Recherches en cours sur l’Alsace et l’Oberrhein au Moyen Âge - Laufende Forschungen zum mittelalterlichen Elsass und Oberrhein

Journées d’études doctorales de Fribourg en Brisgau, 30 novembre-1er décembre 2012

DOI : 10.57086/sources.466

p. 119-122

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Depuis 2009, des doctorants et chercheurs français, suisses et allemands se rencontrent régulièrement pour partager leurs travaux en cours sur l’Alsace et l’Oberrhein au Moyen Âge. Le dernier atelier en date a eu lieu à Fribourg-en-Brisgau les 30 novembre et 1er décembre 2012 avec la participation de plusieurs membres de l’EA 3400/ARCHE (Université de Strasbourg) et du CRESAT (Université de Haute-Alsace). Il a été organisé par l’Historisches Seminar de l’Université de Fribourg (département Landesgeschichte) et financé avec l’aide d’EUCOR et de l’Institut français d’histoire en Allemagne.

Boris Dottori (ARCHE, Université de Strasbourg) y a retracé l’histoire du peuplement du Piémont et des Vosges entre Zorn et Bruche, du vie au xviiie siècle. Joignant les résultats de fouilles archéologiques aux mentions textuelles et à la toponymie, ses travaux de thèse offrent une contribution aux débats sur la naissance du village. Les dynamiques de peuplement varièrent fortement au fil des siècles dans la zone étudiée. Diffusé sur l’ensemble de la zone à l’époque antique, le peuplement se resserre dans la seule partie orientale aux temps mérovingiens. Le phénomène est vraisemblablement lié à la présence d’un palais royal à Marlenheim et à la pratique du vignoble. L’occupation demeure alors mouvante, sur des sites qui se trouvent en périphérie des habitats actuels. À l’époque carolingienne, des pôles isolés anciens, notamment des monastères, structurent dans leur orbite des peuplements organisés selon un modèle commun et cohérent, que l’on observe par exemple autour de l’abbaye de Marmoutier. Ces nouveaux ensembles contribuent à la densification de l’habitat dans l’ouest de la région. Le processus se poursuit aux xiie-xiiie siècles et s’accompagne d’une stabilisation de l’habitat, dont attestent le groupement autour des églises et la création de fossés villageois. Du côté des massifs forestiers vosgiens, apparaissent aussi, aux xiie-xiiie siècles, des villages créés de toutes pièces sur des espaces de défrichement. Dernières nées, ces localités de petite taille furent aussi les plus éphémères. Beaucoup furent progressivement abandonnées avant la fin du xvie siècle ; il n’en subsiste rien dans le paysage actuel.

Dans le cadre de l’axe « sources » de l’EA 3400, un groupe piloté par Benoît-Michel Tock (Texmed) traduit des grands textes historiographiques latins relatifs à l’histoire médiévale de l’Alsace. Après le Bellum Waltherianum, l’équipe travaille depuis la rentrée à la traduction française de la chronique du monastère d’Ebersmunster (Ebersheim). Impliqué dans cette entreprise, Tobie Walther (Fribourg, Limoges) se propose de livrer une édition critique du texte latin et une version allemande. L’atelier fribourgeois est pour lui l’occasion d’exposer les principales caractéristiques de l’œuvre et de plaider pour une nouvelle entreprise éditoriale. La chronique, due à deux auteurs anonymes, aurait été composée en deux temps, vers 1155 pour la première partie (chronique de fondation), puis vers 1237 pour la continuation consacrée aux années 1167-1235. Tous les manuscrits médiévaux de la chronique disparurent dans l’incendie de la bibliothèque de Strasbourg en 1870. Or, l’édition critique du texte dans les Monumenta Germaniae Historica (MGH), menée par Weiland en 1871, précède la découverte de plusieurs copies modernes partielles. Il importerait donc de retracer la tradition des différents fragments. Une étude fine du texte apporterait en outre un éclairage nouveau sur les relations du monastère avec le pouvoir épiscopal strasbourgeois, ce que Tobie Walther a montré à l’appui de la 1re partie, un cartulaire-chronique aux références érudites.

Comme l’étude de Boris Dottori, la contribution de David Bourgeois (CRESAT, Université de Haute-Alsace) convoque les informations conjointes des sources écrites et de recherches archéologiques. Mais elle emmène cette fois sur le terrain des Vosges du sud, du temps des prétentions alsaciennes du duc de Bourgogne Charles le Téméraire. Là, le duc et ses gens mettent en place dans les années 1470 une politique d’exploitation minière sur des filons prometteurs (Auxelles, Steinbach, Massevaux…). Un embryon d’administration voit alors le jour ; il associe des gens de l’art et des agents du trésor bourguignons. Le rêve ducal de constitution d’un district minier, mis en œuvre manu militari par le bailli Pierre de Hagenbach se heurte cependant aux droits des pouvoirs locaux, tels l’abbaye de Lure. L’entreprise ne survécut pas au Téméraire, la place était désormais libre pour des consortiums précapitalistes, réunissant plusieurs hommes d’affaires bâlois.

C’est justement le milieu urbain qui réunit les autres communications. L’Oberrhein fut un terrain d’élection des ligues, la chose est entendue. Mais la Décapole, devenue quasi mythique, a trop souvent occulté dans l’historiographie les nombreuses alliances urbaines ou mixtes qui se nouèrent dans la région. Duncan Hardy (Oxford) l’a démontré à l’appui de plusieurs types d’unions. Les ligues requièrent une approche non cloisonnée, dépassant le seul cadre urbain, puisqu’elles associèrent souvent villes et nobles. Qu’elles fussent urbaines ou mixtes, elles participaient d’une même culture politique de l’alliance. Elles empruntaient au même modèle des Paix (Landfrieden), avec leurs exigences de défense mutuelle et d’arbitrage. Elles pouvaient aussi tomber sous le coup de mêmes condamnations royales ou pontificales, obéissant ainsi à des conjonctures spécifiques.

Au nombre de ces alliances mixtes figuraient les contrats conclus entre la ville et les évêques de Strasbourg au cours du xive siècle évoqués par Bettina Fürderer (Fribourg, Zurich). Ils étaient l’un des aspects des relations complexes entretenues par la ville et les prélats strasbourgeois. Tant dans le domaine institutionnel que dans la gestion du territoire ou la tutelle sur le clergé local, les deux instances oscillaient entre coopération et confrontation. Malgré d’incontestables progrès sur le terrain de l’autonomie et du droit communal, le Conseil strasbourgeois devait toujours composer avec les prérogatives symboliques et les revendications épiscopales au xive siècle. À l’extérieur des murs, les conflits surgissaient au sujet des conduits, des péages, des vassaux ou des compétences juridictionnelles sur les dépendants. L’évêque et la ville n’en étaient pas moins unis dans des alliances bilatérales et des Landfrieden. Ils partageaient en outre une responsabilité commune dans la sphère du sacré, qui les contraignait à composer au quotidien.

En coulisse des alliances œuvraient des délégués, étudiés par Simon Liening (Trèves), qui se consacre plus spécifiquement au personnel diplomatique strasbourgeois du début du xve siècle. L’exercice de la légation urbaine passait par plusieurs vecteurs : les instructions données aux délégués par le Conseil, les mémoires et rapports élaborés par ceux-ci. Autant de supports qui articulaient l’écrit et l’oral, la communication de nouvelles et le secret, les détails prosaïques sur le voyage et la grande politique. Si le Conseil manifestait parfois sa soif de nouvelles en fustigeant ses délégués, ceux-ci n’étaient pas de simples subalternes. Une étude fine de ce milieu montre qu’il s’agissait en fait de politiques aguerris, ammeister et stettmeister, délégués sur des affaires bien ciblées en vertu de leurs liens sociaux et compétences.

Kristin Zech (Bochum) s’intéresse au contraire à des déclassés du Conseil strasbourgeois à la fin du Moyen Âge, les barbiers-baigneurs. Présente depuis 1332 au grand conseil de la ville de Strasbourg, au travers d’un représentant commun, la corporation politique (Zunft) des baigneurs et barbiers perd en effet son siège en 1482. Les raisons de ce recul semblent autant sociales que financières ou morales. Le mouvement de déliquescence s’amorce dès les années 1470 du côté des baigneurs, qui ne sont plus à même de garder leur poêle, ni d’imposer un conseiller issu de leurs rangs. En intégrant par la suite les corporations des forgerons et de la Lanterne, les baigneurs et barbiers perdirent en visibilité dans la ville. Mais la confrérie des baigneurs servit aussitôt de substitut à leur vie corporative. Elle devint le cadre de défense de l’identité et des droits du métier.

Au-delà des échanges nourris que suscitèrent les communications, ces journées transfrontalières portent leurs fruits. L’atelier doctoral 2012 a en effet coïncidé avec la parution des actes d’une rencontre antérieure (Fribourg, 2009), mélanges offerts en l’honneur du 65e anniversaire de Bernhard Metz : Neue Forschungen zur elsässischen Geschichte im Mittelalter, édité par Laurence Buchholzer-Remy, Sabine von Heusinger, Sigrid Hirbodian, Olivier Richard et Thomas Zotz, Fribourg-en-Brisgau/Munich, Verlag Karl Alber (Forschungen zur oberrheinischen Landesgeschichte, LVI), 2012.

Citer cet article

Référence papier

Laurence Buchholzer, « Recherches en cours sur l’Alsace et l’Oberrhein au Moyen Âge - Laufende Forschungen zum mittelalterlichen Elsass und Oberrhein », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 1 | 2012, 119-122.

Référence électronique

Laurence Buchholzer, « Recherches en cours sur l’Alsace et l’Oberrhein au Moyen Âge - Laufende Forschungen zum mittelalterlichen Elsass und Oberrhein », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [En ligne], 1 | 2012, mis en ligne le 18 octobre 2022, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=466

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Laurence Buchholzer

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