Lettres familiales et professionnelles d’Alexandre Brongniart

DOI : 10.57086/sources.357

p. 109-158

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Document n° 1 : Lettre adressée par Alexandre Brongniart à ses parents2

[fol. 13] n°. 5

Vienne3 le 30 germinal, l’an trois4 de la républ.

journal

30 germ.

Nous sommes partis ce matin de Lyon. Nous avions eu hier au soir un terrible quart d’heure de Rabelais5 pour payer un joli petit mémoire de 930#6 pour huit jours de séjour dont deux dehors, pour payer les filles, le petit décrotteur7, jusqu’au cuisinier qui vint se recommander à ma générosité ; mais ici elle s’arrêta car il n’eut pas une obole. Nous partîmes enfin tous les quatre le sac sur le dos. Il faisait sombre et pleuvait un peu, et sans moi, on ne serait pas parti. Il est bon à cette occasion que je vous dise un mot du caractère de mes compagnons de voyage que ces deux jours-ci m’ont assez bien fait connaître.

Le plus âgé est un Allemand qui a vécu sur une mine de Bretagne pendant quelques temps. Il a déjà voyagé à pied, il ne craint ni la fatigue ni le mauvais temps. Il se lève le matin, n’est pas arrêté par un ciel couvert, n’aime pas plus que moi la pluie mais, quand elle tombe, il la reçoit sans murmurer, fume sa pipe tranquillement et va toujours son chemin sans maudire les voyages et dire qu’on ne l’y prendra plus parce que la pluie est un très petit malheur. Il porte très joliment son sac.

Le second en âge est celui que j’ai vu à Cherbourg8. Il a l’air le plus fort et est le plus délicat. Il lui faut un beau temps, un beau chemin, une courte journée, un très léger paquet et surtout de très bonnes auberges. Je pense comme lui sur tous ces articles mais je me ris de ne pas les trouver, et les contretemps de pluie, d’auberge détestable, de mauvais chemin, de fatigue ne sont pour moi que des épisodes qui doivent rendre mon journal plus piquant9, qui doivent me faire trouver plus beaux les beaux jours et meilleures les bonnes auberges. Je crains que nous n’allions pas toujours ensemble car je suis décidé [fol. 14] à ne pas mettre le pied dans une voiture et à ne pas perdre mon temps dans les villes soit pour attendre un beau temps certain, soit pour se reposer pendant deux jours d’une course de trois jours. Au reste il est fort instruit.

Le petit, que l’on prend partout pour une femme déguisée en homme, sort pour la première fois de chez lui et cependant n’est découragé de rien. Il porte bien son paquet, marche bien, boit de l’eau et rit de la pluie. Il aime seulement un peu trop les bonnes auberges. Cependant nous ferons quelque chose de lui.

Revenons à notre départ. J’avais mon sac sur le dos, mais point le petit sac, le grand avec une chemise, trois mouchoirs et ma redingote, mon sabre à gauche, mon marteau à droite, mes pistolets au milieu, ma canne et mon chapeau couvert de son enveloppe reluisante. Chacun avait son sac et ses provisions, en habit, vivres et instruments. Nous prîmes la grande route de Vienne où nous allions. Un vent du sud des plus forts nous soufflait au visage, ce qui n’était pas amusant mais avait arrêté la pluie. Après Symphorien10 nous nous assîmes au pied d’une haie à l’abri du vent et nous dinâmes. Après notre repas le vent s’apaisa et la pluie tomba. Il y avait encore trois lieues11 jusqu’à Vienne. La pluie allait en augmentant. J’avais endossé mon mantelet de toile cirée12 et j’en admirais l’effet. Mais la pluie ne cessant pas m’y fit trouver de grands inconvénients : mes cuisses depuis les hanches étaient mouillées comme si elles eussent trempé dans l’eau. Et ce mantelet ayant une couture mal faite par derrière, l’eau perça et passa derrière mon dos, entre mon sac, ce que justement je craignais. Quand au taffetas gommé qui recouvrait mon chapeau13, il remplit très bien ses fonctions en sorte que d’après cette expérience je suis décidé à abandonner la toile cirée et à avoir le manteau de taffetas gommé. [fol. 15] Si donc il est encore temps d’envoyer à Grenoble où nous serons encore dans 12 jours, je prie le père, ou la mère de passer au palais royal et de marchander un manteau de taffetas gommé commode et ample mais sans manche. Si le prix ne va pas au-delà de 120#, même 130, je désirerais qu’on m’en fît l’emplette ; avec cela je me moque de la pluie.

Pendant que nous étions si bien mouillés par une pluie forte et continuelle je tâchais de consoler quelques-uns de mes compagnons par la peinture du bonheur que nous aurions à nous sécher auprès d’un bon feu mais ici mon bonheur idéal fut cruellement déçu. En arrivant à Vienne nous cherchâmes une auberge. La 1ère, point de place, la sde id., la troisième il y en avait. Nous montons à quatre, dans une chambre à deux et pour tout au monde on ne veut pas nous faire de feu dans la chambre, le bois est trop rare etc. etc. Nous employons tous les moyens possibles. L’aubergiste est inexorable. Venez vous chauffer à la cuisine, où il y avait deux tisons qui se baisaient. C’eût été commode de descendre tous en chemise dans cette cuisine où on allait et venait à chaque instant. Dans ma colère, je quitte mon sac que mes compagnons gardent et je cours toute la ville malgré la pluie doublée par les gouttières. Après avoir été dans 10 ou 12 auberges où on me faisait toujours les mêmes difficultés, je trouve enfin une gargote où on me promet tout ce que je demande. Nous traversons donc la ville d’un bout à l’autre et arrivons au gîte tant désiré. Nous grimpons par un escalier obscur dans une chambre encore plus obscure, où étaient serrés l’un contre l’autre cinq grabats. À peine y avait-il de la place pour s’y retourner. Des habits de hussard indiquaient par qui elle était habitée. Nous commençons tous nos lamentations. Mais faute de mieux nous y restons. On fait du feu sous une grande hotte de cheminée qui touchait au plancher. Nous sommes obligés d’ouvrir porte et fenêtres pour [fol. 16] n’être pas étouffés par la fumée. Nous commençons enfin à nous déshabiller et à étaler toutes nos hardes. Ensuite chacun s’approche du feu du côté où il est mouillé : l’un y présente l’épaule, l’autre le dos, celui-ci les pieds etc. Nous passâmes ainsi la soirée assez de mauvaise humeur, contre Vienne, ses aubergistes, les hussards et la pluie. Lorsque ma redingote fut un peu séchée, je la mis et je sortis un instant pour aller voir l’agent national du District14. Il me renvoya par devers un autre citoyen que je ne trouvai point. Mais peu importe. En revenant il fallut s’occuper du souper. On jugeait par induction qu’il ne devait pas y avoir à souper dans cette auberge, mais ici on se trompa en bien. Il ne fut pas mauvais. Après le souper, la fille nous changea de chambre et nous mit dans celle à côté. On y voyait un peu lorsque la fenêtre et la porte étaient ouvertes. Mais il n’y avait que trois lits dans l’un desquels couchait un officier avec sa femme. Nous transportâmes le feu et les bagages que nous déposâmes dans un coin, j’étalai un matelas par terre qui leur servait de rempart ; je m’y couchai. Mes compagnons se distribuèrent les deux autres lits où ils se mirent tout habillés vers 9h. L’officier, sa femme en tablier, casaquin15, et bonnet très rond, plus deux chiens arrivèrent pour se coucher. Chacun fit son lit et chacun dormit à l’exception des chiens qui vinrent placer dans le milieu de la chambre quelque chose qui ne se voyait pas, mais qui se sentait bien.

1er floréal

Ce matin il pleuvait encore. Comme nous devons rester quelques jours à Vienne, il a été décidé que nous changerions de logement. Deux se sont mis en quête et ont enfin trouvé une chambre à trois lits avec feu, porte et fenêtre chez un homme qui loge et donne à manger. Nous avons plié bagage, demandé la carte qui se montait à 90#. Le bois et la chambre n’y étaient pas oubliés. Nous voilà dans notre nouveau logement. La pluie continuelle s’est changée depuis midi en forts orages. Nous avons continué la dessiccation de nos vêtements et sommes tous à écrire la relation de notre désastre d’hier qui paraît terrible aux deux jeunes gens, excepté à l’Allemand qui pendant ce temps joue de la flûte.

J’espère que vous m’écrirez toujours à Grenoble poste restante, jusqu’au moment où je donnerai une autre adresse.

*

Document n° 2 : Lettre adressée par Alexandre Brongniart à ses parents16

[fol. 73] n°. 15. journal du voyage des Alpes. an 3. 1795.

Il y a longtemps que je n’ai causé avec mes amis sur mon voyage, que je leur ai rendu compte de tout ce que j’ai fait, de ce que j’ai vu, de ce qui m’est arrivé. Ce long intervalle nécessité par des courses et des travaux multipliés influera nécessairement sur ce journal et me forcera de passer rapidement sur ce qui ne me paraîtra pas devoir présenter quelque situation nouvelle. Je passerai vite surtout sur mon voyage en Provence pour arriver bientôt à mes excursions dans les Hautes-Alpes.

27 messidor an 317

Je vous ai parlé de mon premier séjour à Marseille du 22 au 26 messidor. Je vous ai dit la sensation que m’avait fait éprouver la 1ère vue de cette ville intéressante et ce que j’y avais fait pendant les moments de repos que je viens d’y prendre. Le 27 nous devions aller visiter à 7 ou 8 lieues de la ville des mines de charbon. Mais ne nous sentant pas bien disposés et ayant encore plusieurs lettres à écrire, nous restâmes. Je ne négligeai pas cependant de faire, selon ma coutume, mon tour de promenade aux trois poissonneries et, comme aujourd’hui elles sont bien fournies, je reviens avec une provision assez abondante d’espèces et même de genres différents. J’étais pour les marchandes de poisson un sujet d’étonnement lorsqu’elles me voyaient acheter un seul petit poisson gros comme le doigt et surtout lorsque pour le même prix je refusais d’en prendre d’autres qu’elles voulaient ajouter à une provision qu’elles supposaient beaucoup trop petite pour un plat.

28 messidor.

Nous partons décidemment sur les 9h. Pour aller voir les mines de charbon qui sont au nord-est de Marseille vers les communes de Roquevaire18, de Gardanne19, d’Auriol20 etc. Le ciel était serein mais on était incommodé par un vent de nord très désagréable. Pendant plus d’une heure et demie nous marchâmes entre deux murailles. Les nombreuses maisons de campagne qui entourent Marseille de ce côté ont des clos fort étendus, fermés de murailles qui viennent border les routes et les rendre d’un ennui cruel pour le voyageur à pied dont la fatigue ne peut être soulagée que par la vue d’une campagne verte qui l’égaye et le distrait agréablement. Ce n’est pas ce qu’on trouve dans la Provence et nous ne tardâmes pas à nous en apercevoir. Nous venions de passer un village que l’on nomme St-Just et nous montions vers le bourg d’Allauch21. Nous étions sortis des murs et nous entrions dans un pays montueux. Mais les montagnes calcaires qui l’hérissent de toutes parts sont sans forme pittoresque, d’une aridité, d’une sécheresse fatigante. Leur penchant est cultivé en vigne et planté d’oliviers. Cet arbre [fol. 74] seul et trop multiplié ne présente point ce coup d’œil de verdure, de fraîcheur qui plaît dans la campagne. Ses feuilles blanches naturellement par dessous sont blanchies au-dessus par la poussière, elles sont étroites, dures et ne donnent presque point d’ombre. Nous fûmes réduits cependant à ce seul abri contre les rayons d’un soleil desséchant et nous nous y assîmes pour manger des fruits que nous avions achetés à Allauch. Nous aurions en vain cherché une fontaine, nous n’eûmes pour boire que l’eau que l’on voulut bien nous donner dans une maison voisine.

Nous avions projeté d’aller coucher à St-Savournin22 village où commencent les mines de charbon. Nous nous étions trompés de chemin et nous avions un peu trop monté, nous redescendîmes donc et entrâmes dans une gorge étroite bordée de montagnes peu élevées, mais entièrement dénudées de végétation. Nous la suivîmes pendant environ deux heures ayant un chemin caillouteux très mauvais, nous remontions toujours mais insensiblement. Enfin, quittant ce vallon ennuyeux, nous nous trouvâmes sur des collines plus élevées et au milieu d’un bois de pins. Les montagnes que nous avions à notre droite étaient elles-mêmes couvertes de bois de pins très touffus. Je vous ai souvent parlé des bois de sapins ombrageant les hautes montagnes alpines et mêlant leur noir feuillage au vert gai des hêtres. Ne confondez pas ces belles forêts avec les pins dont les feuilles d’un vert terne, garnissant à peine des branches très écartées ne donnent aucun ombrage et ne peuvent paraître agréables que dans des lieux où un peu de verdure est une rareté. Ces lieux cependant nous plurent assez. Nous demandâmes le chemin de St-Savournin, l’homme auquel nous nous adressâmes s’offrit de nous conduire et lorsque nous lui eûmes expliqué ce que nous allions y faire, il voulut nous loger. Il était à mulet et venait de Marseille. Nous arrivâmes d’assez bonne heure à St-Savournin. En attendant le souper, nous mangeâmes du caillé, nous causâmes beaucoup et surtout, avec M. Gauteron23, nous nous confiâmes mutuellement plusieurs particularités de notre vie, de nos familles qui ne servirent pas peu à lier plus intimement la connaissance que nous faisions ensemble.

On nous servit à souper. Je vous ai souvent dit que j’aime à trouver dans les voyages des choses qui caractérisent le pays où je suis. Ce souper satisfit pleinement en cela mes goûts moraux mais il n’en fut pas de même des goûts physiques. Ce fut un vrai souper provençal, tout en huile et en ail. D’abord une soupe à l’huile avec de l’ail et du poivre, ensuite du poisson cuit à l’eau avec de l’ail. On le mange avec une sauce que l’on nomme beurre de Provence, c’est de l’huile et de l’ail battus ensemble pendant longtemps au point de devenir semblable à un looch24 blanc fort épais, enfin des moules cuites simplement dans de l’eau avec du riz mais le poivre et l’ail y dominaient. Nous avions la bouche emportée et une soif inextinguible. Cette expérience faite nous résolûmes de ne plus la recommencer. Nous allâmes coucher sur la paille où nous dormîmes fort bien.

[fol. 75] 29 messidor

Nous partîmes de St-Savournin avec un homme qui nous conduisait aux mines de charbon de Valdonne25. Elles sont situées dans le milieu d’une forêt de pins entrecoupée de profonds ravins et de collines assez élevées. Arrivés à la mine, nous nous apprêtâmes à y descendre, ainsi que M. Gauteron qui pour la première fois se trouvait dans pareil lieu. Ces mines ont une construction différente de celles dont je vous ai déjà parlé. Ce n’est ni par une échelle ni de plain pied qu’on y entre mais par un escalier assez large et d’une moyenne rapidité. Des petits mineurs semblables à des singes n’ayant pour tout vêtement qu’une simple brassière de toile sans manche qui leur passe entre les jambes montent le charbon sur leur dos le long de ces escaliers et redescendent dans le trou avec une vitesse incroyable. Arrivés en bas, les galeries étaient si basses qu’on ne pouvait y marcher que de deux manières, ou à quatre pattes et encore avec peine, ou bien étendu de tout son long sur un petit traineau à trois roues. M. Gauteron préféra cette seconde manière. Il se coucha sur le dos sur un de ces traineaux. On lui recommanda bien de ne point lever le nez et un enfant le conduisit en poste et sans lumière jusqu’au fond de la mine. Il y fut en un instant après avoir été rudement secoué sur le sol inégal des galeries. Pour nous, nous y arrivâmes plus lentement et en rampant. Cette marche d’un quart d’heure nous fatigua beaucoup. Nous nous reposâmes quelques moments au lieu où on travaillait sans cependant pouvoir nous lever. Nous prîmes le parti de suivre pour le retour la méthode du chariot et quoique ce fût en montant nous arrivâmes en peu de temps au pied de l’escalier. Ce ne fut pas sans quelque plaisir que nous nous vîmes à même de jouir de l’avantage des bipèdes, de celui de se tenir droit. Nous rîmes beaucoup de l’entrée de M. Gauteron dans une mine, elle lui avait paru extrêmement singulière et en effet on doit éprouver un étonnement mêlé de crainte de se savoir sous terre et de se sentir entrainé rapidement et durement dans une situation aussi singulière.

Nous allâmes de là chez le cit. Guérin-Ricard ci-devant seigneur de Valdonne et propriétaire de plusieurs mines26. Il nous reçut honnêtement, s’offrit de nous accompagner pour visiter ses autres travaux et nous engagea à dîner. Craignant de lui être à charge nous lui dîmes que nous avions quelques provisions, il souffrit patiemment que nous les ajoutâmes à son frugal dîner consistant en haricots verts à l’huile et en un autre plat où étaient disposés symétriquement et fort à leur aise quatre petits anchois, car en comptant le cit. Ricard nous étions quatre. Nous nous égayâmes un peu [fol. 76] sur la magnificence du cit. Ricard et nous résolûmes dorénavant de ne plus nous servir du proverbe serrés comme des anchois.

Je ne vous décrirai point les autres mines que nous visitâmes dans la journée, il vous suffira de savoir qu’elles n’étaient pas toutes aussi basses que la première et que nous fûmes coucher à Peynier27 village situé à 3 lieues de Valdonne. Le chemin toujours aride ne nous ennuya point. Nous étions assez gais et tout le long de la route nous ne fîmes que parler de l’entrée majestueuse de M. Gauteron dans une mine de charbon et des anchois du généreux Ricard.

En arrivant à Peynier, on nous dit à l’auberge qu’on n’avait rien à nous donner mais je n’en fus pas épouvanté. Je me rappelai de l’histoire de la soupe aux cailloux et en effet quoiqu’il n’y eût rien, nous soupâmes fort bien avec une soupe aux herbes, une omelette aux oignons et une salade.

