Pour un new deal pédagogique

DOI : 10.57086/lpa.133

p. 125-137

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Introduction

La période du confinement nous a montré, si cela était nécessaire, l’importance de l’école comme espace commun des apprentissages mais aussi l’urgence de changer nos façons de penser la transmission des savoirs et l’éducation dans sa globalité. L’un des dilemmes de « l’après » est de savoir si cette crise sanitaire et humaine sera perçue comme une parenthèse ou comme un levier pour transformer nos sociétés.

Quel enseignement pour quelle société au xxie siècle et comment le fait vivre ? L’éducation est au cœur des liens humains et de l’évolution humaine. Il est urgent qu’elle devienne notre priorité politique car c’est par elle que nous transformeront radicalement, profondément et durablement nos sociétés. Nous pensons qu’il est temps de mettre en avant un New Deal pédagogique, dans la lignée du New Deal économique rooseveltien des années 1930 ou du projet actuel de Green New Deal de transition écologique.

Il nous semble que l’Histoire de l’éducation, pont entre l’Histoire et les Sciences de l’éducation, rend possible cette réflexion globale sur les défis actuels. De par son objet d’étude, l’histoire de l’éducation nécessite un lien accru entre le passé et le présent. Elle n’est pas seulement un outil privilégié de lecture de l’histoire culturelle, sociale et politique : elle permet également de mettre en perspective pour penser et mettre en place ce new deal pédagogique aujourd’hui.

Nous souhaiterions ici poser quelques jalons d’un engagement qui s’insère dans notre proposition d’une pédagogie solidaire pour participer à cette définition des bases et les perspectives d’un new deal pédagogique1 ?

L’urgence d’un new deal pédagogique s’inscrit dans la prise en compte en éducation des grands défis mondiaux actuels, de la transition écologique, de la montée des croyances et de l’intolérance. Ce new deal se fonde sur l’affirmation d’une révolution pédagogique fondé sur les principes et les pratiques de l’éducation nouvelle mais également sur l’explicitation des finalités d’une éducation ouverte, émancipatrice et démocratique.

Une révolution pédagogique

Terme dévoyé et utilisé à toutes les occasions, historiquement, la pédagogie reste la grande oubliée des réformes institutionnelles et des programmes. Pourtant nous pensons que la révolution éducative sera pédagogique ou ne sera pas. Il convient donc de se mettre d’accord sur les termes de pédagogie et d’éducation.

Parler de pédagogie, ce n’est pas s’enfermer dans une logique technicienne. La pédagogie est la mise en œuvre d’une éducation comme projet de société ; c’est l’affirmation d’intentions et de finalités et non une interrogation centrée sur la transmission des connaissances et des savoirs. L’éducation n’est-elle pas une mise en tension entre un moyen de transmission, de reproduction sociale, culturelle, politique, économique et un formidable accélérateur d’émancipation individuelle et collective ? Qu’on le veuille ou non, l’enjeu actuel de transformation pédagogique est au cœur de cette tension et l’éducation est fondamentalement politique, c’est la mise en œuvre d’un projet et d’un choix de société. Penser l’éducation, c’est penser à la société d’hier et d’aujourd’hui pour préparer celle de demain, c’est mettre l’accent sur une volonté, une éthique et des valeurs.

Notre rôle n’est pas de repenser ou de réaffirmer des positions, mais bien d’inventer, au regard de notre histoire et des défis actuels, un système éducatif qui n’exclue personne et qui permette une émancipation individuelle et collective. Cet idéal de démocratisation sociale ne doit pas en rester aux paroles mais se traduire en actes.

Un new deal pédagogique passe par une réflexion critique du système actuel, de ses échecs, de ses dérives et de ses réussites aussi. Il n’est possible qu’au sein de l’enseignement public, seul espace scolaire du bien commun. Par ailleurs, le new deal pédagogique ne peut se limiter à l’institution scolaire : il s’agit de repenser l’éducation dans sa globalité, en observant les principes et les pratiques de ce que fut le courant de l’éducation nouvelle.

