Le 20 janvier 2005, le groupe de hardcore The Dillinger Escape Plan est invité à se produire dans le hall du Virgin Megastore de Times Square, à New York. Quelques planches sont installées entre les rayons et le public est amassé entre deux escalators. Rien de bien glamour, ni de quoi imaginer que les personnes présentes ce jour-là sont sur le point d’assister à un concert d’anthologie. En guise d’introduction, quelques notes dissonantes suffisent, puis vient la déflagration d’un morceau intitulé « Sugar Coated Sour » (1999). Greg Puciato, le chanteur du groupe, s’élance alors depuis le fond de la scène, micro en main, court agressivement sur le public avant de s’affaler sur les spectateur·ices et de hurler les paroles. Repoussé sur scène, il gagne une seconde fois la fosse sans perdre en impétuosité et livre ainsi une performance ancrée dans les esprits comme l’une des plus spectaculaires de l’histoire du groupe.
Si cet événement est devenu culte dans l’histoire du hardcore, il est bien loin d’être un cas isolé. Les archives de ce genre musical dérivé du punk cumulent une quantité innombrable de faits similaires qui, dans l’imaginaire collectif, le renvoient à une connotation foncièrement violente, viriliste, voire même sexiste. La présence de femmes dans le public, ou sur scène, a longtemps été omise dans le hardcore. Et bien qu’une amélioration soit constatée, la majeure partie du public est encore masculine. Les hommes monopolisent l’espace, surtout à l’avant de la fosse, et rendent l’intégration des femmes ou des minorités de genre particulièrement difficile. Ces dernières ont effectivement constitué la part manquante du hardcore pour la majeure partie de son histoire, exclues par des mécanismes de domination spatiale et artistique bien enracinés. Cet article s’attachera à mettre en lumière ces mécanismes et à montrer comment les femmes et minorités de genre tentent malgré tout de se faire une place dans le hardcore, sur scène comme dans le public.
Pratiques spectatorielles dans le hardcore : ou comment les hommes ont le monopole de l’espace
Comme dans n’importe quel concert, une distinction peut être effectuée entre les spectateur·ices adoptant une posture passive et/ou active. D’un côté, l’auditoire passif profite du concert dans une relative tranquillité, de l’autre, certain·es choisissent d’adopter une posture beaucoup plus engagée à l’égard des artistes sur scène, en reprenant les paroles par exemple, ou à l’égard des autres spectateur·ices en bougeant en rythme. Cette distinction est également observable sur le plan spatial. Le public actif se retrouve généralement dans les premiers rangs d’une fosse, quand la majorité du public passif se positionne plutôt vers l’arrière afin de profiter du concert sans risquer d’être dérangé. Dans les concerts de musiques actuelles, il est coutume de voir apparaître quelques mouvements de foule hérités des pratiques du public de concerts de punk. Le pogo, ou mosh pit1 dans sa traduction anglaise, est devenu chose commune dans les concerts de rock, de metal, voire même de musiques électroniques et de rap. On chahute et l’on profite de la compacité de la foule pour se bousculer et rebondir sur les autres sans risquer de tomber ni de se heurter aux murs. La sécurité de chacun·e est d’ailleurs une variable constitutive de la très grande majorité des mosh pits observables en concerts. Comme le souligne Randall Collins dans son ouvrage intitulé Violence : A Micro-sociological Theory, ces espaces répondent à un ensemble « d’accords tacites : ne pas se heurter trop fort, pas de coups de poings ni de coups de pied et rattraper les gens lorsqu’ils tombent à terre2 ». Il suffit de l’impulsion de deux ou trois personnes se percutant en rythme pour générer un mosh pit. Celles ne souhaitant pas prendre part au mouvement finissent par s’écarter pour laisser les « moshers » s’amuser au centre d’un cercle et forment ainsi une sorte de barrière, en prenant soin de rediriger les électrons libres vers l’intérieur des pits (Fig.1). Suivant la capacité d’accueil des salles, il n’est pas rare de voir plusieurs mosh pits pousser dans une seule et même fosse.
