épreuves du DALF C1 qui contiennent, entre autres épreuves, la rédaction d’un essai argumenté. Ce dernier peut prendre des formes diversifiées telles qu’un courrier formel ou informel, un « article » – dont les contours définitoires sont peu précis dans le descriptif de l’organisme France Éducation International délivrant le diplôme1 – ou un « message » déposé sur un forum en ligne. L’analyse que nous avons portée sur notre corpus de manuels s’oriente essentiellement sur les stratégies que les auteurs proposent aux apprenants et qui sont transversales à ces différentes formes d’argumentation écrite.
2.1. Présentation du corpus et du protocole de l’analyse
Le corpus que nous avons constitué se compose de 4 manuels d’édition française intitulés : Réussir le DALF (2007), ABC DALF (2014), DALF 100 % réussite (2017) et Préparer le DALF (2018). Ce sont les seuls manuels disponibles sur le marché et clairement orientés sur l’argumentation au niveau C1. Ils ont pour vocation d’être utilisés soit en classe de langue par l’enseignant avec ses apprenants, soit en autonomie par les apprenants candidats au DALF C1. Dans l’ensemble, ils comportent tous des consignes méthodologiques liées aux modalités des différentes épreuves de l’examen, concernant le type de travaux à réaliser et les critères d’évaluation. Nous avons mis de côté les éléments qui concernent l’épreuve en tant que telle. Notre analyse comparée s’est principalement concentrée sur l’ensemble des consignes et exercices, nous permettant de caractériser la structuration des stratégies proposées aux apprenants et de faire émerger les convergences et les divergences. De manière prévisible et pour des raisons de choix éditoriaux et pédagogiques, les formats peuvent être très disparates d’un manuel à l’autre, de même que l’équilibre entre les explications sur les normes liées à l’écrit argumenté et les consignes des exercices à proprement parler. Au-delà de ces disparités, le principe de notre analyse est de faire émerger la ligne directrice sous-jacente de chacun de ces manuels et de les soumettre par la suite à une comparaison.
Nous avons ainsi principalement fondé notre comparaison sur l’agencement et la progression des exercices proposés aux apprenants. Nous avons tenu compte des étapes proposées par Flower et Hayes (1980) dans le processus d’écriture à savoir :
- la planification ;
- la mise en texte ;
- la révision.
Ils nous ont servi en partie de grille d’analyse du mode de progression et du type d’exercices proposés par chacun des manuels. Nous avons également observé :
- la longueur et la clarté des consignes ;
- le degré d’autonomie qui est octroyé aux apprenants face à l’appropriation des stratégies ;
- la prise en compte de l’interculturel et de la diversité des cultures linguistiques des apprenants.
La longueur des consignes tout particulièrement d’un manuel à l’autre donne plus ou moins de clés et de précisions sur la manière dont les auteurs présentent aux apprenants les normes qui régissent la structuration d’un essai argumenté.
2.2. Résultats de l’analyse comparée
Les auteurs des manuels ont opté pour des formats diversifiés dans les étapes des activités d’apprentissage. Ils proposent tous une première grande phase, rappelant les principes généraux de la structuration d’un essai argumenté, puis une seconde grande phase conduisant progressivement à la rédaction complète d’un essai argumenté. Elles correspondent dans l’ensemble à la phase de planification et de mise en texte. Les démarches adoptées caractérisant ainsi les stratégies pédagogiques choisies par les auteurs, prennent des formes variées.
Ces démarches peuvent être déductives comme dans le manuel ABC DALF où, en premier lieu, sont exposées de manière très brève les normes d’écriture de l’essai argumenté qui sont centrées sur la présence impérative d’une introduction, d’un développement et d’une conclusion, accompagnées du descriptif du contenu de chacune. Nulle mention n’est faite des arguments et des exemples attendus dans le développement d’un essai argumenté. Dans cette phase préparatoire intitulée « A comme… aborder la production écrite », l’apprenant est ainsi peu aiguillé et dispose d’une importante autonomie. Dans la partie suivante intitulée « B comme… brancher », il est invité à rédiger un essai complet sans étape intermédiaire d’un point de vue didactique. Comparé aux autres manuels, c’est cependant le seul qui prévoit explicitement une partie intitulée « C… comme contrôler la production écrite » dédiée à la révision de l’essai argumenté rédigé. Dans le manuel Réussir le DALF la démarche, est également déductive, mais caractérisée à l’inverse par de longues explications sur la manière de forger un plan et d’organiser une introduction, un développement et une conclusion. Elle s’appuie également sur des modèles d’essais argumentés intégralement ou partiellement rédigés, accompagnés d’un plan détaillé.
