Rencontre de jeunes au Bundestag à l’occasion des actes de commémoration du 74e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz. Berlin, 28-31 janvier 2019 (compte-rendu)

p. 201-203

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N’oubliez pas que cela fut,
Non, ne l’oubliez pas ;
Gravez ces mots dans votre cœur.
Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant ;
Répétez-les à vos enfants.

Ces quelques vers tirés du poème introduisant le témoignage de Primo Levi1, rescapé d’Auschwitz-Monowitz où il fut déporté en 1944, expriment la difficulté de faire partager une histoire aussi douloureuse que celle des déportations sous le IIIe Reich dans une société au quotidien tellement éloigné de ce vécu. En Allemagne, la mémoire des crimes du national-socialisme constitue un enjeu politique particulièrement important. Chaque année, le Bundestag, dans le cadre de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste, organise une commémoration officielle dans la salle plénière du parlement allemand et invite plusieurs dizaines de jeunes ayant entre 17 et 35 ans à réfléchir sur les événements de cette époque et à rechercher les moyens de lutter contre l’antisémitisme contemporain. Ainsi, du 28 au 31 janvier 2019, 78 jeunes issus de sept pays (Allemagne, Autriche, France, République Tchèque, Russie, Pologne et Israël) se sont rassemblés à Berlin. Ma candidature ayant été appuyée par le Centre mondial de la Paix, j’ai eu l’opportunité de participer à quatre jours de visites, de conférences, de travaux de réflexion et de dialogues avec des témoins.

Cette année, la question des enfants cachés a été choisie comme fil conducteur de la rencontre et a également permis d’aborder une multitude de thèmes reliés. Ainsi, lors de la visite de l’Anne Frank Zentrum au centre de Berlin, nous nous sommes interrogés sur les moyens de lutter contre l’antisémitisme au quotidien. À la Gedenkstätte Deutscher Widerstand, nous avons trouvé des exemples concrets de résistance civique à travers l’exposition Stille Helden (Héros silencieux). À la suite de la conférence intitulée « Les enfants juifs en Allemagne » présentée par l’historienne Beate Kosmala, nous avons réfléchi en groupes de travail à la meilleure façon d’intégrer dans notre société le souvenir de l’histoire terrible qui fut celle d’individus et de groupes persécutés parce que Juifs, homosexuels, Roms, communistes, réfractaires ou encore francs-maçons.

L’un des éléments clés de ces quatre jours de rencontre étaient les témoignages apportés par d’anciens enfants cachés pour échapper aux persécutions. Hélène Waysbord, actuellement présidente du Mémorial de la Maison d’Izieu, était l’un de ceux-là. Née en 1936 de parents émigrés polonais, elle a grandi à Paris et s’est trouvée dès son plus jeune âge sous le coup des lois anti-juives. Ses parents, qui avaient senti le climat d’insécurité grimper depuis la loi du 3 octobre 1940 « portant statut des Juifs », cherchèrent à fuir les rafles devenues systématiques en 1942 et quittèrent Paris pour emménager au cœur d’un petit village en Mayenne où ils se lièrent d’amitié avec Marcel Médée et sa femme Marie. Fin 1942, Hélène se retrouva brusquement orpheline après la déportation de ses parents et n’aurait sans doute pas pu survivre sans l’aide active de Marcel et Marie Médée qui l’ont hébergée jusqu’à la fin de la guerre et qu’elle a, en remerciement, fait reconnaître au titre de Justes parmi les Nations. Entendre des exemples concrets de courage civil historiquement fiables est un aspect important de ces rencontres qui vont dans le sens de l’adage Historia magistra vitae.

Le second élément marquant de ces journées fut la cérémonie de commémoration du 74e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz le 31 janvier 2019 dans la salle plénière du Bundestag. Elle a rassemblé la grande majorité des élus et a accueilli le vibrant témoignage du grand historien Saul Friedländer. L’auteur de L’antisémitisme nazi : histoire d’une psychose collective2 .a échappé à la persécution nazie grâce à l’humanité de l’administration d’un pensionnat catholique qui l’a caché en son sein jusqu’en 1945. C’est à la fois la bonté de personnes qui ont pris des risques non négligeables pour le soustraire au danger de la déportation et la dureté d’un quotidien où il devait taire sa véritable identité à ses camarades sous peine de dénonciation qu’il présenta aux élus du Bundestag, insistant sur l’ambivalence d’une société pourtant éduquée où le meilleur côtoie le pire. Son récit fut cependant conclu sur une note joyeuse, l’historien et témoin s’émerveillant des initiatives prises par le gouvernement allemand pour ancrer le souvenir dans son identité avec comme maxime affirmée : « Plus jamais ça ! ».

