Dans la tête du curé Bennenot. Le suicide du curé de Pompierre en Franche-Comté en 1689

  • In the head of priest Bennenot. The suicide of the priest of Pompierre in Franche-Comté in 1689
  • Im Kopf des Pfarrers Bennenot. Der Selbstmord des Pfarrers von Pompierre in der Franche-Comté im Jahr 1689

DOI : 10.57086/sources.169

p. 135-169

Sébastien Bennenot, curé de Pompierre, un village de Franche-Comté, se suicide le 10 janvier 1689. De cet événement ne subsiste que le dossier du procès fait à son cadavre. Notre principale question porte sur les motifs de son acte. Si nous ne parviendrons jamais à connaître les véritables raisons de son geste, cette affaire nous renseigne sur les perceptions de la folie et notamment de la mélancolie et de ses différentes formes. Elles constituaient pour la période des maux suffisamment importants et connus de tous pour expliquer l’acte le plus extrême qui soit. Nous les avons perçues et étudiées à l’aide d’une méthode bien spécifique du fait de l’isolement de notre source : la lexicométrie. Cet article propose ainsi son application sur un dossier isolé et sur un corpus réduit, prouvant son utilité pour la recherche historique.

Sébastien Bennenot, priest of Pompierre, a village in Franche-Comté, committed suicide on 10 January 1689. From this event, only the record of the trial of his corpse remains. Our main questions concern the reasons for his suicide. Although we will never get to know the real motivations behind his act, this case can help us understand contemporary perceptions of madness and especially melancholy and its different forms. At the time they were judged as sufficiently important disorders, known to all, to account for the most extreme act. I have studied these contemporary perceptions using a very specific method suited to this isolated record : lexicometry. This article shows its application on an isolated case and on a restricted corpus, proving its usefulness for historical research.

Elodie Lemaire holds a master’s degree in history from the university Paris 8 (2018).

Sébastien Bennenot, Pfarrer im Dorf Pompierre (Franche-Comté) hat sich am 10. Januar 1689 umgebracht. Von diesem Ereignis sind nur die Prozessakten über seinen Leichnam erhalten geblieben. Unser Beitrag beschäftigt sich hauptsächlich mit den Motiven des Pfarrers. Auch wenn es nicht möglich ist, die wahren Gründe für seine Handlung aufzudecken, liefert sein Fall Auskünfte über die Wahrnehmung der Verrücktheit und der Melancholie und ihrer verschiedenen Formen. Aus der Sicht der Epoche waren dies ausreichend schwere und allgemein bekannte Leiden, die erklären konnten, weshalb jemand die extremste Handlung vollzogen hatte. Aufgrund des isolierten Charakters der Quelle wurde die spezifische Methode der Lexikometrie angewendet, deren Nützlichkeit für die historische Forschung in der Untersuchung hervortritt

Elodie Lemaire hat 2018 ihren Masterabschluss in Geschichtswissenscchaft an der Université Paris 8 erlangt.

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Text

« Celuy qui se tue soy-mesme, commet double homicide & de son corps & de son âme : pour ces raisons par arrêt du parlement de Paris, des homicides d’eux-mêmes ont été condamnez à être traînez sur une claye & conduits à la voirie, & puis pendus par les pieds. »

Pierre Jacques Brillon, Dictionnaire des arrêts ou jurisprudence universelle des Parlements de France et autres tribunaux…, Paris, G. Cavelier, 1711, t. II, p. 370

Ainsi Brillon, avocat au parlement de Paris, rappelle-t-il la gravité du suicide pour une personne ordinaire. Un tel acte, réprouvé par le Décalogue, est impensable pour un ecclésiastique et pourtant, le 10 janvier 1689, un curé nommé Bennenot met fin à ses jours dans sa maison curiale de Pompierre, en début d’après-midi, vers 13 ou 14 heures1. « Trop, c’est trop ! » Comment le comprendre ? Précisément, Bennenot rédige ses derniers mots sur un bout de papier puis se tranche la gorge, d’abord avec un rasoir puis à l’aide d’un grand couteau. D’après le chirurgien qui examinera son cadavre, il s’y est pris au moins à trois reprises, preuve d’une détermination sans faille2. Sa sœur, effrayée, part en courant à travers le cimetière en appelant à l’aide pour alerter les villageois. Ces derniers accourent et l’un d’eux est envoyé à Clerval chercher le chirurgien, lequel arrive trop tard. C’est ainsi que Bennenot expire, entouré de ses paroissiens, qui l’exhortent avant de rendre son dernier souffle à faire acte de contrition. Le curé, qui conserve dans sa poche une pâte de Rome3, exécute cet acte en face de son crucifix. On ne peut ainsi douter de la foi de notre curé et si ce n’est d’une croyance sincère, au moins d’une crainte réelle pour son salut.

L’événement a donné un dossier judiciaire retrouvé complet et presque intact dans la série K des Archives Nationales de France, sous la cote K 2194 liasse 2. Cette série comprend des archives de l’ancienne principauté de Montbéliard, cotées de K 1724 à K 2365, dont une partie des localités est aujourd’hui comprise dans le département du Doubs. Mais rien dans l’inventaire ne signalait notre document. La notice générale annonce même que les documents judiciaires ont été séparés du reste de la collection pour être déplacés dans la série Z2, notamment les cotes Z2 2035 à Z2 2068, pour la seigneurie et justice de Clerval. Mais c’est bien la cote K 2194 qui comprend le dossier d’un prêtre accusé de « s’estre homicidé de soy mesme » selon la formule correctement employée par le juge4. Celui-ci est un officier seigneurial, mais les hautes justices ne sont plus entachées par les « abus » dénoncés par Loyseau au tout début du xviie siècle5.

Ce dossier comprend en tout 19 pièces et 184 pages manuscrites rédigées surtout par le greffier Claude François Petitot. On relève aussi la présence d’un curateur, comme le prévoit l’ordonnance criminelle de 1670 pour les procès faits aux cadavres (titre XXII). Il s’agit d’Anthoine Bennenot, père du curé. Le juge est Jacques Joseph Vernerey et le procureur fiscal en titre est Jean-Baptiste Faivre, représenté par son commis Claude Charreton. On rencontre aussi Gaspard Guyenot, maire de Clerval, seulement pour attester qu’il a bien délivré à chaque témoin les assignations à comparaître6. Le dossier ne comprend pas d’autre pièce, alors que pour Clerval sont conservées des archives plus anciennes et plus récentes – mais rien entre 1678 et 1704, soit pendant la période de l’occupation française (1676-1698) et un peu au-delà. Les pièces principales sont les procès-verbaux du chirurgien et du juge (11 janvier 1689), la nomination du curateur (14 janvier), l’information qui court sur 71 pages (14-17 janvier), l’interrogatoire du curateur sur 8 pages (17 janvier), le récolement des témoins et leur confrontation au curateur sur trois documents et en tout 53 pages (18 janvier) et l’acte final (21 janvier).

L’action de cette haute justice seigneuriale s’inscrit dans un territoire et un contexte particuliers, car la principauté est enclavée dans le royaume de France jusqu’en 1674, date à laquelle Louis XIV conquiert la Franche-Comté puis Montbéliard en 16767. En 1680, un arrêt du parlement de Dijon a fait d’une partie de la principauté un comté anciennement rattaché à la Bourgogne, laquelle fait bien sûr partie du royaume. C’est un exemple de la « politique des réunions » au royaume8. Jusqu’en 1698, la principauté de Montbéliard est ainsi réduite à un statut inférieur, soumise en droit au roi de France et occupée par ses troupes. Le prince Georges II de Wurtemberg s’est enfui à Bâle puis en Silésie avec toute sa famille et, en son absence, le Magistrat de Montbéliard (le corps de Ville) et le conseil de Régence gouvernent sous le regard des Français. Quant à la seigneurie de Clerval, à laquelle est rattaché le village de Pompierre, elle ne relève pas du fonctionnement général des territoires montbéliardais soumis au conseil, car elle fait partie des seigneuries directement bourguignonnes9. De plus, dans un territoire qui est majoritairement de confession luthérienne, la seigneurie de Clerval est catholique et intégrée dans le diocèse de Besançon dont l’archevêque, Antoine-Pierre de Grammont, a pour mission particulière de contenir le protestantisme. Néanmoins, l’administration clervaloise reste soumise au Prince de Montbéliard, alors absent, puisqu’il conserve en tant que seigneur haut justicier le pouvoir de nommer ses officiers de justice – ceux-là même qui s’occupent de l’affaire Bennenot.

