À l’échelle d’une vie, un parcours professionnel décrit comme une totalité cohérente est avant tout une construction. Car, loin d’être une trajectoire lisse et ordonnée, le parcours professionnel est inévitablement parsemé d’évènements, de contingences, d’incertitudes et de choix plus ou moins consentis (Balleux, Perez-Roux, 2011 ; Négroni, 2005 ; Bessin, Bidart, Grossetti, 2009 ; Fournier, 2010). Pourtant, les récits de parcours professionnels s’énoncent avec une certaine cohérence et une certaine unité. Ceux-ci présentent de façon plutôt coordonnée les différents événements qui ponctuent une trajectoire de vie, selon une logique qui apparaît prévisible dans l’après-coup. Selon Goffman (1974), il s’agit souvent de ne pas « perdre la face » ou de faire « bonne figure » en lissant l’hétérogénéité des différents évènements survenus et des choix opérés et en les intégrant à une histoire cohérente et stable, donnant du sens à la situation actuelle.
L’enjeu est de taille car, derrière la production de cohérence du parcours, il y a production de cohérence de soi-même dans le temps (Demazière et Dubar, 1997). Même si elle n’implique pas formellement la synchronisation des différentes temporalités, cette recherche essentielle de cohérence conduit l’individu à réinterpréter son parcours en s’appuyant sur une sélection d’évènements signifiants ancrés dans sa mémoire par une mise « en intrigue » (Ricœur, 1983).
Ainsi, le discours que nous produisons de notre propre parcours professionnel est une mise en forme de différentes expériences vécues, ordonnées de façon à donner une signification et cheminant vers un aboutissement. Le récit d’un parcours professionnel fait par un individu n’est donc pas seulement le déroulement et l’agencement de séquences chronologiques, mais dépend également du dénouement d’une intrigue qui vise, à partir d’un système de représentations subjectives, à soutenir une certaine idée de soi. Cette construction d’une « certaine idée de soi » peut être envisagée, selon la terminologie du psychologue américain Dan MacAdams comme un mythe personnel, c’est-à-dire comme une histoire « que chacun de nous produit naturellement pour rassembler les différentes parties de nous-mêmes en un tout convaincant » (McAdams, 1993, p. 12).
L’objet de cet article est, dans un premier temps, de proposer, à partir d’une ouverture aux recherches anglo-saxonnes en psychologie du développement, un modèle théorique permettant, selon Mac Adams, l’observation et l’analyse du processus de production de cette « mise en cohérence » biographique. Puis, à partir d’une présentation succincte de notre programme de recherche et de sa méthodologie, nous évoquerons quelques perspectives ouvertes par ces travaux, notamment dans le cadre de l’étude des reconversions professionnelles.
Considérant la permanence des défis auxquels nous devons faire face à tout âge, et tout au long de la vie, ces travaux conduisent, d’une manière plus générale, à envisager les discontinuités dans un parcours de vie, comme autant d’occasions d’apprendre à faire coexister des réalités temporelles apparemment dissociées. In fine, il s’agira de considérer la capacité à produire une cohérence biographique comme une ressource permettant de dépasser un moment de transition potentiellement déstabilisant. Dans ce cadre, les recherches du psychologue américain D. McAdams, encore très méconnues en France, peuvent offrir au chercheur un modèle d’analyse original permettant d’éclairer la mise en dialogue, plus ou moins consciente, des différentes temporalités personnelles.
Développement d’un mythe personnel tout au long de la vie
En introduction, signalons tout d’abord que la notion de développement, telle que l’entend McAdams dans ses recherches, ne se réduit pas à une actualisation préétablie d’un modèle de vie ou à une sorte de programme de progression séquentielle et universelle. Ainsi, « le cours de la vie n’est pas lisse et homogène. Il ne se développe pas à travers une série de cycles stables, stades ou phases ou saisons constamment répétées » (McAdams, 1993, p. 95).
D’un point de vue épistémologique, McAdams prend ici ses distances avec une interprétation du développement de l’être humain en stades « durs » et en découpage chronologique « qui n’admettrait ni régressions ni diversité des voies de passages d’un stade à l’autre, ni positionnement du sujet à cheval sur plusieurs stades » (Lesourd, 2009, p. 31)1.