L’urgence d’un new deal pédagogique est soulignée par la situation actuelle. Comment lutter contre la destruction de la planète par l’homme et le refus d’accueillir des êtres humains contraints de quitter leur région ou leur pays ? Les deux phénomènes majeurs que sont la question migratoire et de la transition écologique ne peuvent laisser indifférent et illustrent l’urgence de ce new deal éducatif car ils impactent nos sociétés et nos façons de penser et de vivre. Ces défis mondiaux n’imposent-ils pas une réflexion sur nos propres valeurs, sur notre volonté d’agir et sur notre capacité à refuser le statu quo et l’intolérance ? La transition écologique ne nous oblige-t-elle pas à repenser en urgence notre société, à poser les jalons d’une critique radicale de la situation présente pour inventer un futur ?

Le défi écologique qui s’impose à nous expose nos erreurs, nos immobilismes et nos incapacités à nous projeter vers un monde meilleur pour tous. La transition écologique doit donc être radicale et solidaire. Le risque est, par la poursuite des politiques néolibérales actuelles, d’accroître encore les difficultés des plus pauvres et des plus fragiles avec des mesures qui ne prennent pas en compte les souffrances et les inégalités sociales et économiques.

L’urgence écologique s’impose à nous et seul un new deal pédagogique rendra possible une prise de conscience de tous de cet état de fait. La transition écologique consiste à repenser nos relations avec les autres, nos responsabilités dans les pollutions, dans les destructions de notre environnement animal et végétal, dans les conflits armés et dans les humiliations perpétuelles de sociétés humaines et de communautés.

C’est une société écologique et solidaire qui est à construire par l’éducation, outil de transformation sociale et politique. Le statu quo ne bénéficie qu’à ceux qui profitent déjà de la situation actuelle. Une réflexion pédagogique est donc une réflexion démocratique.

La question environnementale ne doit pas être seulement intégrée dans les programmes, mais bien être le pivot d’un new deal pédagogique écologique et solidaire. La transition écologique ne peut se limiter à l’étude du développement durable ou n’être qu’un élément d’un chapitre de manuel ou de programme. La connaissance de la transition écologique est en soi un outil de réflexion, de compréhension, d’action et de solidarité à l’égard des humains, des animaux, des végétaux et de tout l’environnement. C’est un levier pour repenser les structures mêmes d’un système éducatif sclérosé, fondé sur des disciplines scolaires cloisonnées et segmentées. Intégrer la question environnementale dans la pédagogie, c’est repenser aussi la forme scolaire par une école en partie hors de la classe, en créant une pédagogie des centres d’intérêt réellement active, qui donne sens au contenu écologique, à l’engagement individuel et collectif.

La question de l’accueil des migrants en Europe est un des éléments les plus flagrants et inacceptables de la perte des valeurs humanistes des pays européens. Les dérives autocratiques et le climat de haine qui se développent en Europe rendent encore plus urgente la nécessité de lutter contre le venin xénophobe et réactionnaire par un apprentissage accru à l’esprit critique.

Ce refus d’accueil va à l’encontre de toutes les valeurs humanistes. La lutte pour une politique humaniste passe par une connaissance du passé, de notre incapacité à analyser les défis actuels et les perspectives humaines. Un new deal pédagogique passe par une conception altruiste de l’humain dans ses interactions et sa diversité. L’entraide et la fraternité sont des notions et des activités qui peuvent et doivent se retrouver dans l’éducation. Il ne s’agit pas de créer des situations d’apprentissage artificielles, mais bien de construire une finalité éducative d’émancipation humaine par la reconnaissance du sentiment de fraternité et de solidarité.

Une éducation émancipatrice, accessible à tous, fondée sur le libre examen, n’est pas une utopie mais un outil face aux dogmes, sectarismes, discriminations et croyances en tout genre.

Qu’il s’agisse des anciennes croyances religieuses et idéologiques ou des nouvelles croyances complotistes ou mercantiles, l’éducation se doit d’être le lieu privilégié pour développer l’esprit critique et l’ouverture individuelle et collective aux autres. La compréhension rationnelle des défis actuels passe par une éducation qui s’éloigne de la simple transmission de connaissances ou d’une primauté de la mémorisation des savoirs. Au-delà des méthodes de raisonnement scientifique, de confrontation de sources, de réflexions et de mise en œuvre d’hypothèses, il s’agit de penser une autre société qui ne se soumet ni aux dogmes, ni aux sectarismes d’où qu’ils viennent.