Pourquoi notre curé s’est-il suicidé ? Les témoins font bloc : il s’est suicidé par folie. Cette explication, bien commode, permet à l’accusé, et à sa famille entière d’échapper à la sentence infâmante décrite par Brillon. Existerait-il une autre raison au suicide de Bennenot ? À cette question, Bennenot n’a laissé pour toute réponse qu’un billet signé de sa main qui porte seulement en latin « Sine causa morimur » ce qui signifie « nous mourons sans cause » ou « sans raison », à quoi il joint une consigne pour débarrasser ses affaires10. La procédure n’apporte pas plus de réponses, elle est menée dans une stratégie d’évitement de cette question qui serait pour nous principale – Pourquoi s’est-il tué ? – et dans l’énumération des signes extérieurs de la folie de Bennenot – lequel était peut-être parfaitement sensé. Peut-on faire mieux que les gens de justice de l’époque et trouver dans leurs papiers des réponses à la question qu’ils ne se sont pas posée ? Oui sans aucun doute11.

Après avoir posé la question générale du suicide, la présente étude apportera les éléments de réponse propres au curé Bennenot.

Le suicide et sa perception

Le suicide est perçu par la philosophie antique comme une façon honorable d’exercer sa liberté12. La mort de Caton d’Utique au premier siècle avant J.-C. est le plus fameux des « suicides philosophiques » dont la référence ancienne est le stoïcisme à partir du iiie siècle avant J.-C. Son acte est paré de la plus haute vertu et admiré par Cicéron et Sénèque13.

En revanche se tuer est interdit par la religion chrétienne et poursuivi en justice14.

Si la philosophie et la religion ont toujours regardé le suicide comme un acte individuel, le suicide a été traité autrement par les sociologues et d’abord par Émile Durkheim en 189715. Pour cet auteur, l’explication principale viendrait de causes sociales et il distingue des types qui sont tous liés à l’intégration de l’individu dans la société, ce qui engendre des troubles propices au suicide16. L’historien Marc Bloch, dans un compte-rendu de livre publié en 1931 dans les Annales a repris l’hypothèse du suicide « symptôme social17 ». Le suicide, acte individuel malgré tout, intéresserait donc l’historien en tant que « thermomètre » pour parler d’une société et de ses changements et son étude participerait à l’histoire des mentalités sur un temps long. Au xxe siècle, les travaux des historiens se sont aussi nourris d’études de philosophie et de psychologie consacrées à ce sujet, comme Le suicide et la morale du philosophe Albert Bayet18.

Un acte subversif

Les clés de compréhension des actes de suicide sont le mode opératoire des suicidés et les réactions que leur acte engendre dans la société. L’étude gardera toujours des limites, car s’il n’y a pas d’explications laissées par la personne, l’historien ne peut pas connaître les réelles causes intimes du suicide. Et on peut même aller jusqu’à douter des raisons parfois données par le suicidé, puisqu’elles ont pour destinataire la société et cherchent à faire comprendre l’acte selon les normes sociales du temps19. Un historien n’a pour sources que ce qui a été écrit sur le cas et il peut connaître seulement les réactions de la société face au suicide. Une société naturellement choquée par un geste qui va à l’encontre de l’ordre religieux, politique et social d’Ancien Régime. Le suicide est avant tout un acte ultime de révolte individuelle. Lorsque l’homme ne peut s’adapter aux cadres de vie inhérents à la société dans laquelle il évolue, « la seule révolte cohérente est alors le suicide20 », pour reprendre les mots d’Albert Camus. Une révolte absolue.

Cette révolte est à la fois punie par la justice et tue par la société, puisqu’elle reste honteuse. Les sources sont ainsi essentiellement judiciaires. Dans l’historiographie française du suicide, on distingue deux démarches distinctes pour aborder la thématique : voir le suicide comme un apport pour l’histoire des idées, ou comme un apport pour l’histoire de la justice21. Cette dernière approche est celle d’Alain Joblin qui a choisi d’axer sa réflexion sur le traitement du cas par la justice22. Son article met en lumière une procédure soucieuse « de précision et d’exactitude » en accord avec l’ordonnance de 1670, qui réaffirme les dispositions coutumières, notamment celles des droits à la défense des personnes mortes ou incapables de se défendre elles-mêmes, avec la nomination obligatoire d’un curateur pour les représenter. Ainsi, lors de l’information, on doit interroger le curateur qui répond aux questions au nom du suicidé. Cette procédure permet à un représentant connaissant et le droit et le cas de défendre l’accusé et mettre en avant sa folie, afin d’éviter à la dépouille et à la famille la honte de la peine décrite par Brillon ainsi que la saisie des biens. Dans la majorité des cas le curateur est choisi dans le personnel judiciaire, on le remarque dans l’étude d’Alain Joblin, mais aussi dans celle de Marc Ortolani23.

Une autre étude de cas, menée par Christophe Regina, s’appuie sur la lettre d’un suicidé à la fin du xviiie siècle24. Pour cet auteur, « c’est la société qui génère [le suicide], qui conduit à l’acte de mort, acte qui a un impact sur la société qui réagit à ce qu’elle a elle-même engendré ». Enfin le sujet est embrassé par Georges Minois dans un livre qui synthétise l’évolution des idées autour du suicide25.

La procédure spécifique pour traiter les cas de suicide remonte au Moyen Âge et rappelle le fonctionnement de la justice face aux cas de folie. On y retrouve pour la prouver la même « hégémonie des témoins », sur le « sens commun » desquels on s’appuie pour témoigner sur la folie ou non de l’accusé26. En effet, pour reprendre les mots de Raoul Van de Made, l’objectif du procès est « de savoir si le désespéré a agi consciemment ou sous l’influence d’un trouble mental27 ». Sa détection, pour les magistrats, ne relève pas de l’expertise, mais d’une capacité commune à tout membre de la société. Dans ce système le curateur tient un rôle central qui de nouveau fait écho à la question de la folie. La curatelle employée dès le Moyen Âge sert à protéger les biens matériels des fous et de leur famille. Cette même préoccupation a cours dans les affaires de suicide, puisque la sentence concerne aussi les biens du suicidé qui peuvent être saisis par les autorités en cas de culpabilité. La question juridique du suicide pour la société d’Ancien Régime est ainsi à rapprocher du traitement général de la folie.

L’aspect religieux de cet acte

Le point crucial des croyances religieuses a été analysé par Jean-Claude Schmitt pour le Moyen Âge28. Parmi les questions entourant le suicide, des origines sociales des suicidés aux raisons de se tuer, cet historien met d’abord en évidence le religieux, car le suicide était perçu comme le triomphe du Mal. Le « désespoir » résulte d’un manque de croyance en Dieu et en Jésus comme le Sauveur. Dans l’imaginaire entourant le suicide, le diable est physiquement présent pendant l’acte, en guidant la main du suicidé. Face à ce péché, l’Église déploie une rhétorique du miracle dispensée au travers de récits qui mettent en scène les derniers moments avant d’accomplir l’acte, lorsque le vrai chrétien se signe ou jette de l’eau bénite ou récite une prière et est sauvé in extremis des mains du diable.

La démonstration vaut encore pour les xvie et xviie siècles. Mais la sécularisation progressive du suicide entre le xviie siècle et le xviiie a été mise en évidence, par exemple, par l’article de Romain Parmentier. L’affaire qu’il étudie est révélatrice, en même temps, de l’évolution de la perception de la folie. Rejoignant les analyses de Michael Mac Donald pour l’Angleterre29, Dominique Godineau dans son livre S’abréger les jours analyse le même processus de sécularisation du suicide à travers les interprétations de l’acte30 . Dans l’étude de cas de Christophe Régina, la question religieuse n’est même plus du tout présente car dans la lettre écrite par Simon Gasque en 1781, la justification de son geste est sociale. Gasque écrit pour déculpabiliser son entourage, apporter des raisons compréhensibles à son geste mais sans rendre accessible tout son état d’esprit. Christophe Regina montre que si l’acte en lui-même, en tant qu’action, et si la réaction de la société face à cet acte, sont étudiables, tout ce que le suicidé avait en tête est difficile d’accès. Se pose aussi la question de la sincérité de l’écrit laissé par le suicidé. Au total, il y a des signes assez clairs d’évolutions, comme la disparition de la possession démoniaque comme explication du geste31. Mais le religieux ne disparaît pas forcément pour tous et l’évolution n’est peut-être pas continue.

