De l’esclavage aux Philippines, xvie-xviie siècles

Introduction

  • On slavery in the Philippines, 16th-17th centuries. Introduction
  • La esclavitud en Filipinas, siglos xvi-xvii. Introducción
  • Zur Sklaverei auf den Philippinen im 16. und 17. Jahrhundert. Einleitung

DOI : 10.57086/sources.328

p. 99-115

La problématique de l’esclavage aux Philippines aux xvie et xviie siècles est sans doute une des plus complexes que puisse présenter l’espace colonial espagnol, puisqu’elle est tout à la fois le fruit de l’évolution des débats et pratiques qu’a connus l’Amérique depuis sa découverte jusqu’au milieu du xvie siècle, qu’elle présente tous les cas de figures qui de l’autre côté de l’océan Pacifique font exception à la règle générale, et qu’elle est en outre déterminée par des paramètres très spécifiques à l’espace géographique, politique, économique et culturel dans lequel elle vient prendre place. Pour toutes ces raisons, on a choisi de présenter au lecteur un dossier aux dimensions conséquentes sur ce sujet qui, outre son intérêt en soi, permet de repenser toute l’entreprise espagnole outremer. Il s’ouvre sur une longue introduction qui retrace l’itinéraire historique qui mène des pratiques péninsulaires à celles qui, aux confins de l’espace colonial espagnol, configureront le contexte philippin. Dans sa partie proprement documentaire, dix-huit sources présentant des aspects différents du problème et des points de vue différents sur eux sont traduites, présentées et éditées, parmi lesquelles on retiendra tout particulièrement les Cas Moraux résolus par les jésuites de Manille au début du xviie siècle.

The issue of slavery in the Philippines during the 16th and 17th centuries is without doubt one of the most complex that Spanish colonial space could produce, as it is the result of the evolution of debates and practices that were experienced in America from the discovery times until the middle of the 16th century, because it shows all the situations that generate exceptions to the rules on the other side of the Pacific Ocean and also on account of very specific parameters determined by the geographical, political, economic and cultural space in which it takes place. For all those reasons, we chose to present to the reader a rather voluminous case file on this topic which, apart from its interest in itself, allows us to rethink the whole Spanish enterprise overseas. It opens wih a long introduction which tracks back the historical itinerary leading from Peninsular practices to those that, at the edge of the Spanish colonial space, would configure the Philippine context. In the section properly dedicated to documents, eighteen sources showing different aspects of the problem and different perspectives on it will be translated, presented and edited. Of particular interest are the Moral Cases solved by Manila Jesuits at the beginning of the 17th century.

Jean-Noël Sánchez is associate professor of spanish studies at the university of Strasbourg

La problemática de la esclavitud en Filipinas en los siglos xvi y xvii presenta sin duda uno de los casos más complejos dentro del espacio colonial español. Además de verse influenciada por los debates y las practicas desarrolladas en América desde su descubrimiento hasta la mitad del siglo xvi, presenta todos los casos que del otro lado del océano Pacífico son excepciones a la regla general y, al mismo tiempo, está determinada por los parámetros específicos al espacio geográfico, político, económico y cultural en el que se desarrolla. Por todas estas razones se presenta al lector un conjunto de documentos sobre el tema en un dossier de cuantiosa extensión, el cual, además del interés que presenta en sí mismo, permite analizar en una nueva perspectiva toda la empresa española de ultramar. Comienza con una larga introducción que repasa el itinerario histórico que lleva de las prácticas peninsulares hasta aquellas que, en los confines del espacio colonial español, configuran el contexto filipino. En su parte propiamente documental, se proponen dieciocho fuentes traducidas, presentadas y editadas, que tratan diferentes aspectos y puntos de vista del problema. Entre ellas se destacan especialmente los Casos Morales resueltos por los jesuitas de Manila a principios del siglo xvii.

Jean-Noël Sánchez Pons es profesor titular en estudios hispánicos en la universidad de Estrasburgo.

Die Sklaverei auf den Philippinen im 16. und 17. Jahrhundert gehört zweifelsohne zu den komplexesten Themen in Bezug auf das spanische Kolonialgebiet. Sie ist nicht nur das Ergebnis der Debatten und Praktiken, denen Amerika von der Entdeckung bis zur Mitte des 16. Jahrhunderts beiwohnte, sondern bündelt auch jene Formen, die auf der anderen Seite des Pazifischen Ozeans eine Ausnahme von der allgemeinen Regel darstellten. Und schließlich ist sie von Parametern bestimmt, die auf ihren spezifischen geographischen, politischen, ökonomischen und kulturellen Rahmen verweisen. Aus diesen Gründen stellen wir dem Leser ein umfangreiches Dossier zum Thema zur Verfügung, das überdies neue Einblicke in das gesamte spanische Übersee-Unterfangen erlaubt. In einer ausführlichen Einleitung wird der historische Weg rekonstruiert, der von bestimmten Praktiken auf der iberischen Halbinsel bis hin zu Kontextfaktoren auf den Philippinen, an der äußersten Grenze des spanischen Kolonialreiches, führte. Im rein dokumentarischen Teil finden sich 18 übersetzte und edierte Quellen, die verschiedene Aspekte und Ansichten zur Problematik aufzeigen, wobei die Moralfälle, die von den Jesuiten in Manila zu Beginn des 17. Jahrhunderts gelöst wurden, besonders hervorzuheben sind.

Jean-Noël Sánchez ist Dozent für Iberische Studien an der Universität Straßburg.

Outline

Text

Les documents qui vont être produits dans ce dossier ont pour thème commun la question de l’esclavage aux Philippines, depuis les années qui suivent immédiatement l’installation des Espagnols dans la région, en 1565, jusqu’à la fin du xviie siècle, période à laquelle la pratique esclavagiste dans l’archipel, tout au moins en ce qui concerne le versant ibérique du problème, débouche sur une voie sans issue légale.

Malgré le caractère spécifique de l’espace que nous allons ici appréhender, puisqu’il s’agit de la seule colonie espagnole localisée en Asie1, ce dossier ne s’en inscrit pas moins dans la problématique plus vaste de l’esclavage dans l’Empire espagnol. En effet, certes sous des modalités bien particulières, cet espace présente l’ensemble des cas de figure dans lesquels vient s’inscrire la configuration de l’esclavage en Amérique : la structure préalable des usages indigènes en la matière, les pratiques spontanées des conquérants, l’élaboration légale de la catégorie d’Indien en tant que sujet de droits, les pressions abolitionnistes, notamment de la part des missionnaires, l’émission de normes légales contraignantes et leur difficile mise en œuvre, le remodelage des structures indigènes, l’alternative constituée par la notion de guerre juste et parallèlement, la circulation d’esclaves légaux vendus et achetés comme tels en tant que non inclus dans la catégorie d’Indien, tous ces paramètres interagissant entre eux dans un cadre tant discursif que pratique, où se superposent les impératifs moraux, politiques et économiques.

En somme, il s’agit à notre sens d’une excellente illustration de la complexité des discours, des pratiques et des réseaux à laquelle le chercheur est confronté dès lors qu’il s’attache à ne pas appréhender la notion d’esclavage de façon univoque et statique.

Afin d’introduire les textes, nous voudrions tout d’abord proposer une synthèse orientée de l’histoire de l’esclavage depuis ses origines péninsulaires jusqu’à ses développements américains, afin que le lecteur puisse pleinement saisir les enjeux, les solutions de continuité et de rupture qui se présentent aux Philippines.