Dans le manuel Préparer le DALF, la démarche est semi-déductive. Les normes qui régissent la rédaction d’un essai argumenté sont présentées de manière très succincte dans une « boite à outils ». Dans cette phase préparatoire de planification, s’ensuit un ensemble d’exercices sous forme de questions invitant les apprenants à réfléchir par exemple à la manière de rédiger une introduction et une conclusion ou encore de rassembler le lexique qui sera nécessaire pour la phase de mise en texte. Le Manuel DALF 100 % réussite s’appuie sur le même type de démarche. La découverte des normes propres à l’essai argumenté à savoir le thème, la problématique, le plan, ses différentes parties et les arguments peut s’effectuer sous forme de tableau à remplir ou de questions en s’appuyant sur un modèle de rédaction complète. Les questions visant à placer l’apprenant dans une posture réflexive peuvent être les suivantes :
« Les paragraphes (introduction, développement, conclusion) sont-ils bien respectés et séparés ? L’introduction expose-t-elle clairement la problématique ? Quel est le plan proposé en introduction ? Le plan proposé en introduction correspond-il aux idées du développement ? Les idées sont-elles bien articulées entre elles par des connecteurs ? » (DALF 100 % réussite, p. 98)
Toujours dans cette démarche semi-déductive, les activités axées sur la rédaction d’une introduction, d’un développement et d’une conclusion, peuvent débuter par une indication des normes et s’appuyer sur ces modèles rédigés, comme suit :
Activité 16. En quelques lignes, l’introduction doit définir le sujet, la problématique et annoncer le plan. Lisez les deux introductions suivantes. Trouvez le thème, la problématique et le plan. (DALF 100 % réussite, p. 100)
Activité 18. Le développement est le corps de votre texte et la partie la plus longue de votre réflexion. Il se compose de 2 ou 3 paragraphes, chacun correspondant à une idée essentielle. Chaque idée est accompagnée d’un ou plusieurs arguments et illustrées d’exemples. À partir du sujet de l’activité 17 (DALF 100 % réussite, p. 100) […] rédigez un développement.
Activité 19. La conclusion est le bilan de votre argumentation en 4-5 lignes. Elle se compose de deux parties : une synthèse du développement (attention à ne pas répéter les idées déjà développées) ; une ouverture sur une nouvelle piste de réflexion. » (DALF 100 % réussite, p. 100-101)
Ces aspects de l’argumentation peuvent être les plus difficiles à appréhender pour des apprenants dont la culturelle textuelle est potentiellement éloignée en termes de rhétorique contrastive, en particulier concernant le principe même d’une problématique et de sa formulation claire et en cohérence avec le développement ou encore concernant les principes d’une introduction ou d’une conclusion. Une démarche déductive, s’appuyant sur des normes et une reproduction de modèle d’écrit argumenté, explicite d’emblée les principes de l’essai argumenté propre à la culture textuelle française. Une démarche se voulant semi-réflexive place l’apprenant dans une posture réflexive qui le conduit à identifier par lui-même les écueils liés aux différences de cultures textuelles.
Au-delà des démarches pédagogiques, l’analyse comparée des stratégies adoptées dans ces manuels indique d’autres convergences et disparités. Concernant les points de convergences, l’ensemble des manuels présentent :
- une première phase portant sur l’identification des principes généraux de l’essai argumenté ;
- une seconde phase axée sur la familiarisation avec le plan d’une argumentation associé aux principes du thème, du sujet, de la problématique, des arguments et des exemples ;
- une troisième phase de rédaction partielle puis complète en autonomie.
Cependant, lorsque nous observons dans le détail les étapes et les types d’exercices proposés, il apparait que chacun des manuels ne met pas l’accent au même degré sur les différents aspects de la rédaction d’un essai argumenté. Le manuel Réussir le DALF place au cœur de ses stratégies d’apprentissage le travail du plan détaillé et de la rédaction à partir d’un modèle de plan détaillé partiel et intégral. Dans ABC DALF, c’est la mise en pratique immédiate de consignes de rédaction et une capacité d’autonomie de l’apprenant dans la révision de sa rédaction qui est mise en avant. Dans DALF 100 % réussite, les activités accordent une part importante à la recherche d’informations et au questionnement pour permettre aux apprenants de maitriser les fondamentaux de l’essai argumenté. Le manuel Préparer le DALF insiste davantage dans les exercices proposés sur l’analyse et la recherche d’informations de la part des apprenants, associées à un travail détaillé sur la manière de forger un plan détaillé. Le tableau (Tableau 1) propose une vision synthétique de la dynamique des exercices et étapes des différents manuels.