La question du suicide est saisissable aussi à partir des études sur la mort, depuis notamment Philippe Ariès et Michel Vovelle32 . L’évolution n’est pas simple. D’une part la mort comme épreuve collective, jusqu’à la fin du Moyen Âge, laisse place ensuite à une mort plus individualisée, mais d’autre part l’Église tridentine raffermit son emprise sur la mort, avec une insistance sur les fins exemplaires qui concernent chacun individuellement mais qui sont aussi un témoignage religieux pour les autres. La préparation à la mort suppose une méditation quotidienne sur les fins dernières, car l’enjeu même de la vie n’est-il pas après la mort et au Jugement dernier ? Face à ce mouvement d’attente et de préparation de la mort que le dévot finit par désirer, il y a aussi la peur de mourir. Le chrétien doit préparer sa mort, parce qu’il a des raisons de la craindre. Il reste qu’en aucun cas il ne doit se la donner. Ce message, répété au long des prédications du temps, souligne bien le problème posé par le suicide d’un prêtre comme Bennenot, lequel a été instruit, formé, et s’est retrouvé porteur de tout le message de l’Église sur le suicide et sur la mort – message qu’il aurait donc trahi.

Les contours flous de la mélancolie

L’acte lui-même paraît moins important que l’état dépressif qui le précède. Pour les contemporains du curé Bennenot au xviie siècle, il s’agit d’un état d’âme, voire d’une maladie, pouvant expliquer le suicide et délivrer le suicidé de la culpabilité de l’avoir commis. Les mots des témoins pour décharger un prévenu d’un tel crime sont par exemple le « désespoir » et la « mélancolie »33– terme employé dans beaucoup de témoignages de notre source.

Le mot vient du grec μελανχολία ( melankholía) désignant la bile noire et faisant donc partie de la théorie des humeurs qui font le caractère d’un individu : bile noire, flegme, sang et bile jaune34. Un déséquilibre de ces humeurs atteint et le corps et l’esprit. Cet état d’âme est à la fois dévalorisé comme une faiblesse et valorisé comme manifestation d’un esprit supérieur, notamment dans l’Art à la Renaissance35. Les théories grecques ont été entremêlées avec la pensée catholique qui voit le diable pousser au suicide une personne qui est possédée, ensorcelée. Jean Delumeau a même parlé de l’« âge d’or de la mélancolie » pour le début de l’époque moderne, de 1480 à 1640. L’historien voit cette époque touchée par le pessimisme et il transpose la vision individuelle et médicale de la « mélancolie » à la société toute entière36.

Dès 1621, Robert Burton dans son Anatomie de la mélancolie analyse les symptômes de cette maladie comme un état dont l’issue est le suicide37. Il envisage donc des remèdes tels que l’hygiène de vie des patients ou l’usage de certaines plantes. Burton voit aussi dans la « mélancolie » et l’acte individuel de suicide une maladie sociale, dont le remède serait un changement de la société. Si ces idées n’ont pas été directement admises, il n’empêche qu’elles facilitent une avancée vers une éventuelle irresponsabilité de « l’homicide de soi ».

On assiste aussi, au cours de la période, à un élargissement de la définition de la mélancolie. S’il est bien clair qu’il s’agit d’une maladie, ses symptômes et manifestations sont divers et variés, ce qui rend le travail de l’historien difficile. Dans notre cas, si le terme « mélancolicque » est bien employé par nos témoins pour qualifier le mal dont est atteint Bennenot, ils parlent surtout de sa folie. Si nous parlons de la folie de Bennenot, cela ne veut pas dire pour autant que nous ne parlons pas de sa mélancolie puisque pour les contemporains, c’est est une forme de folie38. Jackie Pigeaud dans son ouvrage consacré à la mélancolie pour la définir reprend la citation de Corti : « Ainsi prend mélancolie au sens que tu veux, sens propre ou impropre, diathèse ou tempérament, pour le plaisir ou pour la peine, radotage, mécontentement, peur, chagrin, folie, pour partie ou pour le tout, en vrai ou métaphoriquement, elle est toute une39. » Pour nous, c’est pourtant sa forme qui nous intéresse, sa manifestation pour les témoins de l’affaire Bennenot, et surtout son rôle de preuve permettant d’innocenter un accusé de suicide.

Une âme tourmentée : les difficultés du métier de curé de campagne

L’identité du curé Bennenot fait apparaître des questions. Par sa formation, il devrait s’agir d’un curé d’élite formé à Paris avant de revenir prêcher dans son milieu d’origine, mais celui-ci est un pays déchiré. Selon les principes de division qui ont ramené un temps la paix dans le Saint-Empire, Montbéliard et son prince ont adopté le luthéranisme comme religion d’État, sans se préoccuper des territoires voisins qui sont français et catholiques, ni du reste du Saint-Empire dont chaque composante a fait son propre choix. Le prince n’a cependant pas cherché à combattre ses sujets dissidents, c’est-à-dire catholiques. La situation religieuse est inversée après 1676 et en 1689 le pays de Montbéliard est occupé depuis presque dix ans par le Très catholique roi de France Louis XIV.

D’une enfance rustique à la cure de Pompierre

La vie du curé est connue par les informations délivrées par son curateur et père lors de son dernier interrogatoire40. Mais la chronologie conserve quelques zones d’ombre. Sébastien Bennenot est né vers 1654 dans une famille de laboureurs, probablement à Loray au sud de la seigneurie de Passavant, elle-même au sud de Clerval à environ dix lieues de Pompierre41. Il a au moins une sœur, Marie Bennenot – celle-là même qui a trouvé son corps en 1689.

Aux alentours de 1669, à l’âge de 15 ans, il est envoyé au collège de Bourgogne à Paris42. Dix ans plus tard, il entre au séminaire de Saint-Nicolas de Chardonnet qui est une institution parisienne singulière fondée par Adrien Bourdoise (1584-1655), connu pour son rigorisme43. Celui-ci a voulu créer une communauté de prêtres associée à une paroisse, pensant que « le vrai moyen de remédier aux maux présents et à venir de l’Église est de faire vivre en commun les prêtres des paroisses, afin qu’ayant tous le même esprit de charité et de désintéressement, ils puissent instruire et édifier tous ceux qui seront sous leur conduite44 ». La communauté de prêtres scolarise des jeunes garçons, sert de noviciat pour ceux « qui ont dessein de se former à la vie cléricale et aux fonctions ecclésiastiques et paroissiales » et devient finalement un séminaire. Sa fondation est officialisée en 1644 par le cardinal de Retz, archevêque de Paris, qui lui donne un règlement. Bennenot y entre vers 1679 et partage un temps la vie d’une collectivité de cent pensionnaires au plus et d’une quinzaine de prêtres qui sont « postulants » puis « agrégés » après deux ans. Les différents emplois sont remplis par roulement45. On peut supposer que l’ombre de Bourdoise « réformateur de la discipline ecclésiastique » (saint François de Sales) et « modèle des vertus sacerdotales » (saint Jean-Baptiste de la Salle) a pesé sur Bennenot, mais on ne sait rien sur ces années qui auraient dû faire de lui un curé d’élite incapable de terminer sa vie aussi peu chrétiennement qu’il ne l’a fait.

Bennenot retourne en Comté pour recevoir, à Besançon en 1680, l’ordre de la prêtrise. Les nicolaïtes étaient perçus comme de bons formateurs pour les futurs curés qui s’ajournaient quelque temps chez eux avant de recevoir les ordres. Il est précepteur durant 16 mois à Vesoul. Puis il est nommé vicaire à Les Fontenelles, non loin de la frontière avec la Suisse, puis à Frambouhans juste au nord de Les Fontenelles46. Au début de l’année 1688, il est nommé curé à Pompierre   47. Sa sœur Marie le rejoint l’été qui suit pour devenir sa gouver-nante. Enfin, environ une année après son installation, le lundi 10 janvier 1689, il se suicide dans le cabinet de travail de son presbytère.