La toile de fond

Les antécédents péninsulaires

Dans la Péninsule ibérique, et tout particulièrement en Castille, à la charge exclusive de laquelle sera réalisée la conquête de l’espace extra-européen, le système féodal, en termes politico-sociaux tout au moins, fut jusqu’au xive siècle généralement2 plus lâche que dans le reste de l’Europe médiévale. En effet, l’entreprise de reconquête et le conséquent impératif de colonisation des régions reprises y a obligé les seigneurs à octroyer à leurs vassaux des prérogatives politiques collectives. C’est ainsi que les behetrías sont des populations dont les habitants se sont vus attribuer le droit de choisir leur propre seigneur. En Castille, les paysans sont généralement libres et conséquemment soumis à un rapport de vassalité qui n’implique pas la servitude.

Cette caractéristique se trouve clairement reflétée dans le corpus législatif établi au xiiie siècle par le roi Alphonse X, les fameuses Siete Partidas, qui sont ici fondamentales dans la mesure où elles demeurent le texte de référence en la matière durant la période couverte par nos documents, et même au-delà3. Dans la Partie IV, Titre XXIII, on peut y lire que « les hommes ou sont libres, ou sont serfs ou inclus dans ce qu’on appelle en latin affranchis ». Dans cette même Partie IV, Loi I, Titre XXI, il est clairement établi que « La servitude est une posture et une institution que firent les gens dans le passé, par laquelle les hommes qui étaient libres, se font serfs, et se mettent sous le pouvoir seigneurial d’un autre contre raison de nature4 ».

En ce qui concerne l’esclavage à proprement parler5, il va sans dire que la guerre de reconquête favorise sa pratique en territoire chrétien, qu’il s’agisse d’individus acquis auprès des musulmans, grands consommateurs de serviteurs noirs obtenus le long de la route transsaharienne, ou de Maures capturés en juste guerre, en vertu de la doctrine établie par Augustin d’Hippone et reprise au xiiie siècle par saint Thomas d’Aquin.

Ces prises de guerres deviendront particulièrement importantes lors de la dernière phase de la reconquête, la guerre de Grenade, de 1482 à 1492, soit à la veille du lancement de l’entreprise américaine et peu avant que les opérations militaires sur la côte de l’Afrique du Nord n’occasionnent de nouvelles prises6. À la même époque, arrivent en Espagne les premières « pièces » d’esclaves canariens7, tandis que, depuis le milieu du siècle, les Portugais importent des esclaves depuis l’Afrique de l’Ouest, dont beaucoup trouvent acquéreur de l’autre côté de la frontière.

Conséquemment, si on a longtemps pensé que l’esclavage se trouvait cantonné au xve siècle aux ports andalous, à Valence et à la cour, le phénomène a en réalité touché toute l’Espagne, comme en témoigne le fait que, dès 1455, ait été créée une confrérie d’esclaves et d’affranchis noirs affiliée à l’Église San Jaume de Barcelone8.

De la découverte des Indes à la libération des Indiens

Le jour même de son arrivée aux Antilles, le 12 octobre 1492, Colomb écrit dans son journal : « Ce doit être de bons serviteurs. » Deux mois plus tard, il déclare sans ambiguïté : « Ils sont propres à être commandés9. » De retour en Espagne en 1493, il apporte avec lui les premiers spécimens de ces individus à la peau semblable à celles des Canariens, lesquels sont rapidement vendus comme esclaves.

Isabelle la Catholique va rapidement s’émouvoir du sort de ses nouveaux vassaux. La sujétion des corps est en effet manifestement contradictoire avec la libération des âmes de ces mêmes individus, alors que c’est bien celle-ci qui justifie le partage du monde consacré par la bulle papale Inter cœtera du 4 mai 1493.

Après l’échec de la factorerie de Colomb et ses frères, le soulèvement des colons espagnols de Saint-Domingue et l’arrestation de l’amiral, la Couronne va s’attacher à reprendre en main les affaires des Indes et à installer sur place une véritable structure politique et administrative directement contrôlée par l’État. Le projet colonial et, dans le même temps, les modalités en vertu desquelles l’État aspire à prendre en charge les populations indigènes, vont en conséquence être pour la première fois clairement définis et planifiés. Les documents fondamentaux en la matière sont les instructions de 1501 à Nicolas de Ovando, futur premier gouverneur d’Amérique, qui pose les bases du projet colonisateur en termes d’impératif de conversion, de prélèvement d’impôt et de travail obligatoire (mais rétribué) vis-à-vis d’individus libres qui constitueront la nouvelle catégorie administrative des « yndios10 ».

À terme, la structure d’exploitation des indigènes va se concentrer autour du binôme constitué par l’encomienda, la répartition d’indigènes administrés par des particuliers ou par la couronne en échange d’une rétribution versée par les « bénéficiaires11 » et le repartimiento, la répartition du travail indigène organisée par l’État, tous deux mis en place sur Hispaniola par Ovando sur la base de pratiques instituées spontanément par Colomb. Celles-ci vont faire l’objet de multiples abus qui seront dénoncés avec véhémence dès 1511 par le Dominicain Antonio de Montesinos, dont les prêches vigoureux vont réussir à convertir à la cause des Indiens un jeune encomendero, Bartolomé de Las Casas (1474/1484?-1566). Dès lors, la lutte12 allait commencer.

En 1512, les lois de Burgos, aussi connues sous le nom de Ordenanzas para el buen regimiento y trataliento de los Indios, réaffirment la liberté des Indiens mais renforcent la légalité de l’encomienda et du repartimiento. En 1530, en 1532 et à nouveau en 1540, la liberté des sujets indigènes des Indes Occidentales nécessite d’être réaffirmée13. En 1537, la bulle Sublimis Deus proclame que la nature des Indiens est d’être libres. Quoiqu’à n’en pas douter contrarié par cette intromission de Rome dans les affaires de l’Empire, Charles Quint n’en appuiera pas moins Las Casas, à qui sera confiée la rédaction des « Lois Nouvelles » publiées en 1542, qui mettent définitivement un terme14 à la mise en esclavage d’indigènes pacifiques et s’attachent, sans succès, à en faire de même avec l’encomienda15.

Dans le même temps, un débat théorique s’est ouvert en Espagne sous l’égide de théologiens de renom tels que Domingo de Soto (1494-1560) et surtout Francisco de Vitoria (1483/1486?-1546), dominicains comme Las Casas. Dans les leçons intitulées De Indis et De Iure belli Hispanorum in Barbaros qu’il dispense à l’université de Salamanque en 1532, ce dernier discute les droits que peut légitimement invoquer le roi d’Espagne pour revendiquer la possession de l’Amérique. La conclusion consiste à affirmer que les indigènes possédaient des droits naturels et que ce n’est qu’en vertu d’autres droits naturels que l’occupation et la mise en tutelle des terres américaines peuvent se justifier. Finalement, la controverse de Valladolid (1550-1551) va voir la défense de l’esclavage des Indiens, représentée en cette occasion par l’aristotélicien Juan Ginés de Sepúlveda, être définitivement condamnée au profit d’un lascasianisme qui devient dès lors la position officielle et politiquement correcte, en ce qui concerne la pratique discursive tout au moins.

Les limites de la législation émancipatrice

En l’espace d’un demi-siècle, l’appareil colonial espagnol s’est donc largement constitué, défini et regardé lui-même, dans le processus de fabrication de la catégorie d’Indien, à tel point que l’on serait tenté d’affirmer que celle-ci est cosubstantielle de celui-là. L’Indien, cet individu appartenant à une société suffisamment archaïque pour être modelé à l’image de la civilisation hispanique et suffisamment civilisé pour que ce modelage puisse fonctionner, ne saurait être esclave.

D’autres pourront néanmoins l’être à sa place, et en premier lieu l’Africain, réputé trop barbare pour avoir reçu l’humanité en partage, et qui est présent sur le sol américain dès le début de l’expansion espagnole comme serviteur des conquérants16. Au milieu du xvie siècle, à une époque où on s’inquiète pourtant déjà de leur trop grand nombre17, les esclaves noirs semblent pouvoir constituer l’alternative compensatoire à la libération des Indiens : Las Casas ne va-t-il pas lui-même proposer avec insistance l’idée18 ? La seconde moitié du siècle n’est dès lors plus la période des importations ponctuelles mais déjà celle d’un trafic régulier qui va concerner des dizaines de milliers d’individus19.

