Les travaux menés par le Groupe d’Études sur le Plurilinguisme Européen (GEPE) ont été plus particulièrement centrés sur les discours d’évaluation des politiques linguistiques et le premier numéro des Cahiers du GEPE (Truchot et Huck 2008) a permis, entre autres, de soulever des questions d’ordre méthodologique quant à l’objet même de cette focalisation. Je voudrais ici m’inscrire dans le prolongement de ma propre contribution aux Cahiers (Coste 2008) et des analyses que proposaient tant Claude Truchot (2008) que Philippe Blanchet (2008). Je le ferai en première personne étant donné ce qu’a été mon implication dans l’élaboration de l’instrument qui est mis sous examen dans ce nouveau numéro des Cahiers du GEPE1. Les développements qui suivent sont donc à considérer non comme une évaluation du Cadre européen commun de référence pour les langues (désormais CECR ou bien Cadre) et de ses usages, mais comme une contribution particulière à un travail de réflexion collective, dont participent aussi, selon des points de vue ou des angles d’attaque souvent bien différents de ceux que je retiens, les collègues que réunit ce numéro de la revue.
Dans la logique des positions que je m’efforcerai d’argumenter, la diversité des orientations de lecture projetées sur le CECR et sur ses usages tient, d’une part, à la constitution même de l’objet — telle que liée, pour partie au moins, aux conditions et au contexte de sa production — et, d’une autre part (complémentaire) à ses modes de réception par différents ordres d’instances et d’acteurs à l’intérieur du corps social. D’où la mention du couteau suisse dans le titre ci-dessus2. On ne saurait s’attendre à des convergences fortes ni même à un consensus a minima dans les appréciations portées à partir de positions distinctes. Mais c’est de leur pluralité que peut se dégager une certaine image du champ de forces variables où s’inscrit ce qui est fait et dit du CECR.
Trois considérations liminaires, de « cadrage » à propos de l’instrument en question :
- Il relève de ce qu’on désigne aujourd’hui sous l’appellation « politiques linguistiques éducatives ». Il ne porte directement ni sur le statut ni sur le corpus d’une langue particulière, mais se présente comme au service de différentes catégories de professionnels concernés par l’enseignement et l’apprentissage des langues, ainsi que par l’évaluation des compétences langagières.
- Il a été conçu comme un instrument de référence ayant deux finalités majeures :
- offrir une base commune à ces professionnels des langues pour la construction d’objectifs, de contenus, de méthodes convenant à leurs situations et à leurs options respectives et pour les échanges qu’ils peuvent avoir entre eux ;
- définir « les niveaux de compétence qui permettent de mesurer le progrès de l’apprenant à chaque étape de l’apprentissage et à tout moment de la vie ».
- Il se raccorde explicitement à des finalités qui sont celles du Conseil de l’Europe (rappel de Recommandations de 1982 et de 1998 relatives aux langues, dans leur diversité, comme ressources pour l’Europe ; importance de l’apprentissage des langues pour répondre aux défis de la mobilité et de la coopération internationales, favoriser la compréhension et la tolérance mutuelles, prévenir les dangers de la marginalisation, contribuer à la promotion d’une citoyenneté démocratique)3.
C’est donc à un bref exercice de réflexivité critique sur une période d’une vingtaine d’années (si on fixe l’origine du CECR au symposium intergouvernemental tenu en Suisse, à Rüschlikon, en 1991) que je voudrais procéder. Le Cadre ayant été officiellement publié en 2001, cette vingtaine d’années se laisse partager — trop sommairement — entre une décennie « avant le Cadre » et une décennie « depuis le Cadre ».
1. Le Cadre avant le CECR
1.1. Tensions et balancements
Il ne saurait être question de revenir sur l’histoire des projets successifs qui ont scandé, durant près de trois décennies, les activités de la Division des politiques linguistiques et qui ont eu l’impact que l’on sait4. Mais quelques repères peuvent être placés sur cette histoire récente.
Et tout d’abord un double mouvement et une tension, entre d’un côté des propositions de nature à intéresser les institutions de formation et, d’un autre côté, une volonté de centration sur l’apprenant. Cette tension paraît être une constante. Il serait aisé de le montrer à propos de la réflexion des années 70 sur les systèmes d’unités capitalisables (Trim, 1973) comme pour toute la phase d’élaboration des niveaux-seuils. Double mouvement qui ne résulte pas d’un flottement dans les orientations ni d’une recherche de compromis entre deux ordres de dynamiques, mais bien d’un choix politique, en particulier de la part de John Trim, qui accompagna continûment ces projets, de tenir les deux bouts.
Il suffit de noter le balancement, chez un même auteur, entre analyse des besoins d’emploi fonctionnel des langues et prise en compte des projets et désirs individuels d’apprentissage (Richterich et Chancerel, 1981 ; Richterich, 1986), de relever aussi que, dès avant le CECR, et quand commence à se développer le marché de l’évaluation et des certifications en langues, l’insistance sur l’autonomisation progressive des apprenants prend la forme d’une illustration vigoureuse de l’autoévaluation (Holec, 1979). Ou encore de rappeler que, malgré une même structure apparente, la conception de l’apprentissage qui sous-tend l’élaboration de Un niveau-seuil (Coste et al., 1976), pour le français, diffère en profondeur de celle que suppose, pour l’anglais, The Threshold Level (Van Ek, 1975).