Ces pratiques ne sont pas étrangères au hardcore, bien au contraire. En tant qu’enfant turbulent du punk, le genre a parfaitement intégré les mosh pits au sein de ses concerts. Or, depuis ses balbutiements, le public des concerts de hardcore a montré un degré de violence plus intense que n’importe quel autre auditoire. Il ne s’agit plus seulement de quelques bousculades ludiques, mais de sauts depuis la scène dans le public, de coups réels portés aux personnes autour de soi et, pour certain·es, l’adoption d’une posture réellement agressive (Fig. 2). Steven Blush, auteur et journaliste spécialiste de l’histoire du hardcore américain, rapporte « des os cassés, des crânes brisés et des entailles ensanglantées, dues à des chutes sur le sol ou une rencontre malheureuse avec un hooligan violent à la recherche d’ennuis3 ». Depuis les années 1980 et les débuts du genre, la violence exercée dans le public revêt un caractère performanciel et devient l’opportunité pour certaines personnes, très majoritairement voire exclusivement des hommes, d’occuper le centre de l’attention. Elle est, pour certains, un moyen d’asseoir sa virilité. Frapper le plus fort dans le pit, habiter et conquérir l’espace vide grâce à ses gestes violents, revient in fine à la quête de validation qu’exprime Pierre Bourdieu dans La Domination masculine : « la virilité doit être validée par les autres hommes, dans sa vérité de violence actuelle ou potentielle, et certifiée par la reconnaissance de l’appartenance au groupe des “vrais hommes”4 ».
S’ils ne se sont pas intensifiés avec l’apparition des réseaux sociaux et la démocratisation des captations de concerts de hardcore, les comportements dangereux, performanciels et virilistes sont au moins devenus plus aisément observables et/ou quantifiables. De récentes captations vidéographiques de l’édition 2022 du festival Sound And Fury, qui se tient à Los Angeles, montrent des spectateurs donner des coups de poing et des coups de pied au premier rang depuis la scène, quand d’autres effectuent des sauts périlleux pour regagner le public une fois montés sur les planches. D’autres images réalisées durant des concerts de Bodysnatcher ou Frozen Soul traduisent l’expression d’une masculinité décomplexée et donnent à voir des hommes effectuer des pompes au milieu d’un mosh pit, un phénomène devenu étonnamment récurrent dans certains concerts de hardcore. Bien que ces pratiques violentes et/ou virilistes répondent à un système d’autorégulation (car, non, tous les coups ne sont pas permis) et d’encadrement spatial, elles représentent toujours un danger pour l’intégrité physique des spectateur·ices.
Profondément ancrées dans l’identité du hardcore et dans l’image qu’il renvoie, ces pratiques spéctatorielles ont fait des concerts un espace particulièrement hostile aux femmes et aux minorités de genre. Quiconque n’embrasserait pas l’ambiance viriliste et violente de certains concerts pourrait s’en voir rejeter. Ray Farrel, responsable presse de SST Records5 évoquait déjà dans les années 1990 « des événements davantage sportifs que musicaux, avec les pires bourrins que l’on puisse imaginer. C’était excluant pour les femmes. C’est devenu excluant parce que c’était violent, certaines personnes ne pouvaient pas supporter cette physicalité. Dans le hardcore, il y avait plus de rangers qui volaient en l’air que de baskets, une vraie connotation agressive6 ».
Cette atmosphère viriliste est à l’origine d’un entre-soi peu propice au fleurissement organique d’une parité dans le public. Les femmes et autres minorités de genre sont les grandes absentes d’une communauté qui, pourtant, s’est depuis toujours enracinée dans des revendications politiques prônant partage, égalité et respect. Consciemment ou inconsciemment, les hommes monopolisent l’espace. Ils occupent toute la place dans les mosh pits ou dans l’avant de la fosse en se souciant très peu des conséquences de leurs gestes sur autrui et réduisent de facto les femmes à une condition de spectatrices passives. La pratique du crowdkilling, qui consiste à attaquer physiquement toutes les personnes se situant en périphérie du pit et ne désirant pas prendre part au mouvement, pousse l’exclusion à son paroxysme. Et même s’il est très controversé au sein du public hardcore, le crowdkilling reste une réalité bien ancrée dans certains concerts. S’ajoute à cela le fait que la plupart des concerts de hardcore se tiennent dans de très petites salles, parfois loin d’être destinées à accueillir ce genre d’événements, il devient très difficile d’échapper à la violence et à la détention du monopole de l’espace par le corps masculin. En comprenant cette domination physique, le corps féminin évoluant dans les concerts de hardcore correspond encore, dans de nombreux cas, à la définition qu’en donne Camille Froidevaux-Metterie dans Le Corps des femmes : la bataille de l’intime : « il est touché plutôt qu’il ne touche, saisi plutôt qu’il ne saisit, bougé plutôt qu’il ne bouge7 ».