Tableau 1 : Synthèse des étapes d’apprentissage dans les manuels
Réussir le DALF |
ABC DALF |
DALF 100 % réussite |
Préparer le DALF |
Principes généraux de l’essai argumenté |
Principes généraux de l’essai argumenté |
Exercices sur : thème, sujet, problèmatique |
Principes généraux de l’essai argumenté |
Modèle de rédaction à lire |
Rédaction à partir des consignes |
Analyse d’un modèle de rédaction |
Exercices sur : thème, sujet, arguments, exemples |
Modèle de plan partiel à terminer |
Rédaction complète en autonomie |
Rédaction des parties de l’essai |
Rédaction des parties de l’essai |
Modèle de plan intégral avant rédaction |
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Rédaction complète |
Rédaction complète |
Rédaction complète de sujets aux choix |
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Ces manuels ne sont pas uniquement axés sur l’apprentissage de l’écrit argumenté mais vise la préparation complète d’un examen de langue française, comprenant d’autres épreuves. Ces contraintes éditoriales, ajoutées au double usage possible du manuel – soit en autonomie, soit en classe avec l’enseignant – expliquent en partie l’aspect lacunaire et le manque d’approfondissement des démarches et stratégies pédagogiques que nous avons pu observer. S’approprier pleinement les principes de l’écrit argumenté à un niveau C1 est peu aisé pour des apprenants qui sont imprégnés d’une tout autre culture linguistique et textuelle. À partir de notre expérience, nous avons pu observer que les apprenants allophones rencontrent très souvent des difficultés qui peuvent s’expliquer par des facteurs culturels mêlés à d’autres facteurs d’ordre individuel. Ces écueils concernent :
- le repérage et la distinction entre un thème et un sujet ;
- la formulation claire d’une problématique sous forme d’interrogation totale ;
- la réponse à une problématique qui se déploie tout au long du développement ;
- la distinction entre des arguments et des exemples ainsi que la variété des tournures de phrases et du lexique.
Ceci demande la prise en compte d’aspects purement méthodologiques – liés à la structuration d’un plan, à la gestion des paragraphes – mêlés à des aspects métalinguistiques et linguistiques – en termes de morphosyntaxe, de variété, de clarté et de cohérence du lexique usité. À ceci s’ajoutent les aspects liés à leur culture éducative et didactique respective et à la manière choisie par l’enseignant pour leur permettre de s’approprier des stratégies d’écriture, concernant notamment le degré d’autonomie de l’apprenant face à l’apprentissage de l’écrit argumenté qui pourrait ne pas correspondre à son répertoire didactique.
Il manque ainsi dans ces manuels : une plus grande schématisation des informations vis-à-vis de la gestion des paragraphes, des phrases et du lexique ; des exercices plus approfondis sur le repérage et la formulation du bloc « Thème-Sujet-Problématique », sur les connecteurs logiques, sur la rédaction de l’introduction, du développement et de la conclusion d’un écrit argumenté. Certes, le manuel n’est pas l’unique ressource utilisée par l’enseignant dans le cadre d’un parcours didactique mais il a le mérite de faire émerger des lignes directrices concernant les stratégies d’apprentissage. Parmi les éléments saillants de la méthode d’apprentissage de l’écrit argumenté, il nous semble que certains d’entre eux peuvent être étoffés et complétés, tant au niveau de la progression générale des activités didactiques que de leur contenu. Ces éléments renvoient au principe d’un apprentissage par étape des différentes composantes de l’écrit argumenté, à la place donnée au modèle de rédaction, au travail de la langue – connecteurs, tournures de phrase et lexique varié et idoine – mais également à la posture semi-réflexive de l’apprenant. La méthode que nous avons pu ainsi modéliser croisent en partie ces éléments qui émergent dans ces manuels. En les associant à nos propres propositions, nous pouvons à terme fournir aux enseignants des pistes pour un parcours didactique étoffé, pleinement axé sur l’écrit argumenté et transversal vis-à-vis de la diversité des cultures éducatives et linguistiques.
3. Proposition de méthode
La méthode d’apprentissage que nous proposons vise à fournir des outils permettant à l’enseignant de structurer un parcours d’apprentissage étoffé de l’écrit argumenté pour des apprenants de niveau C1. Il prend en compte plusieurs dimensions qui s’entrecroisent. Elles concernent :
- la structuration des étapes d’apprentissage ;
- la formulation du métalangage ;
- les différentes strates d’un écrit argumenté ;
- l’appropriation du modèle d’écrit par étape ;
- la variété et l’adaptation des tournures de phrases et du lexique.