30 messidor

Advenier28, l’un de mes compagnons en se baignant dans la mer s’était enfoncé une pointe d’oursin dans le pied. Elle ne lui fit d’abord aucun mal et même nous la croyions enlevée. Mais son pied s’enfla et nous fûmes obligés de le laisser à Peynier cherchant une monture pour retourner à Marseille. Nous partîmes donc tous deux M. Gauteron et moi. Nous allâmes encore visiter plusieurs mines de charbon, mais M. Gauteron content de sa première descente restait à l’entrée. Pendant ce temps, l’imagination remplie de ce qu’il avait vu, il s’amusait à faire le canevas d’une pièce de théâtre dans laquelle on mettait des mineurs sur la scène. Il me lut ce qu’il avait fait. J’y trouvai des incidents trop communs, je pensai qu’il fallait du neuf et du piquant et quand nous eûmes regagné la grande route qui nous conduisait à Auriol où nous devions coucher, nous voilà travaillant à qui mieux mieux à bien disposer notre pièce. J’y fis de si grands changements, qu’elle devint tout autre et je puis me flatter d’être l’auteur d’une des scènes les plus piquantes. Je ne crois pas cependant faire tort en rien aux talents de M. Gauteron dans ce genre. Notre comédie, notre opéra-comique ou notre drame, nous ne savons encore ce que nous en ferons, nous occupa jusqu’à Auriol où nous arrivâmes au déclin du jour. Cela ne nous empêcha pas cependant de trouver la campagne plus riante, plus verte à mesure que nous approchions de ce bourg. Il est situé dans une gorge étroite bordée de rochers assez escarpés. Mais dans le fond de ce vallon, il y a de l’eau, des prairies, des arbres, et sans verdure, sans ombrage, sans eau, la nature est bien aride. Il faut ajouter aussi que nous arrivions à Auriol au coucher du soleil, moment où la campagne paraît toujours belle.

Tranquilles dans notre auberge, nous disposâmes notre pièce par actes.

[fol. 77] Nous la divisâmes en trois actes que nous remplîmes de la manière suivante, car depuis ce temps nous n’y avons plus pensé. Mais enfin la voici et il est bon que vous connaissiez cet effort de notre imagination.

1er acte

Le théâtre est divisé en deux parties mais transversalement. La partie supérieure représente la campagne telle qu’on la voit dans les pays de montagnes, c’est-à-dire hérissée de rochers, couverte de bois, cependant on voit sur le devant un petit sentier. Dans le fond on aperçoit des montagnes très élevées dont les sommités sont couvertes de neige vers le milieu et pas tout à fait dans l’éloignement, on remarque une belle et forte cascade qui se précipite dans une espèce de gouffre.

La partie inférieure du théâtre représente l’intérieur de la terre et une partie de celui d’une mine. D’un côté on voit le bas d’un escalier taillé dans le roc, au pied de cet escalier est la salle d’assemblage. C’est un endroit assez spacieux où on peut aisément se tenir debout, il se termine par une galerie basse où on ne peut marcher que courbé, cette galerie tourne et paraît gagner le fond du théâtre. On voit d’autres galeries qui aboutissent à la salle d’assemblage.

La scène est dans un pays de mines peu importe lequel. Elle se passe dans ces siècles de la féodalité où chaque seigneur était un tyran, cependant la poudre est connue.

On voit divers mineurs travailler, l’un abat le charbon à coup de pic, un autre le roule sur des chariots au pied de l’escalier. Des petits enfants presque nus et tout noirs le chargent sur leurs épaules et le montent. Dans une des galeries qui aboutissent à la salle d’assemblage, on voit un mineur faire partir une mine au moyen de la poudre etc. Si c’est un opéra comique, on pourra les faire chanter en travaillant, ce qui leur arrive souvent.

Le maître mineur descend l’escalier avec une lampe à la main, il visite les travaux et appelle un ouvrier dans lequel il a de la confiance. Il le tire à part, lui demande le secret et lui confie qu’un homme riche auquel il a de grandes obligations et qui a sa maison à une lieue de la mine est père d’une fille jolie persécutée par le seigneur du pays qui veut la posséder, que pour échapper à un enlèvement projeté, le père et la fille déguisée en homme doivent venir se réfugier dans la mine pendant quelques jours. Ils y descendront comme curieux. Il le charge de préparer pour les recevoir cette grotte souterraine découverte il y a longtemps où jamais aucun mineur ne va et de les y conduire secrètement.

[fol. 78] L’ouvrier part, [le] maitre mineur remonte. Les travaux de la mine remplissent la scène.

Quelques instants après Antoine (c’est le mtre mineur) redescend, il conduit deux étrangers ayant chacun une lampe, l’un paraît un jeune homme et l’autre un vieillard. Arrivés dans la salle d’assemblage ils s’y reposent. Tous les petits enfants mineurs qui ressemblent à des singes viennent s’asseoir sur leur derrière à l’entour d’eux pour les contempler etc. On les renvoie à l’ouvrage. Le père, la fille et Antoine restent seuls sur le devant de la scène ; ils se font quelques confidences peu importantes, mais la demoiselle doit laisser échapper quelques mots qui instruisent qu’elle a un amant aimé, avoué du père. Après ce court entretien, Antoine leur propose tout haut de voir l’intérieur des travaux. Il appelle les enfants. Le père et la fille se mettent chacun dans un chariot, parce qu’il serait trop gênant pour eux de marcher courbés. Antoine leur donne pour guide le mineur qui est dans la confidence. Il leur dit : vous irez en chariot jusqu’à un lieu où vous pourrez marcher plus commodément alors votre conducteur vous fera sortir par un autre escalier. Ils partent trainés p[a]r deux enfants. Ils suivent la galerie qui se dirige dans le fond du théâtre et disparaissent, Antoine veille à ce que personne ne s’écarte de son ouvrage et il s’enfonce dans la mine d’un autre côté. Tout doucement la scène inférieure se vide.

On voit alors paraître sur la scène supérieure et un peu dans le lointain deux jeunes voyageurs à pied. Ils descendent d’une montagne élevée. Arrivés sur le devant du théâtre qui doit représenter un site agréable, ils s’asseyent un instant sur un rocher pour s’y reposer. Merval, l’un d’eux, admire ce bel endroit. (Il peut dire ici de très jolies choses sur la beauté de la nature dans les hautes montagnes). Il remarque surtout cette belle cascade qu’on voit au fond de la vallée29. Il cause avec son ami du bonheur dont il va jouir en revoyant une amante dont il est séparé depuis longtemps, une mère qu’il aime, sa patrie, ses foyers devenus si agréables après un long voyage. Il vient de traverser un pays presque inhabité, des montagnes affreuses pour arriver plus promptement. Ils se remettent en route. La toile se baisse.

[fol. 79] 2eme acte

Le théâtre est toujours divisé en deux parties.

La partie supérieure offre la même campagne mais vue de plus près, la cascade qui paraissait dans le lointain s’est beaucoup rapprochée, on la distingue mieux, on la voit se précipiter dans un gouffre, d’ailleurs les montagnes sont arides sans aucune verdure, on ne voit que de la neige sur les sommets et des rochers escarpés.

La partie inférieure représente une grotte souterraine, assez spacieuse. Dans le fond de cette grotte coule un torrent très fort qui se précipite à gauche dans les cavernes.

Le père et la fille, assis sur des blocs de pierre sur le devant de la scène, gémissent de leur malheureuse situation. Ils projettent de fuir ce pays lorsqu’ils le pourront avec quelque sûreté.

Antoine entre avec le mineur, ils apportent de la paille, une couverture, de quoi boire, manger, etc. Ils cherchent à les consoler en leur faisant admirer ces belles grottes et le torrent singulier qui y coule. Le mineur s’éloigne, alors Antoine rappelle au père et à la fille qu’ils lui ont promis de lui raconter leur histoire avec quelques détails.

Ils lui disent que Sophie, (c’est la demoiselle) a eu le malheur de plaire au tyran de leur pays qui a mis tout en usage pour la posséder, qu’elle le hait, que d’ailleurs elle a un amant qu’un voyage éloigne d’elle depuis longtemps, qu’elle a fait tout ce qu’elle a pu pour dégoûter le tyran sans irriter sa colère, que celui-ci sachant qu’elle avait un amant a intercepté leur correspondance et a fait passer son amant pour mort, qu’elle ne l’a point cru, mais que sa malheureuse mère trop crédule en est morte de douleur, qu’alors le tyran s’est emparé de ses biens, que pressée par lui plus vivement que jamais elle lui a donné quelque espoir afin de gagner du temps et d’aviser au moyen de lui échapper, qu’enfin pour éviter un enlèvement mal tendu auquel elle n’aurait pu se soustraire, elle avait feint de consentir à le suivre avec son père dans une maison de campagne où, pour des raisons de politique, il devait l’épouser secrètement, que ce rendez-vous était donné pour cette nuit et qu’elle n’avait vu d’autre moyen d’y échapper que de venir se réfugier ici.

[fol. 80] Après cet entretien et quelques réflexions qui le suivent, quelques pleurs versés, Antoine les prend par la main pour leur faire connaître leur logement. Il va les conduire dans un lieu sec où ils pourront coucher. Ils disparaissent en feignant d’entrer dans une cavité particulière de la grotte.

On voit alors paraître en haut et parmi les rochers Merval, il a l’air égaré, abattu par une noire et vive douleur. Il s’avance lentement, s’assied sur un rocher élevé et commence un monologue qui peut être rendu très intéressant. (Pendant qu’il avance Antoine est sorti en disant qu’il laisse le père et la fille reposer un instant).

Tout à l’heure, il n’y a qu’un moment au pied de ces mêmes rochers dans un lieu analogue alors à ses pensées, il était heureux, de retour d’un voyage instructif, seul avec un ami dans un des plus beaux lieux de la nature, il jouissait d’un bonheur futur, mais d’autant plus vif qu’il lui paraissait certain, et qu’il était plus près de l’atteindre après en avoir été privé longtemps, (il répétera les mêmes paroles qu’il avait dites alors) en cinq heures combien son sort a changé. Il arrive chez lui, sa mère est morte, ses biens sont confisqués, il ignore pourquoi, il court chercher quelque consolation dans les bras d’une amante, il trouve sa maison presque déserte, son amante est perdue, on ne sait ce qu’elle est devenue. Moins discret que ses domestiques, il veut chercher dans ses papiers quelque éclaircissement sur son sort. Il trouve dans son secrétaire les lettres d’un rival et d’un rival heureux, d’un tyran, il voit qu’un rendez-vous est donné pour aujourd’hui ; que le tyran promet de s’y rendre et de l’emmener dans un lieu solitaire où il n’y aura qu’elle, son père et son époux. Il ne doute pas alors que le rendez-vous ne soit effectué et que Sophie ne soit entre les bras d’un autre. Il n’écoute que son désespoir, il profite de l’absence momentanée de son ami qui ne connaît point encore ses malheurs, il part, il veut aller perdre la vie dans le lieu où il a connu le bonheur pour la dernière fois. Là personne ne s’opposera à son dessein etc. etc.

Il peut finir par des réflexions très philosophiques sur le bonheur et concluant qu’il n’en existe plus pour lui, il choisira parmi les précipices quel est le plus certain. Il aperçoit la cascade et le gouffre où elle se perd. Cette cascade [fol. 81] qui lui plut tant dans son bonheur lui servira de tombeau ; il s’avance sur le bord du gouffre et s’y précipite.

La scène doit rester vide quelques secondes, mais bientôt après, on voit quelque chose se débattre avec assez de bruit dans l’eau du torrent qui passe dans la grotte. Ce bruit fait sortir Sophie de sa retraite qui, voyant quelqu’un se débattre dans le torrent, jette un cri d’épouvante et court vers son père. Merval, rappelé à lui-même par ce cri et à la nature qui a horreur de la mort, nage et, gagnant le bord, il sort du torrent et entre dans la grotte. Il est trop hors de lui-même pour reconnaître personne, au contraire il n’est pas plutôt à terre que la nature fatiguée d’une lutte aussi violente, ne lui laisse aucune force, il tombe évanoui. Aussitôt Sophie et son père revenus un peu à eux cherchent à lui donner des secours. Ils reconnaissent Merval, Sophie tombe alors évanouie de son côté, le père fort embarrassé n’ose appeler personne. Il cherche à faire revenir sa fille en lui jetant de l’eau à la figure. Merval revient le premier, il reconnaît le père de Sophie, et dans un étonnement incroyable demande des nouvelles de son amante. Le père lui montre Sophie évanouie, il se jette dans ses bras et tâche de la rappeler à la vie. Enfin elle reprend le sentiment. On s’assied, on se raconte en deux mots comment on est arrivé dans ce lieu. Merval dit que la cascade tombe perpendiculairement dans un bassin d’eau très profond où il plongea et qu’en remontant il s’est trouvé dans le torrent. Il admire comment il trouve la vie et le bonheur dans le lieu même où il cherchait la mort. Il entre dans une grande fureur contre le tyran, il jure de le tuer. Il doit venir cette nuit au château de sa maîtresse. Il est haï dans le pays, il ne faut pas laisser échapper une occasion si favorable. Il va soulever tous les mineurs et s’en faire une armée. Mais il veut auparavant écrire à son ami pour le tirer d’inquiétude et lui dire de se former un parti etc. Antoine entre dans ce moment. Il est étonné, on lui racontera tout mais qu’il fasse d’abord porter cette lettre à son adresse.

Fin du 2eme acte.

[fol. 82] 3eme acte

Le théâtre représente l’intérieur du château de Sophie. Un vieux domestique est resté seul, les autres sont à la recherche de leur maîtresse. Il montre beaucoup d’inquiétude.

Florville, ami de Merval, arrive, il apprend du domestique que Sophie a disparu le matin, que Merval est venu, a lu des papiers et s’est enfui désespéré. Florville lit les mêmes lettres, craint tout du désespoir de son ami et court après lui. Il est déjà tard.

Au moment où il sort d’un côté, le mineur porteur de la lettre qui n’a point trouvé Florville chez lui vient le chercher ici, on lui a dit qu’il y était. C’est une espèce d’imbécile qui perd beaucoup de temps en conjectures sur ce qu’il doit faire et qui a déjà perdu un temps fort long à chercher Florville. Pendant qu’il est indécis, le tyran arrive accompagné d’un seul homme. Il ne trouve personne dans la maison, entre dans une colère qui épouvante et le vieux domestique et le mineur dont il ne peut rien tirer. Il saisit la lettre entre les mains de ce dernier, voit le complot tramé contre lui, il n’ose sortir du château, il envoie appeler ses gens qu’il avait laissés à quelques distances, dépêche un exprès à son palais afin d’avoir du secours, il se barricade.

Mais Merval arrive avec Florville qu’il a rencontré, une centaine de mineurs, et quelques jeunes gens. Les mineurs armés de leurs pioches enfoncent les portes, il s’engage un petit combat entre eux et les gens du tyran. Ils sont repoussés, le tyran tué dans la coulisse. Sophie, son père et Antoine arrivent. Ils annoncent que tout le pays se soulève et qu’il n’y a rien à craindre du renfort qu’on a envoyé chercher.

Fin du 3eme et Dernier acte

[fol. 83] 1er thermidor

La nuit avait un peu calmé notre imagination poétique, nous partîmes fort tranquillement d’Auriol pour aller en pèlerinage à la Ste-Baume30. Nous étions bien aise de voir ce lieu fameux par bien d’autres romans. D’ailleurs on nous avait assuré que les environs étaient agréables et pittoresques.

Après avoir suivi pendant un quart d’heure environ la route de Brignoles31, nous tournâmes à gauche en prenant un petit sentier pierreux qui côtoyait un ruisseau bordé de saules. Nous nous assîmes dans ce lieu et déjeunâmes avec des figues. Nous continuâmes ensuite notre route par un chemin moins agréable. Au bout de deux heures nous commençâmes à entrer dans un bois de pins et nous arrivâmes au sommet d’une colline dont la crête est hérissée de rochers escarpés. Nous passâmes de l’autre côté et nous nous trouvâmes au dessus d’une vallée longue assez étroite, agréablement meublée de pins et comme séparée du reste du monde. Ce lieu sans autre vue que celle des montagnes qui le bordent a un aspect sauvage tout à fait singulier. Mais il ne plaît que pour un moment, il n’y a ni verdure, ni eau, et je le répète, la verdure des pins n’en est pas une pour ceux qui ont vu les montagnes alpines. Cependant plusieurs chênes verts dont le feuillage luisant et intense contraste assez bien avec celui des pins ôtaient dans quelques points l’ennuyeuse monotonie de ces arbres résineux. Mais nous avions tort de nous plaindre ; pour une heure de chemin au milieu des bois, il fallut marcher pendant plus de trois heures sur des collines arides, sans autres végétaux que des genièvres brûlés par le soleil et mourant de soif. Nous arrivâmes enfin au Plan d’Aups32 espèce de vallée large couverte de céréales récoltées et de pâturages brûlés. Nous nous arrêtâmes pour dîner auprès d’une ferme afin d’avoir de quoi boire. Nous avions alors vis-à-vis de nous la Sainte-Baume au-dessus d’un bois superbe de hêtres et d’ifs. Le couvent bâti sur le rebord d’un rocher escarpé et appuyé contre un autre escarpement paraît de loin comme collé sur un rocher. Nous mîmes encore une heure pour aller du lieu où nous avions dîné jusqu’au bois. Il y avait si longtemps que nous nous étions trouvés sous un feuillage frais au milieu d’arbres majestueux, que nous savourâmes le plaisir d’y être. Ce bois est superbe, mais dans quel état est-il ? On commence à couper de toute part les plus beaux arbres qu’on laisse ensuite pourrir sur place.

On monte au couvent par des chemins en zigzag. Il est situé [fol. 84] sur le rebord d’un rocher escarpé vis-à-vis l’entrée de la caverne où on prétend que la Magdeleine persécutée par les Sarrasins vint se réfugier et pleurer ses péchés. L’intérieur de cette grotte est orné d’une chapelle, l’entrée est fermée par des murailles. La porte est soutenue par deux pilastres sur lesquels on remarque des arabesques sculptées d’assez bon goût et d’une exécution soignée. Cette chapelle était principalement fréquentée par les ouvriers. Maintenant elle est déserte et en ruine. Un représentant du peuple a fait mettre le feu au couvent et briser toutes les statues, autels et ornements de la grotte33. On se trouve là au milieu des décombres, on croit qu’une horde de brigands a passé dans ce lieu qui par son antiquité et sa réputation méritait quelques égards. Nous restâmes une demi-heure à nous promener parmi les ruines. Nous revînmes ensuite sur nos pas réfléchissant à tous les êtres différents de mœurs, d’état, de siècles qui avaient marché sur la même route que nous suivions maintenant. Arrivés à l’endroit où nous avions dîné, nous quittâmes notre premier chemin pour prendre à gauche et gagner un col que nous avions vis-à-vis [de] nous. Il fallut recommencer à monter mais nous nous trouvions dans un pays plus agréable, quoiqu’au milieu des pins et des rochers ; ils avaient un caractère plus grand, plus pittoresque. Quand nous fûmes arrivés au sommet du col nous aperçûmes à nos pieds la vallée qui devait nous conduire à Gémenos34 où nous comptions aller coucher ; mais quelle vallée singulière et différente de celles des Hautes-Alpes, aucune régularité, ce sont d’énormes masses de pierres calcaires entassées les unes sur les autres, obstruant la vallée dans vingt endroits et présentant partout des escarpements. Heureusement les rochers imposants dans beaucoup d’endroits ne sont pas dépouillés de verdure. Outre la quantité de plantes odoriférantes qui les couvrent, on y remarque encore de jolis arbrisseaux et notamment le daphné gnidiums35 en grande abondance.

