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DOI : 10.57086/strathese.184

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On associe bien souvent la notion de frontières à celles de territoire et de nation. Si cette conception est loin d’être la seule envisageable (nous verrons dans ce dossier qu’il existe bien d’autres types de frontières), elle n’en constitue pas moins une partie substantielle de la problématique des frontières. Frontières géographiques, culturelles, politiques, linguistiques, ou encore économiques, nombreuses sont les démarcations qui séparent (mais aussi font se toucher) les nations et les peuples à travers les limites de leur territoire.

La frontière est toujours double, elle n’est jamais univoque, et c’est en cela qu’elle est un objet d’analyse riche et inépuisable. Si la frontière sépare, elle est aussi ce qui rassemble, en offrant une identité commune à ceux qui sont au sein d’un même périmètre de frontières. Si la frontière peut arrêter les mouvements, elle est aussi ce par quoi transitent les échanges entre cultures et identité différentes. Si la frontière protège ceux qui s’y réfugient, elle peut aussi attirer les convoitises de ceux qui se trouvent de l’autre côté. Et tout cela, indépendamment du fait d’être une frontière géographique, matérielle, politique, culturelle, identitaire, symbolique, financière, sociale, etc. Quelle que soit sa forme, sa dimension, sa limite, la frontière reste avant toute chose cette ligne qui sépare et pourtant confronte deux entités distinctes, cette démarcation qui les éloigne et pourtant les met en dialogue. Il n’y a pas d’identité sans frontière, pas d’unité de mesure. Elle est une donnée fondamentale dans l’analyse et la compréhension des interactions entre pays, entre individus, entre subjectivités.

Dans le premier article de ce dossier, nous verrons dans quelle mesure les frontières territoriales et politiques peuvent évoluer en même temps que la nation qu’elles déterminent. Esmira Gasimova nous propose dans son article une analyse détaillée des modifications géopolitiques survenues dans la région de Téhéran, à la suite de la chute de l’Union Soviétique et de l’indépendance de l’Azerbaïdjan. Les frontières en mouvement étudiées ici sont à la fois géographiques, politiques, culturelles, économiques, elles se répandent à tous les niveaux et ont des conséquences sur l’ensemble des sociétés qu’elles encadrent et séparent.

Dans le même mouvement, la seconde contribution, proposée par Vira Ratsiborynska, nous livre un aperçu de l’impact de la Politique Européenne de Voisinage sur l’ensemble des frontières de l’Union Européenne. Elle y aborde ainsi les problématiques de gestion de l’immigration au sein des frontières européennes, ou encore celles de la préservation frontalière/démarcation identitaire de l’Union Européenne face à ses voisins qui, pour certains, souhaiteraient intégrer le bloc formé par ses pays membres.

Mais la question des frontières n’appartient cependant pas qu’au domaine des territoires géographiques et politiques. Il existe des frontières immatérielles et insaisissables, qui pourtant sont porteuses de significations fortes pour les individus et les sociétés. Les trois articles suivants proposent de faire état de cette autre dimension frontalière qui régit l’identité et les échanges inter-individuels.

Les enjeux des frontières géographiques peuvent ainsi côtoyer ceux des frontières identitaires, comme nous le montre Gilles Grienenberger, dans une étude sur la répartition des fonctions sociales liées au genre dans la culture Mohawk, et le rapport très différent à l’espace qui est attribué à chacun des individus selon qu’ils soient hommes ou femmes : préserver les frontières ou les franchir, deux approches opposées mais finalement complémentaires dans le fonctionnement global de la société étudiée ici.

De frontières identitaires et sociales, c’est également ce dont parle Lionel Saporiti dans son article, à travers la description des frontières symboliques existant de façon tacite mais pourtant bien réelle entre les personnes dites « sans domicile fixe » et le reste de la société. Il y sera fait état de la façon dont une identification excluante peut fédérer entre elles les autres identités, aussi variées soient-elles, car une frontière symbolique particulièrement prononcée fait disparaître de façon contextuelle toute autre frontière qui serait moins stigmatisante.

Pour conclure ce dossier, nous aborderons un dernier type de frontières identitaires, celles du « dedans et dehors » corporel et de la notion de « nature et culture », à travers la contribution de Valentine Gourinat et Barbara Nascimento Duarte, qui analysent les limites particulièrement mouvantes du corps humain. À travers des exemples d’usages de prothèses comme substituts organiques et comme annexes du corps, ou encore d’insertion d’implants sous-cutanés dans le but de modifier l’image et les fonctionnalités corporelles comprises par certains comme naturelles, nous découvrons à quel point le corps humain est loin d’être un territoire figé et immuable.

Si l’ensemble des frontières existantes ne peut être abordé au sein de ce dossier (mais est-ce seulement possible, tant elles semblent innombrables), la variété des approches proposées au fil des cinq contributions qui sont présentées ici permet en tout cas déjà d’appréhender la complexité inhérente à un tel thème, et de proposer des orientations de travail génératrices de nouvelles ouvertures.

Les contributions proposées en varia de ce numéro, si elles ne sont pas directement liées à la question des frontières, permettent toutefois de prolonger et d’élargir la réflexion à ce propos en abordant les problématiques d’identité et de politique territoriale, de restructuration de territoire, et de la complexité des relations inter-territoriales.

Car si les frontières d’un territoire préservent celui-ci des territoires qui l’entourent, elles l’isolent également dans un même mouvement. C’est là le paradoxe relevé dans la contribution de Jérôme Clerget sur les États Neutres. Nous y découvrons les problématiques très particulières affectant les pays qui ne souhaitent pas s’engager dans des dynamiques d’alliances militaires en situation de conflits internationaux, et la nécessité de faire évoluer les conditions qu’implique cette situation d’isolement martial.

Toujours sur la question des transformations de territoire, l’article de Nicolas Guillaume étudie de façon précise le processus de changement de capitale dans l’Italie de la seconde moitié du 19e siècle. Nous y découvrons les enjeux et les conflits qui s’engagent autour de la désignation d’une ville comme nouvelle capitale d’un territoire, et les conséquences parfois problématiques pour l’ensemble de la nation, que cette désignation peut entraîner.

Citer cet article

Référence électronique

Valentine Gourinat, « Présentation », Strathèse [En ligne], 2 | 2015, mis en ligne le 01 septembre 2015, consulté le 25 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/strathese/index.php?id=184

Auteur

Valentine Gourinat

Doctorante en charge du projet Strathèse et secrétaire de rédaction

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