1.2. Jeux de forces
La rencontre de Rüschlikon (Suisse), en 1991, prolonge et renforce ce choix de complémentarités en prévoyant l’élaboration d’un instrument s’adressant plutôt aux opérateurs institutionnels, le CECR, et un outil destiné en principe aux apprenants, le Portfolio européen des langues.
Mais de nouveau la situation se complexifie, du fait que ces deux innovations intègrent l’une et l’autre des tensions internes. Le Portfolio peut donner lieu — on le constatera vite — à utilisations diverses et bien distinctes : soit orientées vers l’apprentissage autonome et la valorisation de la spécificité individuelle, soit tirées vers une conformité à des normes d’appréciation donnant lieu à validation sociale selon des catégories préétablies.
Quant au Cadre, dès le départ, le projet puis son élaboration ont été marqués par certains facteurs qui l’affectent mais peuvent aussi en déployer largement les usages. Ces dynamiques contextuelles et circonstancielles sont plurielles. J’en distingue ici cinq :
- Un élément de continuité : l’insistance sur l’importance de la diversité des langues et de la diversification de l’offre (et de l’encouragement de la demande) en langues étrangères dans les systèmes scolaires et au-delà. C’est ainsi qu’en 1988, la rencontre finale d’un des projets successifs avait été organisée à Strasbourg sous l’intitulé L’apprentissage des langues : le défi de la diversité.
- Un autre élément de continuité : le poids d’un modèle « communicationnel » et fonctionnel ayant servi la conception et l’élaboration des niveaux-seuils et inscrit dans une logique de « niveaux »5.
- La recherche d’une réponse à une situation jugée insatisfaisante : l’opacité et la non comparabilité des certifications et diplômes de langues existants (pour une même langue et entre les langues). Le titre du symposium de 1991 est clair à cet égard : « Transparence et cohérence dans l’apprentissage des langues en Europe : objectifs, évaluation, certification ».
- La volonté de ne pas s’en tenir à l’évaluation : faire en sorte que le futur Cadre soit aussi un outil de référence pour ce qui touche à l’enseignement et à l’apprentissage, sans prétention à l’innovation scientifique ou méthodologique, mais en dressant une sorte d’état des lieux aussi large que possible des questions par rapport auxquelles les professionnels ont à faire leurs choix raisonnés en matière d’objectifs, de contenus, de démarches d’enseignement.
- Une option à la fois méthodologique et politique : quelques années après l’ouverture de l’Europe centrale et orientale et alors que le Conseil accueille de nouveaux membres venus d’autres traditions éducatives, il convient que le Cadre soit lui-même accueillant et permette d’amorcer une coopération et des échanges entre professionnels à l’intérieur de ce nouvel espace européen, non un transfert unidirectionnel de technologie éducative. L’ambition est alors, en termes de finalités générales, de réactiver l’appel aux valeurs fondatrices du Conseil depuis 1949 : droits de l’homme, état de droit, démocratie. De 1990 à 1997, le projet d’ensemble à l’intérieur duquel le Cadre de référence et le Portfolio vont être élaborés a pour nom « Apprentissage des langues et citoyenneté européenne ». Choix politique à l’heure de l’ouverture vers l’Est européen6.
Ces diverses dynamiques n’ont pas pour conséquence que le CECR serait, d’origine, tiré à hue et à dia et à considérer comme traversé d’influences et de visées contradictoires. Mais on imagine aisément que le mandat initial de transparence et de cohérence risquait fort, dans ces conditions de production, de ne pas être exactement tenu. Ce que nombre d’usages ont ensuite pu vérifier.
Reste que cette multiplicité des options ou pressions institutionnelles n’est pas sans rapport avec la pluralité des lectures et des utilisations qui seront ensuite faites de l’instrument multiprise que devient du coup le CECR.
1.3. Autres facteurs
Rien d’étonnant dès lors, me semble-t-il, à ce que, au cours de l’élaboration du Cadre, divers lieux de débat apparaissent au sein même de l’équipe de rédaction :
- quant à l’importance à donner aux « échelles » et « niveaux » de référence pour l’évaluation des compétences à l’intérieur de l’ensemble de l’ouvrage : faut-il y voir une annexe (ce qui était l’hypothèse première) ou en faire une partie constitutive du document majeur (ce qui a finalement été le cas) ?
- quant à la caractérisation de la compétence à communiquer langagièrement et quant à la place à faire aux dimensions culturelles ; jusqu’à quel point et sous quelle forme ces dernières sont-elles à intégrer à la compétence à communiquer ? On s’en tiendra plutôt, dans la version ultime, à une dominante langagière.
- quant à la mise en évidence des enjeux de la diversification des langues et de la visée plurilingue de l’apprentissage : le Cadre est-il au bout du compte relatif à l’apprentissage d’une ou de plusieurs langues étrangères ? Selon les chapitres, le positionnement sur ce point variera.
