Contexte de la recherche
Ce texte constitue la première phase d’analyses préalables d’un projet de recherche visant l’intégration de tâches de réception dans une séquence d’enseignement danse/EP dans le cadre du cycle 3 de l’enseignement obligatoire (ou secondaire I) à Genève pour la construction d’une expertise esthétique en danse1. Le projet s’inscrit dans une approche didactique qualifiée de clinique expérimentale, au sens de Schubauer-Leoni et Leutenegger (2002). Une telle démarche vise à articuler « une clinique des systèmes (système de recherche et systèmes didactiques) à des dispositifs expérimentaux aptes à prendre en compte la dynamique (l’histoire) de ces systèmes en fonctionnement » (p. 233-234). Il ne s’agit ni d’une ingénierie didactique au sens d’Artigue (1989), reposant sur la mise à l’épreuve d’une séquence préalablement conçue par des chercheurs dans ses moindres détails, ni d’une analyse des pratiques ordinaires entendues comme « ce qui se passe et se joue d’ordinaire dans des classes quelconques » (Schubauer-Leoni & Leutenegger, 2002). Il s’agit d’examiner comment les enseignants s’approprient un canevas de séquence conçu autour de compétences finales visées, d’enjeux d’apprentissage identifiés, et d’un modèle d’évaluation, dans lequel les contenus esthétiques sont formalisés et définis comme prioritaires pour attester de l’apprentissage effectif des élèves.
Le canevas impose une contrainte principale : l’intégration, dans chaque séance, de tâches de réception d’œuvres chorégraphiques en parallèle ou suivie de tâches de production au cours desquelles les élèves sont amenés à réinvestir, sous forme de créations dansées, les contenus esthétiques abordés en réception. Afin notamment d’éviter l’imitation chez les élèves, les œuvres choisies et présentées par les enseignants en phase de réception diffèrent des musiques utilisées pour la production des élèves. L’aménagement du milieu didactique, tout comme la nature de l’articulation entre les tâches de réception et de production, est laissé au libre choix des enseignants, conformément aux besoins méthodologiques d’accéder aux pratiques les plus ordinaires possibles.
L’ensemble des enseignants participants ont bénéficié d’une courte formation initiale portant sur les objectifs du projet de recherche, les éléments figurant dans le canevas, et les critères de détermination des contenus esthétiques. Ces derniers – relatifs notamment à la forme, à la structure chorégraphique, à l’intensité du mouvement, à l’articulation entre geste et musique – ont été définis par les chercheurs à partir d’une analyse d’œuvres de référence, selon des critères de lecture chorégraphique explicités dans une fiche fournie aux enseignants. Un tableau récapitulatif structurant et regroupant les critères retenus a été fourni aux enseignants en annexe du canevas de la séquence.
Les extraits chorégraphiques analysés en amont par les chercheurs – qui seront présentés dans ce texte – n’ont pas été imposés aux enseignants. Leur usage, lors de la présentation du projet, a uniquement visé d’une part à illustrer une manière d’analyse possible d’extraits chorégraphiques et à exemplifier les critères retenus pour la détermination des contenus, de l’autre. Ce choix répond à l’exigence méthodologique de préserver autant que possible les caractéristiques des pratiques ordinaires des enseignants participants, en leur laissant une marge d’autonomie dans la sélection et la mise en œuvre des supports et des références au sein de leur séquence.
Dans ce qui suit, nous circonscrivons la présentation des résultats de la première phase de ce projet. Il s’agit de présenter ce qu’a révélé le processus d’analyses préalables, en tant qu’étape ayant présidé (et donc orienté et guidé) à la phase de conception et formalisation du canevas de séquence de danse. Après avoir présenté le contexte d’enseignement usuel de la discipline en contexte scolaire genevois, l’attention sera portée notamment sur des exemples d’analyse épistémologique de contenus d’enseignement de nature esthétique à partir d’objets culturels de référence.
Introduction
Les œuvres2 du patrimoine culturel et artistique contribuent à l’élaboration de formes de pratique scolaire dans différentes disciplines, en tant que pratiques sociales de référence (Martinand, 1986)3. Il suffit de consulter le plan d’études romand (PER) pour constater la place attribuée à l’œuvre – qu’elle soit artistique, musicale ou littéraire – dans la construction d’apprentissages en arts plastiques et visuels comme en musique, en français comme en histoire. Si nous portons notre attention sur l’axe 2 du domaine disciplinaire « Corps et mouvement » nous constatons l’absence de toute référence à la réception d’œuvres. Cela nous questionne d’autant plus si l’on considère que l’axe 2, « Activités motrices et/ou d’expression », englobe notamment l’enseignement de la danse. Ce qui n’est guère possible sans développer, chez l’élève, deux fonctions qui vont de pair : celles de danseur et de spectateur (Arnaud-Bestieu, 2019 ; Guisgand, 2006 ; Montaud, 2014)4. À partir de sources romandes, la même observation s’impose. « Vivre son corps, s’exprimer, danser », mis à disposition des enseignants en tant que ressources à utiliser dans les pratiques d’enseignement, fait l’impasse sur le binôme danseur-spectateur5.
Au sein de l’institution scolaire, la pratique de la danse s’ancre principalement dans les dimensions expressives et créatives propres à l’esthétique contemporaine, ce qui emmène les enseignants à privilégier des tâches s’inscrivant dans des milieux très ouverts, peu modélisables a priori, combinant improvisation et composition (Arnaud-Bestieu, 2016). Si cette approche favorise « l’entrée [des élèves] dans les rôles de danseur, de spectateur et de chorégraphe et le jeu sur des paramètres du mouvement ouvrant la porte à la poétique » (p. 149), la régulation de tels milieux nécessite une expertise approfondie afin de garantir à la fois un cadre structurant et une progression cohérente des apprentissages6.
Or, les enseignants en éducation physique ne sont pas nécessairement des experts dans la pratique de la danse : l’analyse des plans d’études de diverses institutions suisses de formation supérieure – notamment celles en charge de l’enseignement des sciences du mouvement et du sport ainsi que de la didactique de l’éducation physique – met en évidence la place marginale accordée à la danse dans les cursus de formation. Le manque de maîtrise sur les contenus à enseigner produit, pour une part, une résistance face à l’enseignement de cette discipline due à « l’angoisse […] du vide, de ne pas savoir que faire avec les élèves » (Coston et Ubaldi, 2012, p. 39) ; pour une autre part, une centration sur des apprentissages qui relèvent exclusivement de conduites motrices au détriment des contenus plus proprement esthétiques. La dichotomie entre contenus relevant des conduites motrices et ceux issus des conduites esthétiques semble s’inscrire dans la logique propre à la forme scolaire classique, caractérisée par l’organisation discrète de contenus épistémiques. Fondée sur une « certaine forme de textualisation du savoir » (Sensevy, 2019, p. 95), la forme scolaire, « entraîne la séparation […] du savoir par rapport au faire » (Vincent, 2008, p. 49).
Parmi les séquences d’enseignement en danse accessibles dans les dossiers pédagogiques ou les revues professionnelles d’éducation physique, celles qui font appel à des références culturelles – qu’elles soient chorégraphiques, picturales ou sculpturales – restent minoritaires7. À titre d’illustration, Cirillo (2012) propose de « privilégier l’étude du langage chorégraphique par une articulation entre domaines artistiques différents (sculpture, peinture, arts sacrés) » (p. 66). S’appuyant sur la réception d’œuvres sculpturales et visuelles, l’auteure conçoit des « situations de questionnements […] pour engager l’élève à établir les liens de causalité des éléments significatifs des œuvres » (p. 68), à partir de critères définis en amont, par exemple les formes, les techniques et les significations. Les éléments identifiés par les élèves dans des tâches de réception orientent la mise en mouvement, les élèves étant invités à représenter corporellement les œuvres observées.
Le travail de thèse de Montaud (2014) montre que lorsqu’on aborde la danse en tant qu’objet d’enseignement, la réception des œuvres chorégraphiques constitue un enjeu de première importance. De même, Guisgand et Tribalat (2001, p. 88) soulignent que la danse s’inscrit parmi les disciplines artistiques qui sollicitent la vision et la perception des images, au même titre que le cinéma, la sculpture ou la peinture. Selon les auteurs, la capacité à interpréter ces images revêt une importance significative dans l’apprentissage de la danse. L’enseignement de la danse comme activité physique affiliée aux arts de la scène implique de « chercher, à travers le dialogue, à retrouver la part des sensations qui n’appartient qu’à nous et celles qui peuvent prétendre à l’universalité » (p. 20). Cette approche, qui, selon les auteurs, reflète l’essence même du débat esthétique8, favorise une analyse des perspectives et permet de dépasser les jugements simplistes. Selon Félix (2011, p. 58), l’enseignement de la danse est censé doter les élèves non seulement de compétences motrices, mais également d’une capacité d’analyse critique fondée sur la compréhension des dimensions culturelles, par l’articulation de diverses formes d’expression artistique telles que la musique, les arts visuels et la littérature. « Les conduites esthético-artistiques, constituent l’objet principal de l’enseignement artistique de la danse » (p. 59), affirme l’auteur. D’après Felix (2011, p. 58), l’enseignement de la danse en contexte scolaire doit poursuivre une double finalité : il s’agit, d’une part, de permettre aux élèves de s’approprier les outils nécessaires à la production de formes chorégraphiques, et, d’autre part, de les engager dans une démarche réflexive sur les modes de construction et de signification de ces productions. Cette orientation requiert l’acquisition de savoirs culturels relatifs aux œuvres, ainsi que le développement d’une expertise d’analyse du mouvement dansé.
Dans le cadre de l’enseignement de la danse au secondaire 1, la transposition didactique externe (Chevallard, 1985/1991) confronte les enseignants et les formateurs des enseignants à une situation singulière, eu égard à la multiplicité des pratiques artistiques de référence, d’une part, et au corpus lacunaire de savoirs disciplinaires propres à la danse, d’autre part.
Cette spécificité se manifeste notamment dans les dispositions officielles, qui ne précisent que des catégories relatives au rapport au corps « physique », tandis que les approches esthétique et technique propres à la danse ne sont mentionnées que de manière allusive. De plus, les acquisitions disciplinaires en termes d’objectifs et de contenus d’enseignement ne sont pas véritablement explicitées. Si l’on adopte la définition de Chantal Amade-Escot (2007), qui conçoit la transposition didactique externe comme « aspect du phénomène de transposition qui légitime au sein de chaque institution didactique certains savoirs et les désigne comme devant être étudiés » (p. 123), l’enseignement de la danse dans le cadre de l’éducation physique ne bénéficie pas d’une transposition externe complète.
L’objectif d’enseignement CM 32 du plan d’études romand – « Consolider ses capacités de coordination et utiliser son corps comme moyen d’expression et de communication » – constitue l’unique référence encadrant les activités motrices et d’expression dans le cadre de l’enseignement de l’éducation physique au secondaire 1.
Figure 1. Extrait du plan d’étude romand, éducation physique, corps et mouvement, activités motrices et/ou d’expression, CM 32
Parmi les composantes associées, la numéro 4 mentionne explicitement la danse en engageant l’élève dans la création d’une chorégraphie, ce qui souligne l’attention portée à la dimension poïétique de la pratique corporelle envisagée. La composante 5 introduit une exigence réflexive, en prescrivant le développement d’une posture critique face aux productions chorégraphiques des pairs, qu’elles soient individuelles ou collectives.
Nous pourrions nous attendre à une explicitation plus fine des contenus d’apprentissage découlant de la pratique de la danse dans la section consacrée à la progression des apprentissages et aux attentes fondamentales associées à cet objectif. Tel n’est pas le cas.
Figure 2. Extrait du plan d’étude romand, objectif CM 32, progression des apprentissages, attentes fondamentales
En matière d’enseignement de la danse dans le cadre de l’éducation physique et sportive, la transposition didactique externe revêt ainsi un caractère particulier, en ce que les enseignants disposent d’un cadre officiel non contraint par un programme détaillé. Si ce cadre peut être considéré comme une ébauche de transposition externe, il laisse aux enseignants la responsabilité d’en préciser les contenus. Ainsi, l’articulation entre la transposition externe et sa mise en œuvre en classe repose sur l’identification de références et l’élaboration d’un référentiel didactique structuré, permettant de jalonner la progression des apprentissages. Dès lors, la responsabilité de définir les contenus d’enseignement revient aux enseignants eux-mêmes.
Problématique
Les objectifs disciplinaires définis dans l’axe 2 du domaine « Corps et mouvement » du PER portent l’attention sur le développement du potentiel créatif et de la sensibilité esthétique chez l’élève (CM12, CM22), ainsi qu’à la création de chorégraphies (CM22) où le critère d’originalité figure parmi les attentes (CM32). Potentiel créatif, originalité, sensibilité esthétique… autant de notions qui méritent d’être interrogées, afin d’éviter une conception innéiste du geste artistique, qui laisserait peu de place à la construction d’apprentissages disciplinaires9.
Grivet Bonzon et Márquez (2018, p. 6) relèvent que « la pensée créatrice oriente prioritairement la finalité de la formation artistique scolaire en termes d’étapes favorisant le développement par l’élève de ses aptitudes créatives », ce qui « requiert des apprentissages structurés et guidés par l’enseignant, responsable de l’aménagement des dispositifs didactiques ». Selon ces auteurs, les objets culturels de référence doivent être considérés comme des champs d’expérimentation permettant aux élèves de construire des apprentissages ciblés, grâce aux connaissances procédurales issues de l’expérimentation, et ce afin de développer leur potentiel créatif. Barblan (2024, p. 10) pointe la difficulté éprouvée par les enseignants à définir et à rendre opératoires des savoirs favorisant la « pensée créatrice » chez l’élève, notamment dans le cadre de l’enseignement des arts plastiques. Néanmoins, « la pensée créatrice » reste une attente des enseignants, générant une « ambivalence topogénétique » (Barblan, 2023, p. 57), caractérisée par une obligation double de l’élève. Celui-ci est censé non seulement convoquer sa créativité, mais aussi produire les moyens pour sa construction. Márquez (2018, p. 156) soutient que le développement des processus créatifs chez l’élève reste vain s’il n’est pas lié à une expérience esthétique découlant de l’interaction avec des œuvres d’art ainsi qu’avec divers objets et pratiques du patrimoine culturel. De même, Mili (2012) montre que la maîtrise de gestes techniques chez l’élève peut jouer un rôle décisif dans la richesse des productions, pour autant que celle-ci soit articulée à une réception culturelle. Selon l’auteure, la créativité est à distinguer des gestes purement exploratoires et à inscrire notamment dans une situation d’enseignement, de mémoire didactique, de contexte scolaire spécifique et de pratiques culturelles spécifiques (p. 151). Si, comme le soulignent ces auteurs, le développement de la pensée créatrice doit pouvoir s’appuyer sur la construction d’apprentissages ciblés, une réflexion sur la nature des objets de savoir susceptibles de découler des pratiques de la danse est nécessaire pour actualiser les objectifs du PER.
Revenons maintenant aux attentes en matière d’originalité vis-à-vis des productions des élèves. Doguet (2007) attire l’attention sur le fait que, pour discriminer entre des « procédés de séduction faciles » et « l’originalité ou la nouveauté d’inventions stratégiques », il est indispensable que la sensibilité esthétique contribue à former le goût. Selon l’auteur, « la sensibilité devient le goût lorsqu’elle se cultive [italiques de Doguet], c’est-à-dire lorsqu’elle apprend à se dire et à s’analyser [italiques de l’auteur, NDLR] » (p. 159). C’est grâce à un exercice d’entraînement qu’une appréciation qui fonctionnerait d’abord au seul niveau de la sensibilité devient un « savoir-apprécier » capable de produire des « arguments communicables » (Doguet, 2007, p. 160) à autrui à travers l’emploi d’un vocabulaire spécialisé.
Si l’on considère que, pour la plupart des élèves, le cours de danse/EP constitue une expérience inaugurale et qu’ils n’ont que rarement l’opportunité d’assister à des spectacles de danse en dehors du cadre scolaire, il apparaît essentiel pour l’enseignant – afin de répondre aux attentes d’originalité et de créativité – de concevoir des dispositifs de réception visant à accompagner l’élève dans le développement de son goût esthétique.
Au vu de ces considérations, nous porterons notre regard notamment sur la nature des savoirs dont les élèves doivent pouvoir se rendre capables afin de développer leur goût esthétique. Pour ce faire, à partir de l’analyse de références culturelles issues de la pratique de la danse, nous nous intéresserons notamment aux phénomènes transpositifs dans le but de déterminer des contenus d’enseignement.
Dans la première partie, nous définirons le processus de réception esthétique, en portant une attention particulière à la réception d’œuvres chorégraphiques, afin de mieux saisir la marge de manœuvre dont dispose l’enseignant pour concevoir des dispositifs favorisant le développement d’une expertise esthétique chez l’élève. Dans la deuxième partie, à travers l’analyse d’extraits de vidéos, nous identifierons certains éléments distinctifs qui définissent les esthétiques propres à la danse hip-hop. Il s’agira ainsi de déterminer des contenus d’enseignement visant à développer une expertise esthétique chez l’élève par la réception d’œuvres chorégraphiques. Pour ce faire, nous opterons pour une approche historico-culturelle selon laquelle l’activité humaine, ses œuvres et ses artefacts culturels ne sont pas traités de manière atemporelle, mais comme des cristallisations d’une culture spécifique et historiquement située (Mili et Rickenmann, 2005)10. Dans la quatrième partie, nous reviendrons sur notre question de recherche en essayant d’y apporter des éléments de réponse : comment, à partir d’extraits de danse, l’enseignant non expert en danse peut-il s’y prendre pour déterminer des contenus d’enseignement favorisant la construction par l’élève d’une expertise en matière d’esthétique ? Quels moyens didactiques se donne-t-il pour que l’élève puisse développer « un gout esthétique » (Doguet, 2007, p. 159) et, déployer sa pensée créatrice en cours de danse/EP ?
Ancrage théorique
Des pratiques sociales de référence
Chevallard (1985/1991) inscrit dans la théorie de la transposition didactique, à partir des savoirs mathématiques, la distinction entre le savoir savant, « celui des mathématiciens » (p. 15), et le savoir enseigné, objet de transmission dans le système didactique. Pour rendre compte des disciplines dans lesquelles les savoirs savants ne sont pas centraux, Martinand (1986) théorise la notion de pratique sociale de référence, définie comme une activité réelle de transformation d’un donné naturel ou humain, relevant de secteurs sociaux collectifs. La relation entre pratiques sociales de référence et activités didactiques relève d’une comparaison et non d’une identité stricte, plusieurs pratiques pouvant coexister pour une même notion (Martinand, 1986, p. 137 ; 2013, p. 86). Initialement théorisée dans le cadre de la didactique de la technologie, la notion de pratique sociale de référence a été progressivement mobilisée dans d’autres disciplines, parmi lesquels l’éducation physique et sportive, l’éducation musicale ou encore l’enseignement du français (Boilevin, 2013, p. 28). Les pratiques sociales de références offrent un cadre d’analyse et de régulation des contenus d’enseignement, permettant d’interroger la nature des savoirs à transmettre et leur légitimité au regard d’activités sociales et culturelles constitutives des pratiques collectives, contribuant à la construction des fondements épistémiques d’une discipline scolaire.
Des contenus d’enseignement proprement « esthétiques » ?
L’expression objet esthétique est en fait malheureuse : il n’y a pas des objets qui seraient esthétiques et d’autres qui ne le seraient pas. N’importe quoi peut devenir un objet esthétique, puisque n’importe quoi peut devenir le point focal d’une conduite esthétique [nos italiques]
(Schaeffer, 1996, p. 128).
Michaud (1999, p. 18-22) soutient que le goût esthétique se construit par un processus d’apprentissage, à travers des jeux de langage11 qui modèlent la perception, le ressenti et, enfin, l’évaluation esthétique12. Cette perspective, d’ordre objectiviste, reconnaît à la fois l’existence de qualités inhérentes à l’œuvre et le fait que ces qualités se révèlent à l’être humain dans une expérience perceptive qui est personnelle. Selon Michaud (1999, p. 72), « les conditions d’apprentissage à travers des interactions publiques jouent un rôle fondamental ». La première rencontre avec une œuvre, un artefact ou tout autre objet scénique suscite chez le spectateur des jugements élémentaires ou stéréotypés, qui peuvent être affinés à condition de s’engager dans un jeu de langage partagé. Ce processus favorise l’élaboration progressive de critères13 d’évaluation par la construction d’énoncés de plus en plus étayés et argumentés. Michaud (1999) inscrit la formation du goût esthétique dans une dynamique sociale et dialogique, considérant que le jugement esthétique ne relève ni d’une appréciation strictement individuelle, ni d’une réaction spontanée. Il se construit, à partir de qualités inhérentes aux œuvres, à travers des interactions langagières, fondées sur la confrontation des points de vue, l’échange d’interprétations et la mise en langage de l’expérience sensible.
Perception et expérience esthétique
Une œuvre d’art devrait toujours nous apprendre que nous n’avions pas vu ce que nous voyons
(Valéry, 1894/1957, p. 26).