En cela, il s’appuie sur les travaux du psychanalyste E. Erikson et sur son modèle de « crise » qui considère le développement des individus à partir d’une série de crises psychosociales d’adaptation permettant de maintenir l’équilibre entre les différentes images de soi dans le temps et les différentes appartenances sociales elles-mêmes en évolution (Erikson, 1972, p. 221-226). À partir de ce modèle, Erikson propose un cadre temporel au vécu de la crise, qui conduirait les individus à s’appuyer sur des vécus antérieurs pour en sortir.
Prolongeant les travaux d’Erikson, McAdams soutient que l’identité est une histoire de vie intériorisée, tracée par un récit de soi permettant d’intégrer différentes parties d’une même vie. Ce récit, McAdams le nomme le « mythe personnel » :
Un type spécial d’histoire que chacun de nous construit naturellement pour rassembler les différentes parties de nous-mêmes et de nos vies en un tout convaincant […] comme acte d’imagination (le mythe personnel) est une intégration modélisée de notre passé remémoré, de notre présent perçu et de notre futur anticipé (McAdams, 1993, p. 12).
Selon McAdams, ce mythe personnel a pour fonction d’« alimenter la vie en signification, unité et dessein » (p. 265). À l’instar des grands récits fondateurs, souligne-t-il, le mythe personnel est une histoire considérée par l’individu comme sacrée, intégrée dans sa culture, et capable d’éclairer ses valeurs personnelles : « Le mythe personnel n’est pas une légende ou un conte de fée mais une histoire sacrée qui incarne une vérité personnelle » (p. 34).
En considérant le mythe personnel comme une « intégration modélisée » des différentes temporalités personnelles, McAdams l’envisage comme un synchronisateur capable de fournir aux individus une cohérence et un sens, assurant une fonction d’orientation du cheminement personnel, notamment lors de moments d’incertitudes, de transition ou de désorientation : « quand l’histoire de notre vie ne fait plus sens pour nous, nous avons besoin d’explorer des alternatives identitaires pour façonner un nouveau mythe » (p. 111).
L’approche de McAdams, qui donne donc un statut privilégié à la construction de l’identité à partir de la production de « sa propre histoire », n’est pas sans rappeler celle du champ des « histoires de vies » développé en France notamment par Pineau et Le Grand, histoires de vie définies comme « recherche et construction de sens à partir de faits temporels personnels » (Pineau et Le Grand, 2007, p. 3). Le modèle de McAdams est également très proche de la notion « d’identité narrative » développée par Ricœur (1983, 1990), qui met en évidence la centralité du langage et de la narration2 dans la construction et le maintien de l’identité : l’individu étant considéré ici comme l’auteur et l’acteur de son récit.
Cependant, ce qui distingue la notion de mythe personnel des approches narratives est que, dans le modèle de McAdams, « l’histoire » se construit à partir d’une structure complexe agencée de différentes « couches », verbales et non verbales, et de processus archaïques comme l’attachement précoce3, les sensations corporelles, l’affect ou les émotions. McAdams met ainsi en question le monopole du langage et de la narration dans la construction des temporalités et de l’histoire personnelle. En reprenant dans ces travaux le modèle de McAdams, Lesourd (2009) précisera :
À côté d’une construction langagière de sa propre histoire, mise en avant par les histoires de vie sur le fond d’une perspective narrativiste, l’expérience quotidienne suggère une construction des durées personnelles à travers des médiations non-verbales […] l’histoire de vie se construit pour une part dans des strates non verbales du sujet (2009, p. 21).