Habiter la scène : hardcore et féminisme
Le hardcore a toujours été un genre musical éminemment politique. En tant qu’héritier du punk, il a su cultiver les revendications anticapitalistes de son aîné, pour les développer et leur donner de nouvelles couleurs. Très vite, le hardcore a délaissé le nihilisme et l’individualisme inhérents au punk pour proposer, via ses textes et ses visuels, des réflexions plus durables sur les questions d’égalité, de communauté, d’autorité et d’environnement. Le genre s’est ensuite identifié à l’antifascisme et, grâce au mouvement Straight Edge apparu dans la première moitié des années 1980, il s’est attaqué à la consommation de drogues dans la scène, pour prôner un mode de vie sain, sans alcool, sans drogues et, parfois, végan. La culture « do it yourself8 » et l’esprit de communauté sont également les pierres angulaires d’un genre qui a longtemps cherché à se faire entendre en restant, paradoxalement, relativement fermé. Tout porte à croire que le hardcore était un terreau parfait au développement d’une scène féministe. Mais l’absence de femmes dans le public et la réticence masculine ont largement entravé son essor. Anja, bassiste du groupe Sentience, évoque cette réticence : « Être une femme dans un groupe est important pour moi parce qu’avant Sentience, j’ai essayé d’organiser des concerts au Royaume-Uni avec des affiches plus inclusives, j’ai même écrit un zine et j’ai reçu beaucoup de backlash, surtout par des hommes. On me reprochait d’exceptionnaliser les femmes et de faire l’apologie du "female-fronted hardcore9".10 ». Contrairement au punk qui a connu dans les années 1990 une forte prolifération de groupes féministes sous l’impulsion du mouvement « Riot grrrl », il aura fallu attendre la fin des années 2000 et l’arrivée de la quatrième vague féministe ainsi qu’un regain global d’intérêt pour le hardcore pour constater une réelle ébullition sur la scène. Comprise par beaucoup comme une continuité de la troisième, la quatrième vague féministe est très attachée aux questions d’émancipation des femmes, des droits LGBTQIA+ et à l’intersectionnalité, mais également l’inclusivité des personnes trans. Un point d’honneur est également mis à la libération de la parole sur les violences sexistes et sexuelles, la culture du viol et le droit à disposer de son corps, grâce au mouvement #metoo notamment11.
La vague de hardcore féministe, identifiable depuis la fin des années 2000, s’est justement saisie de ces sujets pour alimenter ses textes. Les paroles de groupes comme Petrol Girls, G.L.O.S.S. (Girls Living Outside Society’s Shit) ou encore Svalbard trouvent une résonance toute particulière sur la scène, puisqu’elles rendent compte à de nombreuses reprises des violences physiques et psychologiques subies par les femmes ou minorités, et de l’expérience de la corporéité féminine dans des milieux majoritairement masculins. « Touch Me Again », morceau composé par Petrol Girls et issu de l’album intitulé Talk of Violence (2016), cristallise très justement cette tendance. Le groupe s’affranchit de toute forme de métaphore pour passer un message clair, sous forme de slogan féministe, dans un refrain efficace aux accords de guitare rapides et ouverts : « It’s my body and my choice / It’s my body / My fucking choice12 ». Comme dans la plupart des morceaux de hardcore, peu de place est laissée à la voix dite « claire » pour livrer le texte. Elle ne suffit plus à exprimer l’intensité des paroles ou de l’intention, il faut donc, pour les chanteurs et chanteuses, chercher au-delà des frontières du chant classique et tutoyer les limites de la voix, jusqu’au point de rupture. Le chant crié de Ren Aldrgidge porte en lui la colère et l’honnêteté qui ont fait les grandes heures du hardcore. L’effet s’intensifie d’ailleurs à la fin du morceau et devient presque glaçant lorsqu’après un breakdown13 explosif, le groupe fait le choix d’isoler la voix pour lui laisser répéter quatre fois « Touch me again and I’ll fucking kill you14 ». « Touch Me Again » propose ainsi une double lecture. Le morceau reflète les violences subies par les femmes dans la société au sens très large du terme, des violences qui se répètent dans le cadre des concerts, via les agressions physiques liées aux pratiques spectatorielles menées par les hommes, et les agressions sexistes et sexuelles, encore présentes dans les fosses. Il s’agit également d’un avertissement pour les hommes présents au concert que l’espace dédié au public et les corps des femmes ne leur appartiennent pas.