La route faisait mille circuits pour gagner le bas de la montagne. Lorsque nous fûmes parvenus dans le fond de la vallée il faisait presque nuit. Nous regrettâmes de ne pouvoir jouir d’une vue qui paraissait devoir nous dédommager de l’aridité de celle de notre journée. Nous vîmes cependant que nous traversions des prairies coupées par des ruisseaux nombreux et ombragées par de belles plantations. Nous arrivâmes à Gémenos à la nuit close. Nous allâmes loger à une auberge située à l’extrémité du village. Nous y fûmes [fol. 85] fort mal reçu. Il n’y avait rien que des œufs à 3# pièce. Il fallait cependant souper, nous commandâmes une omelette de 6 œufs. Nous demandâmes une chambre pour écrire en attendant le souper, on la refusa. Je fus irrité de cette conduite et je résolus d’amener à capitulation cet aubergiste insolent. Mais faire capituler un aubergiste n’est pas chose facile. Après le souper, avant de monter coucher, il nous dit de compter. Je ne demande pas mieux de vous payer ce que vous demandez mais vous me donnerez une quittance. À ce mot, grande colère de la part de l’aubergiste, nous ne nous émûmes point. Je tins ferme et après bien des cris il nous laissa aller coucher nous disant que nous payerons le lendemain. Il croyait que la nuit changerait notre résolution.

2 thermidor

Nous partîmes d’Auriol après la capitulation. Le mari s’était absenté, il n’y avait que la femme qui ne savait point écrire. Je voulus la mener chez un notaire mais elle consentit à dédoubler le prix de ses œufs. Nous étions glorieux d’avoir forcé un aubergiste à capituler. Nous arrivâmes à Marseille dans l’après dîner par une grande route ennuyeuse et couverte de poussière.

du 3 au 7 thermidor

J’écrivis des lettres36, je préparai mes pierres, mes poissons et ne recevant aucune lettre de mon père, je me décidai à faire de mon chef quelques emplettes pour la famille.

le 8 thermidor

J’allai au spectacle. Il eût été mal de passer à Marseille sans voir la tournure de l’opéra. Je m’habillai donc et profitai de cette toilette pour aller voir deux ou trois personnes.

On donnait Oedipe. Nous nous plaçâmes aux premières, à côté d’une loge remplie d’Orientaux que j’étais bien aise d’observer. Il y avait beaucoup de monde. Le grand théâtre, celui sur lequel on joue l’opéra, a un extérieur imposant. La coupe intérieure me plut assez. La salle est grande et a quelque analogie avec celle des Français37. Elle était meublée d’un grand nombre de femmes jolies et fort élégamment mises. La pièce fut jouée médiocrement, les Orientaux étaient toute attention. Les ballets paraissaient surtout leur plaire beaucoup.

le 9 thermidor

J’allai voir le cit. Thulis astronome, de la part du cit. Lalande38. Il nous reçut avec honnêteté et zèle. Il nous fit voir l’observatoire en détail. De là nous fûmes chez le cit. Collet, propriétaire d’un cabinet d’histoire naturelle assez beau. Ce n’est, comme vous le voyez, que vers la fin de mon séjour à Marseille que j’ai commencé à voir quelqu’un et peu s’en est fallu que je ne visse personne. Ceci m’apprend qu’il ne faut jamais voyager sans de nombreuses lettres de recommandation sans cela on risque de ne rien voir de ce qui peut intéresser dans les villes où on passe.

Nous allons ordinairement dîner chez le restaurateur, mais comme nous aimons les fruits, nous voulons avoir un dessert plus brillant qu’on ne l’a [fol. 86] chez eux pour satisfaire notre goût et avoir un des plus beaux desserts qu’on puisse supposer sans qu’il nous en coûte davantage. Nous emportons un petit morceau de pain et nous allons nous promener sur le cours au milieu du marché aux fruits qui est superbe à Marseille. Là, au sein de l’abondance, nous choisissons à peu de frais ce qui nous plaît le plus et c’est au centre de ce magnifique service que nous prenons ordinairement notre dessert.

10 et 11 thermidor

Ces deux jours furent entièrement consacrés aux emplettes et aux emballages. Le soir du 11 nous fîmes nos adieux à la mer de Marseille et allant nous promener en bateau vis-à-vis du port à l’entour de quelques bâtiments qui étaient à l’ancre.

12 therm.

Nous partîmes enfin de Marseille pour aller à Toulon39 et de là remonter vers les Alpes qu’il me tardait de revoir. D’ailleurs une lettre de Dolomieu40 m’annonçait qu’il m’attendait du 15 au 20 pour voyager avec lui. Je commençai donc à presser mon retour en augmentant un peu les marches et diminuant les jours de repos.

Toujours ennemis des grandes routes, nous prîmes le chemin qui côtoie en partie le bord de la mer et qui passe par Cassis et La Ciotat41. Des murs ennuyeux bordent le chemin et nous accompagnent pendant une heure au moins. Ils nous quittent enfin pour nous laisser voir une campagne montueuse et aride. Nous sommes bientôt forcés de gravir à l’ardeur du soleil sur une de ces collines ; on ne voit que des pierres, des bruyères, de la lavande, du romarin, de l’ajonc et des petits chênes verts, rabougris que l’on coupe à mesure qu’ils poussent pour en cuire de la chaux. Nous avons un chemin semblable jusqu’à Cassis et nous ne rencontrons dans toute cette route que deux fermes où on nous donne de l’eau. Nous arrivons à Cassis vers une heure. Le pays devient plus intéressant. Cassis est un assez joli endroit, propre et situé dans le fond d’une baie dominée à l’est par des rochers élevés et escarpés. Mes compagnons s’y baignent, nous y dînons et nous repartons. Nous arrivons à La Ciotat à la nuit tombante.

13 therm.

Les murailles nous accompagnèrent pendant plus d’une heure. Nous ne pûmes jamais trouver un endroit agréable pour déjeuner. Nous gagnâmes enfin le bord de la mer. Nous marchâmes pendant longtemps sur un sable très fin, il faisait extrêmement chaud. Nous arrivâmes aux Lecques42 vers 10h. Nous demandâmes partout du fruit sans pouvoir en trouver. Nous nous adressâmes pour avoir de l’eau à un perruquier aubergiste. Un treillage couvert de feuillage épais de deux mûriers nous engagea à rester dans cet endroit et à y dîner. Pendant qu’il apprêtait un poisson qu’il nous avait montré, nous allâmes nous baigner. Le rivage couvert ici d’un sable fin et en pente insensible présente un lieu sûr et agréable pour se baigner. Pendant le dîner notre hôte causa avec nous, il nous apprit qu’il était perruquier originaire de Versailles, père de 20 enfants et grand-père de 26.

Nous partîmes des Lecques à 2h. Nous côtoyâmes le rivage pour aller voir les [fol. 87] ruines d’une ville que l’on nomme Tarente43. Elle est au pied d’une colline de sable sur le côté oriental du golfe des Lecques. Ces ruines sont peu apparentes. On remarque cependant encore des restes de maisons, des plans d’une structure assez singulière, des portions de planchers avec quelques mosaïques. Nous entrons dans un caveau dans lequel il y avait deux tombeaux en pierre de taille de 6 pieds44 de long, ils sont d’un mauvais goût et portent plutôt les caractères de la gothicité que d’une haute antiquité. Nous restâmes cependant quelque temps sur ces ruines. Nous attachions une espèce de plaisir mêlé peut-être d’un peu de vanité à marcher sur le même sol où vivaient il y a des siècles des hommes si peu semblables à nous. Quelle différence entre le sentiment de vénération que nous inspiraient ces ruines anciennes opérées par le temps et ces années modernes de la Sainte-Baume où nous n’avions vu que le résultat d’un fanatisme ignorant non moins dangereux que le fanatisme religieux. Nous laissâmes M. Gauteron sous un pin et fûmes Advenier et moi à l’extrémité du golfe pour aller visiter des carrières de plâtre. Nous revînmes bientôt et après nous être reposés quelques instants, nous partîmes pour aller coucher à La Cadière45. Nous traversâmes d’abord une petite colline sablonneuse où on s’enfonçait dans le sable jusqu’aux chevilles. Nous gagnâmes ensuite les hauteurs qui sont à l’est des Lecques et qui forment le côté oriental de la riche vallée à l’embouchure de laquelle ce village est situé. Parvenus au sommet de cette colline nous nous assîmes un instant sur une petite élévation au milieu des pins pour jouir de la vue. Il était si rare d’en trouver d’agréable dans le pays que nous parcourions ! Devant nous était le golfe des Lecques dans toute son étendue ; ses deux extrémités étaient marquées par des hautes montagnes escarpées. La vallée qui était à nos pieds couverte d’oliviers et de vignes venait finir au bord de la mer, elle était cultivée dans tous ses points. Nous quittâmes avec peine ce lieu de jouissance pour arriver à La Cadière.

14 thermidor

Nous visitâmes des mines aux environs de La Cadière et nous partîmes de suite pour aller coucher à Toulon. Le pays mieux cultivé et plus couvert de bois est plus agréable à l’œil. Partout on voit des bastides (ce sont des fermes) ayant chacune devant leur porte une treille plus ou moins étendue à l’ombre de laquelle on mange et on travaille.

Quand nous fûmes parvenus au sommet d’une colline d’où on aperçoit la grande rade de Toulon nous eûmes le beau spectacle d’une partie de l’escadre46 qui était pavoisée, c’est-à-dire dont tous les vaisseaux étaient couverts d’une multitude de pavillons de mille couleurs différentes. Avant d’arriver à Toulon nous entrâmes dans un jardin pour acheter du fruit. Nous y vîmes en pleine terre des grenadiers et des jujubiers couverts de grenades et de jujubes. Après ce jardin nous nous trouvâmes entre deux murailles qui nous accompagnèrent pendant une heure et jusqu’à Toulon.

[fol. 88] 15 thermidor

Mon dessein était de ne rester qu’un jour à Toulon mais c’était dimanche, on ne pouvait rien voir. En demeurant encore le lendemain une connaissance de M. Gauteron nous conduisait dans la rade à bord d’un vaisseau de guerre. Je me décidai à rester deux jours. La matinée fut employée à faire viser les passeports. Le soir nous allâmes faire une petite promenade dans la ville et j’écrivis.

Toulon n’est pas comparable à Marseille ni pour la grandeur ni pour l’intérieur. Les rues sont laides, étroites, fort sales, très mal pavées. Il n’y a qu’une promenade agréable. Le cours est étroit et sans grâce. Le quai n’a rien ni du vivant ni de la beauté de celui de Marseille, mais la rade est superbe et les arsenaux immenses font plaisir aux connaisseurs. En nous promenant dans la ville, nous entrâmes dans le temple de la Raison47. C’est une église d’une architecture moderne, elle m’a paru d’un assez bon goût. Elle est longue, la nef est bordée de huit colonnes d’ordre toscan48, le cœur est une rotonde de huit colonnes d’ordre corinthien49 éclairée par en haut. J’envoie à mon père un léger croquis de ce temple fait à la hâte et de mémoire. Il pourra cependant en avoir ainsi une idée50.

16 thermidor

Nous partons à 9h½ du matin avec un garde magasin des fourrages et son épouse pour aller à bord du « Tonnant », vaisseau de 80 canons. Nous prenons une barque au port et nous allons à la rade. L’escadre était rentrée et nous avions le spectacle de tous les vaisseaux de guerre qui la formaient, spectacle nouveau pour moi et très intéressant. Nous débarquâmes sur le « Tonnant », le capitaine, ami de la personne qui nous conduisait et marin distingué, nous reçut avec beaucoup d’honnêteté. Il nous offrit quelques fruits et nous confia à un jeune officier qui nous conduisit dans le vaisseau et nous en fit remarquer les principales parties. J’admirai la propreté et l’ordre qui régnaient parmi un si grand nombre d’objets dans un espace aussi resserré. Car qu’est-ce qu’un vaisseau de guerre en comparaison de tout ce qu’il contient. Nous restâmes environ deux heures sur ce vaisseau, nous le quittâmes vers midi. Le capitaine avait fait préparer sa chaloupe pour nous reconduire à terre. C’est une barque fort grande avec deux voiles, 12 rameurs environ et un patron qui, placé au gouvernail, commandait avec un beau sifflet d’argent. On mit à la voile et le vent étant bon, nous volions sur la surface de l’eau. La barque était extrêmement penchée et la dame qui était avec nous paraissait n’être pas fort tranquille. Son épouvante contrastait assez bien avec le sang-froid du patron. Nous ne mîmes pas un quart d’heure pour regagner le port.

Après le dîner nous allâmes voir l’arsenal et nous trouvâmes autant de malhonnêteté dans les ingénieurs-constructeurs que nous avions trouvé d’affabilité dans le capitaine du « Tonnant ». Je rends à chacun ce qui lui est dû.

[fol. 90] suite du n°. 15 journal

17 thermidor

Nous avions projeté pour éviter la trop grande chaleur de partir toujours de grand matin et de nous reposer 3 ou 4 heures dans le milieu du jour. Nous partîmes donc à 5h de Toulon pour remonter vers Gap51 en visitant le long de la route divers indices de mine. Nous prenons le chemin du Revert52, village situé dans une gorge et où je devais voir des mines de fer. Nous montons au moment le plus chaud du jour pour aller visiter une fouille de charbon. Si jamais nous avons sué, c’est aujourd’hui. Arrivés aux cabanes des mineurs, nous étions mouillés comme si l’on nous eût trempés dans l’eau. Nous ne restâmes pas longtemps dans cet endroit, nous continuâmes notre chemin pour aller dîner à une bastide peu éloignée de là, nous y trouvâmes des œufs et du fromage. Nous nous y reposâmes quelque temps.

Nous devions aller coucher à Signes53, bourg éloigné de 5 ou 6 heures de cette ferme et traverser des montagnes arides inhabitées où souvent on ne trouve aucun chemin. Je prévoyais que nous nous perdrions. Ce qui arriva. La nuit vint [alors] que nous étions encore au milieu des rochers et éloignés de toute habitation visible. Nous prévoyions que nous allions coucher dans les champs, nous avions encore quelques provisions, mais il ne nous restait que deux verres d’eau ; où en trouver dans ce désert ? Nous marchions toujours mettant toute notre attention à ne point perdre le sentier. Nous arrivâmes à des champs cultivés cela nous annonçait quelque bastide. Mais il était nuit et nous avions perdu le chemin. Nous délibérions et cherchions déjà où nous coucherions lorsque nous aperçûmes des abreuvoirs de bestiaux et un puits. Voilà de l’eau, aussitôt nous tirâmes nos deux bouteilles ; nous résolûmes de les remplir et, comme dans le même moment nous avions entendu des clochettes de moutons et des cris de bergers, de nous diriger vers ce point. À l’aide d’une ficelle nous descendîmes ma boîte de fer blanc dans le puits, nous la remplîmes d’eau, nous remplîmes nos bouteilles et nous nous mîmes en marche en poussant de temps en temps des cris ; mais point de réponse, le plus absolu silence. Nous nous trouvions alors parmi des rochers entassés les uns sur les autres. Outre qu’il n’était pas prudent d’aller plus loin nous trouvâmes ce lieu assez propice pour y passer la nuit. Nous songeâmes donc à notre établissement. On alluma des bougies, on ramassa du bois, on fit du feu, on soupa, je conseillai d’éteindre le feu qui vu de loin pouvait donner de l’inquiétude et diriger vers nous des hommes que nous n’aurions pu voir arriver. On l’éteignit, on se coucha sur l’herbe et on chercha à dormir. Mais le froid vint, il ne fut plus possible de se passer de feu.

18 therm.

Aussitôt que nous aperçûmes la plus petite lueur de jour nous partîmes nous dirigeant à peu près. Nous n’eûmes pas fait deux cents pas que nous nous trouvâmes auprès d’une bastide, nous y demandâmes du lait et la route [fol. 91] de Signes. On nous donna une écuellée de lait, nous déjeunâmes sur le pas de la porte vis-à-vis l’Orient. Pendant ce temps, les chèvres sortaient de leur étable pour aller aux champs. Elles défilèrent devant nous. Il n’y en eut pas une seule qui ne s’arrêtât un instant à nous considérer.

Nous nous remîmes en marche, la mauvaise nuit que nous avions passée nous avait fatigués au point que ne pouvant plus aller, nous nous étendîmes sous un arbre et dormîmes tous trois jusqu’à 10h½ ; alors un peu refaits nous continuâmes notre chemin. Mais il était écrit que nous n’irions pas à Signes, nous nous trompâmes encore. Arrivés à une bastide on nous offrit à boire de très bonne grâce, on nous fit asseoir, on alla chercher de l’eau très fraiche et pendant ce temps on nous disait que puisque nous n’avions pas à faire à Signes, il valait mieux aller à Meaune54. On nous enseigna le chemin avec empressement. C’est ainsi que nous avons trouvé la plupart des paysans de la Provence, surtout ceux qui éloignés des grandes routes ne sont pas corrompus par les gens des villes. Partout la même obligeance la même honnêteté. Sont-ce là ces gens, disions-nous, qu’on nous a peint si malhonnêtes, si brutaux, refusant même d’indiquer le chemin aux voyageurs ? On nous avait tellement prévenus contre eux que nous redoutions notre entrée en Provence. Ne pouvant croire que tout le monde se soit trompé à ce point, nous avons cherché pour ainsi dire ces êtres brutaux dont on nous parlait, nous demandions le chemin à chaque instant, partout le même empressement à nous l’indiquer, enfin je ne sais où on a été chercher le mauvais caractère qu’on leur prête et je me plais à leur rendre une justice qu’ils méritent, à l’exception des aubergistes cependant qui sont partout des êtres peu estimables.

Nous cessâmes de suivre la vallée où nous étions, nous tournâmes à gauche et nous passâmes par dessus une des collines qui la bordaient, nous eûmes alors une descente longue et rapide qui nous conduisait à la ci-devant chartreuse de Mont-Vieux55 dans un pays charmant couvert de beaux bois, tapissé de prairies coupées par des rivières d’une eau limpide. Les montagnes qui dominaient ces vallées étaient couvertes de chênes et de pins mêlés ensemble et on apercevait à travers le feuillage peu épais de ces derniers arbres, comme au travers d’une gaze, les rochers escarpés qui couronnaient les montagnes. Nous arrivâmes à Meaune de bonne heure.