Ces éléments et activités didactiques potentielles s’inscrivent dans 5 grandes phases que nous avons délimitées et qui s’inspirent en partie du modèle de Flower et Hayes (1980).
3.1. Les 5 R : repérer, rassembler, réorganiser, rédiger, réviser
La méthode des 5 R (figure 1) que nous proposons vient poser un cadre et des étapes très précises dans l’apprentissage de l’écrit argumenté. Elle vient affiner les 3 grandes phases de Flower et Hayes que sont la planification, la mise en texte et la révision, en particulier sur la phase de planification. Chaque étape comprend un ensemble d’exercices approfondis proposés aux apprenants. Ces exercices suivent une progression didactique en spirale et s’appuient sur l’analyse de modèles de rédactions partielles et complètes, place l’apprenant dans une posture réflexive selon une démarche semi-déductive, proposent des consignes courtes et précises accompagnées de mots et sigles clés pour faciliter la mémorisation des stratégies, tels que le bloc TSP pour « Thème-Sujet-Problématique ». Les trois premières étapes que nous avons délimitées correspondent à la première grande phase de planification avant la mise en texte et la révision.
La première étape « Repérer » correspond à un temps d’activité sur les éléments déclencheurs d’un écrit argumenté. Durant cette étape peuvent être analysés avec les apprenants des consignes ou sujets de rédaction, de courts ou longs extraits de texte à visée argumentative qui servent à la mise en oeuvre de l’écrit argumenté. Ils permettent d’entraîner les apprenants à repérer un thème, un sujet et de formuler une problématique, en partant du principe que l’écrit argumenté n’est pas produit ex nihilo mais bien à partir d’une assise thématique et lexicale. Cette étape permet également de les familiariser avec la nominalisation et à la formulation d’une problématique via le travail sur les interrogations totales.
La seconde étape « Rassembler » propose un ensemble d’activités visant à apprendre à réunir, clarifier et distinguer des arguments ou idées principales, des arguments ou idées secondaires ainsi que des exemples. Elle fonctionne sur le principe du modèle. Les activités s’appuient sur l’analyse d’écrits argumentés partiellement ou intégralement rédigés afin d’apprendre à y repérer des arguments et exemples et les reformuler.
La troisième étape « Réorganiser » correspond à un temps d’apprentissage de structuration et de formulation d’un plan général et détaillé. Les activités proposées s’appuient notamment sur des essais intégralement rédigés afin d’apprendre à en retrouver le plan pour une argumentation et s’en inspirer pour la structuration de son propre plan. Dans cette étape, toujours dans une approche en spirale, la nominalisation et la reformulation sont abordées sous un autre angle, auxquelles s’adjoignent des exercices d’identification des connecteurs logiques usuels.
3.2. Mise en texte et révision : les strates TPM
Les deux dernières étapes de notre méthode correspondent aux phases de mise en texte et de révision délimitées par Flower et Hayes (1980). Plus précisément, ces étapes qui correspondent à la rédaction de l’argumentation et sa révision nécessitent la prise en compte des trois grandes strates que sont l’ensemble des paragraphes, les phrases et le lexique, que nous avons choisi de nommer, dans le cadre de notre proposition de méthode, TPM pour « Texte-Phrase-Mot ».
La quatrième étape « Rédiger » se caractérise par un ensemble d’activités permettant de s’exercer par étape aux principes de rédaction d’une introduction, d’un développement et d’une conclusion avant la rédaction complète de l’argumentation sur un sujet spécifique. Les strates textuelles TPM donnent aux apprenants un aiguillon clair et simplifié pour la gestion progressive des parties de l’argumentation écrite. Durant cette étape sont travaillés notamment les connecteurs logiques, la reformulation de phrases, la variété du lexique, auxquels s’ajoutent le travail sur le style et les tournures ainsi que l’adaptation du registre de langue au contexte d’écriture.
La cinquième et dernière étape « Réviser » vise à développer des techniques de correction par le biais de corrections partielles et guidées par l’enseignant afin d’amener les apprenants à une autonomie complète dans la correction des passages erronés qu’il aura signalés. En tenant compte des strates TPM, les différents exercices d’autocorrection guidée proposés pourront ainsi s’orienter de manière approfondie et toujours par étape par exemple sur les erreurs dans le choix des connecteurs logiques (T), sur les tournures de phrase inappropriées (P) ou sur les erreurs d’orthographe lexicale (M). Au terme de ces différentes étapes, l’apprenant peut acquérir sa pleine autonomie sur l’ensemble du processus de rédaction d’une argumentation, ceci de la planification à la révision. Il nous semble essentiel de donner une place tout aussi importante au temps de correction et aux activités didactiques afférentes qu’à celui de l’élaboration et de la mise en texte de l’argumentation pour s’assurer de la pleine autonomie et de la maîtrise de ce type d’écrit chez l’apprenant allophone.