- quant à l’extension à donner à des notions comme celles de « stratégie » ou de « tâche » : faut-il les situer avant tout sur le plan de la communication langagière ou les inscrire dans une conception « actionnelle » plus large ? Il y aura là un décalage effectif par rapport aux conceptions strictement communicationnelles.
Je ne crois pas que ces débats internes et les orientations qui ont été retenues résultent toutes des jeux de forces listés plus haut (1.1.). Ont compté aussi, d’une part, les apports ou les choix personnels de tel ou tel des membres de l’équipe de rédaction et, d’autre part, des variations imputables à des traditions ou des traductions / translations distinctes dans le contact entre anglophones et francophones. Ainsi, les différences qu’on peut relever dans les occurrences de compétence / competence relèvent sans doute d’une double origine. Les parties d’abord rédigées en anglais tendent à recourir à competences ou competencies et marquent plus une pluralité de capacités multiples, alors que celles d’abord écrites en français, notamment pour l’introduction de la notion de « compétence plurilingue et pluriculturelle », visent plutôt à singulariser cette compétence et à la présenter en quelque sorte plus comme une et englobante que comme constituée de multiples (sous ?)-compétences. Le jeu possible en anglais sur deux termes n’a pas d’équivalent en français, mais l’enjeu est d’abord en partie autre dans la mesure où l’émergence de la notion de « compétence plurilingue et pluriculturelle », d’abord apparue en français (Coste, 1991 ; Coste, Moore et Zarate, 1997), résulte du projet de traiter les capacités du plurilingue non comme la juxtaposition de compétences distinctes et cloisonnées langue par langue, mais comme constituant un tout géré comme tel et autorisant ainsi, notamment, des pratiques d’alternance codique ou de « parler bilingue »7.
C’est donc tout un ensemble de facteurs qui ont abouti à ce que le CECR soit un objet composite, non totalement cohérent. La forme finale de l’instrument, tant du fait des finalités diverses de l’entreprise que des débats sommairement pointés plus haut, reste caractérisée par des distances potentielles entre différentes modalités de son utilisation. Il est en effet loisible de recourir au Cadre soit pour y trouver des suggestions de démarches méthodologiques, soit pour n’en retenir que la conception actionnelle de la communication langagière et de l’apprentissage qu’il propose, soit pour s’engager dans une perspective de développement d’une compétence plurilingue, soit pour (ne) se servir (que) des descripteurs relatifs aux différents niveaux de compétence à des fins d’évaluation ou de détermination d’objectifs. Et ces emplois variés ne se trouvent pas parfaitement articulés les uns par rapport aux autres.
En d’autres termes, le CECR, élaboré à un moment et dans un contexte particuliers où jouent, dès le départ et dans la durée de son élaboration, différentes dynamiques, est marqué par des tensions et des fluctuations internes qui en font un instrument à géométrie variable, une sorte de couteau suisse, donnant prise à usages différenciés, mais dont certains sont plus probables que d’autres.
Bien entendu, ces différents usages ne sont — en principe — nullement contradictoires et le Cadre de référence permet — jusqu’à un certain point — de les articuler. Mais il n’interdit pas non plus des appropriations sectorielles de ses composantes et chaque entrée partielle, pour légitime qu’elle puisse être, est susceptible de présenter une manière de dérive au regard de ce qu’autorise une mobilisation de l’ensemble dans ce qu’il comporte tout à la fois de complexité et d’ouverture8.
Je noterai ici que ce retour sur un parcours déjà lointain, s’il tient sans doute un peu de la reconstruction personnelle, ne relève pas pour autant de la fiction (ou pire, de l’autofiction !). Il confirme plutôt le caractère hétérogène du CECR et les possibilités multiples du dispositif non parfaitement ajusté qu’il constitue. Si l’on ajoute à ce constat — flagrant pour quiconque se donne le temps d’un examen un peu sérieux du Cadre — le rappel que chaque chapitre de l’ouvrage se clôt par des formules interrogatives qui invitent le lecteur / utilisateur à questionner l’éventuelle pertinence, pour lui, de ce qui a été examiné et proposé, on reste perplexe quand ce même CECR est présenté ici ou là comme une imposition normative, un nouveau dogme ayant quasiment statut de directive européenne9.
Mais c’est vers les usages du CECR depuis sa mise en circulation qu’il faut se tourner pour rendre compte, même sommairement, de tels décalages.
2. Le CECR depuis le Cadre
La réception du CECR, avec une dizaine d’années de recul au moins, s’inscrit elle aussi dans une durée, des évolutions, des diversifications relatives selon les contextes, mais certains types d’usages ont pesé transversalement plus que d’autres, liés à un paradigme dominant : celui (d’une certaine conception) de l’évaluation. Ce qui ne veut pas dire que d’autres modes de réception ne se soient pas produits, retenant par exemple soit la perspective actionnelle, soit la notion de compétence plurilingue, soit les ouvertures curriculaires. Confirmation que l’instrument était multiprise et appelait contextualisation.