19 et 20 thermidor

Nous eûmes encore deux journées d’une chaleur étouffante, la première nous fûmes coucher à St-Maximin après avoir visité deux indices de mines de fer. La seconde nous allâmes à Rians. Quelle route ennuyeuse d’Ollières56 au puits de Rians ! Au travers d’un bois taillis, par un chemin presqu’en plaine et caillouteux, à l’ardeur d’un soleil brûlant et pas une goutte d’eau. Pour comble de malheur nous n’avions [fol. 92] que deux bouteilles, la mienne avait été cassée. La soif était notre plus grand tourment et comme en Afrique ou en mer au bout d’un long trajet, nous réglions nos rations d’eau. Nous avions calculé que nos deux bouteilles contenaient environ 9 gobelets de cuir. C’était chacun trois. Nous savions que nous avions tant d’heures à marcher sans trouver d’eau alors nous divisions le temps en trois espaces égaux et, au bout de chaque espace, nous buvions chacun un verre. Mais aussi quand nous trouvions un puits alors nous en prenions dans notre estomac pour une heure au moins.

21 thermidor

De Rians à Manosque57 nous avions une très forte journée. Nous nous y prîmes de bonne heure et à quatre heures et demie du matin nous étions en route. Le pays que nous parcourons est moins aride. Arrivés aux environs de St-Paul58 nous côtoyons un petit ruisseau qui coule au milieu de prairies d’un beau vert. Mais quand la campagne n’aurait pas eu ces beautés naturelles, la fraicheur du matin ajoute beaucoup à ses charmes et distrayant agréablement le voyageur elle ne contribue pas peu à lui faire oublier la fatigue. Nous déjeunâmes sur le bord de la Durance. Il nous fallut une heure pour traverser son lit extrêmement large et couvert de cailloux. Nous prenons alors la route de Manosque. Il faisait très chaud. À la ferme de Negréou59 nous trouvâmes un puits où nous nous désaltérâmes totalement.

Nous avions projeté de faire notre station de dîner à Corbières60, nous nous adressâmes à une ferme pour avoir des œufs ; on nous refusa sèchement. À Tulle61, même demande, même refus. Vous noterez que ces fermes sont sur le bord du grand-chemin. Nous prîmes le parti de nous asseoir sous un noyer et d’y manger le reste de nos fruits avec un peu de pain et d’eau qui était encore dans nos bouteilles. Mais elle n’était pas fraiche, il s’en fallait. Nous arrivâmes à Manosque à 4h½. Nous fîmes une petite caisse de nos pierres qui commençaient à devenir nombreuses et nous l’adressâmes à Gap où je devais trouver ma grande caisse.

22 thermidor

Nous nous séparâmes tous trois en sortant de Manosque, M. Gauteron alla droit à Forcalquier62. Advenier prit à gauche pour visiter des mines de charbon et moi je suivis la droite pour le même objet. J’arrivai à Volx63 à 7h. De Volx je regagnai Dauphin64 qui est sur la route en droite ligne de Manosque à Forcalquier. J’y visitai quelques mines de charbon. Celles-ci sont le contraire de la mine de Valdonne. Les galeries de Valdonne étaient si basses qu’on ne pouvait y entrer qu’en rampant. Celles de Dauphin sont hautes mais si étroites qu’on ne peut y entrer que de côté. J’arrivai à Forcalquier à 6h. M. Gauteron et Advenier m’y attendaient. Je trouvai tout le monde en l’air et plus qu’endimanché. On faisait une fête. On célébrait l’anniversaire du 9 thermidor65. On s’y prenait un peu tard mais la fête avait été retardée parce qu’on n’avait pu se procurer plus tôt la musique que les communes voisines s’arrachaient. Cette musique si attendue, consistait en un fifre qui jouait faux et une trompette qui écorchait les oreilles d’une manière inhumaine. [fol. 93] La fête était d’ailleurs très bien ordonnancée, on y remarquait surtout une douzaine d’ânes montés par des enfants qu’un commandant, qui se donnait beaucoup de mal à aller à droite et à gauche sur un cheval qui le jetait par terre de temps à autre, faisait ranger en bataille avec un sérieux tout à fait risible. Je lus quelques lettres que j’avais reçues dans cette ville et je me disposai à y répondre66.

23 thermidor

Forcalquier avait été désigné dans mon itinéraire comme lieu de repos. Je devais donc y passer un jour. Je projetais d’écrire pendant ce temps. Mais un pharmacien directeur de la poste et qui avait vu des lettres pour moi projetait autre chose. Il connaissait beaucoup mon oncle, était ami de Vauquelin67, de Fourcroy68. Il vint me voir, m’engagea à aller à quelques lieux de là parler à un citoyen qui pouvait me donner de très bons renseignements sur la mine de Curbans69 que je devais visiter. Après le dîner il me fit prêter un cheval, monta sur le sien et nous nous rendîmes chez le citoyen en question qui ne m’apprit pas grand-chose. Nous revînmes souper chez l’apothicaire, nous fûmes très mal à Forcalquier ; on ne voulait point d’assignat et nous fûmes obligés pour vivre de dépenser quelque monnaie qu’avait M. Gauteron.

24 thermidor

Nous partions de Forcalquier pour aller à Gap. Si nous avions suivi le droit chemin nous y étions en deux ou trois jours, mais il fallait prendre des détours pour visiter des mines. Nous tournâmes d’abord à droite, nous repassâmes la Durance et nous fîmes 10 lieues de poste70 à l’est pour aller visiter à St-Jeannet de prétendus indices de mines. Nous eûmes une route ennuyeuse parmi des cailloux roulés. Nous arrivâmes à St-Jeannet ; nous ne trouvâmes point de mines, mais des prunes, des pruneaux, et des prunes pelées et séchées, fort bonnes. Rencontre délicieuse pour ravitailler notre équipage de vivres agréables et faciles à transporter.

25 thermidor

De St-Jeannet nous fûmes à Volonne en passant par des collines assez élevées et arides, toujours suants, toujours ennuyés d’un ennuyeux pays. Nous nous rapprochions de Sisteron71 et de la route de Gap, mais pas pour longtemps. Le lendemain

26 thermidor

Nous sautâmes encore sur la droite pour aller à St-Geniez72 visiter une ancienne mine de plomb. Nous n’eûmes pas un plus beau chemin qu’auparavant ; toujours monter et descendre, voyager sur des collines arides. Mais au moins nous avions l’espoir de regagner les hautes montagnes. Déjà nous commencions à les voir s’élever et prendre une forme plus imposante. Nous arrivâmes tard à St-Geniez. Nous couchâmes ici comme à St Jeannet sur la paille, nous y dormîmes très bien.

27 thermidor

Enfin nous avons quitté les bois de pins de la Provence et nous voilà revenus dans les beaux bois de hêtres des montagnes alpines. St-Geniez est situé [fol. 94] dans un vallon très élevé. En le quittant, nous montâmes encore mais bientôt nous commençâmes à descendre et ce fut pendant longtemps. Nous allions au col de Blanc73, près de Curbans, visiter une prétendue mine de plombagine74. Arrivés au Caire75 au pied de la montagne qui conduit au col de Blanc, nous nous adressâmes à deux citoyennes pour leur demander le chemin. Non seulement elles nous l’indiquèrent, mais nous faisant entrer chez elles, elles nous offrirent à boire, nous firent prendre des poires et nous engagèrent à attendre un instant, car la servante allait de ce côté avec un mulet, elle nous indiquerait le chemin et nous porterait nos sacs pendant environ une demi-heure. Nous fûmes sensibles à tant d’honnêteté et je promis en moi-même de leur en témoigner ma reconnaissance en insérant cette gracieuse réception dans mon journal et la faisant ainsi connaître à mes amis.

Nous arrivâmes au col de Blanc de bonne heure, il n’était pas aussi élevé que nous le croyions. Je me fis conduire aussitôt à la carrière de crayon noir, mais loin de trouver de la plombagine, je n’y vis qu’un mauvais schiste noir tout au plus bon pour les menuisiers.

Du col de Blanc on a une vue superbe. On découvre une grande partie de la chaine secondaire des Alpes, quelques montagnes encore couvertes de neige. À ses pieds, on voit couler la Durance dans un lit plus resserré et par conséquent moins désastreux. Nous couchâmes encore ici à la grange. Mais nous dormîmes mal, beaucoup de puces, un toit tout ouvert et qui nous garantit à peine d’une pluie abondante qui tomba pendant la nuit.

28 thermidor

Nous descendons du col de Blanc et nous allons déjeuner chez un riche fermier qui demeure auprès de la mine de plomb de Curbans. Nous allons visiter les travaux extérieurs de cette mine et enfin nous partons pour Gap. Nous traversons la Durance et nous voilà encore une fois dans la grande route, bien désireux d’arriver à Gap où nous devions trouver tant de choses, apprendre tant de nouvelles. Vous ne vous figurez pas combien de fois on jouit dans un long voyage divisé en stations, du plaisir d’arriver, car chaque station où je me suis fait adresser caisse, lettres, argent etc. est pour moi un port que je revois avec autant de plaisir qu’un marin revoit la terre après une longue traversée. La journée qui précède une arrivée est entièrement remplie de projets. Je jouis souvent d’avance des lettres que je compte y trouver et c’est aussi des lettres et de ce qu’elles contiennent que dépend mon bonheur pendant cette station. Celle de Gap fut extrêmement agitée. J’allai à la poste. J’y trouvai beaucoup de lettres mais point d’argent [fol. 95] et nous en avions un grand besoin. Parmi ces lettres j’en trouvai une de Dolomieu. Il m’annonçait son départ pour Genève, ses projets de voyage dans le Mont-Blanc avec plusieurs savants genevois. Il me disait que j’y étais attendu et me pressait d’arriver, en m’offrant de m’avancer les dépenses en numéraire que je serais forcé d’y faire.

Nous passâmes toute la soirée dans une grande agitation, nous délibérâmes beaucoup sans rien arrêter.

29 thermidor

Dans tous les cas, je devais me reposer un jour à Gap. Je ne pouvais sur le champ me remettre en route. J’avais pris un parti et je commençai à agir en conséquence. Le voici :

Sans argent nous ne pouvions rester à Gap. En quittant cette ville, M. Gauteron que nous avions réduit au même état que nous, trouvait des connaissances à Grenoble. Advenier allait à Allemont76 vivre sur le crédit de ses confrères et moi je trouvais à Genève dans Dolomieu une ressource d’autant plus agréable que même ayant eu de l’argent, je ne pouvais résister au plaisir de faire un voyage charmant dans une société aussi intéressante. J’écrivis donc à Dolomieu que j’allais le joindre, à l’agence, que nous étions réduits à la mendicité. Je fis ma malle, je l’adressai à Grenoble et je me décidai à partir le lendemain et à me rendre le plus promptement possible à Genève, lieu du rendez-vous. J’avais fait mon calcul et je disais à Dolomieu que j’y serais le 7 fructidor.

30 therm.

Il ne fallait pour cela ne mettre que deux jours pour aller à Grenoble. Nous partîmes à 8h. Différentes affaires nous avaient empêchés de partir plus tôt. Nous avions résolu d’aller coucher à Lamure77. Il y a 14 lieues de poste, il n’y avait pas de temps à perdre, aussi nous fûmes actifs. Heureusement un vent frais, quoique contraire, nous favorisait, nous avions une belle route. Nous allâmes vite. Nous nous arrêtâmes une heure sous un arbre pour y faire un frugal repas. Nous suivions le cours du Drac78 sur le penchant de belles montagnes alpines à couches contournées d’une singulière manière. Il était nuit quand nous arrivâmes à St-Pierre-de-Mearoz79 à une lieue et demi de Lamure environ. Mon avis était de rester là. M. Gauteron et Advenier voulurent aller jusqu’à Lamure. Nous y arrivâmes en effet. J’étais fatigué, mais je l’ai été davantage. M. Gauteron se trouva mal en arrivant. Nous soupâmes peu et dormîmes bien.

1 fructidor

Il n’y paraissait plus et nous nous trouvâmes disposés à partir pour Grenoble. Nous avions environ 9 lieues de poste pour un beau [fol. 96] chemin. Nous ne pûmes partir que tard. Nous avions peu d’argent et pour comble de malheur des assignats de 400# dont personne ne voulait. Je fus obligé d’aller chez le trésorier de la municipalité le prier de m’en changer un, cela nous retarda.

Je ne vous décrirai point la route de Lamure à Grenoble, vous la connaissez, elle est très agréable jusqu’à Vizille. Les trois lacs qui la bordent entre Pierre-Châtel et Laffrey80 firent une vive impression sur M. Gauteron. Avant d’arriver à Pierre-Châtel, nous nous détournâmes un peu à gauche pour aller déjeuner chez le cit. Desbrots, propriétaire d’une mine de charbon que j’avais visitée dans mon premier passage. Nous arrivâmes à Grenoble vers 6h.

2 fructidor

Je restai à Grenoble autant pour me reposer que pour défaire et refaire ma malle afin de mettre dedans les objets dont je prévoyais avoir besoin dans le Mont-Blanc. Toutes ces petites occupations, quelques visites à M. Villard81 etc. me prirent toute ma journée. J’adressai ma caisse à Genève et je me disposai à partir moi-même le lendemain.

*

Document n° 3 : Lettre adressée par Alexandre Brongniart à ses parents82

[fol. 129] n°. 18. journal du voyage aux Alpes. An quatre de la république. 1795. n st.

2 vendémiaire83

Je fus occupé à déballer des caisses de minéraux, à écrire, à voir quelques personnes etc.

3 vendémiaire

J’allai dîner chez le cit. Barral, propriétaire d’une partie des mines d’Allevard84.

4, 5, 6, 8 vendémiaire

J’écrivis plus de 12 lettres85. Je visitai des cabinets, je préparai des oiseaux, j’allai dîner chez le cit. Sabatier fils, commissaire des guerres86 et je me préparai au départ pour Allemont.

9 vendémiaire

Je partis à pied avec mon sac assez plein pour me rendre à Allemont. Me voilà maintenant voyageant seul dans les montagnes. Voyons si les sensations qu’on y éprouve alors sont différentes de celles qu’on y ressent en société. Certainement elles doivent l’être et nous allons en juger. J’aime beaucoup à avoir des compagnons de voyage, mais je ne suis pas fâché aussi quelquefois de me trouver entièrement livré à moi-même.

Je ne vous décrirai pas la route de Grenoble à Allemont. Vous la connaissez, vous savez que de Grenoble à Vizille et même un peu au-delà, on a un grand chemin assez ennuyeux, mais qu’aussitôt qu’on a passé Chichilianne87, on se trouve dans une belle gorge bordée de montagnes très élevées. La première fois que je fus à Allemont, j’étais à cheval, maintenant je suis à pied. Il y a assez loin, plus de 10 lieues de poste. Mais 10 lieues de poste qui m’épouvantaient dans le commencement de mon voyage ne sont plus rien pour moi à présent.

J’arrive à la fin du jour à La Fonderie88. Le cit. Colson n’y était pas pour m’y recevoir avec son honnêteté ordinaire, mais il m’avait remis une lettre pour le cit. Garnier, chirurgien de la mine avec un ordre à sa cuisinière de me donner un lit à La Fonderie et de m’y traiter comme s’il y était. Tout cela fut exécuté avec soin et prévenance.

Je m’informai. Les mineurs devaient descendre le surlendemain et probablement un des chefs était à la chasse ainsi, en montant à la mine, je ferais un voyage fort court et inutile. Je me décidai à aller le lendemain au Bourg-d’Oisans89 et même plus loin si les circonstances m’y engageaient.

10 vendém.

Comme il est très difficile de se procurer des vivres pour des assignats dans ce pays et que je voulais être le moins à charge possible au cit. Colson, je profitai de l’autorisation que j’avais pour prendre des rations de pain et viande et j’emmenai avec moi quelqu’un pour rapporter mes provisions. J’allai aussi à la poste pour prier de garder les lettres qui pourraient m’arriver. Je me trouvai par hasard au Bourg chez une veuve fort aimable ayant deux ou trois demoiselles intéressantes, amie et alliée de mde Colson. Connaissant plusieurs des élèves qui avaient séjourné à Allemont, elle les avait entendus parler de moi et malgré mon costume très montagnard, elle me retint à dîner.

Après le dîner, je pris le parti d’aller à 3 lieues plus loin dans la montagne à Auris90 dont le maire avait, dit-on, beaucoup de minéraux et de cristaux du pays. On suit la vallée d’Oisans et la petite route de Briançon91, on tourne ensuite à gauche et on commence alors à monter. On ne sait où l’on va car on voit devant soi un escarpement qu’il paraît impossible de franchir. Cependant on suit le [fol. 130] chemin qui doit avoir une issue. On devait alors se diriger vers une espèce de ravin presque perpendiculaire le long duquel il monte en serpentant comme un escalier dans une tour, enfin on quitte ces rochers et on arrive au sommet du plateau. On se trouve dans un pays cultivé surtout en céréales. J’allai chez le maire. Il me montra ses morceaux, il avait d’assez jolies choses. Je fis de très modestes emplettes, mais qui me satisfirent assez et je restai à coucher chez lui.

11 vendémiaire samedi

Il avait plu presque toute la nuit et il pleuvait encore. À 9h. la pluie cessa un peu. Un homme me conduisit à une mine de charbon qui était à une heure de distance. À mon retour il pleuvait de nouveau, je dînai avec un peu de pain et de lait et voyant que sur le midi la pluie ne cessait pas, je pris mon parti de retourner à Allemont par le même chemin.

Lorsque je fus presque en bas de la descente, j’aperçus sur la droite une espèce de combe c’est-à-dire de vallon étroit peu étendu, mais fort rapide et bordé d’escarpement. On avait extrait de ce lieu autrefois des cristaux de schorl-violet92. Quoique seul, malgré la pluie, la rapidité de la montée et les précipices environnants je me hasardai d’y aller tant je désirais voir sur place des débris de ces beaux cristaux. Au bout de quelque temps, comme la montée devenait très rapide et qu’il fallait agir des pieds et des mains, je cachai derrière un rocher mon sac et mon fusil et je continuai à grimper, j’eus beaucoup de peine à arriver au fond de la combe et quand j’y fus parvenu, je ne vis rien qu’un escarpement affreux qui se rendait dans une autre combe ; il fallait redescendre. La pluie qui tombait abondamment avait rendu l’herbe glissante et la terre boueuse. La descente m’inquiétait plus que la montée et c’est toujours ce qui m’arrive. Il ne s’agit dans la montée que d’avoir de la force et de la constance, mais en descendant on n’est souvent pas maître de soi. Cependant, avec beaucoup de précaution en me glissant sur le derrière, m’attachant à toutes les plantes, faisant mes pas avec mon marteau, je rejoignis sans accident, mais non pas sans quelque inquiétude, le sentier que j’avais quitté. Je repris mon sac, mon fusil et continuai ma route. J’avais encore quatre heures de chemin du bas de la montagne à Allemont. Il pleuvait à verse. J’arrivai à La Fonderie aussi mouillé que si je me fusse baigné tout habillé. Je changeai de tout. J’étalai mes papiers pour les faire sécher, car la pluie avait percé jusque dans mon portefeuille et je restai tranquille à écrire le reste de la soirée et à jouir du bonheur de me trouver sec et à l’abri, car c’en est un très grand pour moi et si je souffre un peu dans le moment où l’eau me pénètre de toute part au point de me faire frissonner, l’espoir de me changer, d’avoir chaud, de me reposer, me fait trouver un certain bonheur dans cette petite souffrance momentanée.