Que l’acte de percevoir repose sur deux dimensions – l’une « se faisant là-bas dans le monde » et l’autre « se faisant en moi » – a été illustré par Barbaras (1994/2016). Il affirme que, bien que la perception implique « […] la conviction de découvrir une réalité qui précède mon regard et telle qu’elle était avant que je ne la perçoive […], la perception est sensible, c’est-à-dire mienne : elle est l’épreuve que je fais de la réalité [nos italiques] » (p. 8). L’auteur soutient que la sensation, élément constitutif de la perception, ne se limite pas à un « simple donné », mais résulte d’une construction : « non pas le plus concret, mais le plus abstrait ; non pas le cœur de la subjectivité vécue, mais ce qui en est le plus éloigné » (p. 24). La sensation se situe ainsi à l’opposé du noyau de la subjectivité vécue, apparaissant comme l’émanation, au sein de la vie perceptive, d’exigences propres au monde objectif, celui de la connaissance rationnelle (Barbaras, 1994/2016, p. 24). L’acte de percevoir ne consiste ni en une réception passive de données préexistantes au regard du percevant, ni en une projection purement subjective, mais en un processus situé de construction de la réalité. Ce processus – qui ne s’opère jamais dans un vide culturel – implique un va-et-vient entre l’expérience sensible subjective et des cadres de lecture partagés. Comme l’indique Huyghe (1955), « nos perceptions du monde physique s’organisent en nous […] sous forme d’images qui représentent avec le plus de fidélité possible ce qui se passe autour de nous. Mais perceptions, sensations, ne tombent jamais dans un terrain neutre […] » (p. 313). La perception, loin de se réduire à une simple réception du réel, se construit en interaction avec les cadres symboliques qui organisent l’expérience, parmi lesquels le langage occupe une place centrale. En nommant, en catégorisant et en différenciant les phénomènes, le langage non seulement participe à la mise en forme de ce qui est perçu, mais également à la construction du réel. Ainsi, un même phénomène physique – par exemple, la neige – peut être perçu de manière différente selon les contextes culturels. Pour un habitant d’une région méridionale de l’Europe où la neige constitue un phénomène rare, celle-ci pourra être perçue comme un phénomène indifférencié et désigné par un seul terme. En revanche, pour un locuteur inuit, en lien avec son expérience quotidienne, la neige est saisie à travers une multitude de distinctions sensorielles qui se traduisent en autant de termes les désignant : qanik (neige tombant doucement), aputi (neige sur le sol), ou encore pukak (neige poudreuse sous une couche plus dure), etc (The Canadian Encyclopedia, 2015). Cette variation linguistique pour un même phénomène, d’une part, reflète une mise en forme différenciée de l’expérience sensorielle et, d’autre part, plaide pour une articulation entre la perception individuelle et les contextes culturels qui l’orientent et la façonnent.
Goodman (1990/2024) soutient que l’expérience esthétique est un phénomène dynamique. Selon lui, elle « impose de faire des discriminations délicates et de discerner des rapports subtils, d’identifier des systèmes symboliques et des caractères au sein de ces systèmes, ainsi que ce que ces caractères dénotent et exemplifient, d’interpréter des œuvres et de réorganiser le monde en termes d’œuvres et les œuvres dans les termes du monde » (p. 283-284). L’auteur met en lumière le caractère cognitif de l’expérience esthétique en la comparant à une expérience scientifique. Il ne la définit pas comme une simple « action », mais plutôt comme une « attitude » fondée sur la recherche et la mise à l’épreuve, un acte de création et de recréation14. La dimension exploratoire de la perception esthétique est également soulignée par Jauss (1972/1991) qui, commentant Valéry15, invite le spectateur « à se défaire de l’aspect familier des choses, à participer à l’élaboration de ce monde nouveau qui se constitue dans le tableau (pour ne pas dire : à l’“achever” par un acte de perception constructive) » (p. 145).
La transposition didactique à partir de pratiques de référence
Ne pouvant agir directement sur la perception subjective de l’élève découlant de sa première rencontre avec l’œuvre, l’enseignant peut agir en déterminant des objets de savoir susceptibles d’induire une expérience chez l’élève. Il s’agit pour l’enseignant de préparer un terrain propice pour que l’élève puisse d’abord reconnaître puis produire un discours sur ces objets, par la mise en œuvre d’une dialectique de la formulation16. Ce travail, propre à l’enseignant, relève d’un processus de transposition didactique (Chevallard, 1985/1991) consistant à transformer les savoirs et les pratiques de référence en contenus d’apprentissage susceptibles d’être appropriés par l’élève par le biais d’activités. Dans le dessein de transposer une expérience esthétique dans le contexte de l’enseignement artistique à l’école, Mili (2018, p. 22) relève le rôle de l’aménagement du milieu didactique (Brousseau, 1998, p. 32), travail préalable de l’enseignant visant à isoler des objets significatifs – soit des contenus d’enseignement – à partir d’une œuvre de référence, tout en les articulant de manière à favoriser la construction de significations chez l’élève17. Selon Mili (2018), un « cheminement propre à chaque spectateur […] dans des étapes qui sont néanmoins fonction de l’œuvre et de ses traits distinctifs » (Mili, p. 22) est envisageable. Mais cela requiert d’avoir posé les bases d’un « travail d’assemblage, à partir d’une perception qui oscille entre fragmentation et remembrement, entre cadrage et balayage » par le biais de l’ostension d’éléments matériels et « l’identification et la dénomination de traits pertinents » (Schubauer-Leoni, Leutenegger, Ligozat et Flückiger, 2007, p. 59 cité par Mili, 2018, p. 22).
Des milieux didactiques
La notion de « milieu », telle que conceptualisée par Brousseau (1998) dans le cadre de la théorie des situations didactiques en mathématique, est définie comme « tout ce qui agit sur l’élève ou ce sur quoi l’élève agit » (p. 32) dans une situation d’action. Dans le contexte de l’éducation physique, Amade-Escot (2007, p. 120) définit le milieu comme l’ensemble des objets matériels et symboliques ainsi que leur évolution au fil des interactions entre enseignant et enseigné qui déterminent les pratiques d’étude pour la construction de nouveaux savoirs. C’est à travers les interactions que l’élève établit avec les objets constituant le milieu qu’il peut construire de nouveaux savoirs en adaptant ses réponses aux rétroactions du milieu lui-même. Perrin-Glorian (1999, p. 285-286) met en évidence comment la notion de milieu peut être utilisée à deux échelles différentes, l’une plus globale correspondant à la structuration du savoir mis à l’étude, l’autre plus locale, relative à la structuration et à l’évolution dans le temps du milieu dans le cas de l’étude d’une situation spécifique. L’auteure distingue un milieu potentiel, comprenant un système d’objets aménagé par l’enseignant, d’un milieu activé pour un élève donné. Dans le cadre de cet article, le milieu se réfère à l’ensemble d’objets potentiels susceptibles d’agir sur l’élève et sur lesquels l’élève est susceptible d’agir dans la construction d’un savoir. L’élaboration d’un cycle d’enseignement visant à développer une expertise esthétique dans le cadre d’un cours de danse au cycle 3 de la scolarité obligatoire impose une réflexion sur la relation particulière que les adolescents établissent avec leur corps. L’adolescence se caractérise par des transformations où le corps occupe une place essentielle : l’adolescent doit renoncer à son corps d’enfant pour accueillir un nouveau corps qui se modifie constamment. Ces transformations physiques génèrent habituellement chez l’adolescent des états d’instabilité caractérisés par l’excitation, la honte et le sentiment de culpabilité (Potel Baranes, 2006, p. 58). La construction d’une séquence d’enseignement visant la construction de savoirs par la médiation du corps requiert la prise en compte de ces éléments, à commencer par le choix des références artistiques.
Démarche méthodologique
Nous consacrerons la dernière partie de cette étude à l’illustration du processus de transposition didactique d’objets de savoir susceptibles de devenir « le point focal d’une conduite esthétique » (nous reprenons ici la citation de Schaeffer). Plus précisément, dans le but de déterminer des contenus d’enseignement de nature esthétique à partir d’extraits de danse hip-hop, nous nous appuierons sur des repères et des critères d’analyse qui seront explicités dans la partie qui suit. Notre démarche s’inscrit dans ce que Lefeuvre (2012) définit « travail épistémique du professeur », plus particulièrement dans ce qu’il qualifie d’axe de potentialisation/actualisation du savoir per se, entendu comme « la production d’un potentiel épistémique à partir de l’étude des savoirs de référence » (p. 336)18. C’est dans cette perspective que les extraits vidéo ont été analysés, à partir de critères de lecture du geste dansé définis préalablement.
Le choix des critères d’analyse : des grilles de lecture
Comment un spectacle de danse se constitue-t-il en tant que tel aux yeux du spectateur ? Selon Bernard (2001), l’observateur doit élaborer son propre modèle de lecture, en effectuant des choix sur la base de « ses propres normes d’enchaînement perceptif19 » (p. 210-211). Le spectateur construit sa propre « trame » de lecture qui ne correspond pas nécessairement à celle du projet chorégraphique, mais plutôt à la singularité de son système de réception, qui est le fruit de l’histoire personnelle et en même temps situé culturellement. Bernard (2001, p. 112) utilise la métaphore du « tissage » et du « détissage » d’une toile, proposant cinq « fils » à partir desquels cette opération devient possible. Plus précisément, Bernard distingue l’organisation dynamique de l’espace, la structuration plastique du spectacle, la structuration rythmique en termes de succession temporelle d’éléments corporels, la logique signifiante qui n’est pas nécessairement narrative, la tonalité expressive, c’est-à-dire « les modalités singulières des manifestations visibles et audibles de la production pulsionnelle autoaffective, à la fois effets et sources d’émotions » (Bernard, 2001, p. 212). La tonalité expressive désigne la manière singulière dont les émotions s’expriment à travers le corps et la voix d’un individu, dans leur dimension visible (gestes, postures, mouvements) et audible (intonations, rythmes, intensités sonores). Elle résulte d’une dynamique interne – ce que Bernard appelle une « production pulsionnelle auto-affective » – c’est-à-dire un mouvement affectif venant de soi, qui s’exprime physiquement tout en suscitant, en retour, une transformation de l’état émotionnel chez le spectateur.
Dans une démarche de formalisation de l’expérience vécue et observée en danse, Guisgand (2006, p. 119) propose des repères destinés à soutenir le regard du spectateur dans la réception de la danse. Selon l’auteur, les appuis – plus visibles que le poids lui-même – offrent une clé d’analyse du mouvement dansé. Leur observation permet de saisir les stratégies chorégraphiques visant à alléger ou accentuer la gravité du corps. Ainsi, les sauts, les élans et les élévations illustrent une quête de dépassement de la pesanteur. L’intensité d’un geste se manifeste par les variations du tonus musculaire qui structurent le mouvement. Les rythmicités sont considérées par Guisgand non seulement au sens musical mais aussi au « sens pictural de vitesse d’apparition » (Guisgand, 2010, p. 87). Alternant appuis, tensions et relâchements, le danseur sculpte le temps par des variations de rythme et d’intensité. Ces jeux de poids et de vitesse structurent un phrasé où chaque mouvement s’inscrit dans une dynamique fluide et contrastée. D’après Guisgand, la musicalité du mouvement se manifeste aussi à travers des formes qui peuvent être nommées ou décrites, selon un vocabulaire spécialisé ou quotidien. « Une danse peut être figée, “gelée” à tout moment et donner à voir une forme dans l’espace. […] Et puis, il y a la forme dans le temps qui existe dans toute séquence motrice, qu’elle dure quelques secondes ou une danse entière » (Humphrey, 1990, p. 61 cité par Guisgand, 2006, p. 121). Enfin, l’auteur mentionne les états du corps qu’il définit comme « l’ensemble des tensions et des intentions qui s’accumulent intérieurement et vibrent extérieurement, ensemble à partir duquel le spectateur peut reconstituer une généalogie de l’émotion qui préside à la forme » (Guisgand, 2010, p. 87).
Le hip-hop comme pratique sociale de référence
Le hip-hop suscite un intérêt particulier en raison de la place qu’il occupe dans les préférences des jeunes, notamment lorsqu’il s’agit d’aborder un cycle d’enseignement consacré à la danse en milieu scolaire20. Le mouvement hip-hop est né au début des années 1970 dans les quartiers défavorisés de New York, en réponse aux tensions sociales et à la violence. Son principal enjeu résidait dans la transformation des dynamiques conflictuelles en une forme d’expression artistique, s’incarnant dans des pratiques telles que la musique (le rap), les arts graphiques (les graffiti) et la danse (Lubrano, 2018, édition du Kindle, empl. 797). Schur (2009, p. 43) identifie l’ironie comme l’une des caractéristiques fondamentales du hip-hop, se traduisant par un détournement délibéré de la réalité permettant une prise de distance à son égard. La culture hip-hop se distingue par un syncrétisme culturel, intégrant des influences esthétiques issues de plusieurs contextes (William, 2011, p. 134-135) : le reggae jamaïcain, les traditions orales des griots et les ring shouts africains, ainsi que le jazz, le blues et l’art du mime (Amenzou, 2019, p. 219), pour ne citer que quelques exemples. Selon Armstrong (2022), l’angoisse face à l’avenir, omniprésente chez les jeunes générations, s’exprime à travers une esthétique « futuriste » (p. 37), souvent inspirée par l’univers des films de science-fiction. Cette influence est particulièrement perceptible dans les mouvements des breakdancers et des poppers, notamment par leurs saccades et leurs poses figées, imitant des gestes robotisés. La danse hip-hop est avant tout geste d’improvisation, le freestyle né du « faire soi-même21 », permettant d’inventer son propre style à partir d’éléments techniques de base : comme l’affirme Amenzou (2019), il s’agit de « l’art de combiner le spontané et le réfléchi » (p. 19).
Définir l’esthétique hip-hop à partir de ce qui ne l’est pas
Shapiro (2004) entrevoit une relation d’opposition entre la danse hip-hop et les danses que l’auteure qualifie de « savantes », (p. 196), notamment la danse classique et la danse contemporaine. Selon l’auteure, cette opposition est relevable non seulement dans les discours des acteurs, mais également dans les mouvements dansés. Dans une perspective didactique, l’ouverture d’une séquence d’enseignement par des activités de comparaison d’extraits de danse hip-hop et de danse classique constitue, à notre avis, une entrée féconde. Un tel choix repose sur l’exploitation de contrastes marqués tant sur le plan gestuel – postures, rapport au sol, dynamiques corporelles – que sur le plan culturel – modalités de transmission, contextes sociaux et historiques de production. Cette mise en tension initiale est susceptible d’introduire le « jeu de différences » qui fonde toute analyse stylistique, en rendant saillants les repères spécifiques à la danse hip-hop et en facilitant ainsi leur identification par les élèves. Il appartiendra à l’enseignant de choisir les extraits à visionner et les types de tâche à effectuer, pour que l’élève puisse d’abord identifier puis dénommer et désigner des traits pertinents, à partir de signes ostensifs22 présents dans le milieu didactique.
L’analyse de l’extrait suivant (Association Métiss-Arts, 2019)23, où alternent un danseur de hip-hop et une danseuse de ballet classique, met en évidence différentes « organisations dynamiques de l’espace24 » (Bernard, 2001, p. 212) qui sont relevables dans deux approches distinctes des axes horizontal et vertical : d’une part, l’ancrage au sol propre à la breakdance ; d’autre part, la recherche d’élévation et l’exploitation de la longueur de la scène, caractéristiques du ballet classique. Le « duel » s’ouvre sur un back spin25 exécuté par le danseur de hip-hop, suivi de pirouettes réalisées par la danseuse de ballet. Le regard de l’élève pourrait être orienté sur les différents rapports à la gravité qu’entretiennent les deux danseurs26, à travers l’identification des divers appuis. Shapiro (2004) évoque une « symétrie inversée »27, où se dessinent à la fois une opposition et une équivalence entre la tête du hip-hoppeur et les pieds de la danseuse : « le breakeur des banlieues tourne sur la tête, tandis que la ballerine des beaux quartiers s’élève sur ses pointes28 » (p. 206). Ces mêmes éléments sont observables dans l’extrait vidéo de Paradis29 (Jerome, 2006) de José Montalvo et Dominique Hervieu, ainsi que dans l’extrait d’Un Nioc de Paradis30 de José Montalvo (Etienne Aussel, 2024), où deux danseurs se partagent la scène sur les notes du concerto La Tempesta di Mare RV 98 d’Antonio Vivaldi, rendant lisible un contraste marqué dans les rapports à la gravité.
Dans l’extrait suivant31 (Annika Verplancke, 2015), la danseuse exécute une chorégraphie alternant des mouvements caractéristiques de la danse classique et du hip-hop. On pourrait envisager une activité de réception visant à amener l’élève à identifier les traits distinctifs propres à chaque genre. Les séquences 0:35-0:43 et 0:47-1:01, où la danseuse adopte des gestes robotiques typiques du popping32, seront probablement plus aisément identifiables, ces mouvements étant familiers aux adolescents par le biais de références culturelles accessibles. À l’inverse, à 0:15 le mouvement qui mime les battements du cœur, pourrait nécessiter plusieurs visionnements, car il s’intègre subtilement dans un passage qui emprunte son esthétique au ballet classique.
Non sans intérêt dans ce contexte, l’extrait de Paradis de José Montalvo et Dominique Hervieu (Jerome, 2006) donne à voir une cohabitation chorégraphique entre danse contemporaine, ballet classique, danse africaine et hip-hop, articulée sur les notes du concerto RV 558 de Vivaldi « à plusieurs instruments »33. Le mélange de styles de danse met en évidence des rapports contrastés au corps, à la musique et à l’espace, susceptible d’enrichir l’analyse stylistique. En particulier, le passage34 de la chorégraphie dans lequel Montalvo et Hervieu font coïncider l’entrée successive de danseurs en solo avec les solos instrumentaux du concerto de Vivaldi – un danseur de break sur celui des flûtes, une danseuse classique sur celui de la mandoline, un danseur de popping sur celui des théorbes – constitue un milieu riche pour une lecture comparative des styles chorégraphiques. Ce choix chorégraphique rend perceptibles non seulement les différences gestuelles et expressives propres à chaque registre de danse, mais aussi le lien entre structure musicale et rythmicité du spectacle, comprise ici comme « le sens pictural de la vitesse d’apparition » (Guisgand, 2010, p. 87). Il permet également de saisir les modes de structuration plastique du mouvement, c’est-à-dire « les modalités singulières de l’émergence et du jeu isolé et/ou relationnel […] des “figures” » (Bernard, 2001, p. 212).
Concevoir des activités de réception à partir de pratiques de danse différentes permet, quel que soit l’aménagement du milieu didactique, de tirer parti des contrastes pour mettre en lumière les spécificités respectives de chaque esthétique. Dans le contexte spécifique qui nous intéresse, cette approche offre l’opportunité de saisir un trait fondamental de la danse hip-hop, soit son « double rapport d’opposition et de mise en équivalence » avec les danses instituées (Shapiro, 2004, p. 196). Dans une perspective de progression des apprentissages, il n’est pas sans intérêt d’amener l’élève à explorer la manière dont ces deux esthétiques peuvent s’entrelacer, comme en témoigne la pratique du Jookin35. Issu du Gangsta Walk36, ce style de danse a évolué depuis les années 1990 en intégrant diverses influences stylistiques, notamment celles du ballet classique. Cette hybridation est particulièrement visible dans les déplacements sur les pointes de pieds, les tours ainsi que par l’intégration de références explicites à des ballets classiques37. Parmi les mouvements constitutifs de cette danse, on trouve le tutting38, le icing39 et le packman, soit une sorte de vague réalisée avec les bras. Par le visionnement de l’extrait suivant40 (Flatone, 2014), l’élève pourrait être amené à reconnaître les différents pas de base du jooking à l’aide de définitions données au préalable, mais aussi certains éléments empruntés à la danse classique par la confrontation avec d’autres extraits où ces figures sont présentées de manière élémentarisée. Par exemple, dans le but d’inviter les élèves à identifier les figures reprises et réinterprétées par Lil’ Buck, une proposition d’activité consisterait à leur présenter la vidéo d’une chorégraphie classique réalisée sur « Le Cygne » de Camille Saint-Saëns41, puis inviter les élèves à identifier les figures reprises et réinterprétées par Lil’ Buck dans sa propre version. Questionner l’élève sur la réappropriation de ces figures par Lil’ Buck pourrait ouvrir une réflexion sur les effets esthétiques produits par de telles citations. S’agit-il d’un effet comique ou, au contraire, d’un effet dramatique ? Le regard des élèves pourrait être dirigé sur les intensités des mouvements, sur les expressions du visage et encore sur les états de corps au sens de « couleur personnelle » donnée aux différents mouvements (Guisgand, 2006, p. 123, citant Fontaine, 2004, p. 192). Le croisement entre la gestuelle et la teinte expressive que le danseur leur confère dans son interprétation permet au spectateur de percevoir un état émotionnel spécifique. Une mise en commun à partir de contrastes ou d’oxymores (burlesque/tragique ; poétique/prosaïque ; onirique/cauchemardesque ; esquissé/détaillé ; fluide/saccadé) déterminés au préalable est susceptible de faire émerger des jeux de langage, contribuant à la construction d’un vocabulaire spécialisé. Cela pourrait également contribuer à modéliser la perception, le ressenti et, enfin, l’évaluation esthétique, pour reprendre les termes de Michaud (1999, p. 69).
Le détournement
Le besoin de se réapproprier l’histoire et les racines d’un peuple anime encore aujourd’hui les représentants du hip-hop, dans un jeu constant de réinventions et de réinterprétations. Cette dynamique transparaît notamment dans les mots de Bintou Dembélé à propos du footwork42, une figure emblématique de la breakdance :
Aujourd’hui, j’aime à détourner le sens de ce geste, que j’ai envie de nommer comme un geste marron. Le marronnage, c’est la fuite des personnes réduites en esclavage pour créer des sociétés nouvelles libres, la possibilité de se réinventer une culture et des formes de rites […] Ce geste-là, pour moi, traduit l’idée que l’on se crée des impasses dans les jeux de jambes, et que l’on doit trouver des issues. C’est ça qui me plaît : l’idée que ces corps-là sont dans une forme de musicalité, dans des fuites. J’essaye de faire des esquives ; il y a la répétition, une circularité qui me plaît […]43
(Lagarde, 2019)
Comment l’enseignant peut-il accompagner l’élève dans l’appropriation de cet élément de l’esthétique hip-hop, à savoir le détournement ? Sur quels objets sensibles l’élève peut-il s’appuyer pour construire cet apprentissage symbolique ? La danseuse et chorégraphe souligne l’importance de puiser dans le passé d’un peuple, dans ses pratiques, et de les réinterpréter par le mouvement afin de « réinventer une culture et des formes de rites ». Créer des conditions par l’aménagement d’un milieu didactique favorisant l’identification de certaines de ces influences culturelles à l’aide de critères objectivables constitue une première étape pour aider l’élève à appréhender l’effet esthétique résultant de leur détournement.
L’esthétique de la joute
La culture hip-hop s’est développée à travers des dynamiques territoriales, des codes symboliques, des messages identitaires, ainsi que des rassemblements communautaires porteurs de revendications sociales. Ses expressions artistiques traduisent ces enjeux et s’en nourrissent. Ainsi, les confrontations entre groupes pour l’appropriation et la défense d’un territoire ont donné naissance aux battles, duels chorégraphiques où la compétition, codifiée et ritualisée, devient un mode d’affirmation culturelle (Lubrano, 2018, édition du Kindle, empl. 192). Le terme battle renvoie à une mise en scène symbolique de la violence. À l’origine du mouvement hip-hop, il désignait un affrontement entre deux bandes, visant à transposer sur le plan artistique un conflit qui, autrement, aurait pu se manifester par l’usage de la violence (Cougoule, 2022, p. 78). Bethune (2003, p. 77) établit une filiation entre la culture hip-hop et la tradition des ring shouts africains, des cérémonies festives religieuses où les participants, disposés en cercle, se relaient pour entrer au centre et y performer44. L’héritage du ring shout transparaît dans la structuration dynamique de l’espace lors des battles de danse hip-hop, où les danseurs investissent tour à tour le centre d’un cercle formé par un public participant mélangé aux danseurs en attente de leur passage45. Pour faciliter cet apprentissage, la comparaison d’extraits vidéo illustrant cette organisation spatiale pourrait jouer un rôle. Par exemple, dans l’extrait d’un ring shout d’une Plantation dance46 (Mhenrystl, 2016), la formation du cercle est particulièrement visible, tout comme la prise de tour des participantes, notamment à 2:14. L’extrait documente une pratique de Ring Shout, dans laquelle les participants évoluent en cercle selon un mouvement continu, accompagné de chants responsoriaux, de frappes rythmiques des mains et de pas glissés. La configuration circulaire conjuguée à la répétition des motifs gestuels et vocaux, inscrit la performance dans une dynamique à la fois communautaire et rituelle.
Une proposition d’activité pourrait consister à amener l’élève à comparer cet extrait avec une séquence vidéo d’un battle de hip-hop, afin d’identifier les similitudes dans l’agencement spatial et de relever comment ces configurations génèrent des structurations plastiques spécifiques du spectacle dans un jeu d’appels et de réponses. Cela se manifeste notamment lorsque plusieurs danseurs entrent en scène simultanément, comme on peut l’observer à 5:15 de cet extrait47 (CercleUnderground, 2016) issu d’une battle de popping. L’effet de détournement peut être appréhendé à travers les attitudes corporelles et les expressions faciales des danseurs, qui reproduisent des gestes quotidiens empruntés à l’univers urbain, rendant parfois floue la distinction entre mouvements spontanés et gestes chorégraphiés. Ce processus donne lieu à un véritable alphabet gestuel codifié, constituant un mode de communication propre aux danseurs (voir en annexes). À titre d’exemple, dans l’extrait suivant48 (Red Bull BC One, 2023), une b-girl49 effectue un geste signalant que son adversaire a reproduit deux fois la même figure, transgressant ainsi une règle implicite des battles qui proscrit la répétition d’une même technique (voir le code « Déjà fait » dans les annexes).
Si la danse hip-hop trouve son origine dans l’espace urbain et les pratiques artistiques de rue, elle connaît aujourd’hui un processus d’institutionnalisation savante. Ce processus se manifeste notamment par son intégration dans les théâtres et les salles de spectacle, marquant ainsi une reconnaissance de sa dimension artistique au sein des institutions culturelles50. Convoquer des références culturelles dans lesquelles la danse hip hop intègre d’autres pratiques artistiques telles que l’opéra ou la danse contemporaine est une possibilité qui s’offre à l’enseignant dans l’aménagement du milieu didactique.
À titre d’exemple, dans l’extrait51 de Queen Blood d’Ousmane Sy (Numeridanse, 2019), l’esthétique de la joute demeure perceptible dans la structuration plastique du spectacle (Bernard, 2001, p. 112), notamment à travers l’alternance entre les configurations collectives (tutti) et les interventions individuelles (solos). La circularité caractéristique des battles est ici reconfigurée sous des dispositions en ligne, depuis laquelle des danseuses s’avancent successivement pour exécuter des séquences en solo.
Dans l’extrait suivant, issu de Pixel52 (Cubamixmo, 2021), chorégraphié par Mourad Merzouki, des séquences de breakdance (notamment à 32:50, 33:50, 34:15) apparaissent à différents moments. En dépit de la transformation constante de la structuration plastique et rythmique de ce spectacle de danse, la forme du cercle demeure encore perceptible, notamment lors des passages de breakdance. Il s’agit d’un cercle stylisé, rendu visible par les dynamiques solo/tutti, où le breakdancer se démarque du reste des interprètes évoluant le plus souvent de manière synchronisée.
Si, dans le spectacle de Merzouki, les passages hip-hop s’intègrent à une multiplicité d’autres langages corporels pour créer un espace chimérique, il en va différemment dans Les Indes galantes de Rameau, mises en scène par Clément Cogitore et chorégraphiées par Bintou Dembélé à l’Opéra Bastille en 2019. Dans un extrait de La Danse du Grand Calumet de la Paix53 (Cappella Mediterranea, 2019), la mise en scène d’une battle, portée par la célèbre Danse des Sauvages, opère un détournement de l’idéologie coloniale sous-jacente à l’œuvre de Rameau. Ce renversement s’exprime par l’intégration de danses issues de la rue, notamment le krump54, qui insufflent à la scène une dynamique de contestation et de réappropriation culturelle. De même ici, la formation du cercle, au sein duquel les solistes se succèdent tout au long de la danse dans des configurations variées – du solo au quintette –, se distingue particulièrement dès le début de l’extrait (0:10). L’attention de l’élève pourrait être orientée vers les variations d’intensité des mouvements, perçues comme des « qualités produites par le jeu des intensités toniques » (Guisgand, 2006, p. 120), et leur correspondance avec les fluctuations expressives du caractère musical. En l’occurrence, l’adéquation de l’intensité du geste dansé au caractère musical façonne la structuration plastique du spectacle, établissant un dialogue étroit entre mouvement et structure musicale55.
Des effets d’illusion
Des gestes ou des pas, à première vue, très simples, moins techniques que d’autres, et pourtant l’effet n’en était pas moindre. Il y avait quelque chose. Quelque chose d’abstrait que nous avions du mal, en réalité, à saisir. C’est comme parler des danseurs en disant qu’ils ont du feeling, du flow. On comprend, mais qu’est-ce que c’est au juste ?
(Témoignage sur le mime par Régis Truchy, cité par Amenzou, 2019, p. 226).
La danse hip-hop est intrinsèquement liée à l’art du mime : « une wave, par exemple, imite une vague, le vrai moonwalk imite l’effet d’apesanteur, l’automate à la Robert Schield reprend le mécanisme de la robotique, le scarecrow donne vie à l’épouvantail… » (Amenzou, 2019, p. 219). Toutefois, si l’art du mime sert d’inspiration aux danseurs de hip-hop (Vernay, 2011, p. 19), il s’agit d’une réappropriation qui, le dépouillant de toute intention narrative, produit un effet de détournement. Comment favoriser l’appropriation par l’élève de l’effet esthétique de détournement induit par l’utilisation de gestes mimés dans la danse hip-hop ? D’un point de vue didactique, il serait pertinent d’amener les élèves à percevoir cet effet de détournement en les confrontant à différentes formes d’articulation entre geste et narration, à partir de références culturelles variées. À titre d’exemple, dans le premier épisode de Zero Degrees56 (Akram Khan Company, 2017), on observe comment les gestes d’Akram Khan et de Sidi Larbi Cherkaoui émergent de leur discours verbal pour en prolonger le sens. La parfaite synchronisation des mouvements et des mots entre les deux danseurs, ainsi que les arrêts sur image de certains gestes, donnent à la narration une dimension chorégraphique. À l’inverse, dans une performance de mime57 (César, 2016), le geste ne prolonge pas la parole, mais s’y substitue entièrement : la communication repose exclusivement sur le corps, qui, en l’absence de mots, devient expressivement surjoué. L’effet esthétique produit par l’intégration de gestes quotidiens dans la danse hip-hop – comme l’action de mimer le lancement d’un objet58, le jonglage avec une balle ou le fait de déposer des objets au sol59 – est encore différent. Dépourvus de toute logique narrative, ces mouvements perdent leur fonction descriptive et deviennent des effets purement esthétiques, des « illusions » (Vernay, 2011, p. 59)60.
Le critère de la rythmicité, entendu à la fois au sens musical et au sens pictural de la vitesse d’apparition des mouvements (Guisgand, 2010, p. 87), joue un rôle clé dans la perception de cet effet d’illusion. Dans l’extrait de Zero Degrees, le geste dansé émerge de l’articulation entre la structuration plastique et la structuration rythmique du spectacle, le duo de danseurs étant parfaitement synchronisé. En revanche, dans les exemples de danse hip-hop, le mouvement s’adapte au rythme musical : les gestes s’intègrent dans une structure rythmique qui dicte non seulement les accentuations et les appuis, mais aussi les répétitions. La pratique du mime, quant à elle, obéit à une autre logique : c’est la narration qui impose le rythme du geste.
Conclusions
En nous appuyant sur l’analyse de références culturelles issues de la pratique de la danse hip-hop, nous nous sommes penchés, sans prétention d’exhaustivité, sur les phénomènes transpositifs visant à questionner la définition de contenus d’enseignement susceptibles de contribuer à la construction d’une expertise esthétique en danse hip-hop.
Dans le cadre d’un enseignement artistique en danse, nous avons montré que certaines stratégies sont susceptibles d’orienter les choix concernant l’aménagement d’un milieu didactique : de l’isolation de traits pertinents à la mise en relation de fragments visant l’établissement de correspondances sémiotiques. Cela peut se traduire, par exemple, par le rapprochement de plusieurs extraits, placés côte à côte pour révéler des liens ou encore par la mise en évidence de contrastes, notamment, en termes de critères établis en amont.
L’analyse des extraits vidéo a mis en évidence que l’identification par l’enseignant de traits saillants reposant sur des critères et des repères (Bernard, 2001 ; Guisgand, 2006, 2010) est susceptible de fournir des outils pour la formalisation des ressentis personnels et leur dépassement dans une perspective de partage. Ceci, dans le but de favoriser chez l’élève l’affinement du regard analytique porté sur les pratiques observées. L’utilisation de descripteurs du mouvement tels que appuis, intensités des gestes, formes et temporalités permet d’orienter le regard des élèves vers des éléments objectivables du mouvement et de favoriser ainsi l’émergence d’un langage commun. Ces critères sont accessibles à tous, leur identification ne demandant ni prérequis spécifique, ni expertise au préalable. Nous avons également essayé de démontrer comment les paramètres observables du mouvement dansé peuvent fonctionner comme des descripteurs facilitant l’accès à la dimension esthétique et culturelle d’une œuvre.
À travers cette étude, nous avons cherché à démontrer la nécessité, pour l’enseignant, de mener une réflexion épistémologique préalable à partir d’objets culturels de référence, dans le but de définir des contenus d’apprentissage susceptibles, par leur appropriation, de contribuer à la construction d’une expertise esthétique en danse. Néanmoins, une approche esthétique engage une démarche d’analyse de la danse à partir de la pratique. La réception d’un mouvement dansé renvoie l’élève spectateur à une expérience – ou à une inexpérience – préalable de ce mouvement, l’expérience corporelle directe de l’élève favorisant une perception plus fine des dynamiques, des intentions et des nuances gestuelles (Montaud et Amade-Escot, 2016, p. 93). C’est l’expérience vécue « plutôt qu’une formalisation théorique a priori » qui constitue le point de départ de toute réflexion esthétique sur la danse : « le mouvement nous touche par où nous le côtoyons » et cet état de danse continue de nous affecter même lorsque nous cessons de danser pour simplement observer (Guisgand, 2006, p. 119). C’est dans cette interaction dynamique entre réception et production, entre repérage par les élèves de traits saillants et leur réinvestissement libre dans leurs productions personnelles, entre expérience sensible et travail d’analyse, que se dessine la possibilité d’un développement de la pensée créatrice dans le cadre de l’enseignement/apprentissage de la danse en contexte scolaire ordinaire.