Un territoire de reconquête catholique

Politique et religion sont mêlées dans la situation de Montbéliard : nous n’en retiendrons que ce qui a pu peser sur la « mélancolie » de Bennenot, si toutefois le suicide a eu des causes autres que complètement intimes48.

La présence française commence durant la guerre de Trente ans lorsque dans les années 1630 Léopold-Frédéric de Wurtemberg est obligé de se placer sous la protection de la France qui envoie jusqu’à 20 000 hommes pour défendre et aussi pour occuper le pays. En effet, Montbéliard est un verrou de la trouée entre les Vosges et le Jura sur la route de toutes les invasions. Lorsque la majeure partie de l’Alsace devient française à partir de 1648 (Strasbourg tombe en 1682) et que la Franche-Comté est prise en 1674, l’étau se resserre sur Montbéliard qui est occupé en 1676. En 1688-1689, Bennenot se trouve dans un territoire entièrement français, mais qui l’est depuis peu. Le contexte religieux est marqué par les persécutions des luthériens menées par Louis XIV, encore plus accentuées à partir de 1684. L’évolution aboutit à l’édit de Fontainebleau d’octobre 1685 révoquant dans le royaume l’édit de Nantes de 1598.

Pour Montbéliard, les persécutions contre les protestants sont dénoncées à de nombreuses reprises par le Saint-Empire. C’est en effet une rupture avec la coexistence confessionnelle pratiquée durant tout le xviie siècle dans la principauté. La défense du catholicisme et même sa restauration relevaient du diocèse de Besançon qui voyait la frontière avec le comté comme une zone à risque, mais qui manquait de moyens49. Or durant l’occupation française l’évêque se trouve appuyé comme jamais. L’université luthérienne de Montbéliard est fermée en 167650. Dès l’année suivante le bâtiment est affecté au culte catholique. Louis XIV ordonne à l’archevêque de Besançon d’installer des prêtres catholiques dans les chefs-lieux des seigneuries de la principauté et pousse à l’introduction du Simultaneum déjà imposée aux églises protestantes d’Alsace pour qu’elles accueillent le culte catholique dans leurs locaux. La présence française entraîne vexations et querelles, ne serait-ce que par l’éviction des pasteurs de leurs presbytères pour y installer des curés. Malheureusement le xviiie siècle est davantage documenté que le xviie. L’étude d’Élisabeth Berlioz montre que les visites paroissiales protestantes dans les années 1700 distinguent les seigneuries de Clerval et de Passavant des autres terres des Wurtemberg, puisqu’elles ne sont pas inspectées, étant considérées comme catholiques51. Il semble que le catholicisme soit plutôt revenu sur la défensive, selon l’étude ancienne de Paul Perdrizet52. Mais cet auteur voit aussi une présence catholique ferme dans certaines parties du comté, manifestée par exemple par la conservation très pieuse de reliques – comme c’est le cas à Santoche53.

Le contexte religieux est donc compliqué et ne présente pas les mêmes traits au niveau général (la principauté, le comté) et local (Pompierre). Les éléments à retenir sont un luthéranisme dominant, non loin de Pompierre, mais persécuté sur ordre de Louis XIV qui veut soutenir une reconquête catholique ; et un catholicisme resté ferme dans la zone où Bennenot a été nommé. La paroisse de Pompierre n’est pas isolée et d’ailleurs plusieurs curés voisins sont appelés comme témoins lors de l’information de 1689. Bennenot était-il capable d’affronter une situation religieuse tendue, était-il dépassé ou la situation régionale lui était-elle indifférente, au milieu de sa paroisse située dans la partie la plus catholique de la principauté ?

La figure du curé de campagne

« La question de l’identité des curés au xviie siècle » a été synthétisée par Anne Bonzon, pour une époque où leur figure est en pleine mutation54. Avec la Contre-Réforme, le curé devient le fer de lance du catholicisme. Il est bien mieux formé qu’avant, contrôlé de plus près et donc, aussi, beaucoup mieux connu grâce aux sources produites par l’administration épiscopale. Le curé doit être à l’image de la nouvelle Église catholique : un exemple moral et religieux pour les paroissiens. Les curés sont aussi chargés d’éloigner les gens des croyances superstitieuses et, dans certaines régions, de les détourner de la tentation protestante.

Cette mission importante n’a pas encore été étudiée dans le pays de Montbéliard au xviie siècle, mais elle l’a été par exemple par Gilbert Larguier avec « Un prêtre provençal en Cerdagne » dont la vision du sacerdoce est livrée au travers d’écrits personnels55. Le curé Auberge avait rédigé à l’intention de ses successeurs des recommandations sur la manière de gérer sa paroisse, se comporter avec les paroissiens et éviter les conflits qui pouvaient résulter de mauvais comportements. Garder ses distances, éviter de se rendre chez ses paroissiens sous peine d’attiser les jalousies et se tenir éloigné des femmes sont des attitudes en rupture avec le passé. Sa dernière recommandation est d’éviter à tout prix de se mêler des affaires privées des paroissiens, ce qui n’était pas l’attitude de tous les prêtres56. La société rurale apparaît là comme un milieu sous tension, propice aux jalousies et rancunes, où le curé doit trouver une place équilibrée57. Cependant le curé de campagne est poussé à agir : administrer lui-même la paroisse et ses biens, moraliser les paroissiens, blâmer leurs vices. Les commandements des évêques sont formulés de loin mais ce sont les curés qui doivent les imposer. Les visites pastorales, les conférences et l’autorité donnée aux doyens sont les moyens pour dire et répéter aux curés l’étendue de leur mission.

Ce rôle aux multiples facettes révèle toute sa difficulté au moment de l’installation du curé dans sa nouvelle paroisse. En effet, un curé est aussi un percepteur de revenus, un fait qui engendre naturellement des conflits avec ses paroissiens qu’il va côtoyer quotidiennement. Si aucun conflit spécifique n’a été relevé en date du passage du curé Bennenot, son successeur Simon Viain a connu ces difficultés, laissant entendre que Bennenot a pu aussi en être victime. Ces conflits tournent autour de la dîme novale ou encore des montants du casuel, deux types de revenus perçus exclusivement par le curé58.

De même, la question de la réparation des biens curiaux alimente les débats entre curé et paroissiens, mais aussi entre décimateurs, hiérarchie ecclésiastique et curé. Effectivement, dans le contexte de frontière confessionnelle, il est d’autant plus important que les biens curiaux soient correctement entretenus, et s’il le faut construits ou reconstruits. L’Église cherche à édifier une vitrine catholique. Ces frais se font à la charge des paroissiens qui ne manquent pas dans des contextes financiers difficiles de rechigner à ces lourdes dépenses. Il est alors de la charge du bon curé de campagne de parvenir à les faire dépenser de telles sommes. La cure de Pompierre n’échappe pas à cette question et lors du passage de Bennenot, c’est l’état de la maison curiale qui préoccupe et le curé et ses ouailles. Il parvient néanmoins à obtenir les réparations nécessaires pour un montant de 15 pistoles59.

Comment face à toutes ces difficultés notre curé a-t-il pu réagir ? Cela a-t-il pu le conduire jusqu’au suicide ?

À la recherche des causes

Le chirurgien Siroutot commence sur le moment un premier rapport à la demande de la justice de Clerval, qu’il finit et complète le lendemain, lors d’une seconde visite en compagnie des officiers de justice60.