Figure 1 : Notre proposition de guidage méthodique de l’écrit argumenté – schéma général
5R : Repérer / Rassembler / Réorganiser / Rédiger / Réviser |
— Repérer — |
Identifier et formuler un thème, un sujet, une problématique. |
Exemple d’exercices : repérer un thème, un sujet, une problématique dans de courts textes déclencheurs d’une argumentation. |
— Rassembler — |
Rassembler des idées / arguments et exemples. |
Exemple d’exercices : repérer les arguments et exemples dans des textes déclencheurs d’une argumentation. |
— Réorganiser — |
Structurer un plan général / détaillé. |
Exemple d’exercices : nominaliser et présenter sous forme de plan les arguments principaux et secondaires d’un texte support. |
— Rédiger — |
Rédiger en tenant compte du contexte d’usage du vocabulaire et des strates du texte : |
Texte – Phrases – Mots (TPM) |
Exemple d’exercices : varier les connecteurs logiques à partir de modèles de phrases. |
— Réviser — |
Réviser, corriger le texte en revenant sur les strates du texte. |
Exemple d’exercices : corriger les erreurs d’orthographe lexicales et grammaticales dans les passages signalés par l’enseignant. |
Conclusion
La méthode et la modélisation que nous proposons pour l’apprentissage de l’écrit argumenté à un niveau C1 viennent répondre à une carence dans les manuels existants. Elles prennent en compte l’écart qui peut exister entre l’écrit argumenté à la française et des cultures textuelles différentes. Certes, les difficultés que peut rencontrer le public d’apprenants allophones se trouvent être en partie similaires à celle du public d’apprenants francophones. Mais à cela s’ajoute la complexité apportée par la dimension culturelle de la structure du texte argumenté dont peuvent être imprégnés les apprenants allophones du fait de leur langue maternelle.
Comme toute modélisation, le schéma de stratégies que nous avons conçu demande à être affiné. Le présent article a eu cependant pour ambition de fournir la structure générale de notre ensemble de stratégies dont une part de libre application concrète est bien entendu laissée à l’enseignant selon le contexte d’enseignement dans lequel pourrait s’inscrire une formation à l’écrit argumenté pour des publics allophones de niveau C1. Les mots clés et le métalangage précis et simplifiés visent l’accessibilité et la transversalité de l’enseignement des principes de l’argumentation à l’écrit pour des publics aux cultures linguistiques possiblement diversifiées.
S’approprier ce type d’écrit aux normes culturellement très marquées peut s’avérer fastidieux et exigent car il nécessite pour l’enseignant comme pour l’apprenant allophone la prise en compte de diverses dimensions qui interfèrent, illustrée notamment par les strates TPM. Dans les différentes étapes et activités de notre méthode des 5 R, il nous semble essentiel d’associer, dans un juste équilibre, réflexivité et mise en pratique de normes d’écriture, appui sur des modèles de rédactions extérieures et sur les productions écrites de l’apprenant, guidage et autonomie de l’apprenant. À ceci s’ajoute l’importance à donner à une progression en spirale des activités didactiques dans la mesure où les différentes étapes de notre stratégie ne sont pas étanches. Les contenus linguistiques nécessaires à l’écrit argumenté se retrouvent mobilisés et consolidés tout au long ces différentes étapes. Les activités didactiques que nous envisageons dans ce type de modélisation prennent le temps d’approfondir chaque composante de l’écrit argumenté que sont entre autres la problématique, les arguments et exemples ou encore la construction d’un plan de rédaction assurant la clarté de l’écrit argumenté qui sera finalement produit.
En termes de perspectives de recherches, afin de prolonger et d’affiner sa structuration, cette méthode pourrait être appliquée à un groupe témoin d’apprenants allophones visant le niveau C1. Le corpus de données comprendrait les consignes et textes supports, accompagnés de l’ensemble des écrits des apprenants. Ces écrits correspondraient aux exercices de reformulation, de structuration d’un plan, et de rédaction complète avant et après l’autocorrection guidée. Ceci permettrait d’obtenir une mesure objective des progrès des apprenants, de la planification à la production finale. Les témoignages des apprenants via des questionnaires ou entretiens semi-guidés pourraient être ajoutés à ce corpus. Ces témoignages fourniraient des précisions nécessaires quant au ressenti des apprenants vis-à-vis de leur pleine maîtrise de l’écrit argumenté.