L’hypothèse de la place du « non-verbal » dans l’organisation biographique est également soulignée par d’autres travaux dans le champ des neurosciences (Conway, 2005 ; Morise, Berna et Danion, 2011), qui soutiennent que les connaissances autobiographiques ont pour fonction de contextualiser et de classer les informations sensori-perceptives propres à un évènement particulier. D’autres travaux (Pringuey et Kohl, 2001 ; Berna, 2010) s’appuient sur la mise en évidence d’une organisation autobiographique de la mémoire qui serait hiérarchique, conceptuelle et directement influencée par le self4. L’intérêt de ces approches en sciences humaines réside dans l’ouverture à la dimension de santé et de pathologie mentale liée au récit de soi. En effet, elles établissent un lien entre une altération de la construction de la personnalité (la schizophrénie, pathologie mentale) et un dysfonctionnement dans l’encodage biographique des expériences personnelles et sociales. Ainsi, l’inaccessibilité à ces expériences mettrait à mal le « sentiment d’être soi » (Berna, 2010, p. 346). Par ailleurs, ces travaux nous ouvrent un champ d’investigation dans lequel la dimension sensorielle – non verbale – de la construction de l’histoire de vie est prise en compte.
Avec son modèle, McAdams, qui ne nie pas le caractère essentiel du langage oral, nous ouvre à l’idée qu’une expérience peut être envisagée autrement qu’à partir d’une construction uniquement narrative dans la mesure où elle ne dépendrait pas seulement de la médiation du langage ; elle est aussi une histoire sans paroles : « dans différentes cultures, les récits biographiques peuvent aussi se faire sous forme de chants, de danses ou de broderies » (Lesourd, 2009, p. 17). Selon McAdams, des gestes, des objets, et tout un ensemble de sensations infra-, pré- ou para- verbales peuvent contribuer (avec ou sans interactions linguistiques) à donner forme aux différentes temporalités personnelles.
Structure et développement du mythe personnel
Nous proposons, pour poursuivre l’exploration du modèle de McAdams, de l’observer à travers certaines étapes désignées par l’auteur et qui, selon lui, entreront en résonance à l’âge adulte pour constituer l’infrastructure du mythe personnel. Durant les deux premières années de la vie, nous dit McAdams, les individus dessinent, à partir de l’expérience précoce de leurs relations5, une tonalité narrative qui constituera le sous-bassement du mythe personnel, et par conséquent la manière dont ils raconteront leur vie. Ces tonalités correspondront, d’une part, à la confiance et à l’espoir (optimiste) et d’autre part, à la résignation et à la méfiance (pessimiste).
À l’âge préscolaire, indique McAdams, les enfants s’imprègnent d’un répertoire d’images « stockées » à partir des jeux symboliques et des rêveries, eux-mêmes dépendants de l’environnement culturel et social dans lequel les enfants évoluent. Ces derniers s’approprient, sans véritablement les comprendre, les histoires et les intrigues qui les sous-tendent, ces images qui deviendront centrales dans leur mythe personnel.
Durant l’enfance, l’imagerie construite s’enrichit. Les enfants s’intéressent à ce que les personnages des histoires veulent et à ce qui les motive. Parmi elles, le pouvoir et l’amour sont, selon McAdams, les deux thèmes centraux autour desquels s’organisent des motifs ou motivations antagonistes relevant de deux tendances générales : la communion, recherche de formes de reliance, de participation à quelque chose qui transcende l’individu et la capacité d’agir, ou l’agentivité, qui désigne plutôt une forme de lutte pour devenir autonome et maîtriser son environnement (McAdams, 1993, p. 73).
Durant l’adolescence, il y a émergence du mythe personnel à travers la mise en place d’un ensemble de valeurs et de croyances. C’est ce que McAdams désigne comme l’« idéologie ». Elle fonctionne comme un cadre pour l’identité et permet, sur la base des thèmes précédents que sont l’agentivité et la communion, l’émergence d’interrogations telles que : « Qu’est ce qui est bien ? Qu’est ce qui est vrai ? Comment le monde devrait-il fonctionner ? » (1993, p. 82). Dès lors, les adolescents peuvent envisager différents scénarios de vie, observer que leurs comportements varient en fonction des situations ou des interlocuteurs, et prendre conscience d’une différence entre le « soi ressenti » et l’image renvoyée par leurs pairs, leurs parents et leur environnement social. Selon McAdams, les cadres idéologiques sont des enjeux majeurs à l’adolescence car ils vont permettre aux intrigues de se déployer par l’exploration des possibles.