Une source unique

Les officiers établissent le procès-verbal de l’état dans lequel ils ont trouvé le curé, ainsi que des affaires qu’il possédait. Ils apposent des scellés et questionnent les villageois présents avant de commencer leur « information » ou audition des témoins qui dans la justice de ce temps est au centre du système de preuves61. On pourrait se demander si Montbéliard relève des usages ger-maniques ou si la présence française impose l’ordonnance de 1670, ce qui semble être le cas. L’instruction est suspendue le temps de prévenir et attendre l’arrivée du juge Jacques Joseph Vernerey, qui vit à Servin dans la seigneurie voisine, tandis que le procureur fiscal Jean Baptiste Faivre est en déplacement à Besançon, dont il n’est pas encore revenu. Décision est alors prise d’instituer Claude Charreton comme procureur fiscal sur cette affaire, puisqu’il est le plus ancien praticien de la seigneurie de Clerval. Dès le lendemain les actes se succèdent. D’abord, Anthoine Bennenot obtient la levée des scellés pour pouvoir « preuver la bonne vie dudit sieur Bennenot son fils », en échange de son engagement à payer s’il le faut les frais du procès qui commence. Ensuite, le juge se rend à Pompierre où il inspecte les lieux et nomme Anthoine curateur au cadavre de son fils pour le procès. Puis l’information débute et 22 témoins au total sont interrogés jusqu’au lundi 17 janvier où le juge passe à l’interrogatoire du curateur. Tout est terminé le vendredi 21 janvier par la nomination des assesseurs qui rendront le jugement avec Vernerey, par un dernier interrogatoire du curateur puis par le prononcé de jugement.

La source judiciaire a pour défaut d’être unique. On ne peut la croiser avec aucun autre document et il n’y a donc rien qui contredise la conduite du juge, c’est-à-dire ce qu’il a voulu faire et entendre. Or ce sont les officiers qui choisissent qui auditionner et qui peuvent questionner et orienter les déclarations, tandis que les déposants parlent en fonction de ce qu’ils veulent faire passer. Soit les témoins le savaient, soit on leur a bien fait comprendre : le procès doit déterminer si Bennenot s’est suicidé par folie ou s’il était sain d’esprit, avec des conséquences très différentes sur l’issue du procès. On attend donc d’eux qu’ils déposent dans le bon sens. L’historien se retrouve face à un prévenu qui n’a rien voulu dire, sinon qu’il prétend être mort « sans cause » et à des officiers qui n’ont pas exploré toutes les pistes. La vérité de Bennenot est morte avec lui.

Des sources complémentaires peuvent-elles aider ? Les lettres de provision montrent que le juge Vernerey qui officie pour Clerval et Passavant a pris la suite de son père en 1686. Il en va de même pour le greffier. Il n’y a là rien d’étonnant et cela confirme que les notables s’inscrivent dans une continuité alors que le curé est un nouveau venu. Sinon, aucune information utile n’a été retrouvée dans les papiers du prieuré de Lanthenans qui avait le patronage de la cure de Pompierre. Rien non plus dans les registres paroissiaux de Pompierre62. D’autres cotes repérées, pour le diocèse de Besançon ou le comté de Montbéliard, n’apporteraient sans doute rien. Les seules sources complémentaires pertinentes sont celles qui concernent les difficultés d’installation des curés dans leur nouvelle paroisse comme noté plus haut. Il apparaît donc que l’historien ne peut plus qu’essayer de reconstituer, à partir du seul dossier judiciaire, les raisons de Bennenot.

Des témoins triés sur le volet

L’information du 14 janvier 1689 est un document relié de 71 pages manuscrites consignant les témoignages de 22 personnes de l’entourage proche ou non de Bennenot : 4 témoins ont été entendus le vendredi 14 janvier, 7 le samedi, curieusement 6 le dimanche et encore 5 le lundi. Il n’y a rien à redire sur la forme des actes qui est bien conforme à l’ordonnance63.

En plus du chirurgien (18e témoin) et des proches du curé, à savoir le paysan « granger » de la cure (2e témoin), la sœur gouvernante et le recteur d’école, huit confrères curés ont été entendus : Jean-Baptiste Perrette de Mancenans, Jean-Baptiste Saulnier en charge de Rang, Jacques Ligier de Clerval, Guillaume-François Guenard de Hyèvre, Claude Pasteur de Fontaine, Hugues Sanseper de Blussans et Jacques Renaud de Mathay64. Âgés de 27 à 39 ans, ils représentent une jeune garde de curés installés au sud-ouest de Montbéliard, la ville que l’on sait protestante et dont ils doivent contenir la mauvaise influence. Sinon, ils n’avaient pas de raison de se rencontrer, car Clerval et Pompierre ne dépendaient pas des mêmes archidiaconés et décanats que les autres cures65. Jacques Ligier, curé de Clerval, était le plus proche de Bennenot. Quant aux patronages, la cure de Pompierre est la seule à dépendre du prieur de Lanthenans. Il n’empêche que ces curés se voyaient et avaient des choses à dire : peu pour ceux de Hyèvre et Blussans (une page) et beaucoup (5 pages) pour le curé de Mancenans, paroisse limitrophe de Pompierre.

Les dix autres témoins posent comme problème que les autorités rechignent, après le milieu du xviie siècle, à faire parler des paroissiens sur leur curé. Mais la justice a surtout entendu des gens parmi les « meilleurs » de la société locale66. Il y a en effet un marchand drapier et un négociant, quatre laboureurs, un maître boucher et l’aubergiste de Clerval ; plus deux « charbonniers » ; plus une jeune femme de Clerval, Marie Faivre, âgée de 24 ans, qui est une fille du procureur fiscal. Il est notable qu’aucun ne réside à Santoche, le second village de la paroisse, mais six à Pompierre – plus les deux charbonniers installés au Bois de Gratery qui relève du même finage – et quatre à Clerval à environ une lieue. Ceux-là ont d’ailleurs moins à dire sur Bennenot que les paroissiens qui l’ont fréquenté davantage.

Le manque de source sur Pompierre ne nous permet pas de donner un chiffre précis du nombre de feux vers 1689, simplement une estimation issue des registres paroissiaux portant à environ 16 familles la population du lieu. Il s’agit bien d’une sélection parmi les paroissiens, puisque seules 6 familles sont entendues, ce qui est parfaitement compréhensible car jamais une population entière n’est auditionnée67.

Les mots de la mélancolie

À partir de ces témoignages, nous avons croisé deux méthodes pour parvenir à tirer de cette source unique toutes les informations qu’elle contient. Il s’agit de la classique lecture analytique et critique de sources combinée à la lexicométrie68. Naturellement, la première chose que renseigne notre source porte sur la nature de la folie de Bennenot. Une folie qui ne fait aucun doute pour nos témoins et constitue pour eux la raison de son acte. Pour traquer les raisons du geste de Bennenot, nous avons donc choisi ce point de départ. Grâce au jeu d’échelles que nous permet la combinaison de ces deux méthodes, nous apercevons de plus près les contours flous de la mélancolie dont aurait été atteint notre curé. En étudiant les mots, et donc les formes et symptômes de la mélancolie vue par nos témoins, nous découvrons qu’ils en viennent à définir deux formes de mélancolie : une folie mélancolique et une mélancolie religieuse. Le tout a pour objectif de prouver la folie de Bennenot et en ce sens les témoins construisent un véritable argumentaire.

Le premier point de leur témoignage vise à détecter et nommer le mal dont est atteint Bennenot. Ils évoquent donc de manière générale sa folie. Certains disent directement qu’il est atteint de mélancolie, 13 occurrences du terme « mélancolicques » employées par 12 de nos 22 témoins. On remarque ici que le terme de « mélancolicque » n’apparaît que rarement seul. Il est toujours renforcé par des mots forts qui le précèdent comme l’adverbe : « extrêmement », employé à 7 reprises dans notre corpus, ou l’adjectif « fort », employé en tout 56 fois. Le premier de ces adjectifs est par ailleurs exclusivement employé par le groupe des témoins venant de Pompierre. Ces adjectifs servent à souligner le caractère extraordinaire du comportement de notre curé, pour bien souligner qu’il était hors de la norme et donc par définition fou. D’autres mots sont donc utilisés pour désigner la folie générale de notre curé : « folie » (8 occurrences telles qu’elles, et 1 pour « fol », « trouble » (13 occurrences) et « hors de sens » ou « manque de bon sens » ou « sens commun » (10 occurrences).

