L’axe « Autorité Contrainte Liberté » est central dans une équipe de recherche vouée à l’« Histoire et civilisation de l’Europe1 ». L’équipe ARCHE n’est pas seule à travailler sur l’identité européenne, et ses moyens humains et matériels sont bien modestes pour tout envisager de l’histoire de l’Europe et des questions d’autorité et de liberté. Mais l’axe a porté une action structurante pour lui-même et finalement pour toute l’équipe : le Dictionnaire historique de la liberté (2015). Les collègues qui se rattachent à cet axe ont produit quantité de livres et d’articles. Collectivement, en plus des séminaires, journées d’études et colloques organisés par l’un ou l’autre des membres ou par plusieurs d’entre eux, un séminaire commun a été conçu pour permettre au plus grand nombre d’y contribuer. Le thème « Trop, c’est trop ! », repris dans le présent numéro de Source(s) a été développé dans cet esprit en 2015 et 2016.
Réalisations de l’axe « Autorité Contrainte Liberté » et collaborations avec les autres axes
Parmi nos projets annoncés en 2011, il y a eu des réalisations, des abandons et des poursuites. L’équipe ARCHE avait présenté plus de soixante projets, qui pouvaient être inscrits dans l’un des trois axes ou être transversaux. Ainsi, le Dictionnaire historique des institutions d’Alsace porté notamment par François Igersheim et Claude Muller avance comme il se doit, lettre après lettre. Le projet « La taille et ses équivalents », dirigé par Antoine Follain et Gilbert Larguier, membre associé de notre équipe, progresse de même, publication après publication. Il traite précisément de ce qui était perçu à la fin du Moyen Âge et aux Temps Modernes comme une liberté indispensable : celle d’organiser soi-même la répartition de l’impôt décrété par l’autorité publique2. L’histoire de l’art et la propagande occupent Frank Muller3. Séverine Marin et Alexandre Sumpf ont organisé trois journées d’études sur « Propagande, prosélytisme, vulgarisation ». Le projet « Graphismes en guerre. Les arts graphiques et la propagande pendant la Première Guerre mondiale (1912-1924) » porté par Olivier Deloignon a donné lieu à l’exposition La Poudre, l’encre et le plomb. Illustration et contre-illustration durant le premier conflit mondial à la Médiathèque André Malraux de Strasbourg (2014-2015). « Prise en charge des populations civiles dans les villes de France et d’Allemagne durant la Grande guerre », sous l’égide de Catherine Maurer, est toujours d’actualité4. L’« Inventaire des pèlerinages en Alsace » porté par Élisabeth Clementz est articulé avec des opérations nationales avec le GDR 2513 du CNRS, SALVE (Sources, acteurs et lieux de la vie religieuse de l’époque médiévale) où s’élabore depuis 2002 un inventaire des sanctuaires et lieux de pèlerinage chrétiens en France, puis avec le Centre d’anthropologie religieuse européenne5. Le projet « Archives judiciaires et recherches historiques » porté par Antoine Follain a donné le livre Sorcellerie savante et mentalités populaires paru en 2013 ; puis le séminaire « Brutes impulsives ou paisibles bonshommes ? » a conduit à la publication de Brutes ou braves gens ? (2015)6. Une recherche non prévue, issue de la découverte d’un procès criminel égaré dans les archives lorraines des Eaux et Forêts, a donné deux résultats : l’étude de cas Blaison Barisel (2014) et l’étude générale Contrôler et punir : les agents du Pouvoir (2015)7. Fin 2017 est paru Le crime d’Anthoine et c’est seulement début 2018 que les Presses universitaires de Strasbourg éditeront La sorcelllerie et la ville avec des articles en français et en anglais8. Une collaboration a été lancée avec Jérôme Viret de l’université de Lorraine, sur les lettres de rémission des ducs de Lorraine et de Bar. On comprendra que nous ne puissions pas tout mentionner.
Certains membres de l’équipe ARCHE et de l’axe Autorité n’étaient porteurs d’aucun projet labellisé parce qu’ils avaient envisagé de travailler autrement ou pour la raison simple qu’ils n’étaient pas encore arrivés en 2011, comme Marc Schurr (2012) Audrey Kichelewski (2012) et Anne-Valérie Solignat (2013). Certains projets déjà achevés ou qui se poursuivent encore n’étaient pas dans la programmation 2011 car ils n’avaient pas encore été envisagés. Quand on ne s’enferme pas dans le carcan et les lenteurs des réponses aux appels à projets, la recherche reste en effet un processus dynamique qui profite d’inspirations venues de l’extérieur, invente de nouveaux sujets et exploite les découvertes faites dans les archives.
Le séminaire commun de l’axe « Autorité Contrainte Liberté »
Chacun des axes de l’équipe ARCHE a été sollicité pour organiser un séminaire qui représente sa thématique propre et qui soit susceptible de faire contribuer les membres de l’équipe.