Mais les Indiens eux-mêmes peuvent être dans certains cas asservis. En effet, quoiqu’en droit universalisable, la catégorie de l’indio comme individu libre pris en charge par le système colonial espagnol ne s’applique pas nécessairement à tous les indigènes des Indes espagnoles. En particulier, ceux d’entre eux qui s’opposent activement à la diffusion du message chrétien ou qui vont même jusqu’à prendre l’initiative des hostilités, ne sauraient être considérés comme des Indiens en acte, puisque le concept d’Indien implique l’acceptation pacifique de la tutelle espagnole, mais plutôt comme des Indiens en puissance qui, en vertu de la théorie de la guerre juste, peuvent être légitimement réduits en esclavage. C’est d’abord le cas au nord du Mexique, en proie aux attaques des Chichimèques20 qui menacent de surcroît les précieux territoires des mines d’argent. Dès les années 1530, le problème est l’objet d’un débat tout à la fois politique et théologique dont les conclusions demeureront incertaines21. Il en ira de même dans cet autre « Finistère de la conquête » qu’est le Chili.

Il est en outre un paramètre de plus qui va permettre à la servitude de se maintenir en dépit du corpus législatif ; les pratiques indigènes préhispaniques, auxquelles le système colonial espagnol se superpose plus qu’il ne se substitue. Il existait en effet des formes traditionnelles d’esclavage dans les sociétés que les Espagnols rencontrent. Dans un premier temps, ceux-ci peuvent obtenir des esclaves par le biais du rescate, c’est-à-dire en en faisant l’acquisition auprès de leurs maîtres indigènes. Plus tard, dans le cadre du respect des traditions autochtones ou plus simplement en vertu de la tendance à la superposition des structures nouvelles sur celles qui leur préexistent, certaines pratiques de caractère esclavagiste sont perpétuées, à l’instar des yanaconas au Pérou, des individus au service exclusif et perpétuel de l’Inca et de l’État, qui deviennent les « auxiliaires » des Espagnols après la conquête22. Dans la même logique, on peut évoquer le servicio personal, c’est-à-dire la structure en vertu de laquelle les encomendados rétribuent leur encomendero non pas en espèce ou en nature, mais en travail, ce qui donne l’occasion à ce dernier de disposer d’esclaves de fait. Quoiqu’interdite à partir de 1536, l’encomienda de servicio va perdurer, souvent avec l’accord des indigènes eux-mêmes, du fait que cette pratique correspondait à des us et coutumes préhispaniques.

Enfin et surtout, il convient de tenir compte de la limite inhérente à ce que peut être un système colonial centralisé aux xvie et xviie siècles. Car si la mondialisation des Ibériques est une réalité spatiale, elle est encore virtuelle en termes de temporalité, surtout dans le cadre d’une structure politico-administrative au sein de laquelle toutes les décisions doivent être issues du centre métropolitain, alors même que les distances-temps rendent souvent les ordres caducs lorsqu’ils parviennent à leur destination ultramarine23.

À Madrid, le Conseil des Indes réceptionne et organise les informations en vue de préparer les décisions du roi. S’il est au xvie siècle administré par des letrados, des lettrés formés rigoureusement au droit civil, au xviie siècle, la vénalité des charges va beaucoup contribuer à dégrader ses qualités de gestion24, à une époque où, en outre, la mention « moi le Roi » apparaissant en bas de la cédule royale est presque systématiquement une fiction. En Amérique, l’espace colonial est dirigé par un vice-roi, un pour la nouvelle-Espagne et un pour le Pérou. À l’échelon inférieur, se trouve un gouverneur, qui exerce un pouvoir exécutif et militaire en collaboration avec une Audiencia (Audience), un tribunal composé d’oidores (auditeurs), qui fait office de gouvernement et que le gouverneur préside, souvent difficilement, car les conflits sont fréquents, en particulier aux Philippines25. Si l’on ajoute à cette configuration les élites locales du conseil municipal de la ville et des provinces administrées, ainsi que les membres des institutions ecclésiastiques, on comprend aisément la complexité des forces qui influent sur le réseau de prise de décisions.

En outre, les lois ne seront compilées qu’en 1680 dans la fameuse Recopilación de Leyes de los Reynos de las Indias. Avant cette date, aussi bien au Conseil des Indes qu’outre-mer, l’exacte mémoire du cours des décisions dépend du sérieux ou de la bonne volonté du fonctionnaire concerné. Enfin, il faut rajouter que les lois à proprement parler étant celles de Castille, celles qui concernent spécifiquement les Indes ne sont en réalité que des décrets ou cédules d’importance diverse et émis en grande quantité26, pérennisés ou non, tandis qu’à des décrets généraux valables pour toutes les colonies peuvent se rajouter des décrets spécifiques en fonction des situations particulières de chaque territoire, lesquelles Madrid n’est pas toujours en mesure de comprendre. Il y a là assurément une source majeure de confusion, voire de quiproquos, volontairement entretenus ou non.

Or, comme nous allons le voir, chacune de ces limites à l’application de la loi d’émancipation pèse particulièrement lourd dans le cas de la colonie des Îles Philippines.

L’esclavage aux Philippines

La question de l’esclavage aux Philippines, tout au moins telle que nous nous attacherons à la présenter dans ce dossier, est relativement neuve. En effet, ce n’est qu’en 1991 que, sur la base d’un article du jésuite philippin José Arcilla27, William Henry Scott28 publie un ouvrage de 78 pages sur le sujet. Très récemment, Tatiana Seijas29 a repris la question dans son étude sur les esclaves asiatiques dans le Mexique colonial. Mais Scott demeure encore la seule et unique référence exclusivement consacrée au sujet.

Comment expliquer cette relative carence de travaux, dans le cadre d’études philippinistes pourtant très abondantes et en présence d’un corpus documentaire tout aussi foisonnant qu’accessible ? À notre sens, il y a à cela trois raisons. La première, c’est l’excessive confiance accordée au dispositif législatif et aux débats religieux de surface, sans forcément en saisir l’ambiguïté, ce qui a amené de nombreux chercheurs30, dont les travaux sont par ailleurs remarquables, à considérer qu’une fois la libération des indigènes proclamée, le problème à considérer était exclusivement les autres formes d’exploitation de la force de travail indigène, à savoir l’encomienda, la vente forcée des produits de la terre (appelée vandala aux Philippines) et le travail obligatoire (le repartimiento, appelé polo aux Philippines). La deuxième, c’est la focalisation historique sur la question des expéditions et du commerce esclavagiste des musulmans du sud de l’archipel, qui a amené beaucoup de chercheurs à appréhender la question de l’esclavage au-delà du cadre colonial légal à travers ce seul prisme31. Enfin, le fait qu’une des raisons de la pérennisation du problème au sein de la colonie espagnole soit les pratiques esclavagistes des indigènes eux-mêmes a sans doute constitué un frein idéologique au développement des travaux philippins sur la question, portés souvent, et de manière tout à fait compréhensible, à développer des réflexions postcoloniales à charge vis-à-vis des anciens maîtres étrangers du pays.

Conséquemment, si on peut et doit souligner que cette thématique est déjà clairement balisée et circonscrite, on ne saurait pour autant considérer les problèmes qu’elle pose comme élucidés ni les documents sur lesquels elle peut s’appuyer travaillés en profondeur, voire même tout simplement sortis de l’ombre.

