Lettre n° 1 (fol. 86 - C 171)
Monsieur le Conseiller,
Voulez-vous savoir ce que peut le seul nom de Werner chez la Grande Nation ? Donnez-vous la peine de lire la lettre dont je vous envoie la copie littérale.
Le Cen Dolomieu23, ayant scu, par une espèce de hasard, que P Eflinger, élève de l’École Wernerienne, était le même individu que J.F. D’aubuisson qui poursuivait sa radiation de la liste fatale et demandait à être mis sous la protection de la légation française en Saxe, m’a écrit une lettre bien flateuse pour vous.
« Paris, le 25 floréal an 93
Aussitôt que j’ai immaginé, Monsieur, que je pouvais vous être d’une quelconque utilité, j’ai mis à vous servir tout l’empressement possible. Il n’était pas nécessaire que j’eus l’honneur de vous connaître pour prendre à vous un très grand intérêt, il m’a suffi de savoir que vous cultivez les mêmes sciences que moi et que vous êtes attaché au célèbre professeur Werner pour qui j’ai une estime particulière : j’ai donc parlé de vous hier au ministre de l’Intérieur4, et il m’a promis d’écrire aussitôt au ministre plénipotentiaire de la République française à Dresde pour vous recommander expressément à lui et pour qu’il vous prenne sous son immédiate protection. Moi même j’écrirai au citoyen Alexandre de la Rochefoucauld pour lui dire l’intérêt que je prends à vous, et pour le prier de vous favoriser dans toutes les occasions5.
(fol. 86 v° - C 172)
Je me félicite, Monsieur, de me trouver dans des circonstances qui me permettent de vous témoigner de l’attachement, et de montrer quelle est ma haute considération pour le célèbre professeur dont vous recevez les instructions, veuillez lui faire agréer les assurances de ma vénération, et croire à la sincérité de mes sentiments pour vous ».
Signé D. Dolomieu, membre de l’Institut national
Brochant6 m’écrit en même temps une fort longue lettre dont je vous donnerai communication la première fois que j’aurai l’honneur de vous voir. Entre autres choses, il me dit « Veuillez bien aussi témoigner à Mr Werner combien je lui suis reconnaissant de ce qu’il a bien voulu faire pour moi ; je suis impatient d’aller me ranger au nombre de ses élèves : il y a lieu de croire que ce sera l’année prochaine. Dolomieu compte bien réaliser son projet et répondre aux honnêtetés que lui fait Werner dans votre lettre. »
Brochant finit sa lettre par quelques détails sur Dolomieu qui pourraient vous intéresser… » Le malheureux Dolomieu a eu dans sa prison quelques facilités d’écrire non pas avec de l’encre et une plume mais avec un bâton appointi sur le pavé et du noir de fumée de sa lampe délayé dans de l’eau, il a écrit d’abord sur les marges de quelques livres qu’on lui avoit laissés, puis sur un petit registre qu’il s’est procuré : il a fait de cette manière un traité tout entier sur la Philosophie minéralogique et particulièrement sur les principes qui doivent déterminer l’espèce en Minéralogie. Je l’ai décidé à nous donner ce travail pour le Journal des mines7. »
(fol. 87 - C 173)
Brochant est celui qui a découvert que P. Elfinger n’était autre que J.F. Daubuisson, il s’est déjà employé pour moi et il me dit « j’ai lieu de croire qu’aidé de Dolomieu et autres mes soins ne seront pas infructueux, ainsi vous pouvez correspondre directement avec moi sur vos affaires particulières. »
Me voilà donc fils adoptif de la Minéralogie, et particulièrement de celui qui en est le souverain-pontife ; continuez de me traiter comme tel car j’ai pour vous toute l’affection et tout le dévouement que l’on a pour un père que l’on chérit, et pour une personne à qui on a les obligations les plus essentielles.
J’ai l’honneur d’être avec ces sentiments, ainsi qu’avec la plus haute considération et un profond respect, Monsieur, votre très humble et très dévoué serviteur.
J.F. Daubuisson
Dresde, le 5 juin 18018
PS : J’irai à Freiberg au commencement de la semaine prochaine ; j’ai parlé à La Rochefoucauld de l’envoi que vous vouliez faire en France, il s’en chargera.
Lettre n° 2 (fol. 88 - C 175)
Freiberg, le 17 août 1801
Monsieur le Conseiller,
Je ne sais si à Carlsbad vous pensez beaucoup aux minéralogistes de Paris : mais bien certainement ceux-ci pensent à vous ; j’ai reçu il y a quelques jours une lettre de Delamétherie9, qui, entr’autres choses, me dit : « vous avez vu (je ne l’ai point vu) dans le dernier cahier du journal de physique un long mémoire d’un des élèves les plus distingués de Mr Werner, Humboldt, sur les montagnes d’Amérique : il y rappelle sans cesse les noms de votre illustre professeur : nous avons de la peine à reconnaître les substances qui y sont désignées et nous craignons toujours de nous tromper : par quelle fatalité ne puis-je avoir la collection que m’a promise Mr Hoffmann et qui me feraient connaître les espèces de roches de Mr Werner, ce que je désire avec tant d’ardeur ? Si nous avions cette collection bien étiquetée nous n’appréhenderions plus de confondre les substances et de prendre les unes pour les autres. Il finit sa lettre en disant « veuillez bien présenter les respectueux hommages à Mr Werner ».
J’ai été à Glashütte, Berggieshübel, Königstein, Schandau, dans le charmant vallon qui mène à Sebnitz (où j’ai vu on ne peut pas plus distinctement les deux espèces de Klüfte10 qui, perpendiculaires entr’elles et à la Schichtungs Kluft11 divisent le sandstein12 en parallélépipèdes), au (fol. 88 v° C 176) Heilenberg, (où j’ai cassé pendant 2 heures de temps des colonnes de basalte, lauter Bruchstücke13, disait Riedel), à Altenberg où je suis trois fois angefahren14, où j’ai vu des merveilles, à Zinwald, d’où j’ai vu beaucoup de pays &c., mais non Carlsbad où vous étiez et que mes yeux cherchoient à cause de cela, &c., et actuellement me voici à Freiberg, où j’écris du matin au soir de l’Aufbereitung15 et combien d’aulnes, de pouces, de lignes ont toutes les parties d’un Stosshoerd16 d’un Pochwerk17, matières bien sèches, bien ennuyeuses ; mais quand on est obligé de faire quelques chose, tant vaut-il le faire de bonne grace.
Eh ! La réponse au Conseil des mines18 ? Sitôt que vous serez de retour vous ne manquerez pas de me dire « pardonnez, j’avois oublié (volontairement ou non ? c’est ce que j’ignore et veux ignorer) à Freiberg l’esquisse de la lettre : mais au premier moment de libre je m’en occuperai » et moi je sortirai de la chambre, l’oreille basse, en entendant cette réponse. Mais pourvu que vous reveniez bientôt, bien portant, satisfait de votre voyage je suis content. Au reste il faut qu’il m’arrive une grande perte de mémoire si jamais je vous oublie, car je crois que depuis votre départ, je n’ai pas passé de jour sans écrire vingt fois votre nom. En attendant que j’aie l’avantage de vous revoir, daignez croire à la sincérité des sentiments de reconnaissance, considération, dévouement et respect avec lesquels j’ai l’honneur d’être Monsieur le Conseiller votre très humble et très dévoué serviteur d’Aubuisson.
Lettre n° 3 (fol. 89 - C 177)
Freiberg, le 19 mai 1802
« Monsieur le Conseiller,
Il y a 20 ans que la mode de France était de faire l’esprit fort : on ne croyait ni à Dieu, ni à Diable : cependant on y croyait à Mesmer et à ses miracles, ce qui n’était guères plus philosophique. Je ne sais à quoi l’on croit aujourd’hui et encore moins à ce que l’on croira dans un an : mais l’attachement que je vous porte m’a allarmé car dès que l’inquisition aura rallumé ses feux vous êtes perdu : un autodafé. Comment, me direz vous, plutôt que de me laisser brûler comme un imbécile, je déclarerai que je crois que le St Esprit procède du père et du fils que Satan est un coquin, que Salomon avoit trois cents belles femmes, qu’Ezechiel faisait un grand plaisir à Dieu en mettant sur son pain de la m…. au lieu de confiture, &c. Monsieur le Conseiller tout cela ne servira de rien : je déposerai que vous avez eu commerce avec Belzebuth, Astaroth, et autres anges des ténèbres car ce sont certainement eux qui vous ont inspiré la géognosie. Voyez, dirai-je, comme tous ceux qu’il initie dans les mystères de cette science diabolique s’en vont de suite, comme de vrais possédés du démon, courir et errer dans les montagnes. Oui, moi qui tous ces jours-ci ait été mouillé et gelé jusqu’à la moële des os, je certifierai que la géognosie est une œuvre du démon, faite pour le supplice des mortels. Passe encore si la rage géognostique n’attaquait que de pauvres diables, la nécessité, la misère les pousse pourrai-je dire mais sitôt que Werner a parlé, voilà les Hawkins, Humboldt, Buch, &c. qui (fol. 89 v° - C 178) s’arrachent du sein du bien-être, pour aller, comme des forcenés, courir, jusques par delà les mers, les montagnes et les plaines pour savoir si… le basalte repose sur le granit, ou bien le granit sur le basalte… Si les filons ont été remplis de haut en bas ou de bas en haut… Ah ! Quels fous, me disais-je ; il vaudrait bien mieux être actuellement dans une chambre bien chauffée auprès d’une belle robe de mousseline ; je n’y aurois pas autant de froid que j’en ai, dans ce moment, sur le Landsberg où le vent me souffle la neige tantôt dans une oreille, tantôt dans l’autre, et où ce que j’ai de plus sûr est ma langue dans ma bouche. Pendant que je raisonnois ainsi, un savant du pays vraisemblablement le Schulmeister19 ou le Küster20 de Krumbach, me conduisit, disait-il, dans le cratère du Vésuve d’Hertzogswald ; car vous saurez que mon savant était un vulcaniste. Ce cratère c’est un trou au haut du Landsberg que l’on nomme Hundsgrabe : j’y suis descendu et me voilà occupé à casser le basalte qui en formait les parois, tant pour voir les progrès de la décomposition que pour en retirer une espèce de lithomerge qui y étoit en abondance et moi qui un moment auparavant riais de la folie de Humboldt, je suis resté une heure dans ma fosse, où la neige me tombait dessus de tout côté ; j’y jouissois autant qu’un mahométant espère jouir au septième ciel et j’y étais en extase comme St Jean écrivant son apocalypse. Tout cela provenait de l’œuvre du démon qui pour le tourment des humains vous a inspiré la géognosie. Deus est ignis
Le mauvais tems m’a ramené à Freiberg, je m’en consolais dans l’espoir d’avoir l’avantage d’y conférer encore avec vous : mais je vous ai trouvé parti. Schellig m’a (fol. 90 - C 179) dit que nous m’aviez attendu tout le samedi : j’ai cru devoir vous écrire pour vous remercier de cette marque d’attention. Je n’ai point reçu de lettres de Brochant : voilà cependant aujourd’hui huit semaines que je lui ai écrit et il m’avoit promis de me répondre par le premier courrier : les lettres mettent au plus 17 jours d’ici à Paris, ainsi il a eu plus de 8 jours pour répondre : je ne sais pourquoi il ne l’a pas fait, d’autant que je lui avais très expressément marqué que vous aviez suspendu vos projets jusqu’à sa réponse et que vous lui demandiez de vous instruire au plutôt de son plan. Ainsi je vais faire tout comme s’il ne devait pas venir : vraisemblablement vous en ferez autant. Je vais aller passer quelques jours à Dresde, pour y voir la collection de Mr de Reknitz puis je viendrai vous voir, vous prier de me dire comment je dois faire le voyage de Johann Georgen Stadt. Le voyage fini je reviendrai à Freiberg travailler au mémoire sur les basaltes de la Saxe : je vous rappellerai à ce sujet que vous m’avez promis de me faire le plan du mémoire ; ayez la bonté d’y réfléchir dès que vous aurez un quart d’heure de libre. Ensuite je ferai le voyage de Malapan, Tarnowitz, Waldenburg, reviendrai à Freiberg pour vous y réitérer mes remerciements et prendre vos derniers ordres, je partirai alors pour Paris en prenant ma route par le Hartz et la Hesse.
Je souhaite que votre santé n’ait pas été altérée du mauvais temps que vous avez eu pendant votre voyage. Je crois qu’il est superflu de vous parler de la sincère reconnaissance, ainsi que des sentiments de l’estime et de la considération aussi distinguée que respectueuse pour lesquels j’ai l’honneur d’être, Monsieur le Conseiller, votre très humble et dévoué serviteur.
J.F. Daubuisson
Lettre n° 4 (fol. 91 - C 181)
De la Lusace votre patrie le 28 juin 1802 (10 messidor)
Monsieur le Conseiller
Permettez moi de vous renouveller mes remerciements, dans un village près de Bautzen où un orage m’a surpris : au milieu d’un cabaret (où j’entends parler la langue de ces anciens conquérants, qui après avoir poussé les Romains jusqu’aux extrémités de l’Europe leur firent encore en Afrique ces guerres dans lesquelles s’illustra le malheureux Belisaire), je vous réitère les assurances de la plus sincère reconnaissance pour toutes les obligations que je vous ai : je sais apprécier tout ce que vous avez bien voulu faire pour moi ; et compte encore pour la suite sur vos bontés. Mais de mon côté, je dois vous parler, par écrit, d’une chose qui me tient fort à cœur. J’ai contracté à votre égard une dette sacrée : c’est la première et la seule que j’ai : dans ce moment, je ne puis la satisfaire, et même elle ne me pèse pas, parce que c’est à vous que je la dois : mais je prends l’engagement solennel de l’acquiter du moment que j’en serai état ; le premier argent que je toucherai dès que je serai placé, sera destiné à cet objet.
J’ai mal débuté dans mon voyage. Le baron de Baust qui s’étoit chargé de mes effets les a oubliés à Tarante21, ainsi ils ne pourront partir pour Breslau que jeudi : ne voulant pas arriver avant eux, j’irai voir le Lupenfeuer de Buntzlau dont vous m’avez parlé.
(fol. 91 v° - C 182)
Chaque chose et chaque personne a son bon et son mauvais côté : je vous prie de me présenter du premier ; car on n’est pas toujours obligé de dire la vérité toute entière. Un panégyrique sur mon compte ferait peut-être peu ; mais bien sûr un seul mot à mon désavantage sera saisi avec empressement par tous ceux qui ont intérêt à m’exclure ; et tous ceux qui ont quelque prétention à la place que l’on pourrait me donner sont de ce nombre. Il m’a paru que vous insistiez sur deux articles : 1° que je n’ai étudié que deux ans : si je vais dire cela, tous les jeunes ingénieurs, tous les élèves vont dire mais nous étudions depuis 4, 6, 8, 10 ans les mines et l’on veut nous préférer une personne qui ne les étudie que depuis deux ans : c’est injuste et ridicule. Peu importe combien de tems j’ai étudié, si je fais mon affaire : il est bien inutile que j’aille faire remarquer que c’est en peu de temps ; cela ne pourrait que déposer en faveur de la diligence et de ma facilité mais je le répète ici ce serait peu utile et pourrait m’être fort nuisible. 2°. Peu importe que mon éducation, ma tête était déjà formée : que j’avais 30 ans lorsque j’ai entrepris cette étude. Je ne sais qu’elle est le jeune homme qui a mieux fait et mieux mis à profit (dans les deux années que j’ai suivis vos cours) tant ce que vous nous avez dit sur le Bergbau22, la géognosie23, et même la cristallographie24, je ne parle point de l’aptitude à reconnaître à la seule vue les minéraux ; celle-là je ne l’ai point, j’en conviens. Personne n’a, à Freiberg, déterminé un aussi grand nombre de formation de filons, dans la dernière année.