12 vendémiaire dimanche

Je restai à me reposer et à écrire, car c’était dimanche et personne ne travaillait à la mine. J’allai cependant un peu [me] promener dans les environs de La Fonderie.

13 vendémiaire lundi

Les mineurs auraient dû monter à la mine mais des affaires les retinrent à la foire du Bourg-d’Oisans. Ces deux jours de loisir furent employés à écrire mes journaux très arriérés. Je profitai de ma tranquillité de ma solitude et je rédigeai le n°. 15.

[fol. 131] 14 vendémiaire mardi

Je monte aux Chalanches, c’est-à-dire vers le sommet de la montagne de ce nom où s’exploite la mine d’argent d’Allemont. Je montai par la petite route qui est la plus courte, mais aussi la plus difficile. Je vous ai déjà décrit cette montagne et le chemin qui mène aux cabanes des mineurs situées à environ mille toises93 au-dessus du niveau de la mer. Je vais passer la semaine dans ces cabanes, y vivre en ermite, de lait, de farine, de beurre, de pomme de terre, je dois, si le temps le permet, parcourir les sommets environnants et même essayer d’aller avec Schrank, un des chefs mineurs, à la chasse des chamois. Aujourd’hui j’emploie ma journée à visiter tous les travaux de la mine, ils sont nombreux et le passage de l’un à l’autre est quelquefois très difficile. Il faut souvent traverser des plans de terre sans herbe fort inclinés, ils aboutissent à des rochers escarpés. Le mineur qui me conduisait passait là-dessus avec une tranquillité incroyable. Pour moi j’avoue que j’hésitais et que j’aimais à tracer ma route avec mon marteau.

Nous avons mangé à dîner des Kneiff. C’est un mets de mineur allemand. On fait avec de la farine une pâte fort épaisse. On la divise avec une spatule en petits morceaux de la grosseur du pouce. On fait bouillir cette pâte dans de l’eau. Lorsqu’on la juge suffisamment cuite on la prend avec une écumoire et on la met dans une terrine, lit par lit, avec du fromage râpé. On fait chauffer du beurre dans la poêle et on le verse dessus cette pâte. C’est le met favori des mineurs, ce n’est pas mauvais, mais on peut manger quelque chose de meilleur.

15 vendémiaire mercredi

Le temps s’étant mis au beau nous nous décidâmes à partir pour aller à la chasse. Schrank est un fameux chasseur de chamois. C’est un très brave et honnête homme. Il est grand, bien fait et très fort. Nous partîmes tous deux seuls à 6h. du matin emportant du pain, du fromage et des matafans, c’est une autre espèce de pâte. C’est tout simplement de la farine délayée dans de l’eau avec du sel et frite dans le beurre en forme de galette. Ceci est très bon chaud et froid.

Nous nous dirigeâmes d’abord vers l’Occident en suivant la chaîne des montagnes qui est au nord de la gorge de Livet94 que nous avions à nos pieds.

Voyez la carte ci-jointe.

D’abord nous descendîmes vers (A) (voyez la carte ci-jointe. Les lignes rouges indiquent les chemins que j’ai suivis), un peu ensuite nous remontâmes et nous gagnâmes le sommet (B) d’une colline qui descend lui-même du sommet d’une montagne (C). Nous commençâmes ici notre première pause, Schrank tira sa lunette et examina toutes les montagnes voisines pour voir s’il n’apercevrait point de chamois. Nous ne vîmes rien ; nous gagnâmes alors en descendant le long d’une pente herbeuse fort glissante le fond (D) du petit vallon que nous avions devant nous. Il se nomme la Combe de Vaudagne et le ruisseau qui y coule porte le même nom et forme de belles cascades (E) en se précipitant dans la gorge de Livet. Nous passâmes ce ruisseau et nous commençâmes à monter une pente assez rapide pour aller passer le Col de la Coche de Vaudagne (F), situé entre deux sommets (e e) très élevés. Nous étions depuis longtemps au-dessus de la région des bois et bien près de celle des neiges. Nous aperçûmes de loin quelques marmottes qui rentrèrent promptement dans leur trou. Nous ne voulûmes pas attendre qu’elles en sortissent. Arrivés au sommet du col nous descendîmes un peu et nous nous trouvâmes sur une espèce de plateau enfermé par des sommets et hérissé de petits rochers. Nous étions dans un lieu fort élevé, [comme] j’en jugeais aux plantes qui y avaient cru, mais dont alors les fleurs étaient passées. Nous nous avançâmes sur le bord occidental de ce [fol. 132] plateau (en G) et nous vîmes à nos pieds des escarpements affreux qui paraissaient impraticables et descendaient vers un vallon désert enfermé de montagnes élevées. Nous fîmes ici une seconde pause aussi peu heureuse que la première. C’était cependant un pays à chamois et nous étions justement étonnés de n’en voir aucun. Nous tournâmes à droite pour descendre vers les pâturages du Pra95, nous nous arrêtâmes encore au commencement de la descente (en H) pour examiner les montagnes (e, g, h) que nous avions au nord-est. Enfin Schrank en aperçut un dans une petite combe (g) très élevée. Il fut content. Le chamois était tranquille et devait rester là au moins toute la soirée. Nous continuâmes de descendre. Nous rencontrâmes deux chasseurs qui revenaient avec un chamois tué la veille dans une partie plus éloignée. Nous causâmes quelque temps avec eux. Lorsqu’ensuite nous les eûmes perdus de vue et que nous fûmes arrivés en bas de la descente assez près de la cabane du Pra où nous devions coucher et au pied d’une combe (I h) assez large et longue, nous nous arrêtâmes pour manger un morceau. Schrank se décida à monter vers le chamois ; mais comme il fallait aller vite, qu’il y avait des pentes de neiges fort inclinées à traverser sur les envers des montagnes (c’est-à-dire les pentes tournées du côté du nord), il me laissa et partit seul pour monter par la combe (I h) au pied de laquelle nous étions et tournant les montagnes (h, g) qui étaient à notre droite, approcher le plus possible du chamois sans en être vu.

Pour moi je gagnai la cabane du Pra (K) qui prend son nom des pâturages auxquels elle appartient. Nous devions y coucher. J’y déposai les sacs, j’y vidai une partie de mes poches et, reprenant mon fusil, je descendis dans les pâturages où je me promenai très doucement, en guettant des marmottes.

Les pâturages du Pra forment une petite prairie très verte, coupée par plusieurs ruisseaux et notamment par celui de Domène qui vient du lac Doménon96 situé dans la combe (I h) au pied de laquelle j’avais quitté Schrank. Cette prairie, à peu près circulaire, est environnée de tous côtés de montagnes désertes et escarpées. On n’y voit point de bois, çà et là seulement quelques aroles à moitié morts. Au nord (en L) est un col d’où la vue doit être belle puisqu’elle donne sur la vallée de Grésivaudan97. Vers l’Occident (en M), sont des petits vallons charmants tapissés d’une herbe fine et touffue, au nord-ouest le ruisseau de Domène descend en cascades bruyantes dans un vallon plus aride, au milieu des rochers et des éboulements.

La cabane est au nord du pâturage sur le penchant de la montagne adossée contre un rocher. Elle est comme toutes les cabanes de montagnes, bâtie en pierre sèche, sans fenêtre ni cheminée, couverte avec quelques branches de sapin et un peu de paille. Une ouverture sert de porte. Il est 1h.

Me voilà donc seul, absolument livré à moi-même, dans le milieu des montagnes, dans un lieu éloigné de toute habitation, désert séparé du reste du monde. Je suis dans cet instant le seul être pensant qui y respire, le seul bruit que j’y entende est celui des cascades du ruisseau qui arrose [fol. 133] la petite prairie que j’ai en face de moi… Je me promène et j’entre dans le petit vallon (M) qui est à ma droite. Je vais doucement pour tâcher de surprendre quelque marmotte. À mesure que j’y pénètre, le bruit des cascades cesse de se faire entendre, et bientôt je n’entends plus rien ; quel silence ! Quel isolement ! Quelle singulière impression il produit sur moi ! Il n’inspire point la crainte parce que je sais où je suis, je connais ces montagnes, bientôt un compagnon va venir me rejoindre. D’ailleurs il est encore de bonne heure et le ciel est serein. Mais il porte à la sensibilité, je me rappelle avec un plaisir extrême mes amis (sous ce nom général je comprends tous ceux que j’aime, parents ou autre). Je voudrais les avoir avec moi, savoir ce qu’ils éprouveraient ici, ce qu’ils penseraient des montagnes, si ce lieu leur plairait. Pour moi ce calme parfait de la nature m’inspire une douce mélancolie. Je ne sais si je m’y accoutumerais, il ne m’épouvante pas parce que ce n’est point un accident qui m’y condamne, mais quelle affreuse situation si, abandonné dans ce lieu, je ne voyais plus aucun espoir d’en sortir et de revoir ceux dont il me rappelle si vivement le souvenir ? C’est ainsi que les circonstances et la disposition de l’âme changent totalement l’impression que produisent sur nous les lieux où nous sommes.

Je restai quelque temps à penser et je vous ennuierais de vous rapporter toutes les idées qui me sont venues ; c’est bien assez de vous avoir parlé de celles qui avaient des rapports plus immédiats avec le lieu où je me trouvais.

Je ne vis aucune marmotte, je revins à la cabane et je travaillai à boucher les plus grosses ouvertures afin d’avoir moins froid la nuit. En furetant sous les rochers je trouvai une grande planche que les bergers y avaient laissée, je la montai à la cabane. Elle servira de porte cette nuit. Je rassemblai le bois de chauffage. Il y avait encore deux troncs de sapin, quelques tisons et des branchages.

Je m’occupai ensuite de l’ameublement. Les meubles n’étaient pas nombreux, ils consistaient en deux poutres qui servaient de banc, une cuillère à pot absolument inutile pour nous. L’endroit où l’on se couchait était un peu élevé et recouvert d’un pouce de paille. Je fis le lit en remuant la paille et la reportant vers la tête. Je rangeai ensuite nos affaires. Je m’aperçus qu’il y avait des souris, je suspendis au plancher les provisions de bouche. Enfin je me comparais à Robinson dans son île. Mais quelle différence cependant dans la situation de nos âmes et combien ces différences doivent-elles influer sur le courage.

Lorsque tout fut disposé je me mis à écrire. La planche placée sur une des deux poutres me servit de table tandis que l’autre tenait lieu de chaise.

[fol. 134] Le soleil baissait, le vent s’élevait, le froid se faisait sentir. Schrank n’était pas encore arrivé. Je fis du feu. Alors la fumée remplit la cabane et on ne pouvait plus y demeurer.

Schrank arriva au déclin du jour. Il n’avait rien tué, le vent violent et tourbillonnant qu’il avait fait avait averti le chamois de sa présence et il s’était enfui.

Nous plaçâmes la planche devant la porte, nous soupâmes, ma boîte de fer blanc devint encore le pot à l’eau et nous nous étendîmes sur la paille, autant pour éviter la fumée que pour dormir. Ma redingote me servit de couverture.

Il fit pendant toute la nuit un vent affreux, à chaque instant je m’attendais à voir le toit de notre baraque emporté. Je dormis cependant un peu. Nous eûmes soin d’entretenir le feu toute la nuit. J’avais si bien bouché les trous et nous fîmes si bon feu que nous n’eûmes pas froid quoiqu’il gela à 100 toises au-dessus de nous.

16 vendémiaire jeudi

Je ne sais si vous remarquez que chaque fois que je couche dans les montagnes, il fait un temps affreux. Ce matin le ciel était couvert et le vent d’une violence extrême. Nous restâmes dans la cabane jusqu’à 10h, car il eût été difficile de tenir dehors et surtout de passer le Col de Vaudagne avec un pareil temps.

Le vent s’étant un peu apaisé nous partîmes, nous abandonnâmes tout projet de chasse et de changement de route, nous revînmes à peu près par le même chemin. Seulement en sortant de la cabane, au lieu de prendre à gauche, nous prîmes à droite, nous suivîmes quelque temps le ruisseau de Domène, nous vînmes passer (en N) auprès d’un lac d’une eau limpide. Nous montâmes parmi les éboulements énormes de granite. Schrank cherchait toujours avec sa lunette. Il ne voyait rien, cela le désespérait. Après avoir monté nous descendîmes dans ce vallon aride (O) que nous apercevions hier du haut des escarpements (G) qui sont vis-à-vis du Col de Vaudagne (F). La grêle nous prit dans cet endroit, elle nous glaça, nous remontâmes par une pente (P) assez rapide vers le Col de Vaudagne que nous passâmes sans vent.

Nous descendîmes rapidement, mais arrivés à une autre cabane (Q) que l’on nomme la cabane haute de Vaudagne, nous nous y arrêtâmes pour nous réchauffer, manger un morceau et laisser passer une ondée. Le ciel était pris de tous côtés, partout on voyait pleuvoir. Nous nous remîmes en marche. Mais nous n’étions pas à une demi-heure de la cabane qu’une averse affreuse vint nous assaillir. Schrank qui connait ces montagnes comme sa chambre me conduisit vers un autre refuge (R), c’est la cabane basse de Vaudagne dans la combe de ce nom. Il n’entre pas un morceau de bois dans sa construction ; c’est sous un rocher éboulé qu’habite le berger de cette vallée. L’averse passée, nous nous hâtâmes de regagner les cabanes. Le ciel devenait toujours plus noir. Les nuages descendaient et déjà tous les sommets étaient couverts [fol. 135]. Il fallut monter une pente extrêmement rapide et qui me fatigua beaucoup. Enfin nous regagnâmes notre chemin d’hier et la crête de la montagne (B), mais lorsque nous arrivâmes, il vint un coup de vent si violent que j’eus peine à me tenir et que je crus que j’allais étouffer. C’est un vent semblable qu’il est dangereux de rencontrer au passage des cols élevés.

Nous trouvâmes en arrivant le bon Salter, l’autre chef des mineurs qui était fort inquiet de nous. Il fut bien aise de nous voir. On fit bon feu, j’écrivis, on prépara des matafans pour souper et je me couchai de bonne-heure. Il fit toute la nuit une pluie et un vent affreux. Mais nous étions bien à l’abri, quel bonheur d’entendre le vent et la pluie lorsqu’on est à couvert et tranquille !

17 vendémiaire vendredi

Je me reposai la matinée et je préparai un petit oiseau que j’avais tué. Il fit beau, toutes les hauteurs étaient couvertes de neige. Après le dîner, nous voulûmes profiter du beau temps en allant à la chasse des marmottes dans la combe (A S) qui est à l’ouest des cabanes, au-dessus des baraques de Cromots98. La chasse des marmottes est entièrement différente de celle des chamois. C’est ici une chasse tranquille, un métier de patience. Les marmottes se tiennent ordinairement dans les combes élevées et herbeuses. Elles font des trous très profonds dans ces endroits. Elles n’en sortent que le jour pour manger et s’écartent peu d’un de leurs trous car elles en ont plusieurs. Il est difficile de les surprendre, elles ont la vue et l’ouïe extrêmement bonnes. Pour les tuer, il faut donc aller le matin de bien bonne heure ou le soir tard dans les lieux où elles se tiennent et s’assurer qu’on en a vu entrer une dans un trou. Alors on construit à portée de fusil une petite muraille derrière laquelle on se met et on attend là patiemment une ou deux heures que la marmotte paraisse. Quand c’est le soir qu’on l’a vue entrer, il est inutile d’attendre parce qu’elle ne sortira plus que le lendemain. Vers la fin de la saison quand elles sont bien grasses et prêtes à s’endormir, elles sortent peu, surtout s’il fait mauvais temps.

Nous ne vîmes rien du tout, le vent s’éleva, il fit froid et la pluie menaça. Nous revînmes aux cabanes, j’étais désolé de n’avoir pu me procurer encore une marmotte.

18 vendém.

Il plut toute la nuit et toute la matinée jusqu’à midi où99 le ciel s’éleva et nous permit de redescendre à La Fonderie.

19 vendém.

Je restai tout le jour à La Fonderie à préparer des oiseaux et écrire. Il plut encore presque continuellement.

20 vendém.

Je devais partir. Mais c’était jour d’arrivée de courrier au Bourg-d’Oisans, j’envoyai chercher mes lettres, mes rations et pendant ce temps j’allai avec le cit. Garnier, chirurgien de la mine à Articol100 à deux lieues d’Allemont dans le fond de la même vallée. Il y [a] là des mines de fer et des forges. Le cit. Clet, propriétaire de ces mines, nous donna à dîner. Pendant que nous étions chez lui, on vint chercher sa balance pour peser un ours que l’on venait de tuer dans l’instant. Je courus aussitôt chez le chasseur qui était en train de l’écorcher. Il nous raconta de quelle manière il lui avait cassé les reins tandis qu’il était à manger des myrtilles ; l’ours blessé [fol. 136] était descendu presque jusque dans la vallée en trainant son train de derrière. Le chasseur avait eu beaucoup de peine à le suivre. Je désirais bien en avoir la peau mais le prix en numéraire était trop au-dessus de mes forces. Mde Clet m’en donna un morceau pour en goûter que j’emportai à Allemont.

À mon retour, je trouvai beaucoup de lettres. Une entre autres qui m’annonçait que Descotils101 avait pris ma place de la diligence de Lyon retenue pour le 2 brumaire et que par conséquent j’étais libre. Cette nouvelle me décida à aller à Allevard, au lieu de retourner à Grenoble. Le cit. Barral m’y attendait.

21 vendém.

Décidé à aller à Allevard, je devais aller coucher à Articol chez le cit. Clet. Je restai la matinée à écrire. À dîner on me donna mon morceau d’ours cuit en daube. Je n’y trouvai aucun mauvais goût. Mais la viande était trop molle et beaucoup trop grasse. La quantité de graisse qu’il rendit est incroyable. Après le dîner je partis pour Articol.