2.1. Évaluation et niveaux de compétence
Je ne reviendrai pas sur le constat massif que les usages majeurs du CECR ont porté sur le recours aux échelles de compétence communicationnelle, au point que la référence au Cadre s’est souvent réduite à l’étagement de A1 à C2. C’est cette lecture, aussi limitée que dominante, qu’un Forum tenu à Strasbourg en 2007 tendait à rectifier (Goullier, 2007).
Au demeurant, l’enseignement des langues n’a certes pas attendu le CECR pour jouer sur l’élément de motivation que constitue l’obtention de certificats et diplômes. Et la préparation de diplômes délivrés par des universités ou l’Alliance française a toujours été un des éléments d’une politique institutionnelle de promotion de l’enseignement du français (ce qui vaut aussi, mutatis mutandis, pour d’autres langues et d’autres intérêts de politique d’influence). Plus généralement, la mesure du progrès dans l’apprentissage d’une langue et la reconnaissance, institutionnelle ou non, de ce progrès sont évidemment des composantes majeures du processus.
Il s’agirait donc plutôt de se demander pourquoi le CECR a eu des incidences plus étendues et plus « voyantes » que d’autres instruments de ce type par le passé. Il est permis d’avancer plusieurs ordres de réponses :
- l’existence d’un paradigme dominant de l’évaluation, dont les effets sont perceptibles dans nombre de secteurs d’activité et qui renforce la valeur des certifications et les rend d’autant plus désirables, voire nécessaires (Huver et Springer, 2011) ;
- le fait que le CECR propose des critères et des descripteurs de compétences non spécifiquement liés à une langue particulière et ayant une portée transversale, accentuant ainsi une visibilité (et une validité) internationale des niveaux de référence. Quelles que soient les langues, les institutions, les personnes et les instances utilisatrices, B2 est censé répondre à la même définition et aux mêmes capacités ;
- la notoriété du Conseil de l’Europe dans le domaine des langues vivantes, conférant un « plus » de reconnaissance internationale aux certifications s’adossant au CECR ;
- les effets de l’ouverture du Conseil de l’Europe à de nombreux nouveaux pays membres et la création — effective ou perçue — d’un espace européen de circulation éducative, professionnelle et culturelle ;
- du coup, une certaine émulation / harmonisation entre les pays et les institutions, la « marque » Conseil de l’Europe opérant — à tort — comme un label de qualité10.
Cette sorte d’emballement a eu de multiples conséquences :
- Le passage, pour le CECR, d’un statut de référence parmi d’autres à une position de référence dominante, voire incontournable11 ;
- des incidences sur la conception des curriculums, ces derniers se trouvant recalibrés dans certains pays en regard d’objectifs transitoires ou terminaux étagés sur la base des niveaux A1, A2, etc. ;
- une forme de standardisation, dès lors que les mêmes seuils tendent à être retenus dans des contextes au demeurant très différents ;
- un sous-emploi des potentialités que présente dans le CECR le grand nombre de variables prise en compte à chaque niveau (diversité des situations de réception orale, degré d’attention porté à l’adéquation sociolinguistique ou à la stricte exactitude grammaticale, étendue du lexique, etc.) : on s’en tient le plus souvent à des appréciations globales (A2, B2, etc.) sans que des différenciations plus fines soient opérées ;
- un sentiment d’imposition du CECR dans les pays et régions où l’administration scolaire fixe des objectifs en termes de niveaux s’y référant, alors que les enseignants n’ont pas eu les moyens de resituer leurs pratiques selon ces finalités et que les programmes n’ont pas été préalablement revus ;
- la recherche d’équivalences entre, d’un côté, des types d’examens et des systèmes de notation inscrits de longue date dans une tradition éducative et, de l’autre, les niveaux du CECR ; cette quête pouvant aboutir à des exercices périlleux comportant des modes de calcul et des procédures docimologiques particulièrement lourdes et absconses ;
- surtout, s’agissant toujours des systèmes scolaires, le décalage fréquent entre la culture pédagogique et l’habitus professionnel des enseignants d’une part, et, d’autre part, les options qui sont sous-jacentes au dispositif des niveaux du CECR. Par exemple, à l’écrit et comme le plus souvent pour la production orale en classe, nombre d’enseignants de langues ont incorporé une exigence de correction (au sens de « corriger ») qui ne s’accommode guère des seuils de tolérance communicationnelle « positivante » que le CECR autorise12.
Ces conséquences de l’extension des usages dérivés du CECR dans le domaine des objectifs et de l’évaluation sont évidemment d’abord imputables aux organisations et institutions qui se servent du CECR selon leurs propres logiques et sans pour autant infléchir leurs pratiques, leurs modalités de fonctionnement et donc les représentations que les divers acteurs concernés peuvent avoir des unes et des autres. Les risques afférents ont été maintes fois soulignés, y compris dans des rencontres organisées par le Conseil de l’Europe, tel le Forum déjà mentionné (Goullier, 2007).