(fol. 92 – C 183) N’oubliez pas Mr Van-Berchen, il logeait place Vendôme, n° 1, mais il a changé de logement : on vous donnera des renseignements à son ancien domicile. Bon voyage, amusez-vous bien, respirez l’air français, soyez gai comme un français, faites bonne chère et retournez un peu délassé des travaux de Freiberg.
Daignez me passer cette mauvaise feuille de papier ; je vous écris dans un cabaret vendale on ny fait pas ce que l’on doit à un savant, à un génie de premier ordre.
J’ai l’honneur d’être avec la reconnaissance la plus sincère et le plus profond respect.
J.F. Daubuisson (stile républicain)
Je suis votre ouvrage et un autre c’est faire la cour aux français de leur dire du bien d’un français : dut la vérité en souffrir un peu.
Lettre n° 5 (fol. 93 - C 185)
Paris le 28 frimaire (19 décembre 1802)
Monsieur le Conseiller,
Vous trouverez mon exactitude en défaut : voilà près d’un mois que vous avez quitté Paris et je ne vous ai pas encore écrit : mais je n’en ai pas moins pensé à vous dix fois par jour, depuis que vous m’avez laissé orphelin dans Paris. J’attendais à chaque instant le moment de pouvoir vous écrire en commençant ainsi ma lettre « Enfin me voilà placé, &c. » ; mais comme je pourrois peut-être attendre encore quelques tems, je vais rompre le silence. Mes affaires sont bien changées. Il y a environ trois semaines que Mr Gillet25m’envoya chercher et me dit Cen nous aurons l’avantage de vous posséder chez nous ; nous ne pourrons pas vous faire ingénieur parce que la loi s’y oppose : nous allons travailler demain avec le ministre, nous lui avons parlé de vous, il nous a dit de présenter le travail : nous demandons que vous soyez attaché à un bureau comme traducteur, que vous soyez chargé de la bibliothèque d’une partie des collections ; et nous demandons 2500 francs pour vous. Vous viendrez demain avec nous chez le ministre, vous lui présenterez votre ouvrage sur les mines de Freiberg. En même temps il me dit que dans l’été on [ne] m’enverrait pas l’école pratique26, ou dans quelque mines et que les hyvers, je les passerai à Paris. Me voilà bien satisfait, Gillet m’invite à dinner pour le lendemain. C’est Mr Lefebvre27 qui avait dit de me conduire chez le Ministre28. Celui-ci me reçut fort bien, me fit des compliments sur mon mémoire sur les basaltes29 et je sortis bien fier, je n’aurais pas donné mes 2500 fr pour 2499. dinner, Mr Gillet ne dit mot, mais ensuite il me dit il n’y a rien de décidé, le ministre a dit en prenant la note qui vous concernait nous verrons, qui vous a dit que j’avais 2500 fr à donner ? Je fus le lendemain chez le secrétaire-général (fol. 93 v° - V 186) Coulomb, pour qui Andréossy30 m’avait donné une lettre, Coulomb parle au ministre ; il me dit que c’étoit le défaut de fonds qui embarrassait ; alors il ajoute qu’il verrait d’en trouver, mais qu’il fallait que le Conseil lui écrivit à lui sur mon compte : le Conseil fit bien des difficultés ; enfin, et ce fut Lefebvre qui proposa cet avis, le Conseil se rendit lui-même chez le secrétaire général, qui répète ce qu’il m’avait dit, et prie le Conseil de lui écrire, et qu’il verroit de trouver les fonds. Le Conseil a écrit, et croit que la chose est finie ; mais moi qui ai vu Coulomb, je sais que le ministre hésite encore : j’ai bien vite écrit au général pour le prier d’envoyer une seconde lettre au ministre. Voilà où j’en suis. Une des raisons pour lesquelles on me donne une partie des collections, c’est à cause de votre méthode, car ils veulent faire une belle collection d’après votre système, et ils veulent m’en laisser l’arrangement. Il faudrait que vous priassiez Mr Hoffmann d’envoyer la collection s’il ne l’a déjà fait : Mr Lefebvre disoit à ce sujet, qu’il seroit bien aise qu’il y eut une suite aussi complète que possible de zinnerze, de Altenberg, Geyer, &c. Ainsi si Mr Hoffmann en a, il feroit bien d’en ajouter quelques uns : plutôt des morceaux geognostische als orictognostiche31.
Mr Gillet doit vous écrire ; depuis trois semaines, il me dit qu’il me remettra la lettre, il ne le fait jamais : il vous envoye un grand mémoire de Mr Bournon sur le Corond32, c’est l’auteur qui vous en fait cadeau.
(fol. 94 - C 187)
La Métherie, qui me parle tous les jours de vous, vous a écrit une petite lettre d’amitié. Quelques jours après votre départ, j’ai fait porter chez Treutel la caisse de minéraux33 : Le Conseil des mines a fait une déclaration sur papier timbré pour toutes les trois, ainsi cela passera les frontières sans aucune difficulté. L’almanach national et le Journal de physique ayant parus plus tard qu’on en croyoit, on n’a pu vous les envoyer à Mayence : je les ai remis à l’Espagnol Mr Porraga, et depuis longtemps vous devez les avoir : ce même monsieur était à la séance de l’Institut dans laquelle je commençai la lecture des mémoires sur les basaltes ; depuis je n’ai pu continuer : les membres de l’Institut travaillent tant que leurs travaux remplissent toutes les séances, ce qui n’est pas ordinaire. Mr Haüy travaille à sa seconde édition : elle sera bien inférieure à la première34. Ecoutez son raisonnement. « La forme de la molécule a de si grands avantages sur tous les autres caractères dans la détermination des espèces qu’elle seule les détermine : or, comme il faut une unité dans une méthode, toutes les substances minérales dans lesquelles on ne peut pas la déterminer doivent être bannies de la Minéralogie et reléguées dans la géologie ». Grand dieu, est-ce avoir la plus petite notion de Minéralogie, je dirai même d’histoire naturelle que de réformer ainsi ? Je salue avec respect Me de Weis, Melles de Hiller, de Charpentier, Mr de Trebra. Je vous renouvelle les assurances de la plus sincère reconnaissance pour tous les services et toutes les bontés que j’ai reçues de vous et j’ai l’honneur de vous assurer du plus respectueux dévouement.
J.F. Daubuisson
Lettre n° 6 (fol. 95 – C 189)
Paris, le 6 pluviôse (26 janvier 1803)
Monsieur le Conseiller,
Me voilà enfin placé, de la manière à la vérité qui me convenait le moins, mais comme dans les commencements il ne faut pas être difficile, je suis content : on m’a adjoint aux bureaux comme traducteur et à la garde de la bibliothèques et des collections avec 2500 francs d’appointements. Ce n’a pas été sans beaucoup de peine que j’y suis parvenu : je le dois à une disposition du ministre en ma faveur ; le Gal Andreossy avait écrit à Coulomb, secrétaire général du ministère de l’Intérieur, et celui-ci m’a fortement appuyé auprès du ministre, bien m’en a vallu car le Conseil des mines avait fait plusieurs demandes, et toutes ont été refusées, excepté celle qui me concernait ; aussi le Conseil n’es pas trop content. Je vais donc être occupé de traductions et de Minéralogie tout cet hiver et l’été l’on m’enverra peut-être à l’école pratique.
Mr Gillet est malade : il doit vous écrire depuis longtemps pour vous faire passer quelques mémoires que Mr de Bournon vous envoye : c’est un bien brave homme qui vous est fort attaché : il me charge de vous faire bien des amitiés.
Mr Haüy m’a dit de vous dire que les modelles des décroissements sont finis et très bien faits ; il y en a 19. Ils coûtent près de 160 francs que Mr Haüy avancés ; il vous demande de quelle manière il pourra vous faire passer ces modèles, et si vous désirez la suite des autres cristaux. Je vois beaucoup notre cristallomètre, plus je le connais moins je l’aime. Vous (fol. 95 v° - C 190) savez parfaitement juger les hommes : ah ! que vous avez bien deviné celui-ci : c’es un bon logicien, un bon physicien mais cette bonté, cette simplicité de cœur dont on nous avait tant parlé…. Je vous en conjure, au nom de la science, formez quelqu’élève avec soin : qu’il soit géomètre, bon raisonneur et qu’il sache écrire : car plus je vais plus je vois que cette cristallométrie hypothétique est aux antipodes de la Minéralogie : la molécule seule doit servir à la détermination des espèces, dit-on. C’est là le caractère définitif : pour vous le prouver, je vous prie de jetter les yeux sur la planche de l’ouvrage de Haüy ; l’or natif, l’argent natif, l’argent sulfuré, la cuivre natif, le cobalt arsénical ne sont certainement pas de la même espèce, cependant Haüy reconnaît qu’ils ont non seulement même molécule, mais encore même forme primitive, même lois de décroissement, mêmes formes secondaires, au point que tout cela est représenté par les mêmes figures. Les minéralogistes, ses élèves raisonnent sur des modelles de bois et sur leurs projections, sans se douter même de ce qu’est l’original. Ah ! Si Herder vouloit bien étudier et réfléchir sur ce singulier traité de Minéralogie et puis attaquer avec autant de sang froid que de logique la sotte idole (la molécule) ou plutôt l’idole de quelques sots enthousiastes35 ! Quant à moi, je suis lié, j’en dis et surtout j’en pense beaucoup plus que je ne devrais en dire et en penser, si j’étois plus politique. Haüy est rapporteur de mon mémoire sur les basaltes : nous verrons comme il me traitera, ou me fera traiter par son associé Ramond36qui n’est pas encore ici et qu’il s’est adjoint pour faire le rapport. Fourcroy37, à qui je n’avois jamais parlé m’a fait compliment sur le mémoire. Il veut m’envoyer en Auvergne et il m’a promis de me faire avoir de l’argent pour ce voyage. la société (fol. 96 – C 191) on m’a prié de lire le mémoire : quelques vieux volcanistes de la secte de Desmarest38 et de Faujas39 se sont emportés avec une chaleur volcanique et là le parti anti-wernerien (il s’est qualifié tel) s’est39montré à découvert.
Vous aurez cet été une visite bien intéressante et dont nous pouvons tirer grand parti, c’est Cordier, le fils adoptif de Dolomieu, in petto ennemi de la Minéralogie haüyenne, dont il connaît tout le faible car il y a beaucoup travaillé et a fait une grande partie des planches et des calculs de ce traité : il a beaucoup vu de pays, il est très actif et très intelligent40 : il est plein de vénération pour vous et votre méthode, à ce qu’il a écrit à Delamètherie en lui annonçant qu’il avait fait le projet d’aller à Freiberg cet été, et que son compagnon de voyage, le Danois Neergard41, lui avoit fourni des fonds pour cela : il est dans ce moment à Lisbonne : vous le trouverez grand volcaniste, très attaché aux opinions de Dolomieu, et même imbu des principes de l’école d’Haüy ; malgré cela je suis enchanté de ce qu’il fera le voyage de Freiberg, vous êtes aussi bon politique que minéralogiste ; vous saurez la manière de le prendre : mais il faudra lui parler allemand car il l’entend ; afin qu’il ne soit pas aussi choqué par des expressions dans les préjugés qu’il a. Peut-être Brochant l’accompagnera-t-il mais Brochant fait plus de projets qu’il n’en réalise Il me charge de vous saluer.
Le Conseil des mines vous prie instamment de donner vos ordres à Mr Hoffmann pour qu’il expédie de suite la collection supposé qu’il ne l’ait pas encore fait. S’il vous était possible de me faire passer directement ou indirectement votre opinion sur la nature et la formation de la tourbe, du moorkohle42, braunkohle43 et Steinkohle44, vous obligeriez le Conseil qui s’occupe dans ce moment de cet objet : Mr Lefebvre surtout qui fait un grand travail là dessus45 : j’écrirai un de ces jours au Cte de Baust, et le prierai d’aller vous demander réponse sur cet article. Je ne vous prie pas de distribuer mes compliments et acte de reconnaissance, aux Mrs de Trebra et autres parce que j’ai promis au Oberberghaupmann46 que la première lettre à Freiberg serait pour lui : je lui écrirai dans la semaine. Il seroit superflu que je vous renouvelasse toutes les assurances de ma sincère reconnaissance et de ma respectueuse estime.
J’ai l’honneur de vous saluer
J.F. Daubuisson
Lettre n° 7 (fol. 97 – C 193)
Paris, le 15 ventôse (an XI)47
Monsieur le Conseiller,
Daubuisson est bien négligent, avez vous déjà dit, il ne m’a pas encore répondu. Presque tous les jours, je dis à Mr Gillet « écrivez donc un mot à Mr Werner, j’attends votre lettre pour répondre », je me disait toujours oui, oui, craignant qu’il ne me dit d’attendre encore, j’ai pris mon parti. Je suis allé chez Mr Brigand qui avait reçu votre première lettre de change : il ne peut me donner alors le billet, il me dit qu’il me l’enverrait. Gillet vous aime beaucoup, et il m’a dit que dans un grand dinné qu’il y a eu chez Guiton48, et où se trouvait La Place49, Berthollet50, Lhermina51, &c., on vous avoit beaucoup exalté aux dépens de Haüy.
Voulez-vous une preuve du crédit de ce dernier ? Aucun des rédacteurs du Journal des mines n’a voulu annoncer l’ouvrage de Brochant52, de crainte de lui déplaire. Le Conseil m’a chargé de cet objet (eine Recension) mais on m’a recommandé en même tems de ne rien dire que d’avantageux du cristallomètre.
Cette lacheté des camarades de Brochant m’a révolté : je me suis chargé volontiers de ce travail : on m’a il est vrai lié les mains, et forcé de faire un éloge de H…53, mais je n’en exposerai pas moins, sous le point de vue qui me paraîtra le plus grand et le plus avantageux votre méthode minéralogique. C’est La Place, qui fait tout le crédit de Haüy : vous savez combien ce géomètre a d’accès auprès du Maître de la terre et du ministre54 : il prétend que Haüy écrit parfaitement sur les objets de physique : il avoit déjà engagé le Pr Consul à charger notre Cristallomètre (fol. 97 v° - C 194) de rédiger un traité de cette science. Actuellement qu’il a été arrêté que l’on feroit des livres élémentaires pour tous les lycées, il a encore porté Bonaparte à écrire une lettre très flatteuse à H… dans laquelle il le prie de rédiger un cours de physique à l’usage des lycées55.