Dans l’axe « Autorité Contrainte Liberté », plusieurs modèles ont été expérimentés sous la responsabilité d’Antoine Follain pour aboutir au mode actuel de fonctionnement. Dans un premier temps, le séminaire propre au projet judiciaire « Bandes, bandits, voleurs et vagabonds du xvie au xviiie siècle » (2012-2013) a été élargi en devenant « La société et ses indésirables, du xve au xixe siècle » (2013-2015). Il a ainsi pu inclure une contribution dix-neuvièmiste de Nicolas Bourguinat et deux contributions médiévales issues du projet propre à Élisabeth Clémentz « Lépreux et léproseries : entre maladie et exclusion » – dont les publications ont été faites ailleurs9. À partir de cette expérience, l’option préférée pour l’axe « Autorité Contrainte Liberté » a été d’opter pour un thème assez large dans lequel tout collègue membre de l’équipe ARCHE puisse se retrouver et communiquer. Ainsi a été conçu le séminaire « Trop, c’est trop ! », commencé à la fin de l’année universitaire 2013-2014 et poursuivi jusqu’au début de 2016-2017. Pour « Trop, c’est trop ! », certains des membres de l’équipe ARCHE – notamment ceux dont la thématique leur est plutôt spécifique – se sont efforcés de trouver dans leur champ de recherche le sujet qui leur permettait de se raccrocher, à l’exemple d’Audrey Kichelewski et d’André Gounot. Cependant l’axe « Autorité Liberté Contrainte » n’est pas lui-même autoritaire et toute liberté est laissée aux membres de contribuer ou pas, pour cette fois ou pour une autre. La réussite du séminaire et la richesse des contributions qui s’y sont tenues – on en jugera sur pièce au travers du présent numéro de Source(s) – sont en tout état de cause la meilleure des invitations à prolonger cette formule de travail10.
« Autre Histoire, histoires autres ? »
C’est donc dans le même esprit que celui du séminaire « Trop, c’est trop ! » qu’est née la nouvelle proposition de séminaire d’axe. Comme précédemment, il s’agit de renoncer à un sujet qui s’imposerait aux autres au profit d’un thème qui permette au plus grand nombre de collègues de contribuer avec leurs propres thématiques de recherche. De plus, le projet a été pensé pour dépasser les limites de l’axe « Autorité Contrainte Liberté » et intéresser tous les membres de l’équipe ARCHE.
Le nouveau séminaire d’axe porte sur l’Histoire, en Europe, et sur les historiens et leur liberté de penser et de produire. Cette liberté est toute relative, tant nos prédécesseurs et nous-mêmes avons été et sommes influencés sous la contrainte de notre propre époque. Dans certains contextes, c’est même une autorité qui a pu imposer les sujets à étudier, la manière de les traiter, les thèmes ou les angles sur lesquels il fallait se taire. Si aujourd’hui nous jouissons de plus de libertés – ou si nous avons cette impression – il n’empêche que nous relevons toujours d’une certaine historiographie. Nous sommes toujours, même inconsciemment, sous des influences, entre autres nationales, qui nous empêchent de voir, de ressentir, de comprendre, d’analyser et d’écrire tous exactement la même chose.
Ce projet structurant est fondé sur notre dimension européenne – dont nous avons bien convenu en conseil d’équipe qu’il fallait la renforcer – et nous l’avons nommé pour commencer « Autre Histoire, histoires autres ? ». Son objectif est d’organiser des dialogues et confrontations entre nous et d’autres, entre des chercheurs français et, si possible, des étrangers, ou pour les moins entre Français experts de différents espaces, ceci autour d’une thématique supposant différentes manières de faire l’Histoire (un thème large, un thème précis, un évènement, des méthodes…). La dimension européenne sera forcément inégale : l’accentuation franco-allemande va de soi du fait de nos réseaux et de la proximité du Rhin, mais l’approche pourrait aussi bien impliquer d’autres voisins (Belges, Suisses…) ou des contributeurs plus éloignés (Espagnols, Italiens, Anglais…), tant que l’on reste dans les « Arts, civilisation et histoire de l’Europe ». Plus l’historiographie est pesante sur un thème, mieux c’est. Pour donner un exemple du potentiel d’une telle approche, même quand il ne semble pas y avoir d’enjeux politiques parasites, Antoine Follain, en tant que membre du bureau de l’association d’Histoire des sociétés rurales avait pu observer la confrontation de spécialistes des Sociétés rurales en Allemagne et en France (2000)11. Lors de ce dialogue franco-allemand, il était apparu que cette grande thématique, neutre pour les Français, était beaucoup plus sensible pour les Allemands à cause d’une survalorisation de l’histoire paysanne par les nazis. L’histoire rurale a reculé de ce fait en Allemagne dans les années 1950 et 1960, alors même que les Français labouraient avec enthousiasme l’histoire des campagnes par le biais de grandes thèses d’histoire totale. Or, à ce jour, les historiens français et allemands ne se sont toujours pas rejoints sur la manière de concevoir et faire de l’histoire rurale…
Le nouveau séminaire s’est ouvert en 2017. Une séance confrontant quatre spécialistes de l’archéologie du bâti a été organisée par Marc Schurr12 ; une autre l’a été par Audrey Kichelewski13. Elle a réuni Judith Lyon-Caen (GRIHL-EHESS) sur « L’historiographie expérientielle d’un intellectuel survivant de la Shoah : Michel Borwicz [historien] entre Pologne et France, 1943-1953 », Valentin Behr (université de Strasbourg, laboratoire SAGE) sur « Entre science et politique. Les historiens et l’écriture de l’histoire du nazisme et du communisme en Pologne après 1989 » à propos des contraintes politiques qui pèsent sur les historiens polonais depuis la Troisième République, et Audrey Kichelewski sur l’historiographie de la Seconde Guerre mondiale en Pologne, comparée à celle de la France : « Écrire l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en Pologne communiste ».