Après m’être ainsi fait, non pas l’avocat du diable, mais le rassembleur d’un certain nombre d’effets de ce que les usages du CECR dans une perspective d’évaluation des capacités communicationnelles ont pu entraîner, je ne peux que rappeler l’essentiel, à savoir que les fonctions majeures qui lui étaient attribuées dans ce secteur ont bien été remplies et que l’instrument a montré pouvoir apporter, lorsqu’il est utilisé à bon escient :
- une aide effective à la circulation des individus par la reconnaissance des compétences qu’ils ont développées, à l’issue, par exemple, d’une formation ;
- une clarification de certains au moins des objectifs visés par les instances de formation (scolaires ou autres) et une gestion en principe plus fluide des transitions entre cycles dans ces formations (ne pas toujours « tout recommencer à zéro ») ;
- des repères plus précis pour les auteurs de curriculums, les concepteurs de manuels, les usagers eux-mêmes (qu’il s’agisse aussi bien des porteurs de ces compétences que des instances auprès desquelles ils les font valoir).
Mais il conviendrait :
- que chacun « joue le jeu » et prenne ses responsabilités en cessant de faire comme si le CECR constituait une norme ou un standard dûment étalonné et prescriptif, alors qu’il s’agit d’une référence commune complexe, déclinable de diverses manières, et qu’il appartient à chaque institution qui souhaite s’y référer d’indiquer clairement dans quelle mesure et jusqu’à quel point elle se l’approprie et l’adapte à ses propres besoins ;
- que l’on ne s’en tienne pas à cette seule référence et que, selon les contextes mais dans tous les cas, d’autres modes d’évaluation soient aussi mobilisés, tout particulièrement pour les types d’objectifs d’apprentissage qui s’avèrent — heureusement — rebelles à une gradation scalaire des acquis ;
- que de la concurrence se fasse jour pour contrebattre les risques que présenterait une situation de monopole au profit (?) du CECR ;
- qu’on ne perde jamais de vue que, pour ce qui est des curriculums et des matériaux pédagogiques (et singulièrement des manuels), il est besoin de se référer à des valeurs avant de se référer à des modalités d’évaluation et que les descripteurs de performances (censés constituer aussi des révélateurs de compétences) ne prennent sens qu’au regard de descripteurs de contenus (auxquels articuler et en fonction desquels développer les activités langagières) et de descripteurs d’expériences pour apprendre (non réductibles à des tâches communicationnelles)13.
2.2. Perspective actionnelle
Des ouvertures que présentait potentiellement le CECR, celle touchant à l’introduction d’une « perspective actionnelle » pour caractériser l’usage et l’apprentissage des langues, s’inscrivait, en l’élargissant et non sans quelques décalages, dans le prolongement des courants communicationnels. Elle a aussi été exploitée ces dernières années, avec des variations ou divergences (voir notamment : Goullier, 2006 ; Rosen et Reinhardt, 2010 ; Robert et Rosen, 2010). Selon les cas, on s’en tient à « perspective actionnelle » ou on va jusqu’à insister sur l’émergence d’une « approche actionnelle ». Le rapport existe, autour de la notion de tâche, avec les types de descripteurs mis en œuvre pour les niveaux de compétence. Mais cette relation n’est pas nécessairement établie et tel qui critique les échelles du CECR estime que, même si le Cadre n’en fait pas une élaboration suffisante, la perspective actionnelle et l’introduction affirmée de l’acteur social sont à mettre au crédit de ses apports et peuvent s’inscrire dans une conception d’ensemble de l’« agir social » (Puren, 2007 ; Puren, 2009, Puren, 2011 ; Puren, 2012a ; voir aussi, dans une perspective distincte, Springer, 2009).
On a assisté là aussi à des lectures réductrices, mais dues aux flottements que présente le document même (voir les analyses de Robert et Rosen, 2010 et, ci-dessus, « Autres facteurs ») : « tâche » est tantôt une désignation générique couvrant aussi bien les tâches scolaires les plus formelles que les tâches communicationnelles simulées ou « authentiques », tantôt une dénomination limitée à ces dernières.
A l’heure où les grandes méthodologies qui ont pu, jusqu’aux approches communicatives, se succéder en didactique des langues ne sont plus vraiment de mise et où les « approches plurielles » (Candelier, 2007 ; Candelier, 2008 ; Candelier et De Pietro, 2011) n’ont pas vocation à les remplacer, la perspective actionnelle est apparue comme une candidate de substitution, à même, sinon de fonder une nouvelle méthodologie, du moins d’étayer des démarches d’enseignement et de fournir une bannière commode à un ensemble de pratiques pédagogiques pour une bonne part déjà rôdées et/ou de trouver place dans des modèles plus larges de l’agir dans la société. L’élément nouveau, si on prend au sérieux la notion d’acteur social, serait que, dans la classe, les apprenants soient sollicités et interviennent comme tels (comme acteurs sociaux dans cette communauté particulière que constitue la classe et comme acteurs sociaux en dehors de la classe ou, plus généralement, du lieu et des modalités la formation) (Springer, 2009).