22 vendém.

Il y a loin d’Articol à Allevard102, au moins 10 lieues de poste et des montagnes élevées à passer. Il faut outre cela avoir beau temps, sinon les cols deviennent presque impraticables. Mde Clet me fit prendre avant de partir une soupière de café au lait et je me mis en route en suivant la vallée d’Allemont. Le Rivier103 est le dernier hameau de cette vallée. Il est dans une situation assez élevée, après l’avoir passé on commence à monter très rapidement au travers d’une forêt de sapins (T), on se trouve ensuite dans des pâturages. Je m’amusai à courir après des corneilles à bec jaune, car j’avais emporté mon fusil. On remonte encore, enfin on arrive au Col de la Coche du Rivier (en U), on trouve un petit lac au sommet de ce col, ensuite on redescend d’abord très rapidement par un chemin pierreux, ensuite moins vite au travers des bois et sur le penchant d’une belle montagne couverte de superbes sapins. Arrivé au village de Prabert104, on tourne à droite et alors, on suit les pentes des montagnes qui forment le côté méridional de la vallée de Grésivaudan. On passe à côté du château des Adrets et on va toujours en descendant jusqu’à Theys105. Alors il faut encore remonter pour passer le Col de Beriot, bien moins élevé cependant que la Coche de Rivier et ensuite redescendre à Allevard où j’arrivai à 6h. ½ chez le cit. Barral, ci-devant seigneur du pays et propriétaire d’une partie des mines. Je trouvai une société assez nombreuse que j’avais vue chez lui à Grenoble, plus le cit. Curteu, architecte et pépiniériste avec lequel je liai connaissance.

23 vendém.

Je restai deux jours à Allevard. Le premier jour, comme le temps paraissait beau nous montâmes aux mines en mulet. Une jeune dame qui était chez M. de Barral voulut aussi y venir. À mesure que nous montions le ciel s’obscurcissait, les nuages descendaient, bientôt ils nous enveloppèrent et lorsque nous eûmes atteint le niveau des mines, il tonna, il tomba de la grêle et une pluie abondante qui nous mouilla avant que nous ayons eu le temps de gagner les cabanes. Nous fûmes obligés de rester à l’abri presque toute la matinée. Nous ne pûmes voir que la galerie la plus voisine. Mde Larochette, quoique parisienne à peine sortie du grand-monde, ne fut pas [fol. 137] découragée par l’averse qu’elle venait d’essuyer, elle voulut voir l’intérieur d’une mine. Nous redescendîmes avec peu de pluie. Mais je voulus aller à pied, je frémissais en voyant les écarts que faisaient les mules.

24 vendémiaire

Je préparai un renard qui avait été tué la veille. Le soir on joua à des petits jeux.

25 vendém.

Malgré les prières qu’on me faisait pour rester, je partis par la même route que j’avais suivie en venant. J’allai vite afin de ne point passer à la nuit la Coche du Rivier. J’y arrivai un peu avant le coucher du soleil : cet endroit est extrêmement désert et silencieux. De me voir absolument seul au milieu de montagnes aussi affreuses à la chute du jour m’inspirait une espèce d’anxiété, qu’on ne peut définir. Je passais le col lorsque les plus hauts sommets des montagnes cessaient d’être éclairés par les rayons rouges du soleil couchant. J’avais encore loin jusqu’à Articol. Quand je fus au Rivier après m’être déjà perdu une fois, il était nuit. En sorte que ne voyant plus clair pour aller du Rivier à Articol, je tombai deux ou trois fois parmi les pierres. Je me perdis encore. Je regagnai le chemin en maudissant les chemins de montagne pendant la nuit. J’arrivai cependant à Articol sain et sauf. J’y fus reçu avec la même cordialité.

26 vendém.

Nous allâmes avec le cit. Clet visiter ses mines. Elles sont encore plus hautes et qu’Allevard et que les Chalanches. Il faut donc encore remonter, je vous assure que cela exerce les jarrets. Je ne vous détaillerai point cette course qui n’a rien de particulier. Je vous dirai seulement qu’on remonte d’abord vers le Rivier mais qu’arrivé (en V) vers le bas d’un vallon qui sépare ce hameau de celui d’Articol, on tourne à gauche et on monte toujours pour aller à la mine des trois lots (en X) qui est la plus élevée. Nous redescendîmes et n’arrivâmes à Articol qu’au commencement de la nuit.

27 vendém.

Encore une soupière de café au lait pour déjeuner. Je passai la matinée avec le cit. Clet qui me donna des notes sur son établissement et, après le dîner, je retournai à Allemont. J’y trouvai des lettres et une marmotte qui m’attendait ; c’était Schrank qui me l’avait tuée.

28 vendém.

Voilà toute ma journée employée à préparer ma marmotte, finir mon renard et empailler un joli oiseau que j’avais tué à Articol. Demain tout cela part dans une carriole qui va à Grenoble chercher le cit. Colson et je dois moi-même en profiter. Je mange à souper de la marmotte. C’est très blanc, très gras, très bon, mais elle a un petit goût sauvageon.

29 vendém.

Mais je m’ennuie d’aller en voiture lorsque la voiture ne va pas vite, et comme la carriole va au pas, je fais à pied les 2 tiers du chemin et je ne montai que beaucoup au-delà de Vizille. Si même je ne l’avais pas attendue, je serais arrivé beaucoup plus tôt à Grenoble.

[fol. 138] 30 vendém.

Ma campagne minéralogique de cette année est terminée aujourd’hui. D’aujourd’hui toutes mes actions tendent à retourner à Paris. Je commence à être saturé de montagnes et de mines, il me tarde de revoir ma famille et des amis, de me reposer de quelques fatigues, de jouir du bonheur de coucher deux ou trois mois de suite dans le même lit, de reprendre des travaux plus tranquilles.

1 2 3 brumaire

Je ne vous ennuierai pas du détail de ce que j’ai fait à Grenoble pendant 4 jours que j’y suis resté. Des emballages de caisses, des formalités, des écritures106, des visites, des adieux ont employé mon temps. J’ai remercié le cit. Villard de tous les services qu’il m’a rendus, j’ai soupé chez Sabatier le fils et dîné chez le cit. Curteu qui me comble d’honnêtetés et me donne mille preuves d’amitié. Je n’ai eu en général qu’à me louer de la réception qu’on m’a faite partout.

4 brumaire

J’ai cependant encore un ami à voir sur ma route et les instances qu’il me fait, l’amitié qu’il me témoigne méritent bien que je lui consacre quelques-uns des moments que je destine à mes amis. C’est le cit. Dolomieu dont la terre se trouve presque sur mon chemin de Grenoble à Lyon. Je vais donc y passer et pour cela je suis venu coucher aujourd’hui aux Adrets. J’ai fait environ 10 lieues de poste.

5 brumaire

Dolomieu ne devait rester à Dolomieu que jusqu’à la fin de vendémiaire. Je tremblais qu’il n’en fût parti. Mais je lui ai écrit que je ne serais chez lui que dans les premiers jours de brumaire ; je peux donc espérer l’y trouver encore. Les probabilités pour ou contre ces deux opinions m’ont occupé toute la route et m’agitent plus fortement à mesure que je m’approche de Dolomieu. Enfin il est onze heures et j’arrive. Il y est encore. Pour le moment, il est sorti, mais il reviendra ce soir. Je me présente à ses trois sœurs qui, accoutumées au costume minéralogico-philosophico-presque cochon de leur frère dans ses voyages, ne sont point aussi épouvantées du mien. Elles me reçoivent comme quelqu’un qu’on attend. Je monte dans la chambre qui m’est destinée et tirant de mon sac une chemise blanche, un petit gilet rayé et mon illustre redingote qui commence à se ressentir de 7 mois de voyage, je fais ma barbe, passe l’éponge sur mes cheveux, donne un petit coup de brosse à mes souliers et me voilà plus digne de paraître devant des dames fort aimables. On dîne, on cause et on va au devant du frère qu’on ne rencontre pas, mais qui arrive bientôt et qui témoigne quelque plaisir de me voir.

6 brumaire au 9 du même mois

Je suis resté quatre jours pleins à Dolomieu, fêté, soigné de toute manière, j’ai pris là un véritable repos et très agréable. Je n’ai presque rien fait. Le matin j’écrivais tantôt ce journal, d’autres fois des extraits de chimie qui pouvaient [fol. 139] m’être utiles en voyage. Le soir nous allions promener et à la nuit, je devenais le lecteur de ces dames. Nous lûmes des contes de génie du cabinet des fées, l’histoire d’Abdalla fils d’Hanif, histoire où paraît une imagination incroyable.

Une matinée je voyais des marrons d’Inde perdus dans la cour. Je conseillai d’en tirer la fécule. On douta qu’elle fût bonne. Nous la trayions et nous en fîmes une crème délicieuse avec une cuillerée ; quelle ressource dans ce moment-ci ! J’en rapporte plein ma bonbonnière que je veux vous faire goûter le jour de mon arrivée ; ainsi conservez un peu de lait pour faire une petite crème.

10 brumaire

Je partis de Dolomieu après le dîner et j’arrivai à Lyon le lendemain.

11 brumaire

Je trouvai des bornes miliaires sur la route et m’amusai à voir à ma montre en combien de temps je faisais le mille. Je mets 20 minutes en allant bien mais sans me gêner. Je fis en huit heures les 10 lieues de poste qu’il y a de Bourgoin107 où j’avais couché, à Lyon.

12 13 14 brumaire

Je restai trois jours pleins à Lyon. M. Curteu que j’y trouvai ne me quitta presque pas. Il me combla d’amitié, me mena chez différentes personnes et deux fois de suite au spectacle. Oui j’ai été deux jours de suite à la comédie. Je n’en reviens pas. Le spectacle est assez bon. La salle est grande, simple, mais d’un mauvais goût.

15 brumaire

Je suis parti de Lyon pour Paris par la diligence d’eau108 ; en deux jours j’ai été à Chalon.

16 brum.

J’ai été fort étonné d’y rencontrer le cit. Baillet-Dubelloy109, inspecteur des mines et Thury110 élève qui s’en retournaient à Paris ; nous passâmes la soirée ensemble.

18 brum.

Maintenant, je suis en route pour aller vous rejoindre et tous les jours je me rapproche de vous. J’en reste là de mon journal, le désir que j’ai de vous revoir m’empêche de penser à autre chose le long de la route.

*

Document n° 4 : Transcription de la lettre d’Alexandre Brongniart à l’Agence des mines du 22 thermidor an III111

n°. 7 Forcalquier, le 22 thermidor de l’an trois républ.112

Alexandre Brongniart, ingénieur des Mines à l’Agence des mines de la République.

Citoyens,

J’ai reçu à Marseille plusieurs lettres de vous auxquelles j’ai différé de répondre jusqu’à ce jour parce que je voulais vous adresser en même temps plusieurs rapports assez étendus sur les mines que j’ai visitées depuis ma dernière lettre n°. 6. Le peu de temps que me laissent mes courses, la chaleur excessive qui règne dans ce pays et qui rend notre marche à pied plus lente et plus fatigante m’ont empêché de terminer encore la rédaction de ces rapports que vous recevrez cependant très incessamment. J’espère qu’en les lisant vous verrez que leur retard est plutôt dû au travail qu’ils ont nécessité qu’à un refroidissement quelconque dans le zèle et l’activité que je cherche à mettre à remplir les fonctions dont je suis chargé.

Dans votre lettre du 18 messidor vous me demandez des renseignements plus positifs sur la nature du terrain sur lequel le cit. Martin de Pressin répand la marne dont je vous ai parlé dans un de mes rapports. J’ai à me reprocher, citoyens, de n’avoir pas pensé dans ce moment à voir les terres du cit. Martin et en examiner la nature. Autant que je puisse m’en rappeler elles sont sablonneuses et renferment des cailloux roulés. Elles ont de l’analogie avec ces montagnes où elles sont situées qui ainsi que je vous l’ai dit sont formées de cailloux roulés et renfermés dans du sable. Je tâcherai de réparer cet oubli si je passe par le Pont-de-Beauvoisin113 pour me rendre dans le Mont-Blanc. Sinon j’écrirai au cit. Martin qui peut lui-même répondre à cette question. Je pourrai joindre sa réponse à quelques notes que j’ai prises sur la culture de ce pays mais qui sont dans un journal que je n’ai pas avec moi dans ce moment.

Je ne négligerai point de vous instruire des différentes mesures usitées dans les mines et de remplir en cela le désir de l’agence des mesures que vous me faites connaître dans votre lettre du 23 messidor. Jusqu’à présent j’ai eu peu d’occasion de pouvoir lui témoigner le désir que j’ai de contribuer à ses importants travaux. Le poids d’un quintal est la mesure commune employée dans toutes les mines de charbon que j’ai visitées et des sacs contenant ce quintal ou des paniers de jonc appelés couffins et contenant un quintal, ou trois quintaux qui forment la charge sont les seules mesures de capacité employées dans ces mines.

Citoyens, mon désir le plus ardent est de pouvoir me rendre utile à la patrie et de prouver au gouvernement qu’il peut retirer de l’institution de l’Agence des mines des services importants. Mais il ne dépend pas touj[ours] de nous de faire ce que nous croyons devoir être avantageux, le gouv[erne]ment ne nous donnant pas dans ces moments tous les moyens nécess[aires]. Dans votre lettre du 28 messidor, en approuvant l’idée de chercher à […] traiter les mines de fer de Vizille avec le charbon des environs de [Pierre-]Châtel, idée d’autant plus probable qu’elle n’est pas neuve ainsi que [vous] le savez puisque ce moyen est mis en usage à Montcenis114 et en plusie[urs] autres endroits, vous m’engagez à ne pas la perdre de vue et à chercher à faire des expériences ou au moins à engager les pr[opriétaires] de forge à les tenter.

Vous savez que la plupart des mtre de forges conduisent leurs trav[aux] par une routine aveugle et tiennent tellement à leur manière de faire q[u’ils] ne veulent pas croire qu’il puisse en exister d’autres. Je vois tous [les] jours des preuves de cet entêtement et je vous en donnerai un exemp[le] frappant dans mon rapport sur les mines de charbon des environs d[e] Marseille. Il ne faut donc pas espérer que je puisse déterminer aucun d[es] mtre de forges des environs de Vizille à faire venir du charbon de Pierre-Châtel, à construire des fourneaux particuliers, à exposer du minerai […] pour essayer des expériences dans lesquelles ils n’auraient aucune conf[iance…]. Quant à moi il me paraît difficile en voyage de songer […] de pareilles expériences qui, faites même en petit c’est-à-dire sur q[uelques] quintaux, exigeraient des moyens que je n’ai pas et des dépenses considérables. Les idées d’améliorations que nous poussons tomberont donc dans l’oubli si le gouvernement ne veut pas employ[er …] moyens qui sont en son pouvoir pour en profiter. Nous ne […] nous que proposer des idées, c’est au gouvernement à les exécuter […] en croira digne, c’est ainsi qu’il prouvera notre utilité, c’est ainsi qu[…] en persuadant nous-mêmes davantage, il augmentera notre zèle […] possible, ou au moins le soutiendra toujours. En effet le seul cas […] il pourrait se refroidir c’est lorsque nous verrons qu’il ne résultera […] avantage pour les mines, de notre travail, lorsque nous verrons que nos observations sur leur mauvais état, sur leur gaspillage n’aboutiront à rien et que les visites que nous ferons, les rapports que nous enverrons ne serviront pas à les améliorer. Enfin, tant que le gouvernement ne voudra pas se laisser persuader qu’elles sont dans un état de délabrement qui prive la France d’une de ses plus puissantes ressources et employer son pouvoir à les mettre dans la situation brillante où elles pourraient être. Je reviendrai sur ces idées en vous parlant des mines de charbon qui me les ont fait naitre, de celles qui environnent Marseille, Toulon et Manosque.

Vous avez senti, citoyens combien il serait important de traiter les mines de fer de Vizille avec le charbon de terre de Pierre-Châtel, non seulement on pourrait alors remettre en exploitation ces mines abandonnées en partie par défaut de bois, mais redonner une nouvelle activité aux mines de charbon et économiser le bois, combustible qui diminue en France dans une progression effrayante pour l’avenir. Vous sentez aussi que je ne puis ici que communiquer mes idées et qu’au-delà je n’ai plus de moyens. C’est au gouvernement à tenter les expériences et voici comment il pourrait s’y prendre.

On pourrait emprunter ou louer du cit. Treillard la forge de Souans dont il est propriétaire, l’agence qui devait être chargée de ces expériences y enverrait cet hiver un ingénieur ou un élève instruit auquel elle remettrait les instructions nécessaires et qui seraient le résultat des idées de la conférence auquel cet objet pourrait être soumis dans ses premières séances, le commissaire mettrait en exécution les instructions qui lui auraient été données en faisant construire les fourneaux nécessaires pour la dépuration du charbon, le traitement du minerai, celui de la fonte enfin faisant suivre sous ses yeux et aux frais du gouvernement les procédés qui lui auraient été indiqués et ceux même que les circonstances et l’observation pourraient lui suggérer. Si l’expérience réussit ce qui me paraît assez probable, il n’y a pas de doute que ce procédé connu par pratique de tous les mtre de forges des environs ne soit aussitôt suivi par eux. Ils en sentiront alors trop vivement les avantages. Le gouvernement n’aura point à regretter les légères dépenses qu’il aura eu à supporter et l’Agence des mines aura prouvé de nouveau les services importants qu’elle peut rendre à la République.

Dans 7 à 8 jours je vous rendrai compte de mes travaux et vous enverrai de nouveaux rapports. Je dois vous prévenir que j’ai mis le 11 thermidor à Marseille à la diligence de Paris une caisse à votre adresse contenant des échantillons de minéraux.

Je dois maintenant vous parler d’objets bien moins agréables pour moi, de notre voyage et des nouvelles difficultés que nous éprouvons. Ce n’est pas pour vous dire qu’elles sont capables de me rebuter, mais pour vous engager à les lever autant qu’il vous sera possible.