Affirmer les principes de l’éducation nouvelle

Au début du xxe siècle, des pédagogues comme Maria Montessori, Ovide Decroly ou Célestin Freinet, pour ne citer que quelques noms, ont réfléchi et mis en œuvre une transformation des pratiques éducatives. Les mouvements d’éducation nouvelle ont revendiqué une « révolution copernicienne », une réorganisation scolaire et des méthodes d’enseignement, une révolution éducative dans et hors l’école, à travers une autre vision de l’enfant et d’autres relations pédagogiques entre adultes et enfants. L’importance historique des pédagogies d’éducation nouvelle est d’avoir mis l’accent sur une réorganisation, non des contenus, mais de l’ensemble du processus éducatif.

L’actualité des pédagogiques nouvelles reste totale au xxie siècle pour la mise en œuvre des lignes de force d’un projet éducatif humaniste. La force des pédagogies nouvelles est qu’au-delà de leur diversité elles s’intéressent aux principes et aux finalités et ne sont pas, contrairement à ce qui est parfois entendu, un modèle avec des techniques. Les pédagogies nouvelles ont été pensées comme des critiques d’un système en place, d’un enseignement classique centré sur les savoirs et le cloisonnement des connaissances en disciplines scolaires. Une réforme radicale de l’éducation ne peut faire l’impasse sur une critique tout aussi radicale du système éducatif actuel.

Cette « éducation nouvelle », aux méthodes actives, met l’accent sur l’intérêt, sur des activités non plus structurées par des disciplines scolaires obsolètes, mais sur des centres d’intérêts cohérents qui dessinent une éducation équilibrée entre la transmission de savoirs, de compétences et la volonté d’épanouissement personnel et collectif. Il ne s’agit pas d’idéaliser leurs réflexions qui, pour certaines, ont terriblement vieilli. D’autres, cependant, sont d’une modernité éclairante.

Leurs principes restent des bases pour un new deal pédagogique au xxie siècle. La radicalité des critiques contre l’enseignement classique et les innovations proposées n’ont pas eu le succès escompté mais restent d’actualité. Les résultats des écoles issues de ces courants pédagogiques marquent la force des valeurs d’entraide, d’autonomie et de responsabilités humaines. Ces valeurs et finalités éducatives sont des piliers pour une pédagogie solidaire et émancipatrice.

Les solutions de transformation des systèmes éducatifs actuels ne se situent pas dans une réforme des programmes, mais dans une rénovation radicale des pratiques pédagogiques avec des finalités de justice sociale et de liberté. Les principes de l’Éducation nouvelle dessinent une autre façon de penser et donc de penser l’éducation.

En premier lieu, il s’agit de donner la priorité à l’éducation et non à la transmission des seules connaissances. C’est la mise en œuvre d’une éducation intégrale qui prend en compte l’intellect mais aussi le corps, le mental et les émotions.

En deuxième lieu, l’action éducative doit prendre en compte la singularité de l’enfant en tant que tel. L’enfant n’est pas un homme en miniature, il doit pouvoir vivre sa vie d’enfant. Cela impose de respecter ses intérêts et ses besoins. La naissance de l’intérêt chez l’enfant est un des questionnements majeurs des pédagogues de l’éducation nouvelle. La critique faite à l’enseignement traditionnel est qu’il organise le temps et l’espace par des programmes, des disciplines scolaires segmentées, des leçons, des devoirs et des exercices qui ne tiennent pas assez compte des besoins et du rythme de l’enfant.

L’objectif est donc d’intégrer ses intérêts et ses besoins pour les mettre au service d’une éducation en harmonie avec la vie. Partir des intérêts profonds de l’enfant n’est pas contradictoire avec des apprentissages, avec une progressivité des savoirs et des compétences acquises mais il s’agit d’une prise en considération de la nature de l’enfant, de son rythme. Une éducation fondamentalement inclusive, pour tous, porteur ou non d’un handicap. 

