Dans ce septième numéro de Strathèse nous proposons un panorama pluridisciplinaire de travaux sur les « Normes et normativités ». De la philosophie à l’histoire en passant par la sociologie et la musicologie, neuf doctorants ou jeunes docteurs (un article est écrit à quatre mains) travaillant sur des terrains variés se sont prêtés à l’exercice de la publication.
Pour ouvrir le numéro, David Lopez pose d’emblée la complexité des normes – sociales, juridiques, ou de santé – comme phénomène. Partant du constat que le concept de normes ne peut être scientifiquement déterminé, il inscrit son approche des normes dans une dialectique moderne, entre adaptation et contestation, non pour résoudre ou dépasser la contradiction mais pour l’assumer comme telle.
Dans sa contribution Frédéric Porcher reconstitue les termes d’un débat actuel sur les différents modèles de critique sociale. À travers ce débat, l’auteur travaille à identifier les points de convergence et de divergence entre la critique normative immanente et la critique généalogique. Selon lui, la critique généalogique, bien que critique immanente, n’en demeure pas moins une critique sociale en ce que son originalité ne consiste pas à s’appuyer sur des normes sociales immanentes pour fonder sa critique, mais à problématiser le sujet des normes que la critique immanente semble présupposer pour pouvoir se fonder.
C’est à la question de la transgression des normes que s’intéresse quant à lui Pierre‑Alexandre Delorme. Si on considère que la transgression est moins une manière d’enfreindre la loi que de produire de la norme, alors la normativité du capitalisme néolibéral apparaît comme une économie de la transgression, tentant de capter l’agir transgressif pour se reproduire. À partir des théories de Giorgio Agamben sur les normes et l’état d’exception, cet article propose d’interroger la manière dont l’agir transgressif se trouve capturé et dont il produit un être de plus en plus aliéné dans sa condition anthropologique d’homo transgressor.
L’approche historienne de Julien Lagalice considère le temps de troubles que constitue une révolte médiévale, ici celle de Besançon en 1451, comme un lieu de l’éclosion d’une concurrence entre des formes anciennes de normes et la volonté d’en instaurer des nouvelles. Si les paroles prônant la rupture avec le pouvoir précédent la révolte ont retenu l’attention des historiens, les usages hérités des anciens gouverneurs chassés demeurent importants. L’équilibre trouvé est fragile, mais une partie de ces projets normatifs survivent à la révolte et s’imposent même sur le long terme.
Juan David Barrera a problématisé le phénomène normatif à partir de la production musicale des organistes français de l’époque classique. La musique pour orgue en France sous le règne de Louis XIV reflète en effet le phénomène de production de normes caractérisant l’horizon culturel de l’époque classique. Cet article aborde le rôle fondamental que jouent les normes, assurant une intelligibilité qui témoigne des enjeux esthétiques de l’époque et qui sert aux intérêts communicatifs de l’Église catholique.
Les deux articles suivants s’intéressent à la notion d’autonomie comme norme dans le champ de la pratique médicale. Agathe Camus explore le fondement conceptuel d’un lien entre santé et autonomie des individus à partir du concept canguilhémien de normativité. Elle propose ainsi de montrer que la notion de latitude des normes de la vie et du comportement, invoquée par Canguilhem pour caractériser la santé, peut s’étendre au-delà du champ de la normativité vitale et devenir l’indice d’une conception holiste de la santé dans laquelle il est possible de penser ensemble santé et autonomie.
Christophe Humbert s’intéresse quant à lui au maintien à domicile des personnes âgées, notamment celles qui sont atteintes de maladie d’Alzheimer. Étudiant la répartition des aides issues de sphères institutionnelles distinctes présentant chacune ses contraintes normatives propres, l’auteur étudie la manière dont cette répartition amène des négociations et des bouleversements normatifs, tant sur les soins eux-mêmes que sur l’intimité entre patients et aidants. Finalement, le maintien à domicile semble reposer, dans certaines situations, sur l’élargissement de l’injonction contemporaine à être autonome à un collectif aidant-aidé.
Pour clore le numéro, Anne Fernandes et Thomas Pierre travaillent la tension qui sous-tend le rapport entre les normes telles qu’elles sont édictées par les institutions et leur appropriation par le sujet. À partir de l’exemple de l’éducation à la sexualité en milieu scolaire, ils montrent comment cette tension relève d’un nouveau régime normatif articulant les disciplines extériorisées aux disciplines intériorisées, dans lequel la responsabilité individuelle est centrale et qui dépasse le cadre de l’éducation à la sexualité.