L’essor de la scène féministe au début des années 2010 a également permis à la scène transféministe de se développer. Si des groupes comme Pupil Slicer se font l’avocat des droits trans, d’autres, comme G.L.O.S.S., ont fait de la subversion des normes de genre un véritable fer de lance. Le groupe américain offre une voix et une représentation à toutes celles et ceux ne se reconnaissant pas dans la masculinité décomplexée inhérente au hardcore, ni dans les conceptions de la féminité admises par la société. « They told us we were girls / How we talk, dress, look, and cry / They told us we were girls / So we claimed our female lives / Now they tell us we aren't girls / Our femininity doesn't fit / We're fucking future girls / Living outside society's shit15 » : les membres de G.L.O.S.S. soulignent ici l’absurdité d’avoir été désignées comme efféminées avant d’entamer leurs transitions et de se voir refuser cette même féminité après avoir déclaré être trans. Les paroles de « G.L.O.S.S. (We’re From the Future) » (2015) sont pourtant livrées sur un hardcore urgent et incisif qui renvoie volontiers au style de composition des pionniers du genre. Là, gît la véritable démarche subversive de G.L.O.S.S. : d’un côté le rejet du virilisme, de l’autre la réappropriation de la violence musicale et des carcans du hardcore. Le groupe s’empare ainsi du genre musical, de ses codes musicaux bien ancrés, pour les mettre au service d’une cause nouvelle et retirer le monopole des mains de formations composées exclusivement d’hommes cisgenres16. Bien que G.L.O.S.S. se soit séparé en 2016, son empreinte sur la scène hardcore reste indélébile. Dans son sillage progressent aujourd’hui des groupes commes Pupil Slicer, SeeYouSpaceCowboy… ou encore GEL, dont la popularité ne fait que s’accroître, et qui ne demandent qu’à avoir leur part du gâteau.
S’immiscer dans la fosse : mosh pits en non-mixité et intégration des femmes dans le public
L’existence même de tels groupes et leur popularité, encore impensable il y a quelques années, ont largement favorisé l’intégration de femmes à la fois sur scène, dans le public et, également, dans les organisations de concerts. Une des pratiques spéctatorielles récurrentes et endémiques de la scène hardcore, que j’ai pris soin de dissimuler jusqu’ici, consiste en la participation active du public dans l’exécution des morceaux. Les spectateur·ices sont régulièrement invité·es par le chanteur ou la chanteuse à monter sur scène, lorsqu’il y en a une, et à venir chanter, ou plutôt hurler les paroles du titre joué. De fait, la présence de femmes sur scène et l’existence de paroles féministes et/ou queer17 à reprendre en chœur, voire micro en main, contribuent grandement à transformer la posture des femmes et personnes queer en concert en une posture active. Il est plus simple pour elles de s’identifier à ce genre de textes, de redistribuer leur colère, de braver la gêne et de s’avancer vers l’avant de la fosse pour accéder au micro. Car, oui, la colère est très souvent l’un des moteurs des textes, quels que soient les groupes, féministes ou non. Dans un genre musical où le message est tout aussi important que le médium, il est pertinent de considérer l’existence d’une scène féministe comme générateur d’un effet de mimétisme positif : la présence de femmes et personnes queer en entraine de plus en plus avec elles.
Paradoxalement, c’est également le phénomène d’exclusion qui a poussé certaines femmes et personnes queer à faire preuve de persévérance, notamment du côté des associations organisant des concerts. Une membre des Murènes, un collectif antifasciste en non-mixité choisie18 organisateur de concerts de concerts dans la scène contre-culturelle, dont des concerts de hardcore en région parisienne, rapporte qu’il « était très dur de s’organiser, de se sentir intégrées et légitimes dans des organisations mixtes, y compris dans celles qui sont de notre bord politique […] on a décidé de s’organiser ensemble pour se débarrasser de ces obstacles et se sentir à l’aise dans notre façon d’évoluer dans cette scène19 ». Les Murènes organisent aujourd’hui des concerts soutenant essentiellement des causes féministes et queer, en s’engageant à offrir des programmations inclusives, comptant des groupes comme GEL ou Bombardement.
La question de la non-mixité choisie reste encore largement controversée, même au sein de la scène hardcore, encore plus lorsque l’on parle de mosh pits. Or il s’agit de l’un des meilleurs moyens d’occuper la fosse par la force et de garantir un espace d’expression corporel violent pour tous·tes celles et ceux qui s’en sont vu·es privé·es pendant des années. Les mosh pits en non-mixité choisie peuvent provenir de l’initiative du groupe présent sur scène, comme c’est très souvent le cas pendant les concerts de Petrol Girls, ou de l’initiative des organisateur·ices. Ils deviennent essentiels à la libération des corps et à l’apprivoisement de certaines pratiques spectatorielles. Paulo Higgins, dont le travail se concentre sur la question de la place des femmes et personnes queer dans le milieu du rap français, souligne d’ailleurs l’importance de l’existence de tels espaces : « Le lâcher-prise des corps permis par la musique n’est possible pour certaines personnes que lorsque leur sécurité est effective. C’est donc sur ces bases que se développent des pratiques qui revendiquent la légitimité des femmes et des personnes queer à évoluer dans le monde du hip-hop20 ». Si cette analyse concerne exclusivement le rap français, les mêmes dynamiques de domination de l’espace, qu’il soit scénique ou spectatoriel, se manifestent dans le hardcore. Le mosh pit en non-mixité choisie devient alors un lieu d’émancipation, un moyen pour les femmes et personnes queer d’affirmer leur propre conception de la violence dans une certaine sécurité. Cette dernière n’est pas forcément physique, car les mosh pits en non-mixité choisie restent et resteront à jamais des environnements qui cristallisent une forme de violence physique. La sécurité s’évalue davantage à un niveau moral, dans la sororité qui se dégage de ces espaces, dans l’absence de jugement et de honte21, de validation et de domination masculines. Sur ce sujet, Les Murènes se sont exprimées : « La violence n’est pas une valeur intrinsèquement masculine, et c’est pas parce qu’on est des meufs et/ou des personnes queer qu’on aime pas ça, bien au contraire ! La violence des pits c’est aussi une façon pour nous de se débarrasser de toutes les frustrations quotidiennes que le patriarcat nous inflige […] on cherche plutôt à changer la façon dont la violence des femmes est perçue, on cherche à transgresser les rôles qu’on nous assigne, on veut nous aussi y avoir accès sans qu’on soit condamnées pour ça22 ».
Le constat est édifiant. Les captations réalisées durant les grands festivals de hardcore, comme l’Outbreak Festival de Manchester ou le Sound And Fury de Los Angeles montrent que de plus en plus de femmes se déplacent en concerts ou festivals de hardcore et que nombre d’entre elles endossent aujourd’hui une posture active. Cela apporte un réel contraste aux images réalisées dans ces mêmes concerts des années 1980 à 2000. Par ailleurs, de plus en plus de groupes féminins ou comptant des membres féminins, qui ne se revendiquent pas forcément comme groupe féministe et embrassent d’autres mouvements comme le straight edge ou l’antifascisme, sont programmés dans les soirées, festivals et salles dédiées au genre. Certainement grâce à l’existence de groupes féministes et à la présence toujours plus nombreuse de femmes sur scène, dans les organisations et dans le public, les mentalités masculines ont également tendance à changer. Toutefois, un long chemin reste à parcourir. Les agressions sexistes et sexuelles continuent de sévir dans les fosses dans une certaine impunité. Attendre une parité relative dans les concerts de hardcore relève de l’utopie. Aspirer à plus d’inclusivité et au respect des femmes et minorités de genre est une ambition certes réalisable, mais qui demande encore à être traitée dans le hardcore. Car, malgré les nombreux progrès constatés durant ces dernières années, un grand travail doit être accompli pour que le genre et son public reflètent réellement le modèle de communauté prétendu dans leurs textes et leurs valeurs, et qu’enfin le monopole spatial et artistique des hommes se délite.