En troisième lieu, cette éducation doit être centrée sur l’enfant, non sur les savoirs ou le maître. Il s’agit d’engager une éducation « pour la vie et par la vie », pour reprendre une expression d’Ovide Decroly, en permettant à l’enfant de mieux se connaître et de prendre conscience de son appartenance à un écosystème comprenant l’environnement végétal et animal.

En quatrième lieu se trouve le développement de l’autonomie qui suppose la maîtrise de soi et la domination des tendances instinctives. Elle se fonde sur une base librement consentie et non pas imposée. Cela signifie que, comme l’écrivirent les humanistes du xvie siècle : « L’enfant est un feu à allumer, pas un vase à remplir. » L’enseignant est ici pour guider et accompagner l’enfant dans ses progrès. Grâce à une bonne connaissance de son développement, l’enseignant est à même de le faire agir, de le laisser tâtonner et faire des erreurs pour développer des aptitudes et des connaissances nouvelles. Cette autonomie progressive, grâce à des activités qui prennent en compte les facultés créatrices de l’enfant et ses aptitudes manuelles et intellectuelles, tout comme sa personnalité affective, permet de lui faire découvrir son rôle personnel et son rôle au sein d’un groupe.

Enfin, l’éducation individuelle, centrée sur le sujet, se fait, doit se faire, dans un esprit communautaire. L’école nouvelle, qui promeut la liberté des rythmes, combat l’individualisme et la docilité. Quant à l’esprit communautaire, ce n’est pas le chacun pour soi, le classement, mais la préparation à la vie sociale par la vie en commun. L’entraide et la coopération, plutôt que la compétition, permettent de faire de la classe une vraie communauté enfantine. Tous ces fondements ne sont possibles que par l’élaboration d’une autre relation pédagogique entre l’adulte et l’enfant et la création d’une atmosphère d’optimisme, de bienveillance et de confiance.

À partir de ces postulats, il convient d’une part de permettre à l’enfant la fabrication de ses connaissances en valorisant son activité réelle, sans souci de hiérarchisation des disciplines et, d’autre part, de réduire la parcellisation du temps afin de favoriser de larges processus d’intégration des outils du savoir. Cet ensemble cohérent aide chaque enfant à se situer dans une vie de groupe, à travailler avec d’autres, à prendre des responsabilités, à trouver sa place, à discuter les conflits. Ces intentions et ces principes dessinent les pratiques d’une pédagogie démocratique pour que l’enfant devienne un adulte autonome et responsable.

Expliciter les finalités et les priorités éducatives

Réfléchir à notre avenir commun passe par la démythification d’un passé scolaire idéalisé. Pour construire une autre société par un new deal pédagogique, l’éducation doit dessiner un projet de société explicite et être le creuset d’une vision émancipatrice et démocratique de notre avenir. Replacer la question des choix pédagogiques au cœur du débat et des préoccupations est une nécessité pour faire de l’éducation non seulement la priorité mais bien le fer de lance d’une autre société. Les choix pédagogiques ne sont jamais neutres, ils sont le reflet des intentions et des finalités que l’on propose à une éducation.

Cette vision d’une future société ne sera possible que par une éducation intégrale, qui prend en compte l’individu dans sa globalité et dans sa cohérence avec son environnement.

L’importance aujourd’hui de l’éducation intégrale paraît évidente et pourtant elle reste à faire. C’est une éducation qui prend en compte l’être dans sa totalité, sans hiérarchiser l’émotionnel, le cognitif et le corporel. Tenir compte des facultés mentales, physiques, psychiques, émotionnelles, créatrices et éthiques d’un enfant ne se décrète pas ; c’est à la fois le cheminement constant de cette pédagogie solidaire et sa finalité. C’est par la prise en compte de l’éducation intégrale que l’individu pourra apprendre à devenir un être social. Elle prépare donc à la vie, dans le sens où elle permet une compréhension de l’individu dans sa société et son environnement.

L’éducation intégrale est un préalable à toute émancipation individuelle, collective, intellectuelle, physique et mentale. Cette émancipation passe par une meilleure connaissance de soi et des autres. Écoute, partage, échange, coopération, entraide ne sont pas de vains mots, mais des éléments de l’élaboration d’une éducation solidaire qui unit et qui libère.

Néanmoins, une pédagogie n’est jamais émancipatrice par nature. Elle est constamment dans un équilibre fragile entre des principes directeurs et des pratiques qui évoluent. Les promoteurs d’une pédagogie, au premier chef les enseignants, sont les garants de cet équilibre, mais aussi ceux qui la font évoluer. L’ensemble de ce jeu subtil permet de comprendre qu’une pédagogie, malgré ses principes affichés, n’est pas toujours émancipatrice.

Une pédagogie, pour être émancipatrice, doit être une pédagogie d’enfants acteurs qui développe l’esprit critique et le libre examen, étayée par toute une série de pratiques issues de l’éducation nouvelle, comme l’entraide, le travail en équipe ou le partage de savoirs. Favoriser l’autonomie intellectuelle et la liberté de penser en donnant les moyens de penser par soi-même est un enjeu majeur qui fixe un chemin avant d’être une finalité.

Une pédagogie émancipatrice est étrangère à toutes les approches comptables. Il y a une nécessité de repenser les situations et les méthodes d’apprentissage au xxie siècle qui seront ceux d’une autre société plus solidaire et démocratique.

Quand voudrons-nous, au-delà des discours, prendre en compte la mutation de notre société ? Le fait est que la transmission frontale ne correspond en rien à une réflexion libre et ouverte, que l’instruction par la mémorisation ne peut plus être l’alpha et l’oméga des apprentissages. Savoir trouver une information fiable dans notre monde de communication est un apprentissage nécessaire, hiérarchiser, confronter des sources sont des compétences d’un futur citoyen d’une société démocratique. Si l’on veut que l’éducation libère et unisse, alors nous devons penser des méthodes pédagogiques qui permettent l’autonomie, la responsabilité du futur adulte, des activités qui n’innovent pas pour innover, mais qui développent l’entraide et la coopération. « Seuls, nous ne pouvons rien, ensemble nous pouvons tout » n’est pas qu’un slogan, cela s’apprend.

En reliant inlassablement les activités scolaires aux savoirs qui ont permis aux humains, tout au long de leur histoire, de s’émanciper, nous donnerons du sens aux apprentissages. En dépassant les cloisonnements disciplinaires, nous permettrons à nos élèves de prendre la mesure des enjeux qu’ils auront à affronter.

Par la pratique du débat préparé et régulé, nous les aiderons à résister à toutes les formes d’emprise, à développer une pensée critique et à exercer leur jugement. Il est urgent de penser cette éducation nouvelle pour le temps présent afin que notre enseignement public permette l’émancipation de toutes et tous dans une société plus juste et plus fraternelle.

L’accès de chacun à un enseignement qui favorise son émancipation, quelle que soit son origine socio-économique, est un enjeu majeur pour une pédagogie solidaire. L’inégalité sociale du système éducatif actuel est réelle, car la priorité reste centrée sur la sélection des « meilleurs ». La pédagogie est au cœur de la possibilité de transformer les inégalités sociales par la mise en place de pratiques de coopération, de solidarité et d’entraide.

La démocratisation ne peut plus être seulement un discours. Sa mise en œuvre réelle et sa promotion sont des gages d’un authentique changement. Si la mixité sociale est un préalable, la ségrégation territoriale rend complexe cette ambition. La force d’une école du bien commun et d’une pédagogique solidaire est de faire de ce new deal pédagogique un outil de mixité sociale.

Repenser notre éducation est une urgence démocratique et une politique de la jeunesse s’impose.

Oser révolutionner l’éducation

Un new deal pédagogique est donc éminemment politique, comme tout ce qui touche à l’éducation.

Certes, dans leurs discours, tous les gouvernements successifs mettent en avant l’altruisme des finalités de l’école, l’importance de l’autonomie et de la formation d’un futur citoyen libre et responsable. Néanmoins, la réalité est toute autre et l’injustice sociale flagrante de notre système éducatif rend inopérantes la quasi-totalité des actions de transformation de notre école. Cette inégalité est une faiblesse pour l’avenir, c’est une blessure pour la cohésion et la mixité sociale mais aussi un élément permanent de notre école.

Élaborer un new deal pédagogique n’est aucunement tenter de reconstruire ou de repenser des méthodes, mais bien inventer, sur des bases connues de l’éducation nouvelle, et construire une réelle alternative éducative.

Face à l’obsolescence programmée de notre système éducatif, il faut avec lucidité et sans tarder, penser une autre éducation. Cela passe par une critique du système scolaire en place mais aussi de la société néolibérale actuelle. Un changement structurel est possible si, au préalable, nous prenons le temps de comprendre ce qui se passe au sein de l’école. Appuyons-nous sur les enseignants, en refusant les débats, polémiques et controverses stériles. Acceptons de ne pas nous cantonner aux questions secondaires et techniques de l’éducation mais bien à ses finalités.

L’éducation est perçue comme un domaine de mutation longue et lente, voir d’immobilisme et d’inertie. La réalité est, au contraire, que c’est le seul domaine qui peut faire évoluer durablement la société face à l’urgence des défis sociaux et environnementaux.

Construire un new deal pédagogique ne peut se faire que sur des principes fédérateurs et de finalités politiques précises. Un projet éducatif s’articule toujours avec un projet de société et une pédagogie solidaire et émancipatrice, structurée sur les bases que nous avons énoncées, est la mise en œuvre possible d’une future société plus fraternelle.

Pour la première fois de notre histoire, nous devons penser l’éducation non pas d’abord pour les besoins de la société et de l’État mais bien pour les intérêts des enfants et de leur avenir. Leur faire confiance en leur permettant d’être les acteurs de leurs apprentissages ne doit plus être une idée, mais une réalité. Cette inversion implique un autre regard sur l’enfant comme sur la société que nous voulons construire. Le refus d’une compétition précoce, la prise en compte de la singularité de l’enfant mais en même temps de la nécessité de devenir un être social sont les enjeux actuels.

Mettre en œuvre une éducation intégrale qui articule l’intellect, le manuel, le corporel, la créativité et le cœur est une réelle révolution. Cela passe par une redéfinition des disciplines scolaires, historiquement datées et qui ne répondent plus aux besoins actuels. Une nouvelle organisation du temps, des rythmes et des espaces scolaires sont nécessaires pour apprendre à savoir chercher et penser librement hors des carcans académiques anciens. Il ne s’agit pas seulement de mémoriser, d’apprendre à apprendre mais bien d’apprendre à penser par soi-même. Apprendre à partager et à échanger sont des défis politiques autant qu’éducatifs.

Le moment n’est pas au procès d’intentions, mais bien celui d’une prise de conscience de l’importance, de la primauté de l’éducation pour l’avenir. Bien sûr, les inerties sont multiples et le découpage en disciplines scolaires hérité du xixe siècle, la reproduction d’un système traditionnel dans une salle de classe qui date du xviie siècle, la crainte du changement et le manque de formation sont des éléments importants. Les mécanismes des apprentissages sont à repenser, pas seulement à la lecture des découvertes du cerveau, ni dans une recherche d’efficacité économique conjoncturelle mais bien comme fondement d’une société solidaire et émancipatrice. Il est temps, il est grand temps, de sortir de l’ornière des faux semblants, de l’incohérence entre les discours et les actes.

Il est temps de construire ce new deal pédagogique pour ouvrir à toutes et à tous les chemins d’une émancipation politique, sociale et culturelle.

1 Nous reprendrons et actualisons ici quelques réflexions que nous avons développées dans notre manifeste pour une pédagogie solidaire paru aux

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Notes

1 Nous reprendrons et actualisons ici quelques réflexions que nous avons développées dans notre manifeste pour une pédagogie solidaire paru aux éditions Sipayat.

Citer cet article

Référence papier

Sylvain Wagnon, « Pour un new deal pédagogique », La Pensée d’Ailleurs, 2 | 2020, 125-137.

Référence électronique

Sylvain Wagnon, « Pour un new deal pédagogique », La Pensée d’Ailleurs [En ligne], 2 | 2020, mis en ligne le 01 décembre 2020, consulté le 25 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/lpa/index.php?id=133

Auteur

Sylvain Wagnon

Professeur des universités. Université de Montpellier, LIRDEF.

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