Mr La Place, malgré son ascendant, a eu, il y a quelques jours un petit désagrément : que je vous raconte cette historiette. Il ne voulait plus être collègue (membre de l’Institut) de musiciens, peintres, &c., il voulait que la classe des sciences (de l’Institut) reprit le titre d’Académie des sciences : il le demande à Bonaparte, qui répondit : si l’Institut le veut, je le veux bien. La Commission (La Place, Fourcroi) chargé de proposer les réglemens pour la réorganisation de l’Institut propose de reprendre l’ancien titre, elle fit son possible pour l’obtenir : mais ce fut rejetté.
Je suis toujours occupé des traductions, à ranger des livres, et j’attends avec impatience qu’on m’employe à de la pratique, cela viendra avec le tems. On va me faire mettre en ordre les collections minéralogiques : me voilà donc pour ce printemps livré à l’étude de la Minéralogie. J’ai fini d’étudier toute la partie géométrique du traite de H…. Certainement c’est une application très ingénieuse de la géométrie élémentaire à la structure des cristaux : c’est une manière de déduire toutes les formes secondaires dans une espèce, de la Grundcristallisation56 formée par la nature et non d’une qui est hypothétique : mais voilà tout : cette théorie (dont le fond n’est pas neuf, vous en avez parlé en 1773 pag. 20, Bergmann aussi57) qui est si exacte, dans le spath calcaire, et même quelques autres Spaths, la galène, n’est plus que supposition sur supposition dans toutes les autres espèces. Il commence par supposer la molécule, qu’il croit la plus propre à lui donner des résultats approchant de ceux qu’il voit (fol. 98 – C 195) dans la forme secondaire : ensuite il mesure un des angles de celle-ci, il trouve 88°, par exemple, alors il dit supposons que ce soit 86° 45’ 36’’ et nous trouverons qu’il faut un décroissement par trois rangées de molécules (hypothétiques) pour produire cette face de cristal &c., et dans son livre il imprime la molécule est …., le rapport entre sa base et sa hauteur est 3 : 5, le décroissement a lieu par trois rangées, et l’angle produit est de 86° 45’ 36’’ : ah ! bien tout est en partie manifestement faux, en partie hypothétique. Voilà donc la nature du contenu de ce fameux traité de Minéralogie, qu’on peut étudier et savoir sans connaître un minéral. Les ignorans étourdis des x, y, = 45’ 36’’ admireront ce qu’ils ne comprennent pas ; les géomètres (non naturalistes) trouveront que c’est une très ingénieuse application des propositions de leur science : peu leur importe que les résultats n’existent pas dans la nature, pourvu qu’ils soient exacts en spéculation…. Personne absolument ne s’occupe de la Minéralogie de Haüy, il est le seul : Cordier et Brochant les deux meilleurs élèves des mines s’en moquent ; Tonnelier58, qui, avec un esprit très borné, est hypochryte comme un prêtre, est son grand Waffenträger59.
Mr Cordier est encore en Espagne, on a reçu il y a quelques jours une de ses lettres, il persiste dans son projet d’aller à Freiberg cet automne ; mais ce sera vraisemblablement un peu tard, car il ne sera à Paris qu’en avril. Il m’a fait dire que le premier livre qu’il voulait y lire était la Géognosie de Werner, comme il l’avait vue annoncée depuis deux ans dans la préface de la théorie des filons, il croyait que cet ouvrage était fait : il est actif, plein de zèle, communiquez lui les bons principes et apprenez lui surtout à ne pas courir et à bien fixer ses yeux et son attention sur le sol qu’on parcourt ; car je m’imagine que Dolomieu (fol. 98 v° - C 196) qui avait plus la rage de courir que d’observer et d’étudier l’aura bien gâté à cet égard. Pour Brochant, il serait peut être possible qu’il partit bientôt d’ici pour aller en Allemagne : mais je lui ai dit qu’il s’occuperait plus de la commédie de Berlin que des mines de Freiberg : il discutera volontiers sur les espèces avant son dinné, il lira bien par passetems, une vingtaine de pages de Minéralogie : mais il n’a pas été formé à votre école, il n’a pas ce fanatisme minéralogique que vous avez inspiré à tant de vos élèves, et qui seul sera capable de tirer la Minéralogie de l’état de médiocrité auquel elle semble condamnée chez nous60. De tous ceux que j’ai vus, Ramond, avec tous ces écarts, est celui qui a le plus et le mieux vu la nature ; il a beaucoup de moyens, et de belles vues : c’est (avec Haüy) mon rapporteur pour le mémoire sur les basaltes et je crois que j’en serai content.
Le 18 Il y a trois jours que j’ai commencé ma lettre, j’ai tant persécuté Mr Gillet qu’il vous a écrit et tout ce qu’il vous dit, il le pense bien dans le fond du cœur, car il vous aime beaucoup. Avant hier, j’ai tant persécuté Brochant que presque malgré lui je l’ai forcé à demander un congé pour aller vous voir61, assister à quelqu’un de vos leçons et de descendre deux fois à Himmelsfurst, une fois à Beschert-glück, une fois à Morgenstern, le tout pour voir des filons62. Pourquoi j’irai, avec de l’argent du gouvernement, en Auvergne passer trois mois : et en répétant quelques années ce voyage, je finirai par donner une description de ce pays de manière qu’elle ne fasse pas tort à votre école63. Daignez me rappeller dans le souvenir de Mrs de Trebra, de Charpentier, de Weiss, &c. et croire à la sincère reconnaissance et à l’attachement inviolable et respectueux avec lequel j’ai l’honneur d’être
J.F. Daubuisson
Mr Hauy regarde Mr Bournon comme son grand ennemi ; celui-ci a relevé dans son ouvrage sur le Corindon quelques unes de ces fausses mesures d’angle (conséquences de suppositions hazardées ; entr’autres dans le zircon et accuse Mr Haüy dont l’exactitude apparente va jusqu’aux secondes d’avoir commis des erreurs de trois degrés64.
Et la collection du Conseil, Mr Lefebvre commence à se fâcher ; je lui ai annoncé qu’elle était en route.
(En marge) Humboldt est, dit-on, mort à Quitto.
Lettre n° 8 (fol. 99 – C 197)
Paris, le 30 mars 1803
Monsieur le Conseiller,
Brochant est enfin parti pour Freiberg le 24 de ce mois ; je puis bien dire que je l’y ai poussé ; car je crois qu’il voulait se contenter d’en faire le projet : et lorsqu’il allait monter en voiture, il était lui même étonné de se trouver si avancé, il doutait presque que ce fut une réalité. C’est un brave garçon, plein de goût, d’esprit : nous sommes fort bons amis et rions souvent ensemble : mais vous le savez et m’en aviez même prévenu, il est très susceptible du côté de l’amour propre ; et même, soit dit entre nous, très porté à la jalousie : il étoit à côté de moi à la société philomathique lorsque j’y lus la fin du mémoire sur les basaltes : comme la peroraison était un peu véhémente, et que quelques personnes vinrent me faire compliment, Brochant me dit d’assez bon cœur vous allez nous révolutionner en géologie : mais quelques jours après m’ayant entendu à l’Institut et ayant vu les honnêtés que me firent Berthollet et Fourcroi, en me disant qu’ils me procureraient les moyens d’aller en Auvergne, il m’en parut affecté ; et depuis il ne m’a jamais plus parlé des basaltes : comme il est professeur de Minéralogie et de géologie, j’ai strictement évité de parler avec lui de ces sciences, notamment de la dernière : et je me suis empressé de lui faire offre de services, de lui communiquer vos cahiers. Il sera vraisemblablement à Freiberg vers le commencement de mai et peut-être vers la fin d’avril. (fol. 99 V° - C 198) Je l’ai surtout engagé à voir la manière dont vous feriez vos cours, afin qu’il put l’établir dans son école65 : vous lui rendrez service en lui donnant des instructions à ce sujet : je désirerois qu’il fit aussi avec Meuder, une course géologique à Tharandt, ou à Gersbach, ou dans Striegitz thal ; vous pourriez bien donner à Meuder vos ordres à ce sujet, et lui dire ce qu’il doit faire observer à Brochant, il pourrait lui montrer aussi en détail son cabinet et celui de(mot illisible). J’ai chargé Brochant de lettres pour Mrs de Trebra, Charpentier, de Weiss, et pour Meuder et je crois devoir vous prévenir d’avance de son arrivée. Envoyez le aussi dans les mines.
Mr Cordier est à Lisbonne, il sera bientôt de retour et je ferai mon possible pour le déterminer au voyage de Freiberg, qu’il a déjà projetté, mais d’après ce que m’a dit Mr Gillet, il ne partiroit d’ici que vers la fin de l’automne.
On dit que c’est un jeune homme de beaucoup de mérite, mais très présomptueux : il a écrit à Lametherie il y a quelques jours et il lui dit « je vous prie de demander à Mr Daubuisson de me dire de quelle manière un habit a été fait, lorsqu’il n’en trouve plus que des lambeaux épars : j’ai répondu , dites à Mr Cordier que lorsque les lambeaux sont de laine, l’habit n’a pas été fait en feu ».
Mr Haüy en chargeant Brochant de beaucoup de compliments pour vous lui a remis les modelles des décroissemens. Il se repent de s’être trop avancé dans son ouvrage : il craint beaucoup Mrs Bournon et Berthollet. Le premier lui reproche d’avoir trouvé par ses calculs des angles qui ne sont pas ceux de la nature et Berthollet d’avoir admis des principes sur les Mischungsverhältnisse66 qui sont démentis par la chimie. Tondi (fol. 100 – C 199) est sa consolation ; c’est lui qui reçoit ses confidences : c’est en outre son maître de Minéralogie67 ; je suis entré il y a quelques jours chez lui et notre italien lui montroit des minéraux et lui apprenoit ce que c’étoit : je fus fort étonné d’entendre que c’état votre langage minéralogique qu’on employoit on disait le grenat dodécaèdre, la tromolithe (et non(mot illisible)).
Le Conseil a reçu il y a quelques jours une lettre de Mr de Trebra, datée du 7 mars qui lui annonce que l’académie des mines de Freiberg souhaite donner au Conseil des marques de sa considération en lui offrant la collection des minéraux : c’est certainement Mr Werner qui a provoqué cette honnêteté. En attendant que le Conseil ait statué quelque chose à ce sujet, Mr Gillet me charge de vous en faire des remerciemens : il m’a demandé ce que l’on pourroit donner en reconnaissance de cette honnêteté : j’ai parlé de la grande carte de France par Cassini et vraisemblablement c’est ce qui sera résolu : les planches de cette carte sont au dépôt de la guerre et l’on obtiendra du ministre une permission d’en faire tirer un exemplaire.
Tout le monde se rappelle ici de vous avec plaisir : Mr de La Place m’en parloit dernièrement. Mr Haüy m’a dit qu’il vous avait présenté à la section de Minéralogie pour être mis au nombre des savants étrangers sur lesquels l’Institut doit prendre un associé. Lamétherie vous écrira un mot, mais je l’ai pas trouvé chez lui. Gillet surtout ne se rappelle jamais de vous sans attendrissement il m’a remis pour vous un mémoire sur les pierres tombées du ciel, Brochant vous le remettra quant à moi je regarde presque comme superflu de vous renouveller les assurances de ma reconnaissance et de mon respect, je suis pour la vie le serviteur le plus dévoué à Mr Werner, et l’apôtre de la Minéralogie wernerienne. J’ai l’honneur de vous saluer J.F. Daubuisson.
Lettre n° 9 (fol. 101 – C 201)
Paris, le 19 avril 1803
Monsieur le Conseiller,
Daignez recevoir les très sincères remerciemens que je vous dois encore dans cette nouvelle occasion. Haüy et Ramond viennent de faire leur rapport à l’Institut : il est fort sévère maisjuste, aucune épithète, aucun mot agréable pour moi : cependant en commençant l’extrait du second article du mémoire qui contient le détail des observations ou plutôt la description détaillée des 15 montagnes basaltiques de la Erzgebirge, Ramond dit, « cette partie du travail du Cen Daubuisson mérite beaucoup d’éloges, par la méthode qu’il y a suivie et qu’il seroit à désirer que l’on retrouvat plus souvent dans les ouvrages géologiques », les conclusions sont encore en sa faveur ; il y est dit que quant aux basaltes de Saxe, il paraît que j’ai complètement rempli la tâche que je m’étais imposée et que les observations que j’ai rapportées ne laissent pas de doute sur leur origine : quant aux basaltes que je n’ai pas vus l’analogie et la marche du raisonnement ont naturellement du me conduire à y étendre mes premières conclusions mais qu’il seroit à désirer que je visse les pays sur lesquels le feu a étendu son empire : et après m’avoir engagé à aller voir les basaltes d’Auvergne, parmi lesquels un autre élève de Werner (Buch) en a vu dont il n’oseroit (fol. 101 v° - C 202) contester l’origine volcanique. Ces commissaires terminent par cette phrase Le Cen Daubuisson sait observer et l’intérêt que ses observations nous paraissent mériter ne saurait lui être témoigné d’une manière plus utile à la science qu’en l’encourageant à les continuer. Les conclusions du rapport ont été mises aux voix et adoptées par l’Institut sans opposition : ainsi l’on me payera les frais d’un voyage en Auvergne. Cependant le parti de l’opposition était très fort, ou au moins très animé : Faujas avait fait tout un monde pour porter Haüy à faire un rapport défavorable ; on l’avoit menacé et lui avoit dit en propres termes qu’il seroit battu comme un chien. Desmarest, avec cet air tendre que vous lui connaissez, a été chez Ramond et lui a dit que mon mémoire ne valait rien et que si les rapporteurs en jugeaient favorablement, ils le lui payeroient : Monge68, qui a la tête ardente comme un volcan (non de ceux de Saxe et du Rhin), avoit dit à Ramond qu’il parleroit à ce sujet : mais en vérité le rapport était fait avec tant de prudence, de sagesse et d’équité que personne n’a osé rien dire : et on l’a trouvé si bien que les rédacteurs des Annales de chimie vont l’imprimer dans leur journal69.
Il y est bien souvent parlé de vous, et avec grand éloge, Ramond y a très joliment exposé vos observations sur le Scheibenberg, le seul titre qu’il m’y donne est élève distingué du célèbre Werner, et pendant tout le rapport votre nom a raisonné dans les sales de l’Institut. Ce qu’on a trouvé de mieux dans mon mémoire c’est l’ordre dans lequel les observations (fol. 102 – C 203) sont faites et exposées. Cet ordre n’est que celui de l’école wernerienne ; et je scais bien que c’est la seule qui fera de vrais observateurs et des observateurs dont les observations mèneront à quelques résultats positifs. Ramond m’en fournit la preuve ; il est plein d’esprit, demérite, il a beaucoup vu mais superficiellement et malgré cela, il a de vraies idées sur quelques points géologiques ; je suis fâché que vous ne l’ayez pas connu.