De l’installation espagnole à la première cédule d’abolition

Autant, si ce n’est plus, que sa localisation géographique, la localisation chronologique des Philippines va profondément conditionner la façon dont l’Espagne va concevoir la colonisation de l’archipel. Entre le moment où l’archipel entre dans l’horizon des possibles hispaniques, lorsque Fernand de Magellan y accoste en 1521, et son occupation effective par Miguel López de Legazpi en 1565, quarante-quatre années s’écoulent, au cours desquelles le continent américain surgit et fait l’objet d’une colonisation qui donne lieu au débat que nous avons décrit plus haut. En 1565, Philippe II, dont l’archipel porte le nom, vient de clore le Concile de Trente que son père avait ouvert. En Europe, et notamment parmi les protestants, l’argument de la destruction des Indes32 commence déjà à être utiliser contre la Monarchie Catholique pour prouver l’hypocrisie de ses prétentions à l’universalité. Or, aux Philippines, la destruction n’a pas encore eu lieu. L’archipel aura donc vocation à constituer une vitrine de la juste et anti-machiavélienne politique de la Couronne.

En outre, la distance et le passage obligé par le Mexique vont contribuer à ce que le voyage jusqu’au bout de l’Empire soit peu attractif pour les laïcs, de sorte que les religieux vont très vite constituer une portion importante de la population européenne33 de l’archipel et, de fait, la seule qui soit véritablement en contact direct et durable avec les populations autochtones puisque la moitié des résidents laïques est établie à Manille tandis que les soldats, qui vont et viennent souvent au gré des urgences militaires, restent cantonnés à leurs garnisons et à leur terrain d’intervention, qui n’est pas d’ordinaire la campagne philippine déjà pacifiée.

Dès le tout début de leur installation aux Philippines, les Espagnols vont spontanément capturer des individus, notamment des marchands malais musulmans rencontrés dans les eaux de Cebu, et revendiquer la légitimité de réduire en esclavage les musulmans asiatiques qu’ils pourraient rencontrer34. De même, ils vont acquérir des esclaves auprès des autochtones. Mais très rapidement, suite à une première plainte envoyée par l’Augustin Diego de Herrera en 157035, la Couronne va demander des précisions quant aux modalités de l’esclavage pratiqué sur l’archipel36. Après qu’Herrera a rédigé une seconde plainte en 157337, Madrid publie le 7 novembre 1574, soit neuf ans à peine après l’installation espagnole, une cédule royale interdisant aux Espagnols de faire ou de posséder des esclaves indigènes38.

Le début de la décennie suivante est marqué par l’arrivée dans l’archipel du premier évêque de Manille, Domingo de Salazar (1581-1594), qui va présider le premier synode de l’évêché en 1582. Se fondant sur les arguments développés par Vitoria, il assujettit sans alternative possible la présence politique de l’Espagne aux Philippines à l’objectif d’évangélisation, in ordine ad finem spiritualem. Ainsi, si bataille il y a eu pour le contrôle des populations autochtones à la fin du xvie siècle, il est indéniable que ce sont les ordres religieux qui l’ont gagnée contre les laïcs. Au xviie siècle, c’est essentiellement sous leur égide que la concentration agraire sous la forme de grandes haciendas va se mettre en place39.

Le problème de l’esclavage indigène

Si l’administration lève tribut, sollicite fréquemment ses nouveaux indios asiatiques par le biais du polo, le travail obligatoire, elle ne se défend pas moins de les léser.

Or, les sociétés qui deviendront philippines sont éminemment esclavagistes, même s’il est évident que la pratique et sa signification sociale doivent être ici entendues dans un sens très différent de celui que la tradition gréco-romaine a établi. Notamment dans les îles Visayas, au centre de l’archipel, les sociétés sont particulièrement atomisées. Le pouvoir y est donc fondamentalement clanique, avec une forte tendance à la verticalité, puisque richesse, honneur et prérogatives politiques s’y confondent en une seule personne : le datu40. Les relations interindividuelles, et en premier lieu celles qui unissent le détenteur de pouvoir envers ses inférieurs sont très largement sous-tendues par la notion de dette, ou utang, qui doit s’entendre tout à la fois au sens matériel et symbolique du terme. Dès lors, l’esclavage pour dette, une pratique par ailleurs très courante en Asie du Sud-Est, y est très répandu41. À ceci s’ajoute le fait que ces sociétés sont souvent amenées à lancer des guerres ou plus simplement des razzias les unes contre les autres. Conséquemment, les esclaves abondent.

Les religieux répugnent logiquement à ces pratiques et entendent bien les réformer. Mais ils ne peuvent non plus exiger qu’on spolie les indigènes sans tomber dans la contradiction. Et si les Espagnols sont censés ne pas pouvoir acquérir des esclaves auprès des Indiens hors de l’objectif de les libérer, on comprendra aisément que la cœxistence de deux pratiques, l’une basée sur la loi péninsulaire, l’autre fondée sur la coutume locale, génère une ambiguïté qui peut aisément se convertir en porosité.

En ce qui concerne la vision que le Conseil des Indes a du problème, si on ne peut pas totalement parler de quiproquo, il est certain que, le plus souvent, la colonie et la métropole n’appréhendent pas la même réalité lorsque la question de l’esclavage est soulevée. Expéditions esclavagistes musulmanes mises à part, les ordres émis par Madrid ne prennent que très rarement en compte le versant indigène du problème. C’est en revanche un aspect fondamental de la question pour les institutions locales, autant religieuses que laïques, même si ces dernières ne semblent pas véritablement désireuses d’éclaircir les vraies données du problème auprès de la métropole.

Le réseau portugais

Les Espagnols n’ont pas à assujettir leurs nouveaux Indiens asiatiques pour posséder des esclaves. Nombreux sont ceux, administrateurs, soldats, mais aussi religieux, qui passent aux Philippines avec leur domesticité servile, généralement d’origine africaine42.

Mais si la société coloniale manillaise du xviie siècle abonde en esclaves, c’est aussi en vertu d’un approvisionnement local auprès des Portugais. Rappelons que ceux-ci sont installés à Goa, en Inde, depuis 1510, à Malacca, sur la Péninsule malaise, depuis 1511, et que Macao, leur enclave en Chine continentale, a été formellement fondée en 1557. En 1580, Philippe II d’Espagne devient Philippe Ier du Portugal de sorte que, en dépit de l’animosité qu’a logiquement provoquée chez les Lusitains l’arrivée des Castillans dans leurs Indes, et bien que l’Estado da Índia continue à être administré de façon indépendante depuis Lisbonne, les deux peuples ibériques se doivent dès lors de collaborer fraternellement.

À la fin du xvie siècle, ce sont essentiellement les Portugais qui approvisionnent l’Amérique espagnole en esclaves africains, dans la mesure où les souverains castillans se refusent à prendre directement part à la traite. Si au Brésil, la législation va devenir progressivement plus restrictive43, en Asie, elle est peu ou prou inexistante. Malgré les limitations officielles importantes que va connaître le commerce entre Manille et Macao à partir de 159344, les naves de la Cidade de Deus, et dans une moindre mesure de Malacca et de Goa, n’en visitent pas moins régulièrement le port espagnol, d’ordinaire sous couvert de correspondance officielle et autres approvisionnements en outillage, systématiquement avec des esclaves à vendre. Ainsi, lorsque les Flamands de la V.O.C., la Compagnie des Indes Orientales néerlandaise, se saisissent du Santa Catalina en 1603 au large de Macao, celui-ci transporte 100 femmes esclaves à destination de Manille45. Ces esclaves entrent fondamentalement dans deux catégories. D’une part, les Asiatiques, à savoir des hommes et des femmes originaires de l’Inde mais aussi des Insulindiens, des individus issus des contrées sud-est asiatiques continentales, des Japonais et beaucoup de Chinois. D’autre part, ceux qu’on appelle les Cafres, théoriquement originaires de la côte est-africaine46. À Manille, en 1585 et 1586, on a bien pris la précaution de demander si ces importations pouvaient être considérées comme légales. La réponse qui est émise en 1594 est affirmative, Madrid se contentant de souligner la nécessité de payer les droits de douanes afférant à ces marchandises47.