Le terme d’humeur est employé à trois reprises dans notre corpus. On peut ainsi supposer que ses utilisateurs ont intégré une certaine conception médicale du mal de Bennenot. Néanmoins à cette période c’est un terme utilisé couramment, ne faisant pas forcément écho à des connaissances médicales précises de la part de ceux qui l’emploient. Mais dans notre cas, ses utilisateurs appartiennent tous à une élite : un curé (Claude Pasteur), un chirurgien (Albert Siroutot), un négociant et officier seigneurial (Claude Joseph Labbé). Ceci laisse supposer notamment dans le cas de notre chirurgien que ces témoins avaient suffisamment de connaissances pour avoir une approche médicale de la folie mélancolique de Bennenot.

Ensuite les témoins renforcent leur diagnostic en apportant des témoignages visuels et auditifs des symptômes de notre curé pour spécifier la forme de folie dont il était atteint. Toujours en lien avec l’aspect médical, les symptômes physiques font écho à ceux énoncés dans les théories médicales sur les mélancoliques. Les problèmes de discours dénoncés par 13 des 22 témoins rappellent les symptômes d’Ambroise Paré voyant le mélancolique comme un homme à langue molle, bégayant, tenant des discours embrouillés69. Les signes que les témoins pensent repérer sur son visage – pensif, égaré, rêveur – renvoient aussi au mutisme des mélancoliques, à leur imagination délirante, ce qui rappelle encore Ambroise Paré70. Tout comme le visage, les yeux véhiculent les signes de la mélancolie. Les yeux ou la vue de Bennenot, qui représentent 8 occurrences dans notre corpus, sont ainsi « égarés » (4 occurrences), « baissés » (3 occurrences) et/ou « troublés » (1 occurrence). Le dernier terme renvoie à la folie. La définition du verbe « troubler » implique une idée de perturbation de l’individu ou de la chose ainsi qualifiée71. Elle comporte ainsi d’après le DMF trois sens : « Perdre sa lucidité, s’égarer » ; « Perdre sa sérénité, perdre contenance, s’inquiéter » ; « Se mettre en colère, se fâcher ». La première définition renvoie spécifiquement à la folie, la dernière à une émotion. Mais c’est surtout la seconde qui dans notre cas nous intéresse, puisqu’elle induit l’idée de souci. Or, comme Jackie Pigeaud le démontre, la mélancolie est « la maladie du “souci” (φροντίς, phrontis)72 ». Le trouble en est donc une manifestation incontournable. Un adjectif triomphe pour qualifier les symptômes : « esgarré », soulignant la perte de raison de Bennenot. Il est employé en tout à 11 reprises sous différentes formes dans notre corpus. Il fait écho à celui de « troublé » dont il apparaît n’être qu’une autre forme.

Pour plusieurs de nos curés témoins, Bennenot était surtout atteint de mélancolie religieuse73. Un mal causé par deux types de comportements religieux opposés : un excès de religion, et à l’inverse, une absence de religion. Ainsi, les moines autant que les athées sont plus susceptibles d’être touchés par ce maux74. Cette forme de mélancolie a été décrite en premier par Robert Burton dans son Anatomie de la mélancolie75. Elle connaît une évolution certaine depuis sa détection dans la première moitié du xviie siècle par Burton, puisqu’elle sera qualifiée par Esquirol au xixe siècle de démonomanie lors de la naissance de la psychiatrie76.

Les termes ou symptômes qualifiant particulièrement cette forme de mélancolie sont le « zèle » et le « scrupule »77. Cinq témoins de notre affaire imputent à Bennenot cette forme de mélancolie, il s’agit de : Marie Faivre, Albert Siroutot, Claude Pasteur, Hugues Sanseper, Jacques Regnaud, soit trois curés, un chirurgien et la fille du procureur fiscal. Jacques Regnaud est le plus virulent au sujet de la folie de Bennenot. Pour lui il est indéniable que l’acte de notre curé a été causé par ce mal spécifique aux hommes de Dieu : « quant on luy a dit que luy mesme s’estoit coupé la gorge, ne doubtant point que si c’est luy, il ne l’ayt faict par une conscience tropt screpeleuze et dont sa folie pouvoit provenir78 ».

Le scrupule est donc l’un des marqueurs de la mélancolie religieuse, son visage le plus courant pour reprendre l’expression de Christine Orotbig79. Sa définition dans le DMF lui donne deux sens, le premier : inquiétude quant à la conduite à tenir, trouble de conscience, et le second : doute, incertitude, crainte80. Dans ce sens général, on retrouve l’idée de souci (phrontis)81, mais ici il s’agit d’un souci moral, propre à ceux qui ont charge d’âmes comme notre curé. Jacques Regnaud ne s’arrête pas là et dénonce aussi son état général qui était souvent proche de celui d’un homme ivre. C’est exactement le même rapprochement à l’ivresse qui est fait par Philon d’Alexandrie en parlant de « ceux qui sont possédés de Dieu » comme le relève Claudia Roscioni82. Ce qui confirme les dires de Jacques Regnaud est le fait que Bennenot est décrit par les témoins comme un bon prêtre, soucieux de l’avancement spirituel de ses ouailles. Les témoins insistent sur le fait qu’il était un « véritable » curé.

Quant à Marie Faivre, dans son témoignage, elle remplace le terme de « scrupule » par « tropt de sagesse83 ». Les termes de « sage » ou de « sagesse » apparaissent à 9 reprises. On remarque ainsi que comme les mots de la folie, ces deux termes sont toujours renforcés – à une exception près – par l’adverbe « trop » ou l’adjectif « fort », toujours dans l’objectif de démontrer et souligner l’excès qui est la véritable cause de la maladie.

La sagesse n’est pas le seul terme employé pour souligner le dévouement de Bennenot, le second mot de la mélancolie religieuse a aussi été mobilisé, il s’agit du zèle. Dans le DMF le zèle a deux sens : en premier, il s’agit de l’empressement à agir au service d’une cause/personne, en second, il signifie la ferveur dans l’amour, dans l’affection84. Dans l’information, le terme revient six fois, presque toujours précédé de nouveau de l’adjectif « fort ».

Pour faire coexister le zèle et l’image de bon curé avec celui du fou, les témoins convaincus de sa mélancolie religieuse invoquent un temps de la mélancolie similaire aux théories médicales d’Avicenne ou de Paré. Pour eux, le curé n’était pas constamment fou, mais simplement par « intervalle ». Le terme apparaît ainsi à six reprises dans l’information. Seuls Hugues Sanseper, Jacques Regnaud, Claude Pasteur et Albert Siroutot soulignent cette inconstance de la folie de Bennenot, puisqu’ils sont aussi ceux qui dénoncent sa mélancolie religieuse. Les autres témoins cherchent le point de départ de sa folie : dimanche 10 janvier, la veille de son suicide pour certains85, en décembre pour d’autres86, voire en juin 1688 pour les charbonniers de Gratery87.

Il faut aussi souligner que dans l’ordre de l’information, les curés déclarant Bennenot pris de mélancolie religieuse se suivent et sont les trois derniers interrogés. Se sont-ils entendus entre eux pour le déclarer atteint de ce mal spécifique ? Les curés sont le groupe le plus virulent quant à la folie mélancolique de Bennenot, qu’ils déclarent sans détour par rapport aux autres témoins. Ce mal était-il réel chez notre curé ou s’agit-il d’une interprétation de son acte que les prêtres veulent imposer ?

Des éléments troublants

L’analyse ainsi menée de notre source nous a permis d’apercevoir des incohérences laissant supposer d’autres raisons au suicide de Bennenot. Il nous est impossible d’attester que l’une de ces causes possibles au suicide soit la seule et unique, et surtout la véritable. Néanmoins nous allons ici exposer ces éléments troublants.

La première visite, sous couvert de précision et de zèle de la part des officiers, donne en réalité les tenants et les aboutissants du procès. En son sein, Pierre Momier, laboureur pompierrois, est entendu et déclare que son curé : « extravagoit ung peu sur plusieurs discours88 ». Il ouvre ainsi la piste de la folie pour expliquer l’acte de Bennenot. Une piste qui sera reprise dans la seconde visite menée par le juge qui déclare que le curé : « s’estoit homicidé soy-mesme par folie89 ». L’hypothèse de la folie est ainsi totalement adoptée par la justice de Clerval et enclenche dès lors la procédure du procès pour folie. Ce point suppose une conversation entre du moins les magistrats, voire d’autres membres de la société qui ont appuyé l’hypothèse soufflée par Pierre Momier. À partir de là, la société semble faire bloc autour de cette version et les autres pistes, notamment celle du meurtre, ne seront jamais exploitées90.