Nous sommes au tems de Pâques, il faut aimer tout le monde ; et surtout étouffer tout sentiment d’envie. Le St homme Haüy ne me parle tous ces jours ci que de vous : il me dit que vous êtes un bien grand minéralogiste, qu’il a les plus grandes obligations de Mr Tondi de lui avoir appris à connaître votre Minéralogie : qu’il ne sera content que lorsque vous serez membre de l’Institut : qu’il a parlé à beaucoup de membres afin que vous soyez porté dans la prochaine nomination. Il est occupé de son cours de physique. Haüy a réellement beaucoup de mérite : en annonçant l’ouvrage de Brochant, dans le Journal des mines, je ne l’ai vu que du bon côté, ainsi qu’il était de mon devoir : mais tout en disant qu’il avait fait la plus ingénieuse application possible de la géométrie et de la physique à la Minéralogie (de cabinet), que c’étoit un savant distingué, je n’ai jamais pu forcer ma plume à lui donner le nom de minéralogiste : et tout à côté en parlant de vous je dis ce grand minéralogiste. J’ai mis dans une note la traduction très littérale de ce que vous avoit écrit il y a 30 ans et à l’âge de 22 ans au sujet de la forme des molécules des minéraux : j’ai dit que vous la connaissiez, elle vous servait à la détermination des espèces : j’ai lu cet article à Haüy qui, après avoir entendu vos propres expressions a répondu, il a été plus loin que Bergmann à ce sujet. (fol. 102 v° - C 204)
Gillet, Lamétherie, Tonnelier, vous saluent et vous embrassent. Quant à moi, je vous renouvelle encore les sentiments de la reconnaissance la plus sincère et de la considération aussi distinguée que respectueuse avec laquelle j’ai l’honneur d’être
J.F. Daubuisson
Lettre n° 9 (fol. 103 – C 205)
Paris, le 27 germinal an XI (le (blanc) juin 1803)
Monsieur le Conseiller,
Nous werneriserons la France, je l’ai dit et cela ne commence pas mal : je crois qu’avant un mois d’ici j’aurai arboré le drapeau wernerien sur le sommet du Puy de Dôme : si par hasard je trouvois trop de difficultés dans ce projet et que Vulcain le disputât avec quelque avantage, je crois pouvoir vous répondre d’après les rapports que j’ai entendus, du Mont d’Or, du Cantal et des Cévennes. Il fallait un peu sapper l’empire de Haüy : c’est fait. Berthollet vient de donner le signal : vous savez quelle tête il possède, et l’autorité dont il jouit parmi les chimistes et les savants en général : son livre vient de paraître, il est intitulé Essai de statique chimique70 : en voici quelques phrases « Son idée dominante conduit Haüy à établir des variétés dans les substances minérales selon les accidents de la cristallisation, de là la primitive, l’équiaxe, l’inverse, la métastatique, &c., l’inimitable, le birhomboïdale, la plagièdre, &c. Pendant qu’on décrit ces nuances de formes qui sont inutiles pour la connaissance de l’objet, on exclut du système des minéraux qui sont plus constants dans leur composition et dans leurs propriétés que certains cristaux, tel est le klingstein de Werner qui a été trouvé dans l’Amérique, en Bohême, en Lusace, dans le Velai &c. partout avec les mêmes propriétés &c. Le choix des caractères de Haüy l’a obligé de faire un grand nombre de divisions nouvelles qui n’ont aucun rapport avec les propriétés intimes non seulement pour les variétés mais même pour les espèces telles que le mésotype, l’harmotome, la grammatite, … Ainsi la Minéralogie, au contraire des autres sciences (fol. 103 v° - C 206) qui dans leurs progrès perfectionnent et simplifient leurs méthodes, se hérisserait de difficultés qui n’éclairent point sur les propriétés des minéraux. Qu’a-t-on appris sur les propriétés des calcaires quand on a fait la pénible étude des formes géométriques des 47 variétés connues des cristaux de cette substance ? &c. ».
Tous ceux qui n’étaient pas en état de comprendre Haüy voulaient son ouvrage et le trouvaient superbe de crainte qu’on ne les accuse d’ignorance. Mais dès qu’un homme comme Berthollet avance que toute cette pénible étude est inutile lorsqu’on veut connaître les propriétés des minéraux : dès lors voilà les amours propres à couvert ; ils ne parleront pas plus de cet ouvrage qu’ils ne l’étudiaient précédemment. Le pauvre Haüy mourra de chagrin de voir sa molécule ainsi méprisée.
Ramond homme de beaucoup d’esprit et très intelligent connaît fort bien tout ce qui a paru sur votre Minéralogie : il est chargé de rendre compte au gouvernement, au nom de l’Institut, des progrès de la Minéralogie depuis 1790 jusqu’en 1800 : il fera certainement une fréquente mention de vous. Et Brochant, qu’en dites-vous ? C’est un jeune homme de goût et d’esprit : aussi si je suis ministre à la mort de M. Sage71 je lui donnerai sa place et dans le beau cabinet de la monnaye il sera dans son centre : mais pour un homme de montagnes ? j’en doute ?
L’impression de mon mémoire sur les basaltes vient d’être terminée et je vous en envoie un, ainsi que vous me l’aviez demandé. Dans les notes principalement, j’ai voulu traiter quelques uns des points les plus délicats de votre géognosie, tels que la quadruple structure géognostique des roches, la formation des trapps, les suites de formations (fol. 104 – C 207) certainement je n’aurais jamais rendu cela avec cette concision et surtout cette énergie de stile que vous y donnez en allemand : il a falu me plier au génie de ma langue et de ma nation pour ne pas effaroucher les individus… Haüy s’occupe beaucoup de roches avec Mr Tondi ; il veut l’année prochaine publier un ouvrage à ce sujet, en adoptant aux autres votre méthode : ce sera un livre médiocre pour la forme car Haüy n’a vu que les masses de Montmartre ; et qu’il lui est impossible de sa faire une idée du travail de la nature ; il veut tout prendre à la rigueur géométrique.
La collection d’après votre méthode faite à Freiberg est arrivée et mise en ordre : le Conseil est très content : elle a été précédée d’une lettre de Mr Hoffmann qui en annonce le prix, tel qu’il a été fixé par le Conseil : on lui répondra dans deux ou trois jours, et on lui en fera tenir l’argent.
Je pars dans trois jours pour l’Auvergne, j’ai un congé de trois mois : je suivrai toute la chaîne du Puy de Dôme, du Mont d’Or, et du Cantal, c’est environ 12 72meilen72, j’y emploirai 30 jours ; puis je passerai dans le Velai, dans le Vivarais, suivrai les Cevennes jusqu’à la mer, à Agde, où il y a dit-on un volcan éteint ; là je terminerai mon voyage minéralogique, je passerai par Toulouse73 et me rendrai à Paris. Ce voyage d’Auvergne que j’ai si passionnément désiré, je vais le faire avec bien du dégoût. Quelle sottise il vient de me faire faire : je ne me connais pas. Was fur ein Dummerzeug habe ich begangen74 ? Le plus grand que je puisse faire, écoutez moi un instant.
Dès que j’ai scu que nos troupes allaient entrer en Hanovre, j’ai pensé aux mines du Hartz, aux avantages qu’on pouvait en retirer, aux inconvénients qui en résulteraient si on ne les protégeait contre les malheurs de la guerre : je monte chez Mr Gillet, je lui parle de cela : il me dit de rédiger une note : dans deux heures de tems c’est fait : on la porte chez M. Lefebvre qui, froid comme vous le connaissez, dit rien ne presse(fol. 104 v° - C 208) et il la garde sans la signer : la conclusion était de nommer des commissaires pour aller au Hartz. Trois jours après le Ministre envoye de la part du premier consul demander des renseignements sur les mines du Hartz : à l’instant Gillet part avec la note signée et le ministre est tout étonné ; il félicite le Conseil de sa prévoyance : et lui demande comment il a pu faire pour avoir ces renseignements. Daubuisson étoit au Hartz l’année dernière, voilà la réponse de Gilet. Je devois être commissaire adjoint, ce titre ne me plaît pas extrêmement : j’avais poursuivi depuis trois mois avec tant d’intérêt mon voyage d’Auvergne ; me voilà au moment de l’exécuter et de revoir une famille que je n’ai pas vu depuis 4 ans : tout cela m’aveugle. Je rencontre Mr Lefebvre et je lui dis : Si le Conseil jette les yeux sur moi pour aller au Hartz, je pars de suite : mais cela contrecarre un projet qui me tient à cœur : d’ailleurs je n’ai aucun grade (voulant dire que l’on me fit ingénieur). Cette phrase confidentielle m’a perdu. Lefebvre avait cru d’abord que toute cette affaire étoit une intrigue de Gillet et de moi afin de me faire donner cette commission : il est méfiant et se tient en réserve : Gillet fit la proposition de nommer deux ingénieurs : Lefebvre fut tout étonné, il voulut un ingénieur seulement, et il dit, la place de commissaire en second appartient de droit à Daubuisson, c’est lui (qui) a conçu l’idée et qui a fait tout le travail : mais il m’a dit qu’il ne s’en soucierait pas, ainsi je propose Beurard (commissaire du gouvernement près des mines de mercure dans les deux ponts, homme âgé de 56 ans, ne sachant rien et seulement quelques mots d’allemand)75. Gillet prétendit qu’il fallait me donner l’ordre de partir et que je l’exécuterai certainement : on décide qu’on me ferait la demande, si j’avais envie d’y aller : Gillet vient me la faire mais si brusquement et si maladroitement qu’au lieu de dire oui comme j’en avais grande envie, j’hésitai : Gillet dit Citoyen, voulez vous aller en second au Hartz, le commissaire en premier est un ingénieur que vous ne connoissez pas âgé de 26 ans et qui en sait moins que vous76. Voici ma réponse : que le Conseil ordonne et je pars, mais s’il ne l’ordonne pas, j’en suis tout consolé, je conviens que ma vanité serait un peu affectée de me trouver en second sous celui qui en sait moins que moi. Ah ! Bêtise inconcevable ! Le Conseil attendait la réponse, dès qu’on la rapporte on écrit le nom de Beurard au lieu du mien, et l’on va chez le ministre faire signer la décision. On me la rapporte, je lis et commissaire en second le cit. Beurard avec 500 francs par mois d’appointements… Je tombai des nues en lisant cette phrase. Le lendemain j’étais tout affligé lorsque Gilet entra chez moi (fol. 105 – C 209) : il me représente combien j’ai mal fait relativement à mon avancement et que j’aurais été ingénieur. Je fus désespéré. Deux jours auparavant j’avois dit à Gillet Si l’on me nomme commissaire, je demanderai à être fait ingénieur : il me répondit décidément cela vous sera refusé ; et actuellement il vient me dire que cela aurait réussi ; qu’on auroit ajourné la nomination jusqu’à la fin de la mission ! Comment pouvoir le soupçonner lorsqu’il m’avait dit le contraire ? Enfin le mal est fait : Gillet quoique mon bon ami m’a bien mal servi : jusqu’au dernier moment il a voulu qu’on me donnat l’ordre ; mais tout ce qu’il m’a dit n’a servi qu’à m’égarer… Ce n’est pas tout : c’est que le Général Andreossy, qui depuis son retour de Londres me témoignait une amitié infinie me parlait confidentiellement surtout, me menait fort souvent coucher à sa maison de campagne est très faché contre moi, il ne peut pas me pardonner cette faute : il a failli encore plus brouiller mes affaires, il voulait aller sur le champ parler au ministre lui-même, et je l’ai retenu, car vous savez combien Gillet est susceptible là dedans, voyant ensuite que tout étoit sans remède il m’a fait une terrible leçon… Vous devez bien sentir combien je dois avoir de chagrin de tout cela : si vous aviez été à Paris, il en aurait été autrement et vous m’auriez instruit et dirigé. Je n’aspire qu’à une place d’administration, j’y tends depuis cinq ans, je prodigue mes peines pour cela, on m’en offre une aussi honorable que flatteuse, et je fais le dédaigneux : Morbleu, si l’on me pendait pour cette faute, je n’aurais que ce que je mérite. N’en parlons plus.
Jusqu’ici j’avais été assez content de mon séjour à Paris : les membres du Conseil m’avoient témoigné beaucoup de confiance : ils m’ont donné un beau logement dans la Maison des mines : et je m’y trouvais fort agréablement. Je faisais avec soin les affaires scientifiques : Berthollet, Fourcroi, Ramond, &c. me témoignaient beaucoup d’égards. Mais la science est bonne quand on a soixante ans, dit le général, et il vaut mieux occuper une place dans le Moniteur que dans le journal de physique : il a raison.
Le Ministre m’a accordé 1200 francs pour le voyage d’Auvergne : mes appointemens ne sont toujours pas payés, de sorte qu’à mon retour à Paris, j’y trouverai plus de 600 francs : comme j’aurai besoin de faire quelques dépenses, il (fol. 105 v° - C 210) ne m’en restera guère que 200 de disponibles : ils vous appartiennent et serviront à commencer le payement de la petite dette que je fais trop honneur d’avoir contracté à votre égard. Vous êtes redevable d’une petite somme à M. Haüy pour les modelles qu’il vous a envoyés : il est vrai qu’il m’avoit dit de vous écrire que cet argent serviroit au payement de la collection de roches qu’il a demandée à Freyberg et à laquelle il tient beaucoup : si vous voulez je me chargerai de cette dette ; j’en tirerai un reçu en votre nom et je vous l’enverrai. Ou sinon je posterai l’argent chez Launoi et je me ferai donner une quittance. Ordonnez comme vous le jugerez à propos.
À mon retour d’Auvergne, je ne manquerai pas de vous instruire de ce que j’aurai vu de plus intéressant ; d’abord par un petite lettre confidentielle, et ensuite par une lettre plus détaillée, que je ferai imprimer dans le Journal de physique ou dans celui des mines et qui vous parviendra par cette voie.
Daignez me rappeler au souvenir de MM. Trebra, de Charpentier, de Weiss et à celui de leurs dames.
J’ai l’honneur d’être avec autant de reconnaissance que de respect votre dévoué serviteur
J.F. Daubuisson
Lettre n° 10 (fol. 106 – C 211)
Paris, le 2 vendémiaire an XII
Monsieur le Conseiller,
Je crois que ce fut à Torgau que le général autrichien sûr d’une apparence de succès au commencement de la bataille expédia à Vienne un courrier pour y annoncer Victoire, le lendemain il fallut en envoyer un autre qui parla sur un autre ton77 : pareille chose a failli m’arriver à Clermont, j’avois pris la plume pour chanter Victoire et vous annoncer que le Puy de Dôme appartenait à la porphire-formation qu’il ne portoit aucune empreinte de l’action du feu. Au bout de huit jours de courses au milieu des volcans et des courans de lave qui sont au-dessus de Clermont, je soutenois que les sommités basaltiques des montagnes qui sont dans cette partie étoient d’origine neptunienne, et que leur système étoit très indépendant de celui des volcans et de leurs produits, ce qui est réellement vrai. Mais en continuant d’observer ; et surtout au Mont-d’or ; je me suis vu dans un monde nouveau. Le Mont-d’or est une masse de montagnes de 2 à 3 cents toises de haut et environ 6 lieues de diamètre ; elle pose sur le granite ; le bas est une espèce de grès ou tuff basaltique à peu près semblable à celui du Habichtswalde, mais contenant beaucoup de scories ; sur ce tuff est une substance blanche, schisteuse, légère, rude au toucher et qui a de grands rapports avec le polierschieser : par dessus est un basalte très dur et prismatique, enfin en haut (et c’est la moitié de l’épaisseur) est un porphire contenant beaucoup de feldspath, mais dont la pâte varie infiniment, tantôt elle approche de la nature du basalte ; tantôt d’un grunstein (fol. 106 v° - C 212) décomposé ; le plus souvent, elle se rapproche de celle de thonporphire ; approche même de celle du hornstein prophire, sans cependant en avoir la dureté, quelquefois elle est entièrement terreuse. Nous vous enverrons plusieurs de ces échantillons et vous serez à même d’en juger. Le porphire passe fort souvent au Porphirschies qui est très abondant en Auvergne. Eh bien je n’oserais dire que ce porphire, si ressemblant à quelques autres que j’ai vus en Allemagne, n’est pas un produit du feu : voici le fait, ce porphire est superposé à des scories volcaniques : il en renferme un grand nombre, vous en jugerez vous même : il est donc postérieur à l’existence des volcans ; il est étranger au sol minéralogique de cette partie de la France qui est granitique. Au reste, il n’est point sous la forme de courants, on ne voit pas le cratère d’où il puit être sorti : il forme la partie supérieure de presque toutes les hautes montagnes du mont d’or ; un basalte tout boursoufflé et recouvert de scories forme les autres78.