Les conséquences de ce trafic vont être majeures.

Aux Philippines, c’est essentiellement à ce réseau que l’on doit la présence des esclaves d’origine africaine à Manille et sans doute au-delà48, en quantité suffisamment importante pour constituer aux yeux des autorités un problème exposé de façon récurrente, notamment en ce qui concerne les individus affranchis49.

De l’autre côté de l’océan, la majorité des esclaves en provenance des Philippines sont issus de ce réseau. Ce sont ceux qu’au xviie siècle on appellera en Nouvelle-Espagne les chinos, souvent originaires de l’Empire du Milieu mais pas exclusivement, puisque celle qui deviendra le symbole national de la femme mexicaine traditionnelle, La China Poblana, est originaire de la côte du Malabar50.

Moros et indios de guerra

On l’aura compris, de l’autre côté de l’océan Pacifique, les Espagnols vont trouver des indigènes qu’ils s’empresseront de changer en Indios. Mais ils vont aussi y retrouver de vieux ennemis, les musulmans, qu’ils s’empresseront, tout Malais qu’ils sont, d’appeler « Moros », puisque, comme l’écrira le capitaine Juan Ronquillo au gouverneur de Manille en 1595, « ce ne sont des Indiens que de nom51. »

Ce sont les castillans qui prennent l’initiative des hostilités, en capturant des marchands musulmans dès 1565 dans les eaux de Cebu, puis en s’emparant en 1571 de Manille, jeune sultanat créé sous l’égide du Brunei, rayant de ce fait de la carte l’emporium le plus septentrional de la route musulmane des épices52. En 1578, le gouverneur Francisco de Sande réagit à un complot ourdi par le sultan de Brunei en lançant une opération punitive au cours de laquelle il rendra aussi une visite assez peu courtoise aux sultanats de Brunei53 et Jolo ainsi qu’aux musulmans de Mindanao. Avec l’union des deux Couronnes, commence en outre le cycle des tentatives de récupération de Ternate, aux Moluques, dont les Portugais ont été expulsés en 1575, ce qui donne lieu à la rédaction par le Licencié Melchor Dávalos d’un texte d’anthologie dans lequel il établit un lien direct entre les musulmans extrême-orientaux et les anciens maîtres de Grenade, en Espagne, et demande l’autorisation de lancer une expédition à son compte à l’occasion de laquelle les Maures pourraient être réduits en esclavage54. En 1595, c’est une véritable conquête, sur un modèle américain qui brille par son anachronisme, qui est lancée contre les musulmans de Mindanao55.

Le xviie siècle sera marqué doublement par les problèmes liés à l’espace musulman. D’une part, c’est la cauchemardesque présence aux Moluques, « reconquises » en 1606, où les Espagnols se maintiennent tant bien que mal jusqu’en 1663 face aux forces de la Compagnie des Indes Orientales néerlandaises et à des populations ternataises acquises à la cause flamande. D’autres part et surtout, ce sont les terribles razzias que les Joloans et Maguindanaos, appelés à l’époque Mindanaos puisqu’ils constituent le principal groupe musulman de l’île, lancent régulièrement contre les îles du centre de l’archipel, capturant des milliers d’indigènes déjà christianisés.

Le conflit avec les pirates (ou corsaires, selon le point de vue adopté) maures constitue un obstacle majeur à la souveraineté espagnole sur l’archipel et une configuration où la notion de guerre juste prend tout son sens. Conséquemment, comme nous le verrons avec plus de précision plus loin, on propose régulièrement à Madrid d’autoriser leur mise en esclavage, de même que celles d’autres indigènes récalcitrants tels que les Zambales et les Negritos du Nord de l’île Luzon56. Mais le Conseil des Indes demeure hésitant en la matière, soit qu’il ne comprenne pas les données du problème, soit qu’il néglige l’urgence d’y répondre. On réduit donc fréquemment des musulmans en esclavage sans savoir réellement si la chose est légale.

Ainsi, le paramètre moro et plus largement des indios de guerra, constitue un nouvel élément contribuant à rendre le problème de l’esclavage aux Philippines difficilement lisible, entre droit idéal, lois effectivement émises et pratiques de fait.

Jacques Nicolas Bellin, Carte Reduite des Isles Philippines, Paris, 1752. Cette carte est inspirée de celle réalisée par Pedro Murillo Velarde à Manille en 1734, disponible à la BNU de Strasbourg dans Francisco Colín, Labor evangelica, ministerios apostolicos de los obreros de la Compañia de Iesus, fundacion y progressos de su provincia en las islas Filipinas…, Segunda Parte, Manille, 1749.

Jacques Nicolas Bellin, Carte Reduite des Isles Philippines, Paris, 1752. Cette carte est inspirée de celle réalisée par Pedro Murillo Velarde à Manille en 1734, disponible à la BNU de Strasbourg dans Francisco Colín, Labor evangelica, ministerios apostolicos de los obreros de la Compañia de Iesus, fundacion y progressos de su provincia en las islas Filipinas…, Segunda Parte, Manille, 1749.

Carte reproduite avec l’aimable autorisation de Barry Lawrence Ruderman Antique Maps.

Notes

1 On pourrait d’ailleurs presque dire que les Philippines vont constituer la seule colonie espagnole impliquant la prise en charge de populations locales dans le Vieux Monde, si l’on considère que les îles Canaries représentent un espace isolé du reste du continent africain qui deviendra d’ailleurs une sorte d’excroissance de l’Amérique espagnole, et que les positions espagnoles au Maghreb, à l’instar de Melilla, sont fondamentalement des présides. Return to text

2 L’Aragon et la Catalogne, tous deux nés de la Marche Hispanique carolingienne, présentent une structure beaucoup plus semblable à la féodalité outre-pyrénéenne. Return to text

3 Pour se convaincre de la surprenante pérennité des Siete Partidas comme corpus référentiel en la matière, on pourra se reporter à l’article de Manuel Lucena Salmoral, « La esclavitud americana y las partidas de Alfonso X », Indagación : Revista de Historia y Arte, n° 1, 1995, p. 33-44, qui montre comment ces lois du xiiie siècle occupent encore une place fondamentale dans les débats du début du xixe siècle, faisant en quelque sorte office de Code noir dans l’Amérique coloniale espagnole. Notons aussi que le Corpus Juris civilis promulgué par l’empereur romain d’Orient Justinien en 529 constitue également une référence fréquemment évoquée par les juristes et théologiens des xvie et xviie siècles. Return to text

4 Las siete partidas del rey D. Alfonso el Sabio, glossadas por el Sr. D. Gregorio Lopez del Consejo Real de las Indias, Valence, Imprenta de Benito Monfort, 1767. Return to text

5 Sur la question de l’esclavage au Moyen Âge, on pourra consulter les travaux d’Alfonso Franco Silva, en particulier dans son article « La esclavitud en Castilla durante la Baja Edad Media : Aproximación metodológica y estado de la cuestión », Historia. Instituciones. Documentos, n° 6, 1979, p. 113-128. Beaucoup plus récemment, Rocio Periañez Gomez a proposé une synthèse des travaux sur l’époque moderne, laquelle récapitule aussi la production concernant la période antérieure. Cf. Rocio Periañez Gomez, « La investigación sobre la esclavitud en España en la Edad Moderna », Norba, Revista de Historia, vol. 21, 2008, p. 275-282. Return to text