Dès lors, le dossier donne la sensation que nous sommes face à une histoire écrite à l’avance et interprétée dans le cadre du procès. Cette impression est renforcée par la réponse apportée à la requête de la sœur du curé : Marie Bennenot. Au cours de la première visite de la justice, cette dernière demande aux magistrats le droit d’enterrer son frère en terre consacrée. Les officiers examinent la demande en interrogeant les paroissiens sur les bonnes mœurs et le bon travail du curé défunt. Les Pompierrois répondent tous qu’il était un bon curé et qu’il a mené une vie pieuse. C’est ici qu’intervient particulièrement Pierre Momier comme le relèvent les officiers, en sous-entendant que le curé devenait fou. Face aux réponses des paroissiens, les officiers lui accordent d’enterrer son frère en terre sainte, sans même qu’il y ait procès, et alors même que la question d’enterrer ou non le suicidé en terre consacrée est au cœur du système de pénalisation de ce crime. Les officiers ont par conséquent acté le dénouement du procès sur cette question, sans même qu’il ait lieu, puisque l’autorisation d’enterrer Bennenot en terre consacrée sera confirmée lors de la sentence. Ne croyaient-il pas en la condamnation d’un curé pour suicide du fait de son statut ? Ou étaient-ils tout simplement suffisamment convaincus de la folie de notre curé pour que le dénouement ne fasse pour eux aucun doute ?

Un curé affligé par des intérêts matériels autour de sa cure ?

Ce premier point nous fait douter de la bonne tenue du procès auquel nous faisons face. Mais d’autres éveillent encore notre suspicion. Lors de l’information, Pierre Momier rapporte que notre curé croyait en un complot visant à le destituer, mené par son oncle Étienne Joye, curé de Saint Julien, Claude Joseph Labbé, un des décimateurs de la cure, et enfin le patron de la cure, le prieur de Lanthenans. Ce complot nous est raconté pour montrer la paranoïa de Bennenot et ainsi sa folie. En menant des recherches sur le personnage de Labbé, nous découvrons un homme influent et ambitieux : percepteur des revenus seigneuriaux, patron d’usines, gros décimateur de la cure de Pompierre. C’est un homme riche et connu de tous.

Nous découvrons aussi dans le procès les traces d’un conflit qui a opposé notre curé à ce personnage important. Pierre Momier rapporte toujours au cours de l’information les propos de Bennenot portant sur Labbé : « Lequel quant il fera joy, vous fera faire des arpens bastir une grande maison de cure et enfin ces gens là perdront, ceste pauvre communaulté91 ». Notre curé était ainsi soucieux de ses ouailles et craignait Labbé. Si nous regroupons les éléments disséminés dans l’information, nous remarquons que le conflit qui opposait Bennenot et Claude Joseph Labbé remonte à plusieurs mois. Nicolas Picquet, boucher de Clerval, raconte qu’un ou deux mois avant son suicide, c’est à dire en novembre ou décembre 1688, Bennenot rendait visite à Labbé à Clerval. Cette visite aurait profondément ému notre curé. La fin du mois d’octobre est la date à laquelle Bennenot rédige et envoie sa note d’appel d’offres pour la rénovation de la maison curiale. Il n’est alors pas difficile de supposer un lien entre cette entrevue et la question de la rénovation de la maison curiale. Pour notre curé, Labbé ne souhaitait pas une rénovation, mais tout simplement la construction d’une nouvelle maison de cure. Ceci suppose que l’actuelle, outre les dégâts qu’elle a subi par l’usage du temps, n’est pas à la hauteur des attendus de Labbé. Nous nous demandons d’ailleurs si cette entrevue n’a pas eu aussi pour thème la question de la dette de Bennenot à Labbé, que ce dernier rapporte pour en faire un signe de folie de notre curé lors du récolement92. On pourrait d’ailleurs supposer que Bennenot a tenté par-là de se dégager de l’influence de Labbé en remboursant sa dette pour maintenir sa position sur la maison curiale.

Grâce à la lexicométrie, nous remarquons une similitude entre certains témoignages, ce qui nous amène à supposer des liens entre différents personnages et Labbé. Nous l’avons vu, les mots de la folie mélancolique sont entre autres : « mélancolicque », « rêveur » et « pensif ». Les termes employés par les témoins sont soigneusement choisis pour bien décrire cette forme de folie, peu de chance donc qu’il ne s’agisse que d’une simple coïncidence, lorsque ce même groupe de mots est employé par plusieurs témoins, ainsi : « mélancolicque, rêveur et pensif » par Claude Joseph Labbé, « mélancolicque, pensif et rêveur » par Jacques Ligier et « pensif, rêveur et mélancolicque » par Jean Baptiste Perrette. Jacques Ligier, curé de Clerval, et Claude Joseph Labbé ont un lien évident : ils vivent dans la même ville et se côtoient fréquemment. Jean Baptiste Perrette, curé de Mancenans, est très lié à Bennenot, puisqu’il est un des curés les plus proche géographiquement de Pompierre. Il se rend aussi souvent à Clerval. Les trois individus se connaissent donc. Nous avons alors cherché dans d’autres parties de notre source et notamment les interrogatoires d’Anthoine Bennenot, si cette suite de mots n’était pas de nouveau récurrente. Dans le premier interrogatoire, lorsqu’il s’agit pour les magistrats via Anthoine (le curateur) d’interroger Marie Bennenot sur la folie de son frère, le père de Bennenot lui prêtera ces propos : « Respond qu’elle ne s’en est point prise garde a ce quelle luy a dict, mais cependant elle l’a tousjours trouvé fort mélancolicque rêveur et pensif93 ». On retrouve donc la même formulation, qui plus est dans le même ordre que Labbé. Cela pourrait être tout à fait fortuit, si nous n’avions pas connaissance d’un lien entre ces individus. Ce lien est révélé par Labbé lui-même à l’occasion du récolement où il déclare avoir rencontré à plusieurs reprises le curé de Saint-Julien, et même entretenu suffisamment de liens avec ce dernier pour avoir connaissance de détails sur la vie parisienne de Bennenot. Il savait, d’après son oncle, que Bennenot avait subi des saignées pour traiter sa folie. On peut alors se demander si Labbé et Joye ne se sont pas concertés pour que ces informations soient bien rapportées aux magistrats. On peut supposer aussi qu’ils ont parlé au père du défunt, puisque Anthoine reprend cette anecdote dans son dernier interrogatoire. Il semble même dans sa déposition s’emparer de l’occasion de la rapporter, comme s’il souhaitait ou devait absolument la dire à un moment de l’interrogatoire pour prouver l’aspect médical et donc véritable du mal de son fils.

Il est troublant aussi de noter que l’oncle de Bennenot était présent dès la visite du juge de Clerval le 14 janvier 1689, et que pourtant il ne fut jamais interrogé. Mais cela est peut-être à rapprocher de son lien de parenté qui n’en fait pas le témoin idéal pour la justice clervaloise, compte tenu de la théorie des témoins reprochables94.

L’hypothèse du complot contre Bennenot semble donc trouver des arguments avec les liens que nous avons trouvés ici. Mais si tous se sont entendus pour déclarer unanimement fou notre curé, ceux dont le lien avec Labbé n’est pas avéré ont pu avoir d’autres raisons de le faire.

Un rigoriste qui dérangeait les autres curés ?

On peut déceler au travers des anecdotes racontées par les témoins pour prouver la folie de notre curé des dissensions entre ce dernier et les curés avoisinants. Ces conflits seraient à imputer à la formation rigoriste de Bennenot lui donnant une certaine vision du sacerdoce incomprise par les autres curés. Par exemple, une anecdote rapportée par le curé Jean Baptiste Saulnier lors d’une réunion entre prêtres à Antheville. Notre curé adopte un comportement étrange : il rit, bavarde à tout va, coupe la parole aux autres curés, et finit soudainement par quitter le groupe. La réaction de Bennenot est ici directement liée à une proposition de quête de philosophie, que nous comprenons comme une levée de fond pour financer probablement des cours de philosophie. Cette démarche est propre aux jésuites qui cherchent à accaparer la formation des futurs clercs, et suscite naturellement l’opposition d’autres mouvements religieux95. Ainsi Bennenot, issu d’une formation rigoriste, se place natu-rellement en opposition à l’enseignement de la philosophie jésuite qui prône comme théologie morale le probabilisme96.