Les effets du feu en grand pouroient bien différer de ceux que nous voyons dans nos laboratoires : la nature agit sur des masses immenses, elle a le tems à sa disposition, des laves mettent des années entières à se refroidir ; ces incidents peuvent rendre absolument différents les effets du même agent.
Et les basaltes ! Il y a en Auvergne des montagnes exactement semblables sous tous les rapports à Stolpen, Luchauerberg &c. sans aucune trace de l’action du feu mais ailleurs notamment en Vivarais, vous voyez sur le flanc d’une chaîne granitique une montagne à tête rouge ; vous y montez et trouvez que ce n’est qu’un tas de scories, de terres brûlées, boursoufflées, aussi aigres sous vos pieds que ces haldes de scories qui sont devant les forges ; sur le haut, vous voyez une grande cavité en forme de coupe et qui quelquefois a plus (fol. 107 – C 213) de deux cents pieds de profondeur : du pied de cette montagne rouge vous voyez sortir un torrent de lave noire, boursoufflée à la superficie, compacte dans le fond : ce torrent gagne la vallée qui est étroite et encaissée, il en fait les sinuosités, va à 3, 4, 5 lieues, ne s’y élève par au-dessus d’un certain niveau ; le ruisseau qui avait creusé la vallée avant l’éruption est revenu ; il a reattaqué le granite, la recreusé et a mis en plusieurs endroits le torrent volcanique à découvert : et ce torrent, dans quelques uns de ces endroits est un basalte noir compacte, pesant environs trois fois plus que l’eau, presque dur, à cassure terreuse à grains très fins, quelquefois eben et même umsehlich, divisé en petites poignées de 5-8 pouces d’épaisseur, sonore, contenant de l’olivine &c. en un mot c’est un basalte des mieux caractérisés et son origine est la chose la plus évidente du monde. Je m’arrête et ne vous ennuie plus de ces objets : pendant plus de 20 jours, j’ai été dans les plus grandes anxiétés d’esprit, je ne savais pas ce que je voyais, je tâchais de rattacher ce que je voyais aux idées que je pouvois m’être formées et au bout de 4 pas, je voyais que ce n’étoit plus cela, une nouvelle idée était très aussitôt détruite que formée.
J’ai ramassé quelques échantillons pour vous. Monsieur Mortier de Clermont qui s’est beaucoup occupé de l’histoire naturelle de l’Auvergne travaille à vous faire une petite collection de tous ces produits : nous vous ferons poster tout cela : je vous enverrai en même temps la carte d’Auvergne faite sous l’inspection de Desmarest : je n’ai pas encore vu de carte aussi bonne pour ce qui concerne la topographie de terrain79.
Hier étoit la fête du premier vendémiaire et je me suis rappelé qu’à pareille époque vous étiez à Paris et que vous y travailliez pour moi à ce dont je vous réitère mes remerciemens. La fête a été peu brillante, elle a consisté en quelques coups de canon à 6 heures du matin et dans (fol. 107 v° - C 214) l’illumination du château des Tuileries le soir. Vous vites, dans ce temps, mourir les français le long des murs du château : je crois qu’ils ne sont pas ressuscités pendant l’été car tout me paraît bien morne. M. Gillet est à l’école pratique depuis trois mois. Mr Lefebvre est en congé et je n’ai trouvé ici que M. Le lièvre que je ne connoissois pas encore et qui m’a fort bien accueilli80.
Je suis de retour depuis deux jours, dans mon voyage j’ai souffert tout ce qu’on pouvait souffrir de la chaleur, pendant les ardeurs de la canicule, je me suis trouvé dans les Cévennes, pays affreux par la sécheresse et où l’on n’avait pas vu une goutte d’eau depuis quatre mois et demi ; malgré cela j’étais sur pieds tous les jours depuis 5 heures du matin jusqu’à 8 heures du soir sans m’arrêter, si je ne me suis pas entièrement fondu peu s’en est fallu.
Mes respects dans la maison de MM. Trebra et Charpentier. J’attends une réponse à la lettre que je vous ai écrite avant mon départ et saisis cette occasion pour vous renouveler les assurances de ma reconnaissance et de mon dévouement.
J’ai l’honneur de vous saluer avec respect
J.F. Daubuisson
Lettre n° 11 (fol. 108 – C 215)
Paris le 18 germinal an XII (9 avril)
Monsieur le Conseiller
Nous sommes ici plusieurs qui demandons souvent de vos nouvelles, et qui désirerions bien en avoir. Je suis celui que l’on regarde à Paris comme votre ambassadeur et l’on vient souvent me dire : avez vous des nouvelles de M. Werner ? que fait-il ? Reviendra-t-il nous voir ? Toutes les fois que je vois Berthollet, Guiton, &c., ils me font de pareilles questions. Ce dernier rappela dernièrement le propos que vous lui savez, depuis que nous connoissons M. Werner, nous l’aimons autant que nous l’estimions auparavant. Mettez moi à même de répondre, et un beau jour que vous serez libre, prenez la plume pour m’écrire ce que vous faites et comment vous vous portez.
Je saisis l’occasion de voyage de M. Fergusson en Saxe pour vous envoyer quelques minéraux d’Auvergne. Je vous ai déjà dit que M. Mortier de Clermont vous destinait une collection complète des productions de ce pays : aussi ne vous adresse-je que deux ou trois bagatelles que je crois propres à vous intéresser ? Les hyacinthes sont du ruisseau de Rionpezonlion (Laüsiger [mot illisible]) près du Puy en Velai : le pays est tout basaltique et le lit du ruisseau est dans du basalte. Malgré cela, on ne trouve pas des hyacintes dans les basaltes qui le bordent. Mr Cordier m’a cependant montré un échantillon d’un basalte pris dans le voisinage et qui en contenait un grain. Je vous envoye aussi des morceaux du Puy-de-Dôme, montagne si fameuse, et d’une nature si extraordinaire : un de ces morceaux est recouvert d’une croute de fer spéculaire, je l’ai détaché moi-même : le fer étoit dans une fissure. (fol. 108 v° – C 216) Je vous envoye aussi un échantillon de cette dernière montagne qui a 3 meilen de diamètre et 500 toises de haut au-dessus de son pied. Plus quelques scories et fragmens de laves.
Je ne sais si vous verrez une lettre que Hassenfratz vous a écrite et qu’il a fait imprimer81, il combat votre théorie des filons et je crois qu’on n’a jamais plus mal raisonné : il raisonne encore moins bien sur cet objet qu’il ne raisonna un jour sur le fer en votre présence : au point que vous futes obligé de dire qu’il en avoit parlé comme ein altes-weib82. Il prétend que des cristaux ne se déposent jamais sur des parois verticaux : que si les filons eussent été remplis par une dissolution, on verrait le minerai et la gangue toujours par couches horizontales parallèles au fond. Lorsqu’il me dit cela, je lui répondis que dans les fabriques de vitriol, les beaux cristaux se disposaient sur des barreaux que l’on mettait dans la dissolution tout exprès pour les recevoir : il me répondit que c’étoit bon dans les commencemens, mais que bientôt ces mêmes cristaux se redissolveraient pour aller gagner le fond. Pour toute réponse, je lui ai dit que nous ne pourrions guère juger des précipitations de la nature par celles de nos laboratoires et comparer celles du sel marin avec celles du cristal de roche ; que le fait bien certain c’est que la structure des filons indique qu’ils se sont formés parallèlement aux seul bandes, qu’il peut se déposer des cristaux sur des parois verticaux, car les parois de toutes les druses en sont tapissées : que les géodes sont revêtues d’une couche sphérique de cristaux et partout à peu près d’égale épaisseur, qu’ainsi les précipitations chimiques de la nature se sont indistinctement portées sur tous les parois du vase dans lequel étoit la dissolution. J’ai dit ici dans toute (fol. 109 – C 217) la maison Si Hassenfratz n’était pas Ingénieur des mines et que je ne tinse pas à ce corps, qu’elle vigoureuse défense de votre théorie, j’aurais occasion de faire imprimer dans le journal de physique ! Si Herder lit cette lettre (elle est dans le n° 146 des Annales de chimie) il pourra bien facilement y répondre et faire une belle défense de votre théorie. Observez que Hassenfratz dit qu’il attend votre réponse pour faire diverses modifications à votre théorie. Or vous savez que jamais de la vie il ne s’est occupé de cet objet ; qu’il n’a pas vu 6 filons et qu’encore il les a mal vus.
Mr Haüy s’occupe de la seconde partie de sa Minéralogie, il m’a chargé de vous témoigner combien il étoit faché que vous eussiez fait un séjour si court à Paris, où il avait tant profité du peu d’instants que vous aviez passé avec lui. Je lui ai remis le restant de ce qu’il m’a dit lui être du pour ces modelles qu’il vous fait horriblement payer. Il est fort affecté de l’attaque de Mr Berthollet, mais comme celui-ci n’a pas bien choisi ses exemples minéralogiques : Haüy va lui répondre assez fortement : de plus le bon Vauquelin, qui, comme vous savez est primo occupant83 a dit à Mr Haüy qu’il croyait que Berthollet n’avait pas raison : fort de ce témoignage, Haüy veut entrer en lice ; mais en fin de compte, il veut se faire un rempart de l’opinion des grands chimistes : il vient d’écrire ou de faire écrire à Klaproth pour avoir son opinion et de la manière dont il aura exposé sa question84, il est très vraisemblable que Klaproth lui donnera gain de cause ; cependant, d’après les principes que j’ai puisés à votre école, Berthollet a complètement raison, il soutient qu’il y a passage d’une espèce à une autre et que l’on doit renoncer à une précision que la Minéralogie ne comporte pas (tom. I p. 436). (fol. 109 v° - C 217)
Le séjour de M. Chennevix85 à Freyberg intrigue beaucoup Mr Haüy ; il compte encore se servir de son opinion contre Berthollet : mais je ne sais quelle est la façon de penser de Chennevix et je pense que vous le mettrez dans les bons principes. Il est travailleur, il a du zèle, de l’intelligence, et de la fortune ; il peut un jour faire un traité de chimie-minéralogique si vous lui en tracez le plan.
M. Guiton a été malade, il va mieux actuellement ; la première fois que je m’habillerai, je ferai un petit mensonge : j’irai chez lui de votre part ; je lui dirai que vous avez appris qu’il avoit été malade et que vous m’aviez chargé d’aller le voir et lui dire combien vous faisiez des vœux pour son rétablissement : si en fesant cela je n’exécute pas vos ordres, je n’en remplis pas moins vos intentions. Gillet vous aime toujours infiniment. Brochant vous envoye quelques minéraux.
Voulez-vous me permettre de parler un peu de moi. Je ne suis pas plus avancé que l’année dernière, je suis toujours à Paris, on m’a flatté tout cet hyver de l’espoir d’être envoyé au Hartz : mais il m’y faut renoncer. Je suis vraiment furieux du refus inconsidéré que j’ai fait et de me voir moi qui suis doué d’une certaine activité, condamné à barbouiller du papier depuis le matin jusqu’au soir. Andreossy n’en est pas plus content et plus flatté que moi. Je me trouve dans une drôle de position, un ingénieur des mines fait souvent mal un travail, on me le donne à refaire, et ne puis pas refuser, et je me fais de suite un ennemi : joignez à cela la jalousie extrême du professeur d’exploitation qui est un être très médiocre mais qui veut dominer, veut paraître savoir seul quelque chose86. Je tiens bon, je suis résolu à ne pas céder, et il ne me manque que vos conseils. Ah ! que je souhaiterais pour intérêt personnel que vous fussiez ici.
Agréez l’assurance des sentiments ineffaçables de la plus vive reconnoissance et du respect avec lequel j’ai l’honneur d’être votre dévoué
J.F. Daubuisson
Lettre n° 12 (fol. 110 – C 219)
Paris le 4 décembre 1803
Par une négligence elle ne part que le 18
Monsieur le Conseiller,
Haben Sie mich gantz verge_en, Herr Landrath87 ? Depuis un siècle je n’ai eu de vos nouvelles, et cependant il n’y a pas de jour que l’on ne m’en demande et que je n’aie occasion de parler de vous. Avant hier encore Berthollet me demanda s’il était vrai que vous dussiez venir vous établir à Paris, que pour lui en particulier il en serait bien aise. Guiton, Lametherie, &c. ne me voient jamais qu’ils ne s’informent de ce qui vous concerne : il en est de même de Haüy. Hier au soir j’ai vu ce dernier, il m’a chargé de vous présenter ses respects : je lui ai remis en même tems 120 francs à compte de ce que vous lui [devez] pour les modelles qu’il vous a envoyés : j’ai tiré un reçu de cette petite somme et lorsque j’aurai réglé définitivement ce compte avec lui, j’en tirerai une quittance que je vous enverrai. Je vous rappelle en même tems que M. Haüy a commandé depuis longtemps une collection géognostique chez M. Hoffmann, ayez la bonté de le rappeler à ce dernier, et de le presser un peu : j’y tiens d’autant plus que M. Haüy travaille à sa seconde édition, et qu’il se propose de traiter die [mot illisible] gantz nach Ihrer Art88 : et pour cela il a besoin d’échantillons car il ne faut pas s’attendre à le voir un marteau à la main, aller grimper sur les montagnes.
M. Lelièvre, membre du Conseil des mines et que vous ne connaissez pas me charge de vous saluer : il vous destine quelques petits minéraux. C’est un brave homme mais très sec, rude, et à caractère ; aussi est-ce lui qui a la plus grande influence (fol. 110 v° - C220) au Conseil ; je suis bien avec lui, je le vois beaucoup. Il a le désir de m’obliger. Quant à moi, je suis toujours ici, ce qui me fâche beaucoup, j’écris toute la journée, mais je voudrais agir car je sens que je suis fait pour cela. J’avois il y a un mois l’espoir d’être envoyé dans les mines des Pyrénées, mais cet espoir a disparu ; et les dépenses que le Gouvernement est obligé de faire pour la guerre me font craindre que je ne sois encore cet hiver à Paris : au reste pour ce qui concerne ma personne, j’y suis assez bien : j’y ai 2500 francs, je suis logé à la Maison des mines, et je jouis, auprès des savants de quelque petite considération dont je vous ai l’obligation ; car lorsqu’on me présente quelque part, c’est toujours en disant élève du célèbre Werner, et je voudrais bien tâcher de ne pas faire honte à mon illustre maître, si je ne lui fais pas honneur. Dans le pays des aveugles, les borgnes sont rois : et quoique grand ignorant à Freyberg, je fais quelques petite chose ici. Il m’arrive quelquefois de perdre mon temps à calculer des décroissemens et à déduire toutes les formes secondaires d’une molécule toute différente que celle qu’emploie Haüy. Vauquelin a analysé dernièrement le béril de Saxe, il a trouvé que le prétendu Agussi-erde de M. Tromsdorff n’était que de la chaux phosphatée89 ; Mr Haüy dit alors qu’il s’en était aperçu et que les lois de structure et la molécule étaient absolument différentes dans le béril et dans la chaux phosphatée (opalite) : j’ai calculé ces lois de structures pour l’Opalite en prenant la molécule que M. Haüy assigne au béril, et j’ai encore beaucoup plus approché des angles mesurés par Romé de Lisle que Haüy avec sa prétendue molécule dont la hauteur de la base est à celle du prisme : 3 : 5 Eh bien ! tout son travail en Minéralogie est du même genre : ingénieux lorsqu’on le regardera comme combinaison mathématique ; ridicule en histoire naturelle, car rien (fol. 111 – C 221) absolument ne dit que les dimensions d’une molécule sont : 3 : 2 ; que la nature a produit telle facette en retranchant quatre rangées de molécules &c. Observons bien que M. Haüy permet à la nature de retrancher jusqu’à 16 rangées (tom. I p. 88) mais pas davantage. La Minéralogie, cette partie de l’histoire naturelle, qui ainsi que vous l’avez appris traite des minéraux considérés sous tous les rapports consiste-t-elle en de pareilles niaiseries ? M. Hauy a donné cette année au jardin des plantes (seul sanctuaire de l’histoire naturelle) quelques leçons de Minéralogie, dans lesquelles il n’a absolument parlé que de ses théories de décroissement, d’électricité et de magnétisme : heureusement personne ne s’occupe de sa Minéralogie mais si on s’en occupait, elle finirait pas conduire à ne pas même savoir qu’il existe des minéraux dans l’univers ; quelques modelles de bois, une aiguille aimantée, une tourmaline et au plus une boracite, voilà tout son attirail. Cordier pense absolument de même, nous ne publions pas notre façon de penser parce que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire et nous nous mettrions à dos les mathématiciens. Mais si dans sa nouvelle édition, M. Haüy ne vous rend pas toute la justice qui vous est due, alors je me crois obligé d’y suppléer : je le ferai de mon mieux et dirai une partie de ce que je pense, mais d’une manière fort honnête.
J’ai fait mille questions à Brochant sur votre compte : mais on dirait que les paroles lui coutent quelque chose : il se loue beaucoup des honnêtetés qu’il a reçues de vous : il dit que votre collection est sans contre dit la première du monde : mais pour des détails, rien. Vous verrez vraisemblablement Cordier, c’est un autre homme plein d’activité, de zèle ; ayant beaucoup vu ; sachant beaucoup de choses sur les minéraux, il ne lui manque que d’avoir resté quelque tems à votre école, afin d’avoir des idées plus méthodiques, plus justes et mieux réglées. Dolomieu l’appelait son fils adoptif et le traitait comme tel : il connaît parfaitement tous les travaux de Haüy, il a été un des principaux collaborateurs de son ouvrage : il est joli garçon, il fait fortune auprès des femmes : il est un peu présomptueux (fol. 111 v° - C 222) mais d’ailleurs très honnête. Je suis fort bien avec lui. Il attend que le Conseil des mines lui permette d’aller en Saxe90 ; il a très grande envie de recevoir vos leçons, et certainement, avec l’adresse que vous possédez pour savoir manier les divers caractères, vous déracineriez aisément les préjugés qu’il peut avoir et vous feriez de lui un bon minéralogiste.
Rien de nouveau ici qui puisse vous intéresser. La Place chancelier du Sénat est au Luxembourg où il fait plus le grand seigneur que le Pr Consul aux Tuileries. Monge son ennemi et celui de Haüy est encore en grand crédit, il a la sénatorerie de Liège. Lacépède joue encore un rôle91. Je ne sais si vous connoissez Cuvier, grand zoologue qui a été élevé en Allemagne : il est aujourd’hui sur la route des hommes et des places92. Berthollet a refusé une sénatorie aimant mieux s’occuper des sciences à Paris où il jouit de beaucoup de considération. Chaptal ne manque pas une séance de l’Institut et se met toujours à côté de La Place, à qui il fait la cour comme à une maîtresse, etc, &c.
Le Général Andreossy est à Boulogne, chef de l’Etat-Major de l’armée qui doit nous procurer la paix ; il s’était un peu refroidi à mon égard à cause de l’affaire du Hartz il m’écrit souvent et avec beaucoup d’amitié.
Le bon Gillet-Laumont me charge de vous dire mille choses ; je sais qu’il vous aime non seulement d’amitié mais même d’amour. Lametherie est toujours aussi froid qu’à l’ordinaire : il se plaint de ce que vous ne lui écrivez pas, quoiqu’il soit, dit-il, le meilleur ami que vous ayez à Paris.
Ecrivez-nous au moins pour le Neu Jahr Wunsche.
Recevez les assurances de la considération aussi distinguée que respectueuse avec laquelle j’ai l’honneur d’être votre dévoué J.F. Daubuisson
P.S. : J’ai l’espoir d’être envoyé au Hartz.
Lettre n° 13 (fol. 112 – C 223)
Paris le 7 février 1804
Monsieur le Conseiller,
Je m’empresse de vous annoncer l’honneur que l’Institut vous a décerné dans sa séance d’hier : en vous nommant Correspondant de la classe des sciences physiques et mathématiques de l’Institut national de France. Voici comme cela s’est fait. La Classe des sciences doit avoir cent correspondants : on a rétabli tous les anciens correspondants de l’académie des sciences et il restait encore 12 places vacantes : on a décidé que chaque section proposerait une liste et que dans cette liste l’Institut en choisirait un. Lorsque cette décision a été portée, on venait de lire une longue lettre de Mr de Humboldt sur son expédition scientifique93, et dans laquelle il annonçait plusieurs caisses de minéraux que l’Institut venait effectivement de recevoir : Berthollet a demandé que l’on nomme de suite Humboldt correspondant, La Place s’y est opposé, il a dit qu’il fallait que tout se fit en ordre, et que Humboldt serait proposé par la section à laquelle il appartient plus particulièrement et qu’alors on le choisiroit : j’ai tremblé à cette proposition car la section de Minéralogie vous portant portait aussi Humboldt et la classe dans son enthousiasme l’aurait choisi. Haüy devait proposer les candidats, il avait choisi Werner, Humboldt, Karsten94, le Bon de Moll95 : je suis allé trouver Berthollet pour lui représenter qu’il fallait faire nommer Humboldt par extraordinaire, qu’autrement il pourrait vous (fol. 112 v° - C 224) donner l’exclusion ce qui serait une injustice criante. Berthollet m’a répondu qu’il étoit dans le même embarras parce que si Humboldt était porté pour la chimie, il donnerait l’occasion à Klaproth, ce qui serait encore injuste ; Klaproth ayant rendu de plus grands services à la chimie, M. Le Lièvre, membre du Conseil des mines et de l’Institut et moi sommes allés trouver Charles96 et lui avons dit qu’il ne pouvait se dispenser de porter Humboldt pour la physique : il n’avait pas trop envie de le mettre sur sa liste : il l’a cependant fait et comme la physique proposait avant la Minéralogie, Humboldt a été reçu : Klaproth est passé pour la chimie et Werner pour la Minéralogie. Vous avez eu pour vous l’unanimité moins la voix de Desmarest qui voulait un français appelé Poiret, espèce d’imbécile qui a beaucoup écrit sur les tourbes97. J’avais prévenu le plus grand nombre de membres et leur avait rappelé l’accueil qui vous avait été fait lors de votre voyage à Paris. Berthollet, Ramond, La Place, &c. m’ont tous dit que rien n’était plus juste de vous nommer, Fourcroi m’a dit vous vous moquez de moi de me rappeler Mr Werner je m’en souviens trop bien et fais trop de cas de lui pour ne pas le nommer. Haüy a übelgenommen98mes démarches, cependant il vous a donné sa voix puisque vous avez eu l’unanimité. Vous recevrez vraisemblablement en même temps que ma lettre, une lettre du secrétaire, de l’Institut qui vous annoncera officiellement votre nomination. Mais je vous (fol. 113 – C 225) préviens qu’il faut répondre une lettre par laquelle vous accuserez la réception de votre nomination, et témoignerez votre reconnaissance à l’Institut de l’honneur qu’il vient de vous faire. Si vous ne répondiez pas, on prendrait cela pour une grossièreté et rappelez vous que vous avez laissé ici la réputation d’un homme du monde autant que d’un savant. Faites votre réponse en deux ou trois phrases seulement, si vous ne voulez pas l’écrire en français vous pourrez le faire en allemand, le secrétaire Mr Cuvier a été élevé en Allemagne (à Stuttgard), étant né sujet d’un prince de Vurtenberg. Les places de correspondant étaient extrêmement briguées, surtout pour l’astronomie, la chimie, la mécanique, &c. quand on vous a nommé vous et M. Klaproth, Mr Lelièvre s’écria il y a longtemps que nous n’avions fait d’aussi bon choix. Non seulement on prend les correspondants dans l’étranger mais encore parmi les Français non résidens à Paris et pour la Minéralogie, il ne manquait pas d’aspirants.
Recevez mon compliment bien sincère sur l’honneur qui vient de vous être fait par les Pères conscripts du monde savant : j’ai pris à votre nomination peut-être plus d’intérêt que si elle m’eut regardé personnellement : la gloire de mon maître et de mon bienfaiteur me touche directement, elle satisfait un de mes désirs et me mène à l’accomplissement d’un de mes projets de Werneriser la France : mais il faut s’y prendre (fol. 113 v° - C 226) avec prudence : hier Mr Tonnelier, le grand ami de M. Haüy me disait avec une espèce de mal au cœur : je viens de parler à M. Champeaux99 (le zélateur favorit de Haüy) et je vois bien qu’après la mort de M. Haüy sa Minéralogie tombera tout à fait et finira par être ridiculisée et puis oubliée.
L’Institut a décidé il y a quinze jours que ses correspondants ne porteraient plus l’uniforme : sans cela vous auriez du vous faire faire l’habit bleu avec la broderie verte : avec cet habit vous eussiez fait crever le cœur de Titus, &c. et autres envieux. Ils ne seront guère plus contents, quand la Gazette de Leipsig leur apprendra que votre nom sera désormais (exclusivement à celui de tout minéralogiste étranger) sur la liste de l’Institut national de France. En Allemagne, cela augmentera la considération dont vous jouissez et certainement des titres qui vous sont exclusivement propres. Il n’y a pas de doute qu’à la première nomination de membre associé de l’Institut vous ne soyez porté et n’ayez beaucoup de voix100.
Je vous écrirai dans quelques jours pour quelques autres détails. S’il m’en parvient en attendant, je vous prie d’agréer l’assurance de la considération aussi distinguée que respectueuse avec laquelle j’ai l’honneur d’être votre dévoué
J.F. Daubuisson
Mr Gillet est absent, il sera enchanté quand il apprendra votre nomination.
Lettre n° 14 (fol. 002 – C 119)
Paris le 3 mars 1805
Monsieur le Conseiller
Je profite du départ de Mr Mohs101 pour Freyberg pour me rappeler à votre souvenir et vous dire un mot de Paris. Nous y parlons souvent de vous et ne désespérons pas de vous y revoir encore : vous y avez laissé des amis entr’autres Berthollet, Guyton, Fourcroi &c. Lorsqu’il s’est agi de nommer un membre étranger à l’Institut, vous avez été porté avec empressement, et si vous n’êtes pas celui qui sur lequel le choix définitif s’est arrêté, cela vient uniquement de ce qu’à Paris, les serviteurs du Dieu de la chimie sont plus nombreux que ceux du Dieu de la Minéralogie. Au reste pour moi, je combats avec ferveur sous les étendards de mon maître, et prêche partout sa doctrine : j’ai trouvé des opposans qui ont étudié la Minéralogie sur des morceaux de bois, ou même qui se sont contentés d’en entendre parler parce que c’est un peu plus commode : j’ai taché d’ouvrir les yeux des aveugles, de convertir des infidèles et enfin il me faut combattre publiquement les opposans et je viens de commencer. Je viens de mettre dans le dernier cahier du Journal de physique, le commencement d’une apologie de votre méthode et des services immenses que vous avez rendu à la science : j’examine la Minéralogie (fol. 114 v° - C 227) au point où vous l’avez prise, et celui où vous l’avez laissée, je montre que vous l’avez porté au nec plus ultra pour ce qui est des substances les plus intéressantes, celles qui forment les grandes masses de notre globe. J’ai saisi pour occasion une annonce de votre tableau de classification, tel qu’il m’a été remis par un de vos élèves Mr le Dr Fuchs de Bavière, et je continuerai cette discussion dans les nos suivants du Journal. Au reste je ne sais que me défendre et n’attaque point : vous connoissez tout le fiel du saint homme ; chaque louange de vous lui est une sorte de piqure mais si je l’attaquais il serait furieux et en bon prêtre il ne me le pardonneroit de la vie : j’ai cependant rédigé un mémoire en forme contre la Forme des molécules prise pour base de la classification : mais personne n’a vu ce mémoire autre que M. Berthollet et personne autre ne le verra en France.
J’ai lu avec un étonnement extraordinaire un mémoire de M. Chennevix, imprimé dans le n° 156 des Annales de chimie : il y donne des éloges les plus outrées et certainement les moins méritées à la Minéralogie de Haüy, ce savant dit-il entr’autres choses, en substituant des définitions au vague des descriptions a tiré la Minéralogie du rang des connaissances empiriques pour la mettre sur le champ au rang des sciences exactes. Je proteste contre cette assertion : je sais certainement et peut être mieux qu’un autre le mérite du travail de Haüy, considéré comme une ingénieuse application des mathématiques à la
Christallométrie : mais est-ce là la Minéralogie ! Quant à ces définitions (fol. 115 – C 229) bien loin de trouver qu’elles ont introduit la précision en Minéralogie, je les trouve presque toutes absurdes. Est-ce pour avoir défini le quartz une substance divisible en rhomboïde légèrement obtus infusible qu’il a parlé de la précision dans la détermination des minéraux qui sont en quartz mou ? Est-ce que c’est d’après cette définition que je saurai si certains morceaux de halb-opal au sujet desquels j’avois des doutes auparavant appartiennent réellement aux quartz ou non ? J’étais dans l’incertitude avant d’avoir vu la définition du quartz et je suis dans l’erreur depuis que je le connois, car d’après elle un morceau de gemeiner quartz que je ne pourrai pas diviser en rhomboïde ne devra pas appartenir au quartz : observez l’inconséquence : le silex, le jaspe, l’opale qui par leur essence ne sont jamais divisibles en rhomboïdes sont placés par Haüy dans le quartz… Chaux fluatée (caractère essentiel) insoluble dans l’eau divisible en octaèdre régulier. Est-ce que le Spinel, le diamant, &c. ne sont pas insolubles dans l’eau et divisibles en octaèdres réguliers ? Le caractère de la classe susbtances acidifères ne me sert de rien : puisque ce caractère n’est point minéralogique, qu’il exige pour être constaté une opération de chimie très délicate.
Chaux sulfatée (caractère essentiel) divisible par des coupes très nettes en lames qui se cachent sous des angles de 133 et 67 °. Avec ce caractère il est très possible que vous ne trouviez pas un seul échantillon de chaux fluatée (gyps) au milieu des carrières de Montmartre et de la Thuringe… Antimoine (caractère essentiel) divisible à la fois en octaèdre régulier et un dodécaèdre rhomboïdal. Certainement si Haüy voulait donner un moyen infaillible de ne jamais reconnaître de l’antimoine (fol. 115 v° - 230) il ne pouvait pas mieux y réussir. Peut-on donner une définition plus bizarre, plus étrange à la nature de l’objet et peut-être plus fausse car il est très possible qu’il existe dans la nature une substance divisible en octaèdre et dodécaèdre, sans que pour cela elle soit de l’antimoine. Mais laissons cela, pardon de vous en avoir ennuyé.
Nous sommes au moment de subir, dans le corps des mines, une nouvelle organisation102 : par cette organisation, je serai nommé ingénieur et avantageusement placé : en attendant je suis toujours dans la même position et je viens de passer six mois à extraire et traduire les ordonnances d’une grande partie des états de l’Allemagne : car nous voulons aussi tacher d’avoir une législation particulière pour les mines et voulons savoir ce qui se fait à ce sujet dans les pays étrangers.
Le bon homme, Mr Gillet, vous aime de tout son cœur, surtout depuis que sur votre tableau de classification il a vu la Lomonite103. Brochant est ici, il est dans de bons principes mais il est dommage qu’il soit incapable de travailler. Lamètherie est toujours un brave mais son cerveau s’ossifie de plus en plus. Cordier qui devait aller à Freyberg est confirmé dans un département, Humboldt avec qui j’ai beaucoup parlé de vous part demain pour l’Italie, il ammène avec lui Mr Gay Lussac104 un élève et ami de Berthollet ; au retour de l’Italie en allant à Berlin ils passeront par Freyberg, ils y feront un séjour ; faites beaucoup d’honnêtetés à Gay Lussac, c’est un jeune homme très fort en chimie, mais qui n’a point d’usages du monde : dans un an il sera de retour à Paris.
Permettez-moi de vous renouveler l’expression de ma reconnoissance et de ma respectueuse considération
J.F. Daubuisson
Lettre n° 15 (fol. 116 – C 231)
Paris le 29 mai 1805
Monsieur le Conseiller,
Je vous envoie deux cahiers du Journal de physique dans lesquels vous verrez deux mémoires qui vous concernent. J’ai voulu défendre votre méthode et vos travaux contre les attaques que lance ici contre vous la médisance ou plutôt la calomnie : je suis révolté de ce que j’entends dire et j’ai entrepris un long mémoire justificatif au sujet de tous les injustes reproches que l’on vous fait. Je vous l’ai prédit nous werneriserons la France. Les deux mémoires, dans le Journal de physique, sont le commencement de mon travail : lorsque le premier des deux parut Haüy jetta les hauts cris ; il courut tout Paris avec l’astuce d’un jésuite, dire que je m’étois trompé sur le Mellite, que je me conduisois indignement en cherchant à déprimer son système en faveur de celui d’un étranger &c., il se plaignit à M. de la Place, il écrivit au Conseil des mines ; aber umsonst105, je continuai à parler ouvertement : alors Haüy m’a fait inviter à parler chez lui, il m’a embrassé, il m’a demandé mon amitié. Mais tout cela n’est qu’hypocrisie, il n’en a pas moins le cœur plein de jalousie contre vous et de fiel contre moi… Tantæne animis celestibus iræ ; ce qu’il a dit et fait depuis en est la preuve. Vous observerez cependant que de mon côté, je lui ai toujours rendu, et lui rendrai toujours au moins la justice qui lui étoit due : mais en même tems je lui ai annoncé positivement que je défendrois hardiment vos principes contre tout attaque et je lui tiendrai parole.
Pardonnez moi la petite délation que je vais vous faire, dut-elle, pendant un instant troubler votre tranquilité, mais vous etes philosophe : il y va d’ailleurs de votre gloire (fol. 116 v° - C 232) et elle m’interesse autant que la mienne propre. Vos ennemis disent que votre méthode n’est qu’un empirisme méthodiste, … que toute votre Minéralogie n’est basée que sur les caractères tirés de l’aspect extérieur… que vos principaux caractères sont les nuances de couleur… que toutes les descriptions de mineraux ne servent de rien, et ne peuvent donner une idée exacte du minéral décrit. D’autres personnes, qui sans être vos ennemies vous sont indifférentes, disent que vous ne mettez pas assez de précision dans la détermination du clivage, et dans la détermination des formes cristallines… que vous ne faites pas assez ressortir les caractères principaux, qui se trouvent dans vos descriptions noyés avec des caractères de peu d’importance… Je me charge de répondre à toutes ces inculpations. aux premières avec vigueur comme lorsqu’on répond à des gens de mauvaise foi ; aux secondes par des raisonemens convaincants et par l’exemple de ce que vous faites vous même dans vos cours : car il n’est pas possible de mieux l’expliquer relativement au clivage que vous ne le faites 1°. Die Zahl der Durchgänge. 2°.106Ihre Vollkommenheit. 3°. Ihre Winckel.106 4°. l’angle qu’ils forment avec la forme principale. Pour la précision des formes vous conseillez vous même de mettre le nombre de degrés entre (…), lorsqu’on énonce l’angle. Vous faites dans vos cours ressortir fort souvent les caractères essentiels : je me rappele de vous avoir ainsi entendu commencer l’Espece du Jaspe ainsi qu’il suit : On appele, en général, Jaspe, une substance, dure, opaque, à cassure concoïde, de couleur rouge ou jaune tirant au brun ; et puis vous entriez dans le détail : certainement il était impossible de mieux faire. Ainsi de tous les reproches qu’on vous fait sont ou exagérés ou de pures calomnies ; la vérité finira par se faire jour, on sentira le mérite de vos travaux et nous werneriserons la France.
Mais surtout ne nous brouillons pas avec la Chimie, Haüy triomphe : Vous lui avez fait dire par un de vos élèves, m’a-t-on dit, que vous aviez entierement renoncé à tirer aucun secours de la chimie, en Minéralogie ; qu’elle n’y servait de rien. Je ne crois pas que vous lui ayez fait dire cela, parce que encore lorsque vous étiez à Paris, je vous ai ouï me dire confidentiellement que vous étiez bien faché que vos moyens ne vous permissent pas d’entretenir un chimiste : et d’ailleurs si la chimie ne nous est pas fort utile dans la classe des Pierres, elle l’est infiniment dans celle des métaux et des sels. Je suis faché que Mohs ait montré tant de mépris pour elle dans son ouvrage107. Haüy s’est empressé de dire à tous les chimistes de Paris ce que vous lui aviez fait dire ; et le tout pour les indisposer à votre égard. Cependant Bertholet, Guiton, Fourcroi sont très portés pour vous, ils n’aiment pas Haüy : ce sont en France, les chimistes qui sont pour…108 (fol. 117 - C 233) et je crois que le mémoire qui est dans le cahier de floréal, et où je montre évidemment que vous avez l’initiative sur Klaproth, et sur Vauquelin, dans la détermination de la nature intime de deux minéraux, vous fera certainement honneur auprès de nos chimistes. Rappelez vous bien que ce n’est pas Klaproth qui est votre ennemi scientifique, c’est Haüy : c’est contre ce dernier qu’il vous faut défendre, c’est lui qu’il faut faire attaquer par vos élèves mais adroitement, et il faut que ceux qui le feront soient géomètres, qu’ils aient observé des cristaux et mesuré des angles : qu’on fasse à Freyberg des goniomètres, mais que ce soit pour se défendre contre la Cristallographie qui tente d’envahir la Minéralogie.
Il y a ce me semble un principe certain, c’est que toutes les fois que des minéraux ont de formes de molécules differentes, ils sont de differente espèce ; et comme vous êtes le premier qui avez montré le rapport qu’il y a entre le clivage, et la forme des molécules, je ne voudrois que vous ne missiez dans la même espèce des minéraux qui ont un clivage different. J’ai soutenu que vous ne l’aviez pas fait, c’est-à-dire qu’on ne me montreroit pas une de vos descriptions d’espèce, dans laquelle il y eut deux clivages differens. Mais on m’a dit, et cela vient encore de chez M. Haüy, que vous aviez réuni la smaragdite de Saussure avec l’actinote, la macle de Haüy avec le feldspath. Haüy le dit partout et je ne sais que répondre : je ne connois pas les motifs de votre opinion à ce sujet : mais je desirerois bien que dans les formations d’espèce vous respectassiez l’unité du clivage : c’est même vous que je regarde comme l’auteur de ce principe. Ici où nous avons des minéralogistes, qui ne sont pas sortis de leur cabinet, et qui pensent qu’il ne faut pas même connoitre les minéraux pour être minéralogiste ; toute la Minéralogie se borne à discuter sur l’espèce : j’ai cherché et je chercherai à combattre cette opinion ridicule.
Ce n’est pas tout que de se défendre, il faut attaquer : mais je ne puis agir de cette dernière manière, ma position, la considération dont Haüy jouit auprès de La Place, et mieux du gouvernement me le défendent. Cependant la Victoire ne saurait être incertaine. Il est possible que j’aille de Paris à Freyberg sans trouver, sur ma route, un cristal bien prouvé : à quoi me serviroit et la christallographie, et la Théorie des décroissemens, pour connoitre les mineraux que je rencontrerois à chaque pas ? qui est-ce qui a jamais reconnu, et reconnoitra jamais du quartz à la forme de ses molécules ? Sur 200 espèces minérales, il n’y en a pas 30 dont nous nous connoissions exactement la forme des molécules : il n’y en a pas 30 qui présentent quelque chose de particulier dans leur forme. Est ce que nous pouvons nous flatter de connoitre réellement la forme des molécules ? a mesure que les observations se multiplient, les durchgänge109 se présentent en plus grande quantité et ce qui était si simple (fol. 117 v° - C 234) au premier aspect est devenu actuellement un dédale inextricable. Je dirai plus, le clivage, qui est le premier des caractères physiques, a cependant un désavantage sur la plupart des autres ; c’est qu’il ne peut absolument servir à circonscrire une espèce : puisqu’il ne se trouve que dans un bien petit nombre d’individus privilégiés de l’espèce ; ainsi il ne pourra indiquer si tel individu qui ne présente pas ce caractère appartient réellement à l’espèce à la quelle il se (mot illisible). Est-ce que c’est la forme de la molécule qui pourra me dire si la hauptmasse du porphire de Walterdorff, appartient au feldspath ou au hornstein &c. &c. &c. On feroit un gros volume d’objections contre le travail de Haüy ; ce saint homme, au lieu d’aller, comme vous, droit au but de la Minéralogie, est allé, avec toute sa sagacité, se perdre dans de minutieux détails.
Vous verrez Humbolt à Freyberg, faites lui bien des honnetetés, parce qu’il doit revenir à Paris, et que certainement, on le prendra souvent pour juge dans les discussions qui auront ici lieu à votre sujet. Il est accompagné par Gay Lussac, dont je vous ai parlé. le 12 Juillet de Valenciennes.
Je n’ai pu finir cette lettre à Paris, je l’ai emportée avec moi aux mines d’Anzin près de Valenciennes ; ce sont de superbes mines de charbon de terre dont on tire pour près d’un million de thales de charbon par an : mais que c’est loin d’être exploité comme les mines de Freyberg, si elles l’étoient avec le même ordre et la même économie elles en rapporteroient le double. Nous avons ici bien souvent parlé de vous avec M. le colonel Gibbs, américain, géognoste zélé, mon élève et par conséquent le vôtre : nous avons eu des difficultés sur lesquelles nous aurions bien desiré vous consulter ; toutes les couches de charbon présentent l’inflexion ci-marquée (en coupe verticale), de sorte que ce qui est le (mot illisible) dans une partie, devient le liegender dans l’autre. Le Sandstein, Sandsteinschiefer, Schiefer110 alternent avec la houille et lui sont exactement parallèles. Au dessus de la Steinkohle Formation111 se trouve une Creide Formation112, de 30 à 40 toises d’epaisseur, et contenant des couches de silex, de marne et d’argile, le tout mit übergreifende ab sande Lagerung113. Ce qu’il y a de plus remarquable c’est que cette Sand Stein Kohle Formation114 occupe une bande d’un meile de large et qui se dirige hora 6 (O.N.O) suivant Steifen der Flötze114 et c’est sur cette bande que sont les exploitations de Valenciennes, Mons, Charleroi, Liège &c.. Je retourne dans quelques jours à Paris ; dans six mois je serai placé Ingénieur en pied.
Le chateau de Bellaing est à une lieue d’ici, j’y vais assez souvent. MM de Bellaing pere et fils me chargent de les rappeler dans votre souvenir et vous présentent leurs hommages ; vous vous rappelerez aisement d’eux, ils ont passé quelque tems à Freyberg, le fils qui chantoit très bien faisoit musique chez M. de Charpentier, c’est ce qui nous a donné l’occasion d’ecrire à M. de Charpentier la lettre ci-jointe que nous vous prions de lui faire parvenir. Mes compliments à MM de Trebra, d’Oppeln &c.. Le nouveau ministre de France à Dresde désire beaucoup connoitre Freyberg et vous en particulier ; je n’ai pu le voir avant son départ. …… Je saisis cette occasion de vous renouveller les assurances de ma reconnoissance et mon entier devouement.
J’ai l’honneur d’etre avec respect
J. F. d’Aubuisson
P.S. Je previens M. de Charpentier que c’est moi qui ai r’ouvert sa lettre.
Lettre n° 16 (fol. 118 – C 235)
Paris, le 8 juillet 1806
Monsieur le Conseiller
Je profite de l’occasion que me présente le départ de Mr d’Oppel115 pour m’entretenir un instant avec vous et vous dire un mot de vos amis à Paris. M. Héron nous a apporté de vos nouvelles, et ce qu’il m’a dit m’a fait un bien grand plaisir : j’ai surtout vu avec satisfaction que l’électeur avoit augmenté votre traitement et je souhaiterois bien que ce souverain fut aussi généreux que notre Empereur qui vient d’accorder à Haüy une pension de six mille francs, indépendamment de ses traitemens : j’ai rapporté ce fait à M. d’Oppel et l’ai fort engagé de conseiller à l’électeur d’en faire autant à votre égard. M. Héron nous a dit toute sorte de bien de vous, il est pénétré de l’accueil que vous lui avez fait ; et il disoit dernièrement au Conseil, quand bien même Werner ne sauroit pas lire, il n’en seroit pas moins très estimable ; vu les nombreux services qu’il a rendus à sa patrie et à l’art des mines en Saxe : voilà son opinion sur votre compte comme administrateur, comme savant, elle n’est pas moins favorable ; et il est assez remarquable de voir un élève de l’école polytechnique, un élève de Haüy, aller à Freyberg pour y passer quinze jours et y rester plus de trois mois, après vous avoir entendu, pour y suivre vos leçons116.
Je ne sais si vous avez reçu un numéro des annales de chimie, dans lequel est imprimé un plaidoyer pour vous contre notre saint-homme : jusqu’ici j’ai gagné mon procès : Haüy n’a encore rien publié contre ; mais s’il publie quelque chose, il n’y gagnera rien, je lui répondrai, et l’attaquerai à mon tour ; je suis bien (fol. 118 v° - C 235) résolu à ne pas mettre bas les armes. Je me tiens tranquile ; mais toujours prêt à combattre sous vos étendars : me fesant honneur d’être un soldat de votre armée. Il y a deux ans que j’ai fait un petit mémoire contre La Molécule, je ne l’ai montré à personne qu’à M. Berthollet, qui l’a trouvé très bien et qui voudrait fort que je le livrasse à l’impression : mais j’attends qu’on m’en fournisse l’occasion : et ne me presse pas. Faites le traduire en allemand, vous le lirez plus facilement ; car je sais que nous n’aimez pas l’écriture française ; et que peut-être pas sans raison, vous dites que les allemands écrivent mieux le français que les français même : je crains cependant que le traducteur ne saisisse pas toujours mes idées. Dites moi, s’il vous plaît, pourquoi vous n’avez plus de Journal de Minéralogie en Allemagne, et de Journal qui vous soit fort dévoué : il est vraiment dommage et facheux pour vous et pour la science et Hof et Hoffmann ne continuent plus le Magazin117&c. et le Bergmännisches Journal118 : je vous dirois d’y faire insérer mon mémoire ; mais sans y mettre mon nom ; parce qu’il me faudroit alors voir la traduction, et retoucher quelques endroits qui ne sont pas assez forts. J’ai vu, dans les annales publiées par le Bon de Moll quelques extraits de ce que j’ai mis dans le Journal de physique sur votre système, et votre Gattirung119, mais c’est un peu trop mutilé. J’y ai aussi vu avec plaisir un mémoire de Mohs sur la Meionite ; j’en ai été très content ; mais Mohs qui est mathématicien devroit avoir un goniomètre et s’en servir ; sans cela, il ne combat pas à armes égales : il faut de la précision ; et même pour les lecteurs les apparences de la précision ; quand il emploieroit dans les matières cristallographiques seulement, les degrés et quelquefois les minutes, cela n’iroit pas mal ; que l’on voye au moins que vos élèves savent ce que c’est qu’un angle. Paris est le pays des mathématiciens, que Mohs nous envoie du Wernerisme, habillé à la mode (fol. 119 – C 237) mathématique et je le traduirai. J’ai lu, dans Moll, que vous aviez fait un cours sur l’histoire littéraire de la Minéralogie ; j’aurais bien donné quelque chose pour l’avoir entendu ; car il y a bien longtemps que j’ai dans l’idée de faire un ouvrage à ce sujet, et je vous réponds que vous y serez bien traité : je divise mon histoire en 5 époques : 1°. l’ancienne (depuis Theophraste jusqu’à Agricola) 2°. la métallurgique (Agricola, Kircher, Henkel, &c.), 3°. la suédoise (Vallerius, Linné, Cronstedt, Bergmann), 4°. la wernerienne (Werner), 5°. la françoise ou cristallographique et chimique (Romé de l’Isle, Haüy, Saussure, Dolomieu, Vauquelin, Klaproth). Si vous étiez homme, à écrire vos principales idées sur un papier et à me le faire parvenir, pour servir de base à mon travail vous me rendriez un grand service en me facilitant ainsi le moyen de werneriser la France : je réussirai, quoiqu’en dise le saint-homme. Mais faites la paix avec les chimistes, et tâchons de prendre à Berlin le dessus sur Haüy, ou plutôt à l’y conserver.
Je suis allé hier chez Lametherie et lui ai dit , j’ai une commodité pour Freyberg écrivez à Werner et envoyez lui quelques uns des nouveaux minéraux : ah m’a répondu Lametherie Werner ne m’a pas répondu et je lui ai écrit plusieurs fois ; cependant je ne m’en fache pas, et je lui enverrai quelques nouveaux minéraux trouvés en Italie par M. Beauvoisin, dès qu’ils me seront arrivés : pour le moment, faites lui bien des amitiés de ma part. M. Lelièvre que vous ne connoissez pas, a une petite caisse à vous envoyer, mais il n’ose pas en charger M. d’Oppel, crainte d’indiscrétion. M. Gillet tout glorieux de la lettre que vous lui avez écrite vous en remercie et vous écrit un mot à ce sujet. Je vous envoie l’ouvrage (dont je vous avois parlé) sur la Minéralogie ; il renferme en appendices tout ce qu’on (a) appris ici dans ces dernières années. J’ajoute quelques hyacinthes du ruisseau de Rionpezzonlion près du Puy en Velai, ramassées par moi-même ; ainsi qu’un peu d’Iscron du même endroit. Recevez encore une fois l’assurance de toute ma reconnoissance, et mon respectueux dévouement.
Votre très humble et très obéissant serviteur
J.F. D’Aubuisson
Lettre n° 17 (fol. 120 – C 239)
Paris le 17 décembre 1806
Monsieur le Conseiller
Je ne laisserai pas partir M. Héron de Villefosse pour l’Allemagne, sans le prier s’il passe à Freyberg de vous renouveller l’assurance de toute ma reconnoissnce et de ma haute considération ; et sans le charger d’un mot d’avril par lequel je prendre moi-même la liberté de vous rappeler tous mes sentiments à cet égard.
M. Le Lièvre a voulu profiter de la même occasion pour vous faire passer quelques minéraux rares et qu’il a cru propres à vous intéresser. Parmi ces substances, il y en a une ou deux comprises sous le nom de Ienite qui sont toutes nouvelles et qui n’ont même pas été décrites encore dans aucun ouvrage imprimé. Si la dénommination de Ienite ne convenoit pas, j’adopterois volontiers celle (fol. 120 v° - C 240) de Lepore ou Lepor en l’honneur de M. Le Lièvre (du latin Lepus, leporis), au moins pour une des deux.
M. Chennevix est arrivé ici furieux contre les allemands et sembloit avoir intention de précher une croisade contr’eux. Il n’a pas voulu excepter, à ma demande, mon illutre maître de l’anathème qu’il a prononcé contre toute la nation germanique. Il se propose d’écrire en faveur de notre Cristallographe mais s’il cherche à vous faire descendre 2 degrés, je suis là tout pret pour chercher a vous en faire remonter 4.
M. D’Oppel vous a vraisemblablement remis un numéro des Annales de chimie ou étoit un mémoire que j’ai fait l’année dernière en défense contre une attaque ridicule du cristallographe. Si vous n’approuvez pas la manière dont j’ai taché de vous défendre, daignez me savoir gré de l’intention. En toute circonstance, vous me verrez fidèle au (fol. 121 – C 121) devoir que la reconnaissance et l’attachement m’imposent à votre égard.
J’ai lu avec plaisir, dans les Ephémérides du Bon de Moll, quelques mémoires de Mohs. Je voudrois seulement que Mohs, qui est un mathématicien, parlat dans quelques uns de ses écrits le langage mathématique et cristallographique : car le peuple minéralogiste sera toujours en notre faveur ; mais il faut aussi mettre de notre côté les demis-savans ; qui sachant un peu de géométrie sont tous fiers de le pouvoir exercer sur les cristaux : et certainement rien de plus aisé que de prouver mathématiquement que la théorie des décroissemens n’est qu’une hypothèse aussi gratuite qu’inadmissible.
Daignez me rappeler au souvenir de M. de Trebra et autres connoissances, et recevoir les assurances du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être votre très humble et très obéissant serviteur
J.F.D’Aubuisson
PS : Dès le commencement de la guerre, j’ai écrit au Général Andreossy pour lui recommander M. Werner, mais il s’est trouvé absent de l’armée.
Lettre n° 18 (fol. 121 – C 243)
Paris, le 18 mai 1807
L’Ingénieur au Corps Impérial des Mines en mission dans les
Départemens de la Doire et de la Sésia120
À son cher et respectable Maître le Conseiller des mines Werner
Monsieur le Conseiller,
Omnia vincit labor improbus. Pendant près de cinq ans, sans me rebuter, j’ai frappé à la porte et enfin elle s’est ouverte. Par décret impérial, je suis nommé Ingénieur des mines et voilà mon sort fixe. Grâces vous en soient rendues : c’est vous qui le premier m’avez conseillé d’entrer dans la carrière, c’est vous qui y avez guidé mes premiers pas, c’est vous qui ici m’avez assisté de vos bons amis, qui m’avez recommandé la persévérance. Je pars après demain pour le Piémont où je vais résider, j’ai tout le Versant méridional des Alpes dans mon département, j’y ai le Mont rose, le Mont blanc, le Grand et le petit St Bernard ; et je n’y manquerai pas d’occasion de mettre en pratique vos leçons et d’y trouver à chaque pas de nouvelles preuves de votre beau système géologique.
(fol. 122 v° - C 244) J’ai eu occasion de voir ici M. Weiss qui certainement fait honneur à votre école sous le rapport de la Minéralogie et de la cristallographie121. Le saint-homme l’accable de complimens, et il se laisse prendre dans ce piège. Il m’a dit que vous aviez été sensible au zèle que j’avois mis à vous défendre d’une attaque injuste et ridicule qui avoit été faite par le professeur au jardin des plantes ; et cette occurrence a été pour moi la plus douce récompense d’une démarche qui certainement m’a fait un cruel ennemi d’un des hommes les plus dangereux, parce qu’il est des plus méchans et des plus hypocrites que l’on puisse voir. N’importe, je continuerai en toute occasion à vous donner les marques publiques de mon estime, de ma reconnoissance et même de mon admiration pour les heureux talens dont la nature vous a doué. Chennevix est venu ici precher une croisade contre les Allemands en général et contre votre école en particulier, de là il est allé en Espagne, d’où il va revenir : il a annoncé un très long mémoire dans lequel il compare votre Minéralogie avec celle de Haüy ; il parlera comme un ignorant et comme un énergumène : je me charge ensuite de lui répondre, ou plutôt de faire un mémoire qui soit le pendant du sien et qu’on imprimera ensuite.
M. Weiss va en Auvergne, j’ai prié un de mes amis qui est dans ce pays de lui procurer, pour vous, quelques jolis cristaux de zeolithe et spath pesant.
Daignez me rappeler à Freyberg, au souvenir de tous ceux que j’ai eu l’avantage d’y connaître, de MM. Trebra, Lampadius, Köhler, Hoffmann, &c., et permettez moi de vous renouveller les assurances de la considération la plus distinguée, et de l’attachement respectueux avec lequel j’ai l’honneur d’être, Monsieur le Conseiller, votre très humble et très obéissant serviteur J.F. D’Aubuisson Ingr des mines.
Lettre n° 19 - (fol. 123 – C 245)
Mon très illustre et très respectable Maître,
Il y a un an qu’il m’est parvenu, au milieu des Alpes, un long mémoire de M. Chennevix, qui n’est qu’un éloge aussi sot qu’outré de la méthode de M. Haüy, et une critique aussi injuste qu’indécente de la vôtre. Si cet écrit, misérable sous le rapport de la science et révoltant sous celui du ton, eut été imprimé ailleurs que dans les Annales de Chimie, je l’aurais méprisé, et n’y aurois pas fait la moindre attention : mais comme il se trouvoit dans un journal très répandu, et qu’il n’avoit été fait que dans la criminelle intention de ternir votre gloire ; je crus que la reconnoissance que je vous dois m’imposoit l’obligation d’y répondre, et de chercher à détruire les mauvaises impressions que cette diatribe pourroit avoir faites. Mais alors j’étois entièrement absorbé d’affaires administratives, et ne pouvois passer à Paris.
En arrivant ici, je trouvai tout le monde indigné contre M. Chennevix et même contre M. Haüy, qui, malgré son ton hypocrite, n’avoit pas craint d’exciter la haine de l’atrabilaire anglois. La voie publique vous avoit (fol. 123 v° - C 246) peut être vengé : cependant ma confiance n’étoit pas satisfaite : votre gloire, mon très cher Maître, me tient plus à cœur que la mienne propre ; je viens de consacrer à sa défense presque tout le tems de mon séjour dans la Capitale. M. Berthollet a fait imprimer mon mémoire dans les Annales de Chimie : je vous en envoie un exemplaire122.
Dans la première partie, je commence par vous justifier de quelques imputations grossières, que M. Chennevix avoit faites (et d’une desquelles j’étois en partie cause) : je montre ensuite l’inutilité de la Théorie des décroissemens en Minéralogie, et je finis par quelques considérations sur l’essence de l’Espèce dans cette branche de l’histoire naturelle. (Ici vous me trouverez vraisemblablement trop chimiste ; et je ne fais cependant que défendre vos propres principes, ceux que vous avez exposés dans le premier chapitre du traité des caractères extérieurs, ceux que je vous ai ouï professer). Dans la seconde partie, tout vous est personnel : je jette un coup d’œil sur vos travaux ; je rappelle les hommages que toute l’Europe vous a rendus ; je cite les faits, les témoignages irréfutables qui déposent en faveur de votre génie, et qui vous assurent l’immortalité : je fais voir combien la célébrité dont vous jouissez vous est justement acquise ; et fais connaître quelques détails sur votre biographie.
Dans tout cela, j’ai osé m’exprimer avec toute la sévérité et l’indépendance de mon caractère. Pardonnez le moi : je n’auroi vraisemblablement plus le plaisir de vous revoir ; vous êtes pour moi, à peu près comme si vous n’étiez plus, (fol. 124 - C 247) et j’ai cru pouvoir parler de vous comme en parlera la postérité. Si deux ou trois fois je suis convenu de quelques faibles que votre méthode m’a paru présenter ; je puis dire quo plura nitent non ego paucis offendar maculis
Je me suis un jour assuré à dire un mot sur votre manière de décrire les cristaux et à en donner un exemple. Je vous adresse le n° du Journal de Physique qui renferme cet écrit.
Ma position est toujours la même : Ingénieur des mines, avec 4200 francs d’appointemens. J’espère dans peu que mon sort sera amélioré. Dans queques jours, je repars pour le Piémont.
J’ai vu ici quelques uns de vos élèves, et je les ai bien questionnés sur votre compte : j’ai appris d’eux, et de M. Bonnard123, que vous êtes heureux, considéré, content et que vous vous portez très bien. Dieu vous tienne dans cet état pendant cinquante ans ; c’est ce que je vous souhaite, dans la sincérité de son âme, celui qui vous renouvelle les assurances de sa vive reconnoissance, et de son profond respect
Votre très humble et très obéissant serviteur
D’Aubuisson
P.S. du 31 Le N° des Annales de Chimie, et du Journal de Physique, ont été expédiés hier par la poste ; je les ai affranchis jusqu’à Erfurt, ne pouvant les affranchie pour une plus grande distance. Je pars après demain.