Chez les jeunes adultes, l’ensemble des éléments articulés, tonalités narratives, images, thèmes et idéologies sont remobilisés pour faire face à des conflits entre des parties clivées du mythe personnel. Ces parties, McAdams les appelle des imagos. Les imagos se présentent comme des conceptions de soi personnifiées, idéalisées et façonnées inconsciemment et consciemment :
Ces caractères fonctionnent dans nos mythes comme s’ils étaient des personnes […] nos histoires de vie peuvent avoir un ou plusieurs imagos dominants. La présence de deux imagos centraux et contradictoires dans le mythe personnel semble être relativement courante (McAdams, 1993, p. 122).
Plus tard, dans ce que McAdams appelle le mi-temps de vie (de quarante à soixante ans), les individus commencent à éprouver certaines pertes, à l’origine de toute une série de questions sur leur place dans le monde, le sens de la vie et de la mort, leur rôle par rapport aux générations futures, l’envie ou la nécessité de laisser une trace à la postérité. Enfin, selon le modèle de McAdams, les personnes âgées « remanient, révisent et re-racontent leur propre histoire de vie de manière à ce que le commencement, le milieu et la fin se donnent sens mutuellement » (Lesourd, 2009, p. 49).
Une des originalités de la notion de mythe personnel réside dans sa portée heuristique pour rendre compte des modifications de l’histoire de vie et de son organisation. Comme nous l’avons déjà souligné, si le mythe personnel et le champ des histoires de vie (telles qu’envisagées en France dans la tradition de Pineau et Le Grand) partagent des soubassements théoriques communs, le mythe personnel revêt une propriété nécessairement imaginaire, construite par « acte d’imagination » : « une histoire que nous continuons à réviser, à nous raconter en avançant dans la vie » (McAdams, 1993, p. 241).
Aussi, là où le courant des histoires de vie recherche davantage un mouvement de conscientisation émancipatrice (Lesourd, 2009, p. 23), le modèle de McAdams souligne plutôt une fonction d’interprétation/réinterprétation, créative et sélective des expériences, permettant de construire/reconstruire une histoire plus ou moins fictive, mais qui fait sens. Ainsi, la notion de mythe personnel permet, d’une part, de questionner l’articulation des processus verbaux et non-verbaux dans l’élaboration de l’histoire de vie, et de l’autre, d’assumer la prise en compte du caractère plus ou moins fictif, altéré voire invérifiable de la narration des évènements. En ce sens : « la vérité n’est pas simplement ce qui est arrivé, mais ce que nous en pensions au moment où cela se passait, et ce que nous ressentons maintenant » (McAdams, 1993, p. 29). Le caractère labile du mythe personnel renvoie à l’idée qu’une expérience passée peut être à tout moment réinterprétée en fonction d’un inédit du présent, de la confrontation à une transition, à une rupture ou à une incertitude. En tant que modèle intégrateur des différentes temporalités personnelles, il conduit à considérer les évènements passés comme autant d’expériences dont les potentialités interprétatives – et les connaissances qui en résultent – sont quasi infinies, et dépassent probablement la production verbale ou écrite. Quant à l’idée d’une « construction mythique de soi » qui revêt un caractère romanesque, elle souligne les ajustements que nous opérons pour continuer à être les « héros de notre vie » et fournir, quand l’histoire de notre vie ne fait plus sens, des alternatives identitaires. Cela sous-tend l’idée que l’individu « figure » ses différentes expériences, en leur donnant une interprétation singulière, relative à une construction – momentanée – de « son monde intérieur ». En cela l’aspiration à être le « héros de sa vie » peut se concevoir comme une capacité à mobiliser des ressources internes d’adaptation et de changement pour chercher à s’affranchir de déterminismes, de s’accommoder avec la contingence, la nécessité ou l’arbitraire, en se racontant sa propre histoire.
Conclusion et perspectives de recherche
Au terme de cet article, nous pouvons dire que l’approche de McAdams met en évidence les ajustements biographiques opérés tout au long de la vie par un individu à travers la construction/reconstruction de son mythe personnel. À l’instar du courant des histoires de vie, il soutient que c’est l’histoire construite à propos de soi qui donne un sens aux expériences vécues et que, partant, réadapter sa propre histoire permet de faire face à des évènements qui peuvent venir bouleverser un équilibre établi. Nous avons observé que l’une des originalités de la notion de mythe personnel de McAdams réside dans le fait qu’elle sous-tend l’existence d’influences non-verbales dans l’organisation de l’histoire de vie : au-delà d’une « simple » mise en intrigue, l’histoire de vie s’édifie également à partir de la mise en résonnance d’un certain nombre d’expériences qui s’enracinent ailleurs que dans le discours. En cela, McAdams, même s’il en a souligné le caractère essentiel, nous invite à penser que le langage oral n’a pas le monopole de l’organisation des différentes temporalités vécues, ni du maintien de l’unité de l’identité et de l’image de soi. Son modèle nous invite à envisager les discontinuités d’un parcours professionnel comme autant de moments de transformations du mythe personnel et propose ainsi une autre intelligibilité aux recompositions identitaires (Balleux, Perez-Roux, 2011) à l’œuvre dans les moments de transition. Par conséquent, les recompositions identitaires ici envisagées prennent un statut de ressources transitionnelles et constituent une forme de « savoir-faire » existentiel pour faire face à une crise. Si les situations de transition professionnelle offrent justement un espace de recherche privilégié pour l’analyse de(s) réajustement(s) d’équilibre(s) antérieurement construit(s) chez un individu, la notion de mythe personnel enrichit celles des stratégies mises en œuvre pour dépasser la « zone de turbulence » qu’elles génèrent.
Dans ce cadre, nous avons choisi de mobiliser le modèle de McAdams pour engager l’étude longitudinale d’un échantillon de militaires en cours de reconversion professionnelle. Associé à une méthode qualitative, ce suivi ponctué de quatre entretiens de type biographique, est conduit sur deux années (un entretien tous les six mois). Il vise à saisir, à différents moments de leur processus et par comparaison, comment les militaires en reconversion interrogés reconstituent leur trajectoire, argumentent leur parcours et leurs choix de métier, sélectionnent et interprètent les évènements (vécus et ressentis) qu’ils identifient comme signifiants pour évoquer leur transition professionnelle.
Il s’agit ainsi de mettre en évidence, à partir de leurs discours, les mécanismes et les logiques d’ajustement biographique inhérents à une reconversion professionnelle, qui s’inscrit ici dans un contexte original et spécifique. En effet, l’institution militaire agit comme une matrice productrice de valeurs fortes, de symboles et d’usages singuliers qui permettent aux militaires l’engagement de leur force et de leur personne au service de la nation, jusqu’au sacrifice de leur vie. L’individu qui s’engage à l’armée doit donc incorporer un système de valeurs qui le prépare à remplir sa mission, laquelle deviendra plus importante que sa propre vie. En se distinguant, sans s’en extraire, de la société qu’il protège, en revêtant un uniforme, il s’approprie une identité et un statut symbolique proches de ceux du héros. Or, lorsqu’il quitte l’armée, le militaire perd ce statut de héros pour redevenir un quidam. Notre recherche en cours vise donc à comprendre la manière dont les militaires s’adaptent et reconfigurent leur identité pour faire face à cette appartenance multiculturelle en mouvement. Pour cela, la théorie du mythe personnel offre un cadre interprétatif permettant de modéliser les ressources internes que mobilisent les militaires face à la rupture engendrée par leur reconversion professionnelle.
Au-delà de notre étude, il nous semble que les pistes d’investigation et les questions qu’ouvre la notion de mythe personnel se déploient à travers de nombreux champs comme celui de la formation pour adultes ou de la Validation des Acquis de l’Expérience. Elles conduisent notamment à la recherche d’une corrélation entre la réussite d’une transition professionnelle et la réécriture du mythe personnel. Dans cette perspective, la capacité à réajuster son mythe personnel pourrait être envisagée comme une capacité d’adaptation mobilisable pour faire face à des situations de transitions. À l’inverse, son non-réajustement est une hypothèse explicative de l’échec ou de la relative difficulté de certaines transitions.