D’autres anecdotes attestent ce même comportement rigoriste de la part de Bennenot, qui a pu créer une incompréhension de la part de son entourage. François Dussort, hôte public de Clerval, relate la confession qu’il avait souhaité faire auprès de Bennenot à la chapelle de Santoche :

s’estant présenté et meit à genoux, il l’entendait et fust tout surprit en se confessant de veoir que ledit curé, au lieu d’escouter ce qu’il disait, se bouchait et à mesme temps luy ayans dict : Vous avez tropt demeuré de venir à comfesse, d’attendre six moys ! Allé vous en faire ung acte de contrition devant le sainct sacrement ! Et dict : A huict jours, vené moy retrouver ! Cella le surprit fort, parcequ’il luy semble qu’il n’avoit escouté ung mot de tout ce qu’il avoit dict, n’ayans rien repliqué pendant tout le temps qu’il s’accusait, sinon que de temps en temps, mais hors de propos97.

Cette rigueur autour de la confession vient de la décision du Concile de Trente d’imposer la confession à tous au minimum une fois par an. Pour les rigoristes, la fréquence de la confession devrait être plus élevée, d’où le refus de Bennenot de lui donner l’absolution si vite. Notre curé semble surtout ici se questionner sur la sincérité de la repentance de Dussort : est-elle acceptable lorsque le pécheur le fait par peur de l’enfer au lieu de le faire par amour de Dieu ? Pour les jésuites, l’indulgence est de mise en ce domaine aussi pour ne pas décourager les fidèles. Les rigoristes prônent une tout autre approche en n’hésitant pas à reporter l’absolution tant qu’ils ne voient pas un repentir sincère étreindre le pécheur98. En terre jésuite accoutumée à la pratique probabiliste, l’attitude de Bennenot a pu surprendre, voire décontenancer. Cette anecdote n’est pas isolée puisqu’il reproche aussi à un autre témoin, Guillaume, charbonnier de Gratery, le peu de choses qu’il lui raconte lors de la confession. Et lors de sa confession il fait à Marie Faivre, habitante clervaloise, un sermon sur les veillées auxquelles elle se rend.

Conclusion

Il est entendu que Bennenot devait être déclaré fou pour arrêter au plus vite cette procédure. Mais notre étude nous amène à penser que Bennenot a évolué dans un milieu peu enclin à sa présence et à ses opinions rigoristes. Ce sentiment d’isolement, les conflits auxquels il était confronté, l’ont déprimé mais nous font sérieusement remettre en doute la simple explication de sa folie. Si nous ne parviendrons jamais à connaître les véritables raisons du geste de Bennenot, cette affaire nous renseigne tout de même sur les perceptions de la folie et notamment de la mélancolie et de ses différentes formes. La folie mélancolique et la mélancolie religieuse constituaient pour la période des maux suffisamment importants et connus de tous pour expliquer l’acte le plus extrême qui soi. Ils parviennent aussi à décrédibiliser l’acte d’un membre important de la société : un curé. La tendance générale face aux suicides de clercs et de nobles reste le camouflage et la discrétion comme le soulignent Dominique Godineau et George Minois99.

Il nous reste tout de même ces derniers mots bien énigmatiques : Sine causa morimur. Les hypothèses concernant leur sens sont nombreuses. Volonté de décharger de leur culpabilité son entourage ? Véritable et profonde mélancolie ? Compte tenu de la formation de notre curé, nous avons personnellement choisi une interprétation que nous tenons à mettre en avant ici. La théologie catholique est très claire au sujet du suicide : elle le condamne et l’interdit. Saint Augustin statue très fermement sur la question. Son argumentaire est basé sur le 5e commandement : « Tu ne tueras point », à comprendre : ni toi-même ni un autre100. Il ajoute aussi une circonstance aggravante au crime qu’est devenu le suicide, il s’agit de la raison de se tuer : « […] et tanto fit nocentior, cum se occiderit, quanto innocentior in ea causa fuit, qua se occidendum putavit 101. » En bref, plus la raison qui a poussé au suicide est dérisoire, plus l’acte est grave. On remarque ici que l’argumentaire de Saint Augustin a pour but de rendre le suicide illicite ; il utilise donc logiquement le terme latin causa. Ce mot a pour sens la cause, la raison, mais a aussi une dimension juridique, puisqu’il peut signifier l’affaire judiciaire, le procès. Il est d’ailleurs intéressant de voir que Bennenot reprend ce même mot. Au vu de ses études, il n’a pu échapper aux écrits de saint Augustin. Lui répond-il dans ce billet ? S’il meurt « sine causa » cela peut-il dire qu’il se rend totalement coupable de son acte, voire qu’il s’en accable puisque l’absence de raison incrimine d’autant plus le suicidé.

Quoi qu’il en soit, la conclusion de cette affaire reste que le corps sera bien enterré en terre consacrée et les biens laissés au père de Bennenot, moins une somme de 32 livres pour les frais du procès.

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Discussion102

« L’homicide de soi » est un crime à l’époque moderne. C’est pourquoi l’article porte sur un cadavre auquel un procès est fait, avec des particularités comme la désignation d’un « curateur » qui représente l’absent, comme c’est prévu dans l’Ordonnance criminelle de 1670 pour les procès faits aux cadavres (titre XXII). Le cadavre est bien défini comme étant le reste du corps d’un être humain après l’extinction de la vie. Mais il conserve sa nature humaine et ne peut pas être traité comme une chose ni comme la dépouille d’une bête. D’où tout à la fois, à cette époque, l’inhumation respectueuse du corps, la conservation de reliques et aussi l’application de supplices à un corps mort, ou encore l’exposition de tout ou partie du corps, toutes chose qui n’auraient pas de sens pour un objet ou un animal. Enveloppe mortelle de l’âme, le corps participe à la dignité de l’homme, comme à son indignité103. Dans le droit ancien, on intente des procès à certains défunts et donc à des cadavres puisque l’un des enjeux est d’autoriser ou d’interdire l’inhumation en terre consacrée – au cimetière – et de statuer sur la saisie des biens du coupable. La gravité du suicide se perçoit bien, au vu des peines prononcées. Ainsi, lorsqu’en 1742 à Trans en Provence, la justice seigneuriale condamne Jean Pascal, retrouvé pendu à un olivier, le jugement du 14 janvier condamne « le cadavre à être livré entre les mains de l’exécuteur de la haute justice pour le traîner sur une claye par tous les carrefours de ce lieu et de suite le jeter à la voirie sans sépulture104 ». À terme, il n’y aura plus de répression contre les suicidés105. Lorsque Bennenot se suicide, le contexte est défini par l’Ordonnance criminelle de 1670 (Titre XXII, art. 1) qui a clarifié les choses en interdisant tout procès « fait à un cadavre ou à la mémoire du défunt », sauf l’exception de crimes « de lèse-majesté divine ou humaine » ce qui visait des cas extraordinaires106 et plus couramment les suicidés et leur cadavre.

Le second problème posé par le cas traité par Élodie Lemaire est qu’il s’agit d’un curé qui savait parfaitement que le suicide était interdit à un chrétien. Il y a cependant d’autres cas connus, où comme pour Bennenot l’on voit bien que la procédure visait à étouffer l’affaire. L’un de ces cas a d’ailleurs été traité par un étudiant de notre master, Reynald Derain : le suicide de Jean Thiébaut Hermann en 1704 dans une paroisse au sud de Strasbourg107. Curé en poste depuis 1688, Hermann se tire un coup de fusil dans sa chambre un certain soir. Selon le rapport du vice-official de l’évêché de Strasbourg, une enquête est diligentée afin d’éclaircir « de quelle manière le coup de fusil s’est tiré, si s’est par autrui, ou par accident en maniant ledