À la redécouverte du naturisme

p. 134-138

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Présentation de l’ouvrage

L’ouvrage intitulé Du sport à la scène. Le naturisme de Georges Hébert (1875-1957) (2017) prolonge admirablement une série de contributions que l’auteur, Pierre Philippe-Meden, a consacrées jusqu’ici à ce brillant éducateur physique que fut Georges Hébert (1875-1957). Il est significatif de lire la préface de Bernard Andrieu, professeur en STAPS à Paris Descartes, et la postface de Jean-Marie Pradier, professeur émérite à Paris 8, pour comprendre non seulement la qualité de l’ouvrage proposé mais les enjeux qui s’y connectent.

Comme le rappelle Andrieu, plusieurs travaux ont déjà été publiés sur Hébert (p. 11), mais la singularité de ce travail vient sans doute de la posture de l’auteur. Pradier évoque la démarche d’un « historien anatomiste anthropologue » qui « dissèque sans pour autant perdre de vue l’unité de l’objet et sa qualité organique vivante » (p. 328). Par-delà les déformations et parfois l’amnésie de notre société contemporaine, Philippe-Meden retrace la trajectoire et la vie de Hébert, mais également son œuvre et sa « langue » spécifique, il rend compte avec minutie d’une pratique, pour ne pas dire une forme de vie, et plus globalement du mouvement de pensée qu’il initia et qui connut diverses lignes de fuite. Loin de se cantonner à Hébert, auteur et inventeur de la fameuse Méthode Naturelle, l’auteur du livre revient sur l’« événement Hébert ».

Présentation des chapitres

Ce livre conséquent comprend deux grandes parties. La première est intitulée « Le lieutenant de vaisseau Hébert ». C’est bien la trajectoire d’Hébert qui est au cœur de ces premiers chapitres. Les voyages forment la jeunesse, a-t-on coutume de dire. Sans céder à la mise en place d’une légende blanche ou noire, Philippe-Meden narre les premières étapes de la vie d’Hébert, son milieu familial et culturel, sans doute l’habitus qui le détermine, et rapidement les déplacements qu’il effectua à l’occasion des premiers pas de sa carrière professionnelle d’officier de marine. On découvre les passions et les rencontres importantes qu’Hébert fait au fur et à mesure des années, notamment lorsqu’il est confronté à la main d’œuvre féminine à Fort-de-France à la Martinique et à la force physique déployée par ces personnes. Les influences de son périple aux États-Unis sont un autre aspect important mis en exergue par l’auteur. À cette occasion, évoquant les Antilles, l’Amérique ou encore l’Afrique du Nord, l’auteur relie ici l’expérience d’Hébert dans la marine navigante et la manière dont différentes rencontres, expériences, lectures et socialisations ont permis l’émergence d’une conception riche et hétérogène de ce que devait être une éducation physique complète s’adressant à tous (enfants, adolescents, adultes, hommes et femmes) (p. 75). Les pages suivantes montrent comment Hébert contribua à la réforme de l’entraînement physique militaire tout en continuant à s’initier à des pratiques spécifiques, comme les arts du cirque par exemple, et en s’inscrivant dans la tradition de l’École française d’éducation physique établie par Georges Demeny (1850-1917). Philippe-Meden insiste beaucoup à cet égard sur les innombrables références qui l’ont influencé. Dis-moi qui tu lis et de qui tu t’autorises, je te dirai de qui tu es ; tel semble le crédo original de l’auteur. Une épistémologie complexe faite de nuances mais également de traditions intellectuelles et culturelles très hétérogènes. De cette trajectoire se déduit un véritable itinéraire de pensée.

Le titre de la seconde partie est « L’Hébertisme et les hébertistes ». Plusieurs chapitres traitent de la diffusion et de la réception de l’Hébertisme, non sans paradoxes, conflits ou quiproquos. Le lecteur observera comment l’hébertisme fut diffusé, notamment dans le corps de la marine et dans l’éducation militaire, alors qu’Hébert percevait l’éducation physique comme une œuvre proprement scolaire (p.181). L’auteur étudie la prolifération d’expériences suite au célèbre épisode du Collège de Reims, notamment la création de la Palestra à Deauville par des monitrices hébertistes, ainsi que l’essaimage de cette pensée à travers la revue L’Éducation physique. Un souci traverse fondamentalement cette seconde partie : Hébert pense avec des auteurs, des œuvres, des conceptions, autant qu’il pense contre d’autres auteurs, œuvres et conceptions. Il en est de même pour l’hébertisme et Philippe-Meden restitue cette expérience de pensée face à des opposants, des contradicteurs, tout en mettant en valeur des singularités, comme le rapport à l’art ou à l’esthétisme.

En conclusion, l’auteur revient sur l’essaimage souvent paradoxal de la Méthode Naturelle, qui alterne entre oubli de certains enjeux et redécouverte récente dans différents contextes. L’ensemble du propos est passionnant car il repose sur des archives et des textes imprimés. Par ailleurs, l’auteur a eu la bonne idée de joindre au texte de très belles illustrations : cartes postales, photographies, premières de couverture, etc. L’auteur est méticuleux et son style est agréable à lire. En annexes, les lecteurs pourront consulter un tableau synthétique relatif au rayonnement international de la Méthode Naturelle.

Corps, nature et esthétisme

D’un point de vue méthodologique, il est remarquable que l’auteur ait abordé l’œuvre produite au prisme de la propre trajectoire d’Hébert et de ses pérégrinations diverses. Le fait qu’il se soit appuyé sur l’étude de la revue L’Éducation physique est également particulièrement intéressant. Un texte provenant d’une revue n’est pas simplement un texte, il s’inscrit dans une entreprise collective qui cherche à occuper du terrain sur une question dans un champ de force souvent traversé par des enjeux de stratégie. L’auteur est sans doute bien inspiré d’aborder l’étude de la revue en tant qu’elle est une mise en récit d’une expérience, la mise en place d’une synergie, d’un projet collectif, d’une aventure dans lesquels se mêlent différents devenirs possibles. L’angle monographique aurait pu être un piège et orienter l’auteur vers une biographie décontextualisée. Au contraire, Philippe-Meden traite bien d’une œuvre vivante, s’incarnant dans des trajectoires et des rencontres, puisant dans des contextes culturels d’une extrême richesse, et se déclinant dans des pratiques exigeantes faisant système. Le challenge était d’aborder la portée culturelle et épistémologique de cette école de pensée qu’est l’hébertisme. Le pari nous semble réussi tant l’ouvrage semble même inviter le lecteur à redécouvrir au plus vite cette œuvre stimulante.

Selon nous, cet ouvrage est symptomatique de la volonté de rendre à certains objets et thématiques (le corps, le rapport à la nature, la pratique artistique, l’esthétisme) leurs lettres de noblesse. L’Hébertisme n’est pas simplement une méthode d’éducation physique et une manière de s’entraîner, mais une pensée, voire un rapport au monde. Certes, il ne s’agit pas de la première publication portant sur Hébert. Néanmoins, ce qui caractérise cet ouvrage est bien le fait d’avoir pris au sérieux l’œuvre de cet acteur de la culture corporelle. Se revendiquer de l’hébertisme tient d’une véritable aventure intellectuelle, spirituelle, culturelle et corporelle. Cinquante ans après 1968, la question de la corporéité semble parfois totalement ensevelie alors même qu’elle donnait lieu, il n’y a pourtant pas si longtemps, à des débats particulièrement vifs dans le monde de l’éducation physique. À travers cet ouvrage, les lecteurs pourront prendre conscience que le naturisme apparaît bien comme une pratique et une théorie, particulièrement emblématique de l’effervescence culturelle de l’Entre-deux-Guerres et des débuts du xxe siècle, et dont l’influence est encore grandement sous-estimée. En cela, l’atypique projet de Philippe-Meden est peut-être une subtile invitation à relier les grandes synthèses sur l’histoire du naturisme évoquant des passés lointains (Baubérot, 2004 ; Villaret, 2005) et la question philosophique, pour ne pas dire politique, de l’écologie corporelle dans notre actualité (Andrieu).

Bibliographie

Andrieu, B. (2017). Préface (11-15). In Philippe-Meden, P. (2017). Du sport à la scène. Le naturisme de Georges Hébert (1875-1957). Pessac : PUB.

Baubérot, A. (2004). Histoire du Naturisme. Le mythe du retour à la nature. Rennes : PUR.

Philippe-Meden, P. (2017). Du sport à la scène. Le naturisme de Georges Hébert (1875s-1957). Pessac : PUB.

Pradier, J.-M. (2017). Postface. Georges Hébert (1875-1957). La nature du naturel (327-364). In Philippe-Meden, P. (2017). Du sport à la scène. Le naturisme de Georges Hébert (1875-1957). Pessac : PUB.

Villaret, S. (2005). Histoire du naturisme en France depuis les Lumières. Paris : Vuibert.

Citer cet article

Référence papier

Xavier Riondet, « À la redécouverte du naturisme », La Pensée d’Ailleurs, 1 | 2019, 134-138.

Référence électronique

Xavier Riondet, « À la redécouverte du naturisme », La Pensée d’Ailleurs [En ligne], 1 | 2019, mis en ligne le 20 octobre 2019, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/lpa/index.php?id=103

Auteur

Xavier Riondet

Maître de conférences en sciences de l’éducation, université de Lorraine, équipe Normes & Valeurs, LISEC (EA2310). Chercheur associé à l’équipe ERHISE, université de Genève.

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