Pour leur part, les maisons d’édition et les auteurs de manuels ont souvent combiné (et la compatibilité existe en effet) ce qui se voit qualifier du coup « d’approche actionnelle » et des objectifs adossés aux niveaux et aux échelles du CECR. Cette articulation entre deux des apports reconnus du Cadre présente, du fait que ces deux apports sont alors interprétés dans leur version réduite (niveaux transversaux A1, A2, etc. et tâches communicationnelles) le double avantage de ménager une certaine continuité (ou un décalage limité) avec les méthodologies dominantes de la communication et de rester dans la logique d’un apprentissage de langue étrangère « cloisonnable » par rapport aux autres langues (présentes ou non dans le curriculum scolaire) (Coste, 2009).
2.3. Dynamique plurilingue et dimensions curriculaires
Dans ce qui constitue un troisième type d’évolution enregistrée depuis la publication du CECR, il convient évidemment de ranger les effets de la mise en circulation de la notion de compétence plurilingue et pluriculturelle. Tout un travail d’approfondissement et de construction conceptuelle est intervenu, sur lequel je n’insisterai pas ici car il a donné lieu à plusieurs publications (Coste, 2003 ; Coste, 2004 ; Castellotti et al., 2008 ; Castellotti et Moore, 2011 ; Moore, 2006 ; Moore et Castellotti, 2008 et 2008 dir., Stratilaki, 2005 ; Stratilaki, 2008 ; Stratilaki, 2011) et suscité des débats (voir notamment Véronique, 2005).
À partir et autour de cette notion, mais aussi en rencontre avec d’autres courants relatifs aux biographies langagières (Molinié, 2006), aux échanges plurilingues, aux travaux sur la variation, l’hétérogénéité et la pluralité linguistiques, l’alternance des langues, on a vu la didactique du plurilinguisme et bien des études sociolinguistiques, voire les conceptions de l’acquisition s’intéresser à des phénomènes auparavant moins thématisés.
L’important est plutôt de relever que c’est sur cette ouverture proposée par le CECR que les plus grandes tensions apparaissent avec d’autres usages du Cadre. L’intérêt porté à la dimension éducation au plurilinguisme / éducation plurilingue ne s’accommode pas immédiatement des pratiques d’évaluation et d’une mobilisation de la référence aux niveaux de compétence, tels qu’étagés par ce même CECR. C’est en prenant pleinement en compte la notion de compétence plurilingue que le Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe (Beacco et Byram, 2003-2007) développe ses analyses et ses propositions. Le surtitre de cette autre publication de la Division des politiques linguistiques est à cet égard très significatif : « De la diversité linguistique à l’éducation plurilingue ». Et si les auteurs déclarent s’inscrire dans la continuité du Cadre européen de référence pour les langues et du Portfolio européen des langues, ils ne s’y enferment pas pour ce qui est de l’évaluation et expriment une position à la fois réaliste et prospective, tenant compte aussi bien des conditions institutionnelles que d’évolutions souhaitables.
Dans le domaine de l’évaluation et des certifications, il est conforme à la finalité d’une éducation plurilingue de laisser coexister différentes formes de validation à travers lesquelles on reconnaît que les apprenants ont acquis certains seuils de compétence. Il est cependant opportun de veiller à ce que :
– les niveaux de compétences soient définis de manière homogène entre les variétés linguistiques, en particulier quand elles sont enseignées comme étrangères ou comme nationales dans le système éducatif
– l’auto évaluation constitue un élément de l’évaluation, à côté des évaluations institutionnelles
– les certifications institutionnelles prennent en compte toutes les expériences langagières
– les certifications officielles soient modulaires, comme les enseignements fondés sur des acquisitions compétence par compétence (système par unité de valeur/crédits cumulables qui peut être utilisé même dans l’enseignement secondaire, si les enseignements de langues sont décyclés)
– […]
– les contenus des épreuves d’évaluation ne soient pas la seule base pour la constitution des programmes d’enseignement
– des épreuves spécifiques soient élaborées qui permettent d’évaluer les compétences transversales constitutives des répertoires plurilingues ainsi que celles qui sont constitutives d’une compétence interculturelle.
Il est en effet probable que les connaissances et les compétences resteront encore évaluées variété linguistique par variété linguistique, pour des raisons fonctionnelles et sociales évidentes. Mais il est aussi très souhaitable, pour la diffusion même du principe du plurilinguisme en Europe que la compétence plurilingue soit validée en tant que telle, pour qu’elle ne soit pas réduite à la somme des compétences acquises dans chaque variété. (Beacco et Byram 2007 : 113)
De même, s’agissant des dimensions curriculaires, aussi bien le Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe (Beacco & Byram, 2007) que le Guide pour le développement et la mise en œuvre de curriculums pour une éducation plurilingue et interculturelle (Beacco et alii, 2010) reprennent en compte et étendent et complexifient les orientations esquissées dans le CECR (chapitre 8), qui articulaient extension / structuration de la compétence plurilingue et construction curriculaire, sans que cette construction soit pensée d’abord en termes de mise en séquence des objectifs A1, A2, etc. C’est plus en relation à un concept global de l’éducation langagière et à des recherches de convergences internes que des scénarios sont envisagés pour une économie curriculaire d’ensemble et que des objectifs différenciés peuvent être caractérisés en termes, entre autres, de niveaux de compétence.