Nous voyageons avec la plus grande économie ; malgré la chaleur excessive du climat nous allons toujours à pied portant sur notre dos un sac assez pesant surtout quand il se remplit de pierres. La difficulté de trouver des occasions pour envoyer les échantillons dans les villes où sont adressées nos caisses et la cherté excessive des charrois nous empêchent de faire des petites caisses aussi souvent que nous le désirerions pour alléger notre marche. Malgré notre économie, malgré nos privations, nous dépensons par jour des sommes très fortes et je suis forcé de vous demander encore de l’argent quoique je n’ai pas reçu celui que vous m’avez envoyé probablement à Gap. Mais je vous observerai que dépensant au moins 100 à 200# par jour, étant déjà endetté envers un compagnon de voyage qui heureusement a pu venir à notre secours et ayant été obligé d’avancer beaucoup à l’élève qui m’accompagne, il y a longtemps que nous sommes sans argent et que nous vivons au dépens d’un ami qui est avec nous. Lorsque j’arriverai à Gap le cit. Advenier me devra au moins 2500#, j’en devrai presque autant au cit. qui nous prête, en sorte qu’Advenier sera absolument sans argent et ne pourra pas remplir la mission économique que je me proposais de lui donner, car citoyens j’ai fait un changement dans la position des élèves, changement qui m’a paru leur faire plaisir, être utile à leur instruction et devoir être plus économique.

Je vais parcourir le Mont-Blanc avec le cit. Dolomieu. Tout étant encore plus cher dans ce département que dans les autres, j’ai pensé qu’il serait plus économ[ique] de laisser pendant ce temps tous les élèves en séjour. En conséquence voici la distribution que j’en ai faite.

J’ai pensé que les cit. Remmel115 et Descotils avaient sé[journé] assez longtemps à Allemont pour leur instruction. J’ai envoyé le cit. De[scotils] sur la mine de plomb de Pesai, département du Mont-Blanc, il y séjourne[ra], s’instruira de l’exploitation et du traitement de cette mine.

J’ai chargé le cit. Remmel de venir me rejoindre à Gap. Arrivé […] ville si j’ai le temps de visiter les environs de Briançon, il m’accom[pagnera], sinon je l’y enverrai seul avec les instructions nécessaires. Il ira ensuite avec le cit. Advenier séj[ourner dans] les mines de fer d’Allevard qu’il sera chargé d’examiner avec […] voyagerai point avec Advenier dans les environs de Briançon […] d’avance à Allevard afin de diminuer autant qu’il est pos[sible …] de voyage.

Mais je vous répète, citoyens, que nous sommes tous sans argent et que nous ne pouvons exécuter ces dispositions si vous ne nous en envoyez promptement en plus grande quantité qu’à l’ordinaire puisque les dépenses sont quadruplées.

Je vous prierai donc d’envoyer sans retard au cit. Advenier une somme assez forte pour qu’il puisse s’acquitter avec moi et avoir encore de quoi vivre et de l’adresser à Chambéry qui est le district le plus près d’Allevard. Je vous serai obligé d’envoyer également dans cette ville l’argent dont j’ai besoin et celui qui est nécessaire à Remmel.

Je n’ai point sur moi de carte du Mont-Blanc et j’ignore quel est le district le plus voisin de Pesai, je vous prierai d’y adresser le mandat que vous destinez à Descotils. Faites en sorte, citoyens, s’il vous est possible que ces sommes soient assez fortes pour qu’après nous être tous acquittés de nos dettes, nous ayons le temps d’attendre de nouvel argent sans être obligés d’en contracter d’autres, ce qui n’est même pas toujours facile et il est fort heureux qu’Advenier et moi ayons rencontré un compagnon de voyage obligeant et que Remmel et Descotils aient trouvé à Allemont le cit. Colson. Nous eussions été sans cela dans un grand embarras.

Je vous envoie ci-joint copie des instructions données aux citoyens Remmel et Descotils et le rapport des travaux faits dans la mine d’Allemont dans la décade du 10 au 20 messidor par Remmel.

Veuillez bien m’écrire dorénavant à Chambéry poste restante.

Alex. Brongniart ingénieur des mines

*

Document n° 5 : Transcription de la lettre d’Alexandre Brongniart à l’Agence des mines du 6 vendémiaire an IV116

Grenoble, le 6 vendémiaire, l’an 4117.

Alexandre Brongniart, ingénieur des Mines de la République à l’Agence des mines.

Citoyens,

Je m’empresse de répondre à la lettre que je reçois de vous à l’instant, quoiqu’elle soit datée du 1er jour complémentaire118, mais elle a été à Carouge119 avant de venir ici. Vous semblez m’y faire des reproches auxquels je suis d’autant plus sensible que je crois peu les mériter eu égard au zèle que j’ai mis dans ce voyage et aux fatigues que j’ai eu à supporter. Une courte récapitulation de ce que j’ai fait jusqu’à présent vous prouvera, citoyens, qu’à moins de voyager en poste il m’était impossible de visiter à moi seul une région minéralogique aussi étendue et que j’ai cependant parcouru presqu’en entier.

Après avoir visité les mines du département de l’Isère et y être resté quelques temps autant pour terminer cette inspection que pour me concerter avec le cit. Dolomieu sur la division de notre arrondissement, voyant qu’il ne pouvait encore se mettre en voyage de quelques temps, j’ai été visiter à pied et par une saison excessivement chaude toutes les mines et indices des départements de la Drôme, Vaucluse, les Bouches-du-Rhône, d’une partie du Var, et des Basses-Alpes. Je vous ai envoyé des rapports sur presque tous ces départements. Vous devez avoir vu que j’ai beaucoup couru dans un pays où les indices étaient peu importants et que dans un voyage de près de trois mois, je n’ai vu que des mines peu intéressantes, mal exploitées, qu’un pays calcaire et aride et dans aucun intérêt géologique. De retour à Gap, il me restait à voir la partie la plus intéressante et la plus instructive de ma région, mais la saison était avancée et les lenteurs de la trésorerie nous avaient réduits à ne savoir plus de quoi vivre. Par cette première raison il ne m’était pas possible de rester à Gap sans argent et sans connaissance, ayant épuisé celui d’un compagnon de voyage étranger aux mines. D’un autre côté, le cit. Dolomieu me pressait de venir dans le Mont-Blanc, partie de ma région si intéressante. Il m’offrait de pourvoir momentanément à mes besoins. Je devais également visiter ce département. Vous nous aviez autorisés à voyager ensemble. Je voyais dans ses connaissances et dans celles des savants qui l’accompagnaient des ressources d’instruction que je ne devais point négliger, vous m’aviez même prescrit de me concerter avec M. Tingry120 sur les efflorescences de sulfate de magnésie qu’on rencontre aux environs du Mont-Blanc. Ces considérations majeures me décidèrent à aller rejoindre le cit. Dolomieu et à me réunir à lui pour visiter ce département. Cependant pour ne point négliger totalement le département des Hautes-Alpes, je chargeai le cit. Remmel de venir visiter les principaux indices. Il s’y rendit promptement. S’il n’y est pas resté plus longtemps ce n’est ni à moi ni à lui qu’il faut s’en prendre mais au gouvernement qui faisant voyager des hommes utiles les laisse sans fonds et souvent dans le plus grand embarras. Je vous ai déjà écrit citoyens, que Remmel avait été obligé de retourner bien vite à Allemont se voyant sans argent et ne pouvant espérer retrouver dans ce pays les ressources qu’il rencontrait dans l’honnêteté du directeur de la mine d’Allemont.

Voilà environ 800 lieues de poste et plus que j’ai fait à pied depuis le commencement de ma mission ayant porté sur moi une partie de mes effets et les échantillons que je vous ai envoyés. Ma tournée dans le Mont-Blanc a été de 36 jours environ pendant lesquels je n’ai pris que quatre jours de repos. Je suis à Grenoble depuis trois jours, je compte y rester encore autant à me reposer en mettant mes notes au net et rédigeant quelques rapports sur ma tournée dans la ci-devant Provence. Il est trop tard actuellement pour retourner à Gap et dans le département des Hautes-Alpes ; il y a des indices à visiter pour un mois au moins. Je vais dans ce moment terminer mes courses en visitant les mines d’Allevard et celles d’Allemont, les deux plus importantes de ma région. J’ai donné rendez-vous au concessionnaire des mines d’Allevard qui, projetant de demander au gouvernement des secours pour améliorer et perpétuer une exploitation aussi intéressante, désire me faire voir les travaux qu’il compte y faire faire, afin qu’interrogé sur leur utilité, je puisse y répondre. Je compte repasser par Allemont que je n’ai vu qu’en passant et qui mérite toute la sollicitude du gouvernement, visiter la mine d’Articol, retourner à Grenoble et me rendre à Paris, afin d’y être arrivé dans les premiers jours de brumaire, terme fixé à nos courses par les arrêtés du Comité de Salut public.

Cependant, citoyens, ne désirant rien plus que de remplir avec exactitude les ordres que vous me donnez, si malgré les observations que je vais vous faire et qui doivent vous paraitre justes, vous regardez comme absolument nécessaire de visiter cette année les indices du département des Hautes-Alpes, que vous pensiez que cette inspection ne puisse pas se remettre au printemps prochain, veuillez bien me réitérer vos ordres et me répondant de suite à Grenoble, je recevrai dans 12 jours votre lettre, je serai alors de retour d’Allevard et d’Allemont.

Mais je vous serai obligé de m’autoriser particulièrement à faire ce voyage à cheval, je suis trop fatigué des grandes routes pour me résoudre à m’y remettre encore à pied surtout vers la fin de la saison, d’ailleurs si je ne me hâte pas de faire ce voyage, les neiges qui vont couvrir les montagnes et le mauvais temps rendront les chemins impraticables. Je vous préviens aussi que dans ce moment, les frais de route deviennent immenses avec des montures et je serai alors forcé de retarder le remboursement des fonds que j’ai été obligé d’emprunter pour mon voyage du Mont-Blanc ; remboursement que je comptais faire avec les 10,000# que vous venez de me faire passer, car supposant que je reçoive à temps les 6000# que vous m’avez envoyés à Cluses121, ils suffiront à peine pour le séjour de quelques jours que je serai obligé de faire à Grenoble à mon retour et pour ma route de Grenoble à Paris. J’ai reçu les 4000# que vous m’aviez envoyés à Gap. J’ai également envoyé une procuration à Cluses pour recevoir les fonds que vous y avez adressés. Descotils faute d’argent, n’ayant pu aller à Moûtiers, ainsi que je l’en avais chargé, n’a pu toucher non plus les fonds qui sont pour lui dans cette ville. Il attend qu’on les lui envoie et se rendra de suite à Paris.

J’ai autorisé les citoyens Advenier et Remmel à partir pour Paris, parce qu’il paraissait, d’après une note mise au bas du mandat de l’un d’eux, que les 5000# que vous leur adressiez étaient destinés pour faciliter ce retour et s’ils eussent attendu plus longtemps, ils auraient dépensé une partie de cette somme et il ne leur en serait point resté suffisamment pour faire leur route.

Si vous croyez citoyens, ainsi que moi, qu’il soit plus avantageux de remettre au printemps prochain une visite qui ne pourrait maintenant ne se faire qu’en courant, veuillez bien me le dire et l’écrire aux administrateurs du départ. des Hautes-Alpes en leur faisant sentir que les circonstances difficiles dans lesquelles nous voyageons sont les seules causes de ce retard involontaire, mais qu’une inspection lente et soignée les en dédommagera. Je leur écrirai de mon côté dans le même but.

J’ajouterai d’ailleurs que, d’après ce que m’a dit Remmel, les indices de ce département ne peuvent être connus d’une manière utile qu’au moyen d’une sonde122 qu’il ne serait pas possible d’avoir avant l’hiver et qu’on pourra se procurer au printemps plus facilement.

Alex. Brongniart

Notes

1 Principes de transcription : la graphie, l’orthographe et la syntaxe d’origine ont été modernisées, tout comme l’accentuation et la ponctuation. L’orthographe des noms propres a été harmonisée. Les crochets indiquent une intervention de l’éditeur. Ils sont généralement destinés à apporter une précision, notamment à compléter la fin d’un mot coupé. La mention […] indique qu’un passage du texte d’origine est manquant ou illisible. Les abréviations ont été respectées. Les passages soulignés par l’auteur sont conservés en l’état (Cathy Hecker). Return to text

2 Bibliothèque Centrale du Muséum d’Histoire Naturelle, ms. 2351, dossier 4, « Voyage dans les Alpes (6 avril-27 octobre 1795) ». Return to text

3 Vienne : département de l’Isère. Return to text

4 Soit le 19 avril 1795. Return to text

5 Locution nominale qui fait référence au moment où il faut verser une contribution financière, généralement pour un repas ou un divertissement. Return to text

6 L’unité de mesure ainsi abrégée renvoie à la livre. Brongniart continue à l’utiliser, bien que le franc ait été créé 12 jours plus tôt, le 7 avril 1795. Return to text

7 « Celui qui fait métier de décrotter, de cirer des souliers », d’après le Dictionnaire de l’Académie française, 8e éd., Paris, Hachette, 1932-1935, p. 1355. Le métier de décrotteur exigeait un très modeste capital : une petite sellette pour reposer le pied, un chiffon pour ôter la boue, un décrottoir pour enlever ce que le chiffon avait laissé et une polissoire pour étendre la cire. Return to text

8 À partir du 24 septembre 1794, Brongniart a été envoyé en tournée dans les départements de l’Orne, de la Manche, du Calvados et de la Seine Inférieure. C’est sûrement durant ce voyage qu’il a rencontré cet homme (voir Archives Nationales, F/14/2716/2, Dossier personnel d’Alexandre Brongniart). Return to text

9 Brongniart utilise la même expression le 30 messidor (18 juillet) à propos de la pièce de théâtre qu’il compose. Return to text

10 Saint-Symphorien-d’Ozon, situé à environ 16 kilomètres au sud de Lyon. Return to text

11 Brongniart utilise dans l’ensemble de sa correspondance les unités de mesure en vigueur sous l’Ancien Régime. Or, depuis le 18 germinal an III (7 avril 1795), la loi « relative aux poids et mesures » imposait l’utilisation du nouveau système métrique décimal. Return to text

12 Petite cape à capuchon en toile cirée, c’est-à-dire enduite d’un vernis qui la rend imperméable. Return to text

13 Le taffetas gommé est une étoffe de soie imperméable. Le 27 germinal (16 avril) Brongniart indique que son chapeau est fait de cette matière et qu’elle se révèle utile et efficace. Return to text

14 Les agents nationaux ont été créés le 14 frimaire de l’an II (4 décembre 1793) pour représenter le gouvernement auprès des administrations des districts et communes. Les enquêteurs sur le terrain, tels Brongniart, doivent envoyer chaque décade un compte-rendu de leurs observations et activités à l’Agence des mines. D’après Alphonse Aulard (éd.), Recueil des actes du Comité de salut public avec la correspondance officielle des représentants en mission et le registre du Conseil exécutif provisoire, t. 9, Paris, Imprimerie nationale, 1895, p. 153-154. Return to text

15 Pièce de vêtement féminin, il s’agit d’une veste ajustée à longues basques. Return to text

16 Bibliothèque Centrale du Muséum d’Histoire Naturelle, ms. 2351, dossier 4, « Voyage dans les Alpes (6 avril-27 octobre 1795) ». Return to text

17 Soit le 15 juillet 1795. Return to text

18 Roquevaire est situé à environ 24 kilomètres de Marseille, dans le département des Bouches-du-Rhône. Les noms de départements sont précisés chaque fois que Brongniart en change. Return to text

19 Gardanne se situe à 25 kilomètres au nord-est de Marseille et à 19 kilomètres au nord-ouest de Roquevaire. L’exploitation du charbon de terre y débute dès le xvie siècle. Return to text

20 Auriol est situé à 28 kilomètres au nord-est de Marseille, à 18 kilomètres de Gardanne et à 4 kilomètres de Roquevaire. Return to text

21 Saint-Just se situe à environ 4 kilomètres de Marseille, Allauch à 11 kilomètres de Marseille et à 7 kilomètres de Saint-Just. Return to text

22 Saint-Savournin est situé à 22 kilomètres de Marseille et à environ 11 kilomètres d’Allauch. Return to text

23 M. Gauteron apparaît dans les lettres de Brongniart le 6 prairial an III (25 mai 1795) comme un jeune Suisse de 21 ans qui souhaite l’accompagner dans son voyage. Il s’agit très certainement de François Louis Gauteron qui a publié en 1808 à Genève la Lettre de Mr. Gauteron à Mr. Ch. Pictet, de Genève, sur la fête célébrée à Hofwyl le 23 mai 1807. Il se présente en signant une des lettres comme « Pasteur de l’église consistoriale de Bévilard » (p. 5), puis, dans une lettre qui lui est destinée, il est appelé « ministre du St. Évangile à Tavanne près de Bienne » (p. 6). Return to text

24 Terme emprunté à l’arabe, un looch est une potion médicinale adoucissante et calmante ; voir Dictionnaire de l’Académie française, op. cit., p. 2133. Return to text

25 Valdonne se situe à 24 kilomètres de Marseille et à environ 4 kilomètres de Saint-Savournin. Dans le Journal des mines, Lefebvre décrit ainsi les houillères des Bouches-du-Rhône : « Les houillères sont situées notamment aux environs des communes de Gardanne, Fureau, Tretz, Peynier, Beldocène, Saint-Savournin, Auriac, Roquevaire et Gemenas. La plupart de ces mines sont mal exploitées par les propriétaires du sol ou par des extracteurs, avec lesquels ils traitent pour leur permettre des fouilles sur leur propriété. L’exploitation n’est jamais poussée qu’à peu de profondeur. Elle est abandonnée au moindre obstacle qui se présente dans la suite des travaux, qui sont en général très peu sûrs pour les ouvriers eux-mêmes ». Antoine Lefebvre : « Aperçu général des mines de houilles exploitées en France, de leurs produits, et des moyens de circulation de ces produits », Journal des mines, n° 71, an X-1802, p. 345. Return to text

26 Dans Paul Masson et Eugène Bergounhoux, Les Bouches-du-Rhône, 3e partie, Le sol et les habitants, t. XV , Monographies communales, Paris-Marseille, Honoré Champion-Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 1933, p. 131 on peut lire : « François Roux, négociant de Marseille, nommé maire perpétuel de Peypin en 1697, marié en 1679 à Catherine Bruny, sœur du futur marquis d’Entrecasteaux, eut trois fils dont l’un, Ignace, donna une grande activité aux mines de Valdonne. La veuve d’Ignace transmit en 1776 aux Gérin-Ricard la terre de Valdonne (avec le château construit par Honoré Roux sous Louis XIII) érigée en fief noble en 1740 ». Return to text

27 Peynier est situé à environ 10 kilomètres de Valdonne. Return to text

28 D’après Ambroise Fourcy, dans son Histoire de l’École polytechnique, Paris, 1828, p. 390, Advenier est décédé en tant qu’élève-ingénieur à Saint-Domingue. Return to text