6 Sur l’itinéraire historique des morisques, anciens musulmans espagnols convertis de force au christianisme, le travail de Antonio Domínguez Ortiz et Bernard Vincent, Historia de los moriscos : vida y tragedia de una minoría, Madrid, Alianza Editorial, 1985, demeure incontournable. On s’est intéressé plus récemment au sort et à la circulation des esclaves musulmans à proprement parler dans l’Espagne du début de l’époque moderne. Cf. Hernán Taboada, « El Moro en las Indias », Latinoamérica, n° 39, p. 115-132. Il faut cependant souligner que l’administration coloniale prohibe théoriquement le passage aux Indes des moros, même convertis, comme cela est demandé dès les instructions de gouvernement des Rois Catholiques à Nicolas de Ovando du 16 septembre 1501, Archivo General de Indias (AGI), Indiferente General, 418, 1, f° 39-42r°, et rappelé en 1543, dans Recopilación de Leyes de los Reinos de las Indias (RLI), t. II, Madrid, 1791, livre VII, titre V, loi 29, p. 370. Return to text

7 Vicenta Alonso Cortés, « La conquista de las Islas Canarias a través de las ventas de esclavos en Valencia », Anuario de Estudios Atlánticos, n° 1, 1955, p. 479-547 ; Eduardo Aznar Vallejo, La integración de las Islas Canarias en la Corona de Castilla, 1478-1526 : aspectos administrativos, sociales y económicos, Séville, Universidad de Sevilla (« Colección Viera y Clavijo », n° 6), 1983. Pour plus de références, voir Esclavos, Documentos para la Historia de Canarias, VIII, San Cristóbal de la Laguna, Archivo Histórico Provincial de Santa Cruz de Tenerife, 2006. Return to text

8 Iván Armenteros Martínez, « De hermandades y procesiones. La cofradía de esclavos y libertos negros de Sant Jaume de Barcelona y la asimilación de la negritud en la Europa premoderna (siglos xv-xvi) », Clio-Revista de Pesquisa Histórica, n° 29/2, 2012 [revue électronique : http://www.revista.ufpe.br/revistaclio]. Pour la période ultérieure, voir José Luis Cortés López, La esclavitud negra en la Espagña Peninsular, Salamanque, Universidad de Salamanca, 1989. Return to text

9 Nous renverrons ici à l’œuvre fameuse du linguiste Tzvetan Todorov, La conquête de l’Amérique, la question de l’autre, Paris, Le Seuil, 1982, p. 48-68. Pour l’édition espagnole des textes, voir Juan Gil, Cristóbal Colón, textos y documentos completos, Madrid, Alianza Editorial, 1992. Return to text

10 AGI, Indiferente, 418, L. 1, f° 39-42r°. Le 20 juin 1500, Isabelle la Catholique avait déjà demandé à ce que soient libérés les esclaves indiens présents en Andalousie. Cf. Esteban Mira Caballos, « Isabel la Católica y el indio americano », dans Luis Antonio Ribot García, Julio Valdeón Baruque et Elena Maza Zorrilla (coord.), Isabel La Católica y su época : actas del Congreso Internacional, Valladolid-Barcelona-Granada, 15 a 20 de noviembre de 2004, vol. 2, Valladolid, Universidad de Valladolid, 2007, p. 921-933. Return to text

11 Le système a en réalité vu le jour dans l’Espagne péninsulaire. À la suite de la reconquête de territoires populeux, notamment dans la vallée du Guadalquivir, la prise en charge des nouveaux territoires a pu être confiée aux ordres de chevalerie et à leurs commandeurs afin qu’au nom du roi, ils se chargent d’intégrer progressivement les populations musulmanes à l’espace chrétien. Return to text

12 Nous faisons référence ici à l’expression consacrée par Lewis Hanke dans The Spanish struggle for justice in the conquest of America, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1949. Return to text

13 RLI, t. II, livre VI, titre II, loi 1, p. 200. Return to text

14 La liberté des esclaves n’en devra pas moins être réaffirmée en 1545. Cf. Ibid. Return to text

15 La publication des Lois Nouvelles va en effet entraîner une forte opposition des colons, notamment au Pérou où Gonzalo Pizarro et son clan entrent en guerre ouverte contre l’autorité royale. La Couronne va conséquemment renoncer à l’abolition du caractère héréditaire de l’encomienda au bénéfice d’un système d’évaluation de l’encomendero à l’issue de deux générations. Return to text

16 Jean-Pierre Tardieu, « Le soldat noir au Pérou (xvie-xviie siècles) », Mélanges de la Casa de Velázquez, t. 28/2, 1992, p. 87-100. Return to text

17 Dès 1553, le vice-roi de Nouvelle-Espagne, Luis de Velasco, les estime certainement très exagérément à plus de 20 000. Cf. Idem, Le destin des Noirs aux Indes de Castille, xvie –xviiie, Paris, L’Harmattan, 1984, p. 77. Return to text

18 Dès 1516, Las Casas évoque en effet l’importation d’esclaves noirs comme remède aux maux des Indiens. Cf. Carlos Esteban Deive, La esclavitud del negro en Santo Domingo (1492-1844), Santo Domingo, Museo del Hombre Domincano, 1980, p. 31-36. Il s’en repentira cependant plus tard. Return to text

19 D’après les calculs de Philip Curtin, The Atlantic slave trade : a census, Madison-Milwaukee-London, University of Wisconsin Press, 1969, seulement 36 300 individus auraient été importés de 1551 à 1595. Les études postérieures, notamment celle de Paul Lovejoy, « The Volume of the Atlantic Slave Trade : A Synthesis », The Journal of African History, 23/4, oct. 1982, p. 473-501, revoient cependant ces chiffres à la hausse. Dans tous les cas, c’est au siècle suivant que ces chiffres vont exploser. Return to text

20 Le mot chichimèque est un exonyme, d’ordinaire considéré comme d’origine nahuatl, auquel l’étymologie populaire accorde le sens littéral de « lignage de chien ». Il désigne les peuples « barbares » du Nord. Return to text

21 Alberto Carrillo Cázares, El debate sobre la guerra Chichimeca, 1531-1585, Zamora, Colegio de Michoacán, 2000. Return to text

22 Steve Stern, Peru’s indian peoples and the challenge of spanish conquest, Madison, University of Wisconsin Press, 1982, p. 30-55. Return to text

23 Un aller-retour de courrier entre Madrid et Mexico dure en moyenne près d’un an, tandis que pour les Philippines, Pierre Chaunu, Conquête et exploitation des nouveaux mondes, Paris, PUF (« Nouvelle Clio », n° 26 bis), 1969, p. 277, parle de cinq années. Nous ramènerions pour notre part ce dernier chiffre à trois ans. Mais si l’on établit la durée moyenne d’exercice des fonctions de gouverneur de l’archipel asiatique pendant la période 1565-1663, on obtient un chiffre tout juste égal à quatre ans. Conséquemment, cela signifie qu’après un an d’exercice, le gouverneur sait que la réponse à une sienne question ou demande concernera seulement son successeur. Return to text

24 La Cámara de Indias est créée à cet effet dès le 25 août 1600. Cf. Ernst Schäfer, El Consejo Real y Supremo de las Índias, vol. II, Séville, Estudios Hispanoamericanos de Sevilla, 1947, nouvelle éd. Madrid, Marcial Pons Historia, 2003, p. 352. Return to text

25 Sur la fréquence toute particulière des conflits entre gouverneurs et auditeurs aux Philippines, voir E. Schäfer, El Consejo Real…, op. cit., p. 84. Notons qu’à l’issue de son mandat, le gouverneur est soumis à un « jugement de résidence » mené par son successeur sur la base des informations données par les membres de l’Audience. Return to text

26 Un excellent exemple de la confusion qui peut régner tant en métropole que dans l’espace colonial, en même temps qu’une parfaite illustration des conflits évoqués précédemment nous sont fournis par l’exemple du gouverneur des Philippines Juan de Silva (1609-1616) qui va demander à Madrid d’émettre une cédule royale rendant inopérante celle que possède supposément l’Audience et qui autoriserait celle-ci à le démettre de ses fonctions. Le Conseil des Indes répondra en demandant aux auditeurs, au cas où cette cédule existerait vraiment, de ne pas en tenir compte. Cf. AGI, Filipinas, 20, 9, n° 56, cité par E. Schäfer El Consejo Real…, op. cit., p. 151, note 477. Return to text

27 José S. Arcilla, « Slavery, Flogging and Other Moral Cases in 17th Century Philippines », Philippine Studies, vol. 20/3, 1972, p. 399-416. Return to text

28 William Henry Scott, Slavery in the Spanish Philippines, Manille, De La Salle University Press, 1991. Return to text

29 Tatiana Seijas, Asian Slaves in Colonial Mexico, from Chinos to Indians, New-York, Cambridge University Press, 2014. Return to text

30 Citons par exemple le travail classique de John Leddy Phelan, The Hispanization of the Philippines, Madison, The University of Wisconsin Press, 1959. En ce qui concerne l’historiographie espagnole, on peut mentionner ici Patricio Hidalgo Nuchera, La Recta Administración. Primeros tiempos de la Colonización Hispana en Filipinas : La Situación de la Población Nativa, Madrid, Ediciones Polifemo, 2001, et plus directement dans son article « ¿Esclavitud o liberación ? El fracaso de las actitudes esclavistas de los conquistadores de Filipinas », Revista Complutense de Historia de América, n° 20, p. 61-74. Return to text

31 Durant la seconde moitié du xixe siècle, à l’époque même où est lancée la première guerre du Maroc (1859-1860), l’Espagne s’engage dans la conquête définitive des territoires musulmans du sud de l’archipel. Cet intérêt politico-militaire va donner lieu à la publication de multiples ouvrages sur la question, en particulier ceux de Vicente Barrantes, Guerras piráticas de Filipinas contra mindanaos y joloanos, Madrid, Imprenta de Manuel G. Hernandez, 1878, et José Montero y Vidal, Historia de la piratería malayo-mahometana en Mindanao, Jolo y Borneo desde el descubrimiento de dichas islas hasta el año 1888, Madrid, Imprenta M. Tello, 1888. Sous la colonisation américaine, puis après l’accession à l’indépendance, la « question moro » va continuer à susciter de nombreuses publications. Mentionnons ainsi le livre de référence de Cesar Adib Majul, The Muslims in the Philippines, Quezon City, University of the Philippines Press, 1973, nouvelle éd. 1999, et la remarquable étude de James Warren, The Sulu Zone 1768-1898, Quezon City, New Day Publishers, 1985. Il est ainsi très surprenant de constater que face à cette focalisation sur la question musulmane, le problème de la piraterie pratiquée par les indigènes qui deviendront les « lowland Christian Filipinos », selon l’expression consacrée, a presque été totalement passée sous silence. De là, la rare valeur de l’ouvrage de Laura Lee Junker, Raiding, Trading, and Feasting : The Political Economy of Philippine Chiefdoms, Honolulu, University of Hawaii Press, 1999. Return to text

32 Lorsqu’il est présenté personnellement à Charles Quint en 1542, Las Casas remet à l’empereur un exemplaire d’un ouvrage dédié au futur Philippe II et intitulé Très brève relation de la destruction des Indes. Ce livre se diffuse très rapidement, surtout après l’insurrection flamande, puisqu’il est publié en 1578 en néerlandais puis l’année suivante en français. À partir de la publication de l’édition anglaise, en 1583, ce sont généralement les gravures de Théodore de Bry, qui vécut un temps à Strasbourg, qui illustrent l’œuvre. Return to text

33 Ils représentent certainement entre 10 et 15 % de la population européenne au xviie siècle. Ainsi, en 1594, ils sont déjà 267, alors que quelques années plus tard, il est vrai pour s’en plaindre, ce qui laisse présager quelque exagération, le Gouverneur Francisco de Tello affirme au roi qu’il n’y a pas plus de 1 400 Espagnols sur toutes les îles. Return to text

34 AGI, Filipinas, 29, n° 2 et 3, tous deux rédigés en 1565. Return to text

35 AGI, Filipinas, 84, n° 1. Return to text

36 AGI, Filipinas, 6, 2, n° 16. Voir infra document n° 2. Return to text

37 AGI, Filipinas, 84, n° 3. Son coreligionnaire Martín de Rada se plaindra à son tour un an plus tard. Cf. AGI, Filipinas, 84, n° 4. Return to text

38 AGI, Filipinas, 339, 1, f° 57v°-58r°. Voir infra document n° 3. Return to text

39 Nicholas P. Cushner, Landed Estates in the colonial Philippines, New Haven, Yale University Southeast Asia Studies (« Monograph Series », n° 20), 1976. Return to text

40 Le terme datu est en réalité l’équivalent philippin de l’orang kaya malais. Dans les deux cas, le concept recoupe tout à la fois l’idée d’autorité de type quasi nobiliaire et la prospérité matérielle. Significativement, le terme malais kaya signifie en tagalog « être capable de », « avoir les moyens de », au sens de l’anglais afford. Pour plus d’éléments sur ces questions, nous recommandons la lecture de Benedict Anderson, « The idea of Power in Javanese Culture », dans Claire Holt (éd.), Culture and Politics in Indonesia, Londres, Cornell University Press, 1972. Plus spécifiquement sur la configuration philippine, voir William Scott, Barangay, Sixteenth Century Philippine Culture and Society, Manille, Ateneo de Manila University Press, 1994. Return to text

41 Sur le problème de l’esclavage pour dette dans l’antiquité occidentale, on pourra consulter les articles correspondant dans Georges Bischoff et Nicolas Bourguinat (dir.), Dictionnaire historique de la Liberté, Paris, Nouveau Monde éditions, 2015, p. 284-288. Pour des travaux ethnologiques sur le sujet, voir Alain Testart, L’esclave, la dette et le pouvoir : Études de sociologie comparative, Paris, Errance, 2001. Il faut ici recommander l’excellent article d’Anthony Reid, « Slavery and Bondage in Southeast Asian History », dans Id. et Jennifer Brewster (éd.), Slavery, Bondage and Dependency in Southeast Asia, St Lucia, University of Queensland Press, 1983, chap. 10. Return to text

42 Ainsi, pour la seule période 1580-1585, sont autorisés à passer aux Philippines avec leurs esclaves [dans l’ordre chronologique] : le gouverneur Gonzalo Ronquillo, 15 esclaves noirs (AGI, Filipinas, 339, 1, f° 124v°-125r°) ; le capitaine Juan Pacheco de Maldonado, 2 esclaves (Ibid., f° 132r°) ; Alonso Alvarez de Toledo, résident, 4 esclaves (Ibid., f° 164v°-165r°) ; Pedro de Rojas, auditeur, 3 esclaves noirs (Ibid., f° 224r°) ; le capitaine Gabriel de Rivera, 2 esclaves noirs (Ibid., f° 230r°) ; l’auditeur Francisco de Bravo, 3 esclaves noirs (Ibid., f° 240r°) ; l’auditeur Antonio Ribera Maldonado, 3 esclaves noirs (Ibid., f° 323r°). En outre, selon W. H. Scott, Slavery…, op. cit., p. 7, l’évêque Domingo de Salazar lui-même demandera le droit de pouvoir faire passer aux Philippines trois esclaves noirs. Return to text

43 À partir des années 1580, on constate en effet une inflexion de la législation dans le sens d’un rapprochement avec le dispositif en vigueur dans les Indes espagnoles. Cependant, les impératifs économiques seront ici plus forts que les pressions abolitionnistes et la loi de libération universelle des indigènes de 1609, fruit de la campagne d’opinion menée par les jésuites à la cour, sera finalement abrogée. Pour plus d’informations sur l’esclavage au Brésil, on se reportera à l’excellent ouvrage de Carlos Alberto de Moura Ribeiro Zeron, Ligne de foi : La Compagnie de Jésus et l’esclavage dans le processus de formation de la société coloniale en Amérique portugaise (xvie-xviie siècles), Paris, Honoré Champion, 2009, et de façon beaucoup plus synthétique dans G. Bischoff et N. Bourguinat (dir.), Dictionnaire historique…, op. cit., p. 276-277. Il est par ailleurs intéressant de noter que, avec une certaine condescendance, les lois des Indes demandent que les indiens brésiliens qui se trouveraient en territoire espagnol soient libérés. Cf. RLI, t. II, livre VI, titre II, lois 3-4. Return to text