Après cette cérémonie, nous avons eu le privilège d’un débat d’une heure et demi avec Saul Friedländer et Wolfgang Schäuble, président du Bundestag. Si les thèmes portant sur la politique actuelle de l’Allemagne ont été soigneusement évités par les organisateurs, cet entretien a toutefois été l’occasion pour nous de questionner le rapport du gouvernement allemand au passé lourd qui pèse sur le pays. Ayant changé à trois reprises de prénom, Saul Friedländer s’est exprimé sur l’importance d’avoir une identité claire et reconnue par les autorités et par les autres, élément essentiel lorsque l’on sait que les déportés n’étaient, dès leur arrivée, plus qu’un numéro. Wolfgang Schäuble, quant à lui, a défendu un discours axé sur le futur puisque la majorité du Bundestag se préoccupe de la montée de l’antisémitisme en Europe et des remises en cause de l’existence des camps d’extermination. Ainsi, cette rencontre de jeunes s’inscrit dans une entreprise beaucoup plus large et globale qui est de sensibiliser inlassablement la jeunesse à ce qui fut et n’aurait jamais dû être. Cet échange fut aussi l’occasion pour moi de présenter le projet strasbourgeois porté par Thierry Roos d’un monument représentant la synagogue du Quai Kléber brûlée en 1940 et dynamitée un an plus tard, dans le but de commémorer les victimes strasbourgeoises du nazisme.

En l’espace de quatre jours, c’est un véritable héritage mémoriel que nous avons reçu, avec un appel des témoins et des organisateurs à chercher la vérité et à combattre le fanatisme, quel qu’il soit. Car, comme l’affirma Sarah J. Bloomfield lors de l’inauguration de l’exposition « Some Were Neighbours » (Certains étaient des voisins), prêtée au Bundestag par le United States Holocaust Memorial Museum et présentant les réactions diverses du voisinage à la persécution d’habitants du même quartier ou du même village, ce n’est pas seulement l’histoire d’une période et de contextes particuliers qu’il s’agit de raconter. Il ne faut pas se contenter de transmettre l’histoire du nazisme, du fascisme ou de tout autre régime politique raciste ou ségrégationniste. Car ce qui est véritablement en jeu, c’est la nature de l’homme, et il convient de se rappeler à chaque instant que ce furent des hommes qui ont souffert des persécutions mais aussi que ce furent des hommes qui en ont été les instigateurs.

C’est entre autres dans ce sens que la mémoire de la Shoah est un sujet central d’une mémoire universelle. Il est clair que si la rencontre au Bundestag se préoccupait essentiellement de ce qui est advenu, c’est avant tout pour fournir, grâce à des éléments historiques vérifiés, une mise en garde contre les conséquences d’une politique discriminatoire et ségrégationniste qui attire aujourd’hui de plus en plus de citoyens. Il est à souhaiter que ce type d’initiatives se développe massivement dans tous les pays du monde.

1 Primo Levi, Si c’est un homme, Turin, Editions Julliard, 1987, p. 9

2 Saul Friedländer, L’antisémitisme nazi : histoire d’une psychose collective, Paris, Éd. du Seuil, 1971.

Notes

1 Primo Levi, Si c’est un homme, Turin, Editions Julliard, 1987, p. 9

2 Saul Friedländer, L’antisémitisme nazi : histoire d’une psychose collective, Paris, Éd. du Seuil, 1971.

Citer cet article

Référence papier

Nathalie Heller, « Rencontre de jeunes au Bundestag à l’occasion des actes de commémoration du 74e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz. Berlin, 28-31 janvier 2019 (compte-rendu) », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 13 | 2018, 201-203.

Référence électronique

Nathalie Heller, « Rencontre de jeunes au Bundestag à l’occasion des actes de commémoration du 74e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz. Berlin, 28-31 janvier 2019 (compte-rendu) », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [En ligne], 13 | 2018, mis en ligne le 25 septembre 2023, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=207

Auteur

Nathalie Heller

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