Dans cette perspective intégratrice de projets éducatifs contextualisés où les dimensions plurilingue et interculturelle servent aussi la langue majeure de scolarisation (Cavalli et al., 2009), et où les approches plurielles contribuent à l’apprentissage des langues autres, les différentes composantes du CECR sont sans doute plus mobilisables et articulables entre elles.
Il est clair que ce type de projet d’éducation plurilingue et interculturelle répond à une visée plus ambitieuse ou du moins plus globale que celle du CECR. Il présente des facettes multiples, dont la Plateforme de ressources et de références pour l’éducation plurilingue et interculturelle (http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/langeduc/LE_PlatformIntro_fr.asp) esquisse certaines. Travaux en cours et chantier ouvert, auquel des représentants de différents États membres sont fortement associés. L’enjeu n’est plus en effet d’élaborer un instrument commun de référence qui sera ensuite diversement utilisé et contextualisé. Il est désormais d’engager un processus où des instances éducatives, de quelque nature qu’elles soient, peuvent trouver des pistes, des repères, des orientations, des descriptions et descripteurs susceptibles d’intéresser leurs programmes en langues de scolarisation et les autres enseignements de langues ; cela en prenant notamment appui sur l’expérience et sur l’expertise d’autres Etats membres.
Par ailleurs, pour ce qui est des usages du CECR dans différents contextes, on dispose d’un ensemble croissant de questionnements, de témoignages et de données empiriques (par exemple Castellotti et Nishiyama, 2011 ; Byram et Parmenter 2012 ; ainsi que, plus largement, Zarate et Liddicoat, 2009). Et les appréciations nuancées trouvent aussi à s’exprimer, selon différents points de vue (entre autres : Frath, 2011 ; Huver et Springer, 2011).
Quant aux mises en question plus radicales du CECR et de ses effets, on en trouve des exemples dans la présente livraison des Cahiers du GEPE et dans d’autres publications. Elles portent généralement sur la normativité et la réduction uniformisante imputées à l’instrument ou sur le rôle qu’on lui prête dans un mouvement général de marchandisation de l’enseignement des langues et de l’éducation, voire dans une entreprise politico-idéologique dont les institutions européennes, et singulièrement le Conseil de l’Europe, seraient instigatrices, avec le concours intéressé d’experts complices ou décidément naïfs (voir notamment, à propos des travaux plus récents de la Division des politiques linguistiques du Conseil de l’Europe, Maurer, 2011 ; Puren 2012b).
3. Propos peut-être hors de propos
Je n’avais pas ici l’intention de porter l’analyse sur ces terrains de débat ou de polémique. Comme indiqué d’entrée de jeu, mon intention a simplement été de contribuer à une réflexion collective, en prenant appui sur mon expérience particulière et quitte à personnaliser à l’excès ce regard rétrospectif (d’où un certain abus des auto-références, que je demande au lecteur de bien vouloir excuser). Toutefois, pour tenter de donner à cette lecture sans doute involontairement biaisée une portée un peu plus générale et me situer indirectement par rapport à telle ou telle des critiques portées au CECR ou à l’institution Conseil de l’Europe (ou aux « experts » associés à ses travaux !), je conclurai par quelques commentaires, qui tiennent aussi lieu, pour moi et dans ce cas, d’options méthodologiques et de principes d’action.
- L’analyse des politiques linguistiques ne saurait avoir pour postulat de départ l’existence d’une dichotomie entre des décideurs (par exemple un pouvoir central édictant des lois ou des normes) et des usagers. Si tant est que des binarismes de ce genre aient pu exister, ils ne sauraient aujourd’hui être retenus : dans nos sociétés, tout usager des langues (instance ou individu) est aussi un acteur des politiques linguistiques. Plus généralement, on ne peut plus se satisfaire d’une conception (uniquement) centralisatrice, verticale et descendante du fonctionnement des politiques linguistiques, ne tenant pas compte de ce que ces dernières sont (aussi) horizontales, polycentriques, obéissant à des logiques distinctes.
- Cela ne veut pas dire que les choix langagiers de tous les acteurs aient la même incidence (dans le moment ou dans la durée) sur les changements intervenant dans les usages et les politiques linguistiques, mais bien plutôt que ces changements ne sont jamais imputables à l’action d’une seule des instances actives dans la sphère d’usage considérée et sont toujours le résultat de facteurs complexes, de rapports de forces à variables multiples.
- De même qu’il serait erroné de considérer un gouvernement central comme seul décideur aujourd’hui dans ces domaines, de même il est pour le moins abusif de prêter à une institution internationale le même type de pouvoir. Ainsi, autant l’Union européenne peut, dans certaines limites, établir des normes, adopter des directives, fixer des dispositifs de régulation dans le secteur économique et budgétaire, autant cette même Union ne saurait exercer une autorité dans le domaine des langues : elle a la latitude de produire des statistiques, émettre des recommandations, financer des initiatives éducatives multilatérales et mettre en place des programmes incitatifs (Lingua naguère, Erasmus) et ses initiatives ont une certaine influence sur les pratiques, les représentations, voire les apprentissages des langues, mais pour autant et pour autant seulement que d’autres acteurs interviennent dans les processus ainsi enclenchés. S’agissant du Conseil de l’Europe, qui n’a de pouvoir normatif qu’au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme et qui, quant aux moyens à sa disposition, est un nain à côté de l’Union européenne, ses interventions dans le domaine des langues ne vont jamais au-delà de recommandations aux États membres (souvent sans effet) et de mise à disposition de ces mêmes États membres et de tout un chacun des instruments que l’ensemble des autres acteurs, institutionnels ou non, peuvent utiliser s’ils le souhaitent, à leurs propres fins.
- Dès lors qu’on accorde une importance particulière aux institutions, il y a lieu de faire poser quelques constats ou de retenir des points de vue qu’on voudrait non simplificateurs :
- Chacune obéit à ses propres logiques, en fonction de ses missions, de ses intérêts, de son histoire et en rapport aux autres institutions de son champ ; ainsi, au-delà de l’affirmation de quelques principes généraux communs, Union européenne et Conseil de l’Europe sont assez loin de partager les mêmes orientations dans le domaine des langues ;
- Chacune connaît ses propres tensions internes, dans les rapports verticaux et dans les relations entre composantes ; ainsi, dans les instances internationales et selon les origines des fonctionnaires, des consultants ou des experts, des traditions distinctes, voire des divergences plus profondes sont à l’œuvre ; richesse certaine, mais complexité accrue ; d’où la nécessité de parvenir à un consensus, ou l’acceptation que les documents et instruments produits portent la marque de ces tensions internes ;
- Des évolutions interviennent et des déplacements d’accent quant aux intérêts et aux projets ; la considérable ouverture du Conseil de l’Europe à de nouveaux pays membres après 1989 a fortement remis à l’ordre du jour l’insistance sur la citoyenneté démocratique (et même, un temps, la citoyenneté européenne) ; plus récemment, la situation des Roms dans de nombreux pays, mais aussi les débats liés aux phénomènes migratoires ont conduit à thématiser les finalités d’inclusion et de cohésion sociales ; et c’est autour des notions de qualité et d’équité dans l’éducation que se polarisent de nouveaux projets. De telles inflexions de priorités (à l’intérieur d’un même ensemble de valeurs liées aux droits de l’homme, à l’état de droit et à la démocratie) ne sont pas sans incidences sur la manière dont les actions relatives aux langues sont présentées et fléchées, à l’intérieur même de l’institution ;
- Les experts associés aux travaux et les auteurs d’études spécifiques disposent de leur liberté académique et peuvent — dans ce cas particulier — influer fortement sur les orientations effectives de l’institution ; le Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe, document-clé pour la Division des politiques linguistiques est l’œuvre de deux experts et a été accepté comme tel par l’institution14 ; la notion de compétence plurilingue, introduite dans une étude commanditée, a été pleinement reprise dans le CECR ; la prise en compte de la langue de scolarisation dans les travaux de la Division, alors que toute l’action antérieure de la section des langues vivantes s’en tenait aux langues étrangères, ne répondait pas à une demande de l’institution, mais a résulté, non sans quelques débats internes et difficultés d’ajustement avec les réseaux internationaux existants et les partenaires établis, de propositions de certains des conseillers universitaires.
D’aucuns — et ici même — ont vu dans le CECR un des leviers d’une sorte de vaste complot visant à « marchandiser » les formations et à déposséder l’école de son rôle éducatif. C’est, me semble-t-il, jeter le bouchon un peu loin ou se tromper de cible, s’agissant du Conseil de l’Europe et de sa Division des politiques linguistiques.
Il est loisible à chacun, certes, d’estimer que tous les beaux principes qui fondent cette institution européenne ne sont que noble façade derrière laquelle opèrent des forces obscures au service d’un capitalisme mondialisé et que seuls les benêts s’y laissent prendre. Cela relève de la libre expression en démocratie et cela rentre bien entendu dans le jeu ordinaire des politiques linguistiques (telles du moins que caractérisées plus haut) où toute une diversité d’acteurs est partie prenante à ce que des changements interviennent… ou n’interviennent pas. Mais il est permis de préférer, pour l’analyse et l’évaluation de ces politiques et de leurs discours, une approche plurielle de la complexité du domaine et de ses enjeux à des amalgames et des modèles interprétatifs d’autant plus commodes et toujours faciles à confirmer qu’ils sont préétablis, monolithiques et passe-partout.
Je me suis donc attaché ici, en tant que témoin impliqué ou, si l’on préfère, acteur réflexif parmi d’autres, à participer de cette approche plurielle de la complexité. En raison aussi d’un engagement déjà ancien, où une certaine vision de l’Europe et une certaine conception de l’éducation ont leur part. Ce qui ne saurait conférer un surplus de légitimité ou d’autorité à la présente contribution, à considérer en effet parmi d’autres.