44 Le 11 janvier 1593, le commerce du galion de Manille est en effet strictement limité par une série de cédules : prohibition du trafic privé entre les Philippines et la Nouvelle-Espagne, de tout trafic entre les Philippines et le Pérou ou Panama, entre les Philippines et la Chine, entre les Indes occidentales et la Chine, entre Manille et Macao. Enfin, le cargo du galion est limité à une valeur de 250 000 pesos vers Acapulco (pour une valeur à la vente ne dépassant pas 500 000 pesos) et 500 000 pesos vers Manille. Cf. AGI, Filipinas, 339, 2, f° 69r°-71v°. Return to text

45 Peter Borschberg, « The Seizure of the Santa Catarina Revisited : The Portuguese Empire in Asia, VOC Politics and the Origins of the Dutch-Johor Alliance (c. 1602-1616) », Journal of Southeast Asian Studies, n° 33/1, 2002, p. 31-62. Return to text

46 Sur l’esclavage des populations originaires d’Afrique de l’Est en Asie, on peut consulter les articles correspondant dans Shihan de Silva Jayasuriya et Jean-Pierre Angenot (dir.), Uncovering the History of Africans in Asia, Leyde, Brill, 2008. Le toponyme « Cafrerie » va désigner la région comprise entre le Mozambique et le Cap. Bien sûr, il ne fait pas de doute que la plupart des individus désignés comme cafres, de l’arabe kafir, « infidèle », proviennent de ces contrées. Cependant, l’évocation de cafres en guerre avec le roi de Pedir, à Sumatra, par Tomé Pires au début du xvie siècle permet d’émettre l’hypothèse que le terme a pu faire référence à des individus non nécessairement africains mais perçus comme kafir par des voisins musulmans. Cf. Armando Cortesão (éd.) The Suma Oriental of Tomé Pires and the book of Francisco Rodrigues, vol. I, Londres, Hakluyt Society, 1944, p. 142. Mais il reste encore à répertorier patiemment les occurrences et à déterminer si d’autres paramètres que la provenance géographique et la religion, tels que la couleur de peau par exemple, ont pu déterminer l’emploi de ce terme dans une acception exonymique. Return to text

47 Pour les demandes, cf. AGI, Filipinas, 18 A, 3, n° 13 et 4, n° 24 ; pour les réponses, cf. AGI, Contaduría, 1202, f° 169v° ; ces éléments ont été cités par Juan Gil, Los Chinos en Manila, Siglos xvi y xvii, Lisbonne, Centro Científico e Cultural de Macau, I. P., 2011, p. 389. Notons en outre que Madrid va même parfois prendre l’initiative de ce trafic comme le montre la cédule du 12 juin 1599, dans laquelle il est demandé au vice-roi des Indes d’envoyer 20 ou 30 esclaves aux Philippines pour calfeutrer les navires. Cf. AGI, Indiferente, 745, n° 288. Return to text

48 Encore aujourd’hui, le panthéon populaire philippin compte en effet en son sein la figure du kapre, une créature solitaire, barbue et à la peau obscure, qui loge dans les arbres et passe le plus clair de son temps à fumer. Si l’on ajoute sa tendance à s’amourracher des femmes du voisinage, on peut clairement voir dans cette figure le souvenir de ces « vicieux » esclaves noirs affranchis déconnectés de tout ancrage communautaire dont les colonies espagnoles vont tant abonder. Return to text

49 Voir infra document 12 et document 14. Return to text

50 Ronald Morgan, « “Very Good Blood” : Reconstructing the Asian ldentity of Catalina de San Juan », Spanish American Saints and the Rhetoric of Identity, Tucson, University of Arizona Press, 2002, p. 119-142 ; T. Seijas, Asian Slaves…, op. cit., p. 8-31. Return to text

51 AGI, Filipinas, 18b, 7, n° 60. Cf. Jean-Noël Sánchez, « De la Méditerranée à la mer de Sulu via les Caraïbes : le Moro malais. Chronique d’un double quiproquo », ReCHERches. Culture et Histoire dans l’Espace Roman, n° 2, 2009, p. 229-246, et « “Des indiens que de nom” : Réflexions sur la perception de l’identité musulmane et la catégorisation ethnique au sud des Philippines xvie-xviie siècles », Raison Présente, n° 174, 2e trim. 2010 (« Racisme, race et sciences sociale »), p. 101-112. Return to text

52 À la différence des Portugais à Malaca, les Espagnols ne se superposent pas au sultanat existant pour tirer profit du commerce qui s’y développe mais refondent ab nihilo la cité pour en faire la capitale d’une colonie de type américain. Pour plus d’informations sur la configuration portugaise, voir les articles de Luis Filipe Thomaz, notamment « Maluco e Malaca », « Les Portugais dans les Mers de l’Archipel au xvie siècle », et « Melaka et ses communautés marchandes au tournant du xvie siècle », repris dans Id., De Ceuta a Timor, Lisbonne, Difel, 1994. Return to text

53 À Brunei, Sande va jusqu’à prendre les portes de la mosquée. Cf. AGI, Patronato, 24, n° 41. Return to text

54 Lewis Hanke a publié deux lettres de Davalos datées de 1585. Cf. Lewis Hanke, Cuerpo de documentos del siglo xvi sobre los derechos de España en las Indias y las Filipinas, Mexico, Fondo de Cultura económica, 1943. Mais à notre sens, le plus suggestif des écrits de ce curieux personnage est la lettre du 3 juillet 1584, AGI, Filipinas, 18a, 2, n° 9. Return to text

55 De fait, on peut considérer que les deux dernières opérations de conquista de type américain sont celles qui sont lancées vers Mindanao et le Cambodge durant les cinq dernières années du xvie siècle. Return to text

56 Du fait que les indigènes du nord de Luzon appelés Zambales attaquent fréquemment les autres indigènes et même les missions, on va considérer qu’ils peuvent être réduits en esclavage. Les Negritos ou Aetas sont quant à eux les descendants des premiers habitants de l’archipel, avant que n’arrivent les ethnies asiatiques. D’origine dravidienne, de petite taille et d’apparence négroïde, le gouverneur Sande les comparera aux Chichimèques dans une lettre de 1576. Cf. AGI, Filipinas 6, 3, n° 25. Return to text

Illustrations

  • Jacques Nicolas Bellin, Carte Reduite des Isles Philippines, Paris, 1752. Cette carte est inspirée de celle réalisée par Pedro Murillo Velarde à Manille en 1734, disponible à la BNU de Strasbourg dans Francisco Colín, Labor evangelica, ministerios apostolicos de los obreros de la Compañia de Iesus, fundacion y progressos de su provincia en las islas Filipinas…, Segunda Parte, Manille, 1749.

    Carte reproduite avec l’aimable autorisation de Barry Lawrence Ruderman Antique Maps.

References

Bibliographical reference

Jean-Noël Sánchez, « De l’esclavage aux Philippines, xvie-xviie siècles », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 7 | 2015, 99-115.

Electronic reference

Jean-Noël Sánchez, « De l’esclavage aux Philippines, xvie-xviie siècles », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [Online], 7 | 2015, Online since 06 juillet 2023, connection on 09 décembre 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=328

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Jean-Noël Sánchez

Jean-Noël Sánchez est maître de conférences en études ibériques à l’université de Strasbourg.

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