Avant‑propos

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Si l’école doctorale SHS-PE de l’université de Strasbourg a choisi parmi ses thématiques prioritaires les identités, c’est parce que cette question traverse les disciplines qu’elle recouvre, et dépasse largement les SHS pour s’inviter dans les débats de la société civile. Les apports conceptuels de la notion d’identité viennent nourrir des réflexions scientifiques dans des domaines aussi variés que la sociologie, la psychologie, l’ethnologie, l’histoire mais également la géographie ou la science politique.

Banalisée à outrance et atteinte de surcharge sémantique, la notion d’identité peut cependant facilement mener à une forme de vacuité conceptuelle en sciences sociales. Comme le souligne Brubaker (2001), il n’est pas illégitime de se demander si les sciences sociales n’auraient pas capitulé devant le mot « identité ». En effet, celui-ci signifie trop (quand on l’entend au sens fort), trop peu (quand on l’entend au sens faible), ou ne signifie rien du tout (à cause de son ambiguïté intrinsèque).

Depuis son introduction en sciences sociales dans les années 1950 aux États-Unis (Gleason, 1983), le concept d’identité s’est largement diffusé dans le monde des SHS, mais également dans le discours public et ses reformulations fréquentes l’ont rendu peu opérationnel. Au-delà de la psychologie, c’est également la sociologie qui contribue à populariser la terminologie de l’identité. D’abord par Robert K. Merton avec la théorie du groupe de référence, puis par la sociologie des interactions symboliques. D’emblée préoccupée par la question du « moi », cette sociologie évoque de plus en plus souvent « l’identité », en partie sous l’influence d’Anselm Strauss (1959). Des auteurs comme Erving Goffman et Peter Berger ont également contribué à diffuser la notion d’identité. Progressivement, le terme d’identité s’impose dans le vocabulaire tant journalistique qu’académique et s’introduit dans le langage de la pratique sociale et politique. À cela s’ajoute une prolifération des revendications identitaires aux États-Unis qui, selon Brubaker, est facilitée par l’incapacité du parti démocrate à porter un discours qui parle aux classes populaires et par la faiblesse de l’analyse sociale et politique en termes de classes.

Dans la tradition sociologique française, au contraire, l’identité d’une personne est associée à sa classe sociale. Pour de nombreux sociologues, les classes sociales sont considérées comme des ensembles culturels relativement homogènes qui créent des identités collectives au sein desquelles se construisent les identités individuelles. Néanmoins, cette référence aux seules classes sociales d’appartenance va s’effriter à partir des années 1990 et les sociologues ont de plus en plus recours à la notion d’identité au pluriel, qui renvoie à des croisements et des affirmations identitaires bien plus larges. Dans la plupart des analyses actuelles, l’identité des individus se décline en de multiples dimensions (le genre, l’origine ethnoculturelle, la croyance religieuse, l’âge, etc.). De ce fait, on observe désormais une présence envahissante de la question de l’identité dans de nombreux travaux qui se sont fait l’obligation d’en traiter les modes d’expression et les formes particulières. D’autres chercheurs affirment qu’il faut prendre au sérieux les évolutions identitaires en lien avec les changements organisationnels de ces dernières décennies (Dubar, 2000), non seulement parce qu’elles offrent les moyens de repenser la question de la production de l’individu, mais aussi parce qu’elles sont symptomatiques de transformations de fond qui engagent largement le devenir de nos sociétés. Ainsi, l’identité est prise dans une série de tensions entre :

  • similitude et différence,
  • objectivité et subjectivité,
  • individuel et collectif,
  • permanence, contextualité et transformation.

Suivant les approches choisies, la notion d’identité tend à désigner des objets ou des propriétés très différents. Pour autant, nombreux sont les chercheurs en SHS qui ne veulent pas renoncer à un concept dont la difficulté d’approche ne fait jamais que refléter la complexité du phénomène dont il cherche à rendre compte, à savoir l’imbrication du personnel et du social dans le développement de la personnalité et l’explication des comportements humains. Qu’elle soit personnelle, collective, locale ou nationale, l’identité recouvre des attachements multiples. Dès lors, en se situant dans une perspective pluridisciplinaire, il semble préférable de parler des identités au pluriel en les situant dans des contextes définis, qu’ils soient historiques, géographiques, sociétaux, culturels, politiques ou idéologiques.

Les textes rassemblés dans ce dossier présentent des travaux ayant décliné la notion d’identité dans des domaines et sur des terrains très différents. Montrant la fécondité des approches en termes d’identité, les auteurs apportent un éclairage original sur leur objet, qu’il s’agisse de l’identité comme rapport à soi et rapport aux autres, des identités nationales et régionales, sociales, religieuses ou de genre, des constructions, productions et transformations identitaires.

Bibliographie

Berger, P., 1963, Invitation to Sociology. A Humanistic Perspective, Penguin Books, Harmondsworth, Middlesex.

Brubaker, R., 2001, « Au-delà de l’identité », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 139 (1), p. 66-85.

Dubar, C., 2000, La crise des identités. L’interprétation d’une mutation, Paris, PUF, « Le lien social ».

Gleason, P., 1983, « Identifying Identity: A Semantic History », The Journal of American History, vol. 69, n° 4, p. 910-931.

Goffman, E., 1975 (1963), « Stigmate et identité sociale », in Stigmate. Les usages sociaux du handicap, Paris, Minuit.

Merton, K. R., 1968, Social theory and social structure, New York, Free Press.

Strauss, A., 1959, Mirrors and Masks: The Search for Identity, Glencoe, The Free Press.

Citer cet article

Référence électronique

William Gasparini, « Avant‑propos », Strathèse [En ligne], 5 | 2017, mis en ligne le 01 janvier 2017, consulté le 25 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/strathese/index.php?id=419

Auteur

William Gasparini

Sociologue, professeur à la faculté des sciences du sport, chaire Jean Monnet et membre de l’unité de recherche « Sport et sciences sociales » (EA 1342), université de Strasbourg

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