29 Cette phrase a été ajoutée dans l’interligne. Return to text

30 La Sainte-Baume est située à environ 16 kilomètres d’Auriol. C’est un lieu de pèlerinage dédié à sainte Marie-Madeleine, autour d’une grotte à flanc de falaise, connu et fréquenté depuis le Moyen Âge, et où a été fondé un couvent dominicain à la fin du xiiie siècle. Return to text

31 Brignoles est situé à 37 kilomètres d’Auriol, dans le département du Var. Return to text

32 Le Plan d’Aups se situe à environ 12 kilomètres d’Auriol. Return to text

33 La Révolution voit se développer l’iconoclasme. En 1793, l’intérieur de la grotte est détruit ainsi que la grande hôtellerie attenante. Voir Jean-Baptiste-Pierre Maille (abbé), La Sainte Baume en Provence ou Histoire de Sainte Marie Magdeleine, Brignoles, Berreymond-Dufort et Vian, 1860. Return to text

34 Gémenos est situé à environ 12 kilomètres du Plan d’Aups. Return to text

35 Les daphnés sont des arbrisseaux ou des sous-arbrisseaux à fleurs roses, blanches ou verdâtres. Le fruit est une baie charnue ou coriace. Il existe sept espèces du genre daphné en France, dont fait partie le « daphne gnidium L. » (« daphné garou »). Ce dernier est un arbrisseau à tige érigée pouvant atteindre 1,20 mètre, on le rencontre dans les lieux incultes, sablonneux ou pierreux. Plante toxique, il fleurit du printemps à l’automne. Return to text

36 Au sujet du rapport qu’Alexandre Brongniart écrivit à l’Agence des mines, voir son dossier personnel conservé aux Archives nationales sous la cote F/14/2716/2. Return to text

37 Il s’agit probablement d’une référence au Théâtre-Français, autre nom donné à la Comédie française, créée à Paris en 1680. Le théâtre de l’Odéon qui l’accueillait depuis 1782 avait été fermé en 1793. Return to text

38 Le marquis Agricol-Joseph Fortia d’Urban, dans Les Mémoires pour servir à l’histoire ancienne du globe terrestre, t. VI , Essai des origines sur l’ancien peuple, suivie d’une théorie élémentaire des comètes, Paris, Déterville, 1808, évoque à plusieurs reprises un certain « M. de Thulis, directeur de l’Observatoire de Marseille » (p. 225) et « le catalogue de l’astronomie de Lalande » (p. 184). Return to text

39 La distance entre Marseille et Toulon est d’environ 60 kilomètres. Return to text

40 Sur ce célèbre géologue et minéralogiste, voir le texte de présentation du Journal de Brongniart, supra. Return to text

41 Cassis est situé à 22 kilomètres de Marseille ; La Ciotat à 30 kilomètres. Return to text

42 Il s’agit probablement des Lecques à Saint-Cyr-sur-Mer, à environ 8 kilomètres de La Ciotat. Return to text

43 Il s’agit vraisemblablement des ruines de la villa maritima romaine de Saint-Cyr-sur-Mer. Return to text

44 Un pied correspond à environ 32 centimètres. Return to text

45 La Cadière-d’Azur est située à environ 7 kilomètres des Lecques. Return to text

46 Aux xviie et xviiie siècles, Toulon est, avec Brest, le seul port capable d’accueillir les grands vaisseaux de guerre ; Jean Meyer et Martine Acerra, Histoire de la marine française : des origines à nos jours, Rennes, Ouest France, 1994, p. 9-16. Return to text

47 Les temples de la Raison furent créés pendant la Révolution française pour y célébrer le culte de la Raison. De nombreuses églises furent transformées en temples de la Raison puis en temples de l’Être suprême. Return to text

48 Sorte d’imitation de l’ordre dorique grec, le plus dépouillé des trois ordres grecs. Return to text

49 Il se caractérise par une grande richesse d’éléments et par un chapiteau décoré de deux rangées de feuilles d’acanthe. Return to text

50 Schéma du temple de la Raison visible sur le folio 89. Return to text

51 Gap (département des Hautes-Alpes) est situé à 200 kilomètres de Toulon. Return to text

52 Il s’agit de l’actuelle commune du Revest-les-Eaux, située à 7 kilomètres au nord de Toulon, dans le département du Var. Return to text

53 Signes est situé à 20 kilomètres du Revest-les-Eaux. Return to text

54 Il s’agit peut-être de Méounes-lès-Montrieux, situé à 25 kilomètres de Toulon. Return to text

55 Cette chartreuse est aujourd’hui connue sous le nom de Montrieux-le-Vieux et est située sur le territoire de la commune actuelle de Méounes-lès-Montrieux. Elle fut également pillée et désertée en 1792. Return to text

56 Par rapport à Méounes-lès-Montrieux, Saint-Maximin-la-Sainte-Baume se situe à environ 25 kilomètres, Rians à 47 kilomètres et Ollières à 30 kilomètres. Return to text

57 Manosque est distant d’une trentaine de kilomètres de Rians. Toutes les villes citées les 21 et 22 thermidor se situent dans le département des Alpes-de-Haute-Provence. Return to text

58 Il s’agit de Saint-Paul-lès-Durance situé à une douzaine de kilomètres de Rians. Return to text

59 Il s’agit probablement de Gréoux-les-Bains, à 13 kilomètres de Manosque. Return to text

60 Corbières se situe à 10 kilomètres de Manosque et à une vingtaine de kilomètres de Gréoux-les-Bains. Return to text

61 Il s’agit de la localité de Sainte-Tulle, à 7 kilomètres de Manosque. Return to text

62 Forcalquier est situé à environ 17 kilomètres de Manosque. Return to text

63 Volx se situe à 8 kilomètres de Manosque. Return to text

64 Dauphin est distant d’environ 8 kilomètres de Volx. Return to text

65 Le 9 thermidor an II (27 juillet 1794) marque la chute de Robespierre et la fin de la Terreur. Return to text

66 Pour la lettre que Brongniart écrivit à l’Agence, voir le dossier personnel d’Alexandre Brongniart conservé aux Archives nationales sous la cote F/14/2716/2. Return to text

67 Louis-Nicolas Vauquelin (1763-1829), pharmacien et chimiste français. Il fut maître en pharmacie, membre de l’Institut de France (1795), professeur à l’École Centrale des Travaux Publics (qui devient l’École Polytechnique) en 1794, professeur au Collège de France (1801), au Muséum d’Histoire Naturelle (1804), et il fut aussi membre de l’Académie de Médecine (1812). Il fut également chargé, en 1795, d’enseigner la docimasie (analyse quantitative des mélanges métalliques) à la Maison des mines. D’après la notice biographique due à Robert Mahl, dans le cadre du projet Euromin, consultable à l’URL : <http://euromin.w3sites.net/Nouveau_site/ mineralogiste/biographies/Vauquelinf.htm>. Return to text

68 Antoine-François de Fourcroy (1755-1809) est un chimiste français. À partir de 1784, il est nommé professeur de chimie au Jardin du Roi. Il siège jusqu’en 1795 à la Convention et participe à la création ou à la réorganisation de nombreuses institutions, telles que les Écoles de médecine et de droit, les Écoles des Ponts et Chaussées et Centrale où il enseigne la chimie. Il fait également adopter la loi sur les poids et les mesures. Il est apparenté à la mère d’Alexandre Brongniart et joua un rôle notable dans la carrière de celui-ci. Voir Emmanuel Grison, « Fourcroy », Bulletin de la Société des Amis de la Bibliothèque de l’École Polytechnique, vol. 23, avril 2000, p. 53-61. Return to text

69 Curbans est situé à plus de 70 kilomètres de Forcalquier. Return to text

70 Une lieue des Postes équivaut à 2 000 toises, soit 4 288 kilomètres. Return to text

71 Par rapport à Forcalquier, Volonne se situe à 32 kilomètres et Sisteron à 40 kilomètres. Return to text

72 Saint-Geniez se situe à une cinquantaine de kilomètres de Forcalquier. Return to text

73 Alexandre Brongniart l’orthographie « col de Blans » ou « Blanx ». Return to text

74 La plombagine est un minerai de graphite qui sert à fabriquer les mines de crayons. Elle doit son nom à sa ressemblance avec le minerai de plomb. Return to text

75 Le Caire est situé à 20 kilomètres de Saint-Geniez. Return to text

76 Allemont, village du département de l’Isère au pied de la chaîne de Belledonne à une quarantaine de kilomètres au sud-est de Grenoble et à 80 kilomètres de Gap. Return to text

77 Aujourd’hui orthographiée La Mure, cette localité est située à 60 kilomètres de Gap et à 36 kilomètres de Grenoble, à près de 900 mètres d’altitude. Return to text

78 Le Drac est un affluent de la rive gauche de l’Isère. Return to text

79 Saint-Pierre-de-Méaroz est situé à 8 kilomètres de La Mure. Return to text

80 Par rapport à Grenoble, Vizille se situe à 15 kilomètres, Pierre-Châtel à 30 kilomètres et Laffrey à 22 kilomètres. Return to text

81 Il s’agit très probablement de Dominique Villars (1745-1814). Médecin et botaniste, après avoir obtenu son titre de docteur en 1778 à Valence, il est nommé, en 1782, directeur du jardin botanique et titulaire d’une chaire de matière médicale à l’hôpital civil et militaire de Grenoble. Auparavant il a notamment participé à une exploration géologique du Dauphiné en 1775-1776, dirigée par Étienne Guettard (1715-1786) ; voir Joëlle Rajat rochas, Du Cabinet de curiosités au Muséum : les origines scientifiques du Muséum d’histoire naturelle de Grenoble (1773-1855), thèse soutenue à l’Université de Grenoble, 2006. Return to text

82 Bibliothèque Centrale du Muséum d’Histoire Naturelle, ms. 2351, dossier 4, « Voyage dans les Alpes (6 avril-27 octobre 1795) ». Return to text

83 Soit le 24 septembre 1795. Sans indication de lieu ; la lettre 17 s’achève alors que Brongniart est à Grenoble et qu’il compte se rendre à Allemont. Return to text

84 Allevard, dans le département de l’Isère, est situé à 38 kilomètres de Grenoble. Des mines importantes y sont exploitées dès le Moyen Âge. Return to text

85 Le dossier personnel de Brongniart contient deux de ces douze lettres, l’une à l’Agence des mines (soit la quatrième lettre de la présente publication, infra document n° 4 ), l’autre à l’un de ses amis. Return to text

86 M. le Baron Percy, dans son Éloge historique de M. Sabatier, évoque « M. Sabatier fils, chevalier membre de la Légion d’honneur, avec rang de colonel […]. Il avait auparavant servi aux armées en qualité de commissaire des guerres » (dans Séance publique de la faculté de médecine de Paris, tenue le 27 novembre 1811, pour la rentrée des écoles et la distribution des prix, Paris, Didot, 1812, p. 88). Return to text

87 Chichilianne se situe à 60 kilomètres au sud de Grenoble, entre 700 et 2 000 mètres d’altitude. Return to text

88 Petite localité en contrebas d’Allemont. Return to text

89 Bourg-d’Oisans est situé à 11 kilomètres d’Allemont. Return to text

90 Auris se situe à 10 kilomètres de Bourg-d’Oisans. Return to text

91 Briançon est situé à 70 kilomètres de Bourg-d’Oisans, vers l’est en direction de la frontière italienne. Return to text

92 Dans les Mémoires de chimie, contenant des analyses de minéraux, Paris, 1807, t. I, p. 357, Martin Henri Klaproth parle du schorl violet en ces termes : « la Pierre vitreuse du Dauphiné » est une « pierre que Romé-de-l’Isle a fait connaître sous le nom de schorl transparent lenticulaire, qu’on a ensuite nommée schorl violet ». Dans le Dictionnaire général de la langue française et vocabulaire universel des sciences, des arts et des métiers, par François Raymond, Paris, A. André, 1832, t. II, p. 459, le schorl est défini comme une « substance pierreuse, quelquefois métallique, à cassure lamelleuse ou vitreuse » et « le nouveau schorl violet de quelques naturalistes, le sphène ». Return to text

93 Une toise mesurait 6 pieds soit 1 949 mètres. Return to text

94 Il s’agit probablement de Livet-et-Gavet, situé à 10 kilomètres d’Allemont et de La Fonderie. Return to text

95 Le nom de « Pra », désigne aujourd’hui un lac et un col dans la chaîne de Belledone, à plus de 2100 mètres d’altitude. Return to text

96 Il existe deux lacs de ce nom, Petit Doménon et Grand Doménon, tous deux situés au sud de la chaîne de Belledonne, à plus de 2300 mètres d’altitude, à proximité du col de La Pra. Ils alimentent le ruisseau du Domènon qui rejoint l’Isère à Domène. Return to text

97 Vallée située en majeure partie dans le département de l’Isère, où coule l’Isère et qui relie Grenoble à Chambéry. Return to text

98 Mine des Chalanches. Return to text

99 Dans sa lettre, A. Brongniart écrit en fait : « Il plut toute la nuit et toute la matinée jusqu’à midi que le ciel s’éleva et nous permit de redescendre à La Fonderie ». La phrase a été modifiée dans un souci de compréhension. Return to text

100 Articol est situé à 5 kilomètres d’Allemont, dans le massif de Belledonne, à une altitude d’environ 1 000 mètres. Return to text

101 Hippolyte-Victor Collet-Descotils (1773-1815), chimiste et minéralogiste français. Élève des Mines en 1794, promu ingénieur en 1798, puis ingénieur en chef en 1809. Il a participé à l’expédition française en Égypte en 1798. Voir Théophile Louïse, Notice biographique sur Collet-Descotils, Caen, Hardel, 1845. Return to text

102 Allevard est situé à environ 37 kilomètres d’Articol. Return to text

103 Le Rivier, appelé aussi Le Rivier d’Allemont, se trouve à 3 kilomètres d’Articol et à environ 8 kilomètres d’Allemont. Return to text

104 Prabert est un lieu-dit de la commune de Laval située à 11 kilomètres du Rivier d’Allemont. Return to text

105 Les Adrets sont situés à 5 kilomètres de Prabert et Theys à 6 kilomètres des Adrets. Return to text

106 Pour la lettre datée du 30 vendémiaire que Brongniart écrit à l’Agence des mines, voir le dossier personnel d’Alexandre Brongniart conservé aux Archives nationales sous la cote F/14/2716/2. Return to text

107 Bourgoin-Jallieu est situé à 40 kilomètres de Lyon. Return to text

108 Se dit également « coche d’eau » ; il s’agissait de « bateaux établis pour transporter d’une ville à l’autre les voyageurs et les marchandises » ;Dictionnaire de l’Académie française, op. cit., p. 1333. Return to text

109 Arsène Nicolas Baillet Du Belloy fut nommé inspecteur des Mines en 1794. Il fut envoyé avec Brongniart en Basse-Normandie au début de l’an III (automne 1794). Il dispensa le cours d’exploitation des mines à Paris, puis à Moutiers, à partir de 1802. Voir la notice biographique due à Robert Mahl, publiée sur le site des Annales des Mines (<http://www.annales.org/archives/x/baillet.html>). Return to text

110 Il s’agit de Louis-Étienne-François Héricart-Ferrand, vicomte de Thury (1776-1854), ingénieur ordinaire des Mines en 1802, puis ingénieur en chef en 1810, auteur de très nombreux articles et membre d’une dizaine de sociétés savantes. Voir la notice biographique due à Robert Mahl, publiée sur le site des Annales de Mines (<http://www.annales.org/ archives/x/hericart.html>). Return to text

111 Archives nationales, F/14/2716/2, Dossier personnel d’Alexandre Brongniart. Return to text

112 Soit le 9 août 1795. Return to text

113 Pont-de-Beauvoisin, département de l’Isère ou département de la Savoie. En effet, cette commune est établie sur la rive gauche du Guiers qui la sépare de son homonyme en Savoie. Return to text

114 Montcenis : département de Saône-et-Loire. Return to text

115 D’après Ambroise Fourcy, dans son Histoire de l’École polytechnique, Paris, École Polytechnique, 1828, p. 390, Remmel était, au moment où cet ouvrage parut, directeur des mines de Sainte-Marie dans le département du Haut-Rhin. Return to text

116 Archives nationales, F/14/2716/2, Dossier personnel d’Alexandre Brongniart. Return to text

117 Soit le 28 septembre 1795. Return to text

118 Soit le 17 septembre 1795. Le 1er jour complémentaire correspondait au jour de la Vertu dans le calendrier républicain. Mis en place le 22 septembre 1793, celui-ci découpe l’année en 12 mois de 30 jours, soit 360 jours au total, auxquels sont ajoutés cinq jours complémentaires placés à la fin de fructidor, le douzième mois (août-septembre), et célébrant successivement la Vertu, le Génie, le Travail, l’Opinion et les Récompenses. Un sixième jour complémentaire appelé « Jour de la Révolution » est ajouté tous les quatre ans, afin que l’année ait bien une durée moyenne de 365,25 jours. Voir C. L. Guillot, Dictionnaire des constitutions de l’Empire français et du royaume d’Italie, Paris, J. Gratiot, 1806, t. I, p. 117 et suiv. Voir également, Denis Guedj, La Révolution des savants, Paris, Gallimard, 1988. Return to text

119 Canton de Genève, Suisse. Return to text

120 Pierre-François Tingry (1743-1821), pharmacien et chimiste genevois. Lorsque la chaire de chimie et de minéralogie fut créée à l’Académie de Genève, il en fut le premier titulaire. Voir Marcel Chaigneau, « Pierre-François Tingry (1743-1821), pharmacien genevois : ses recherches en chimie végétale », Revue d’Histoire de la Pharmacie, vol. 83, n° 304, 1995, p. 17-23. Return to text

121 Cluses se situe en Haute-Savoie, dans la vallée de l’Arve. Return to text

122 Dans son Traité élémentaire de minéralogie, avec des applications aux arts, Paris, Crapelet, 1807, t. II, p. 284-286, Alexandre Brongniart explique que pour s’assurer de la présence d’un minerai il faut faire des recherches préliminaires et que « si c’est une couche, on parvient plus aisément à reconnaître [le minerai], au moyen d’un instrument que l’on nomme sonde ou tarière de montagne, et avec lequel on peut percer, en quelques jours, des trous de 6 à 8 centimètres de diamètre et de 100 à 150 mètres de profondeur », puis il décrit les composantes de cet instrument. Return to text

References

Bibliographical reference

Alexandre Brongniart, « Lettres familiales et professionnelles d’Alexandre Brongniart  », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 6 | 2015, 109-158.

Electronic reference

Alexandre Brongniart, « Lettres familiales et professionnelles d’Alexandre Brongniart  », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [Online], 6 | 2015, Online since 22 septembre 2023, connection on 06 décembre 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=357

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Alexandre Brongniart

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