Les outils de traduction ne cessent de se multiplier et de se diversifier : traduction automatique, mémoires de traduction, aide à la rédaction, dictionnaires électroniques et bases de données terminologiques en ligne, concordanciers, etc. Jamais l'offre de produits gratuits ou payants n'a été aussi forte. Les conséquences ne sont pas sans effet sur le métier de traducteur et l'enseignement de la traduction qui devient de plus en plus technique.
Une inégalité s'instaure à plusieurs niveaux : entre le traducteur féru d'informatique et celui qui ne se sert de l'ordinateur que comme d'un traitement de texte, entre l’agence de traduction ou l'institution disposant de mémoires de traduction énormes et le traducteur freelance aux moyens techniques beaucoup plus modestes.
La profession s'informatise au risque de transformer l'activité traduisante en une activité de post-édition, de révision et de contrôle de segments standardisés, aliénant ainsi le rapport au texte. L'accélération des cadences en vue de réduire les coûts et d'augmenter la productivité conduit à des changements au niveau de l’exercice et des perspectives du métier de traducteur et en amont au niveau de la formation à la traduction.
En revanche, ces mêmes outils permettent d'homogénéiser la qualité de la traduction, qu'elle soit collective ou individuelle, celle-ci n'étant plus dépendante de la seule personne du traducteur. Désormais, un environnement de travail intégré remplace graduellement la lente et fastidieuse compilation manuelle de dictionnaires et glossaires spécialisés.
Les onze contributions rassemblées dans ce deuxième numéro des Cahiers du GEPE constituent une sélection des travaux présentés les 18 et 19 septembre 2008 sous l’égide du Groupe d’Étude sur le Plurilinguisme Européen, composante de LiLPa (EA 1339 : Linguistique, Langues et Parole) en collaboration avec l’Institut de Traducteurs, d’Interprètes et de Relations Internationales (ITI-RI) de Strasbourg. Rédigées par des enseignants-chercheurs, des doctorants ou des traducteurs professionnels, elles illustrent certaines des principales évolutions de la technique et ses répercussions sur le métier du traducteur.
Deux articles optent pour une approche critique et traductologique. Ineke Wallaert (The Elephant in the Dark : Corpus-Based Descriptions of Translators’ Style) relativise l’efficacité des analyses de corpus pour mettre en évidence le style d’un traducteur, Freddie Plassard (Intertextualité et technologies de l’information et de la communication : principe et mise en œuvre) aborde la question de l’intertextualité : la consultation de textes parallèles, voire de traductions antérieures et des textes originaux contribue à la contextualisation du texte à traduire.
Cinq contributions traitent des corpus et des mémoires de traduction. Pour ce qui est des corpus, la contribution de Cécile Frérot (Outils d’aide à la traduction : pour une intégration des corpus et des outils d’analyse de corpus dans l’enseignement de la traduction et la formation des traducteurs) constitue un plaidoyer pour l’introduction de certains outils de traitement automatique des langues dans la formation des traducteurs. Christian Vicente (Le rôle de la linguistique de corpus en traduction spécialisée : quelques notions de lexicologie pour l’enseignement de la notion de combinatoire aux apprentis traducteurs) met en évidence le rôle accru de la linguistique et plus particulièrement de la lexicologie combinatoire dans l’enseignement de la traduction. Mojca Schlamberger-Brezar (La préparation des corpus parallèles et comparables — nouvelles bases pour la traduction entre le français et le slovène) évoque la récente expérience slovène visant à la constitution de corpus bilingues bidirectionnels slovène-français. En ce qui concerne les mémoires de traduction, Sandrine Peraldi (Traduction assistée par ordinateur : entre théorie et pratique) analyse les processus d’utilisation des mémoires de traduction et décrit les avantages qu’en retire le traducteur. L’article de Françoise Wirth (Traducteurs, agences et outils de TAO) prend un certain recul par rapport aux différentes mémoires de traduction présentes sur le marché dont certaines sont imposées au traducteur par le donneur d’ordre et accroissent la dépendance du premier vis-à-vis de certains produits tout en exerçant une pression à la baisse sur ses revenus.
Quatre contributions ont trait à d’autres exploitations des outils électroniques. Franco Bertaccini et Mara Rocchi (Source text quality and computer-assisted translation) traitent de la question de savoir s’il est possible de conserver une homogénéité textuelle lorsque plusieurs traducteurs traduisent un même texte à l’aide d’outils de TAO. L’article de Beatriz Sanchez (Vers une représentation lexicographique du verbe compter) a trait à la confection d’un dictionnaire électronique bilingue des verbes de comptage prenant en compte des informations sémantiques discriminantes très détaillées et constituant de ce fait une aide pour le traducteur. Christiane Nord (TRACI : The Trainee Translator’s Card Index) s’attache à défendre une méthodologie d’apprentissage de la traduction traditionnelle et efficace fondée sur la recherche d’informations dans différentes sources. Enfin, Thierry Grass (A quoi sert encore la traduction automatique ?) se penche sur l’utilité de la traduction automatique dans une perspective de post-édition.
Si l’on peut dresser un bilan, on dira que si, d’un côté, les outils s’améliorent et s’affinent indéniablement, tant d’un point de vue qualitatif que quantitatif, d’un autre côté, les pressions qui s’exercent sur la profession sont de plus en plus fortes : en plus d’une maîtrise « parfaite » d’une langue source et d’une langue cible, on exige du traducteur des compétences en informatique allant bien au-delà de la « pas si simple » bureautique, tout cela pour une rétribution qui n’est pas toujours à la hauteur des exigences, faute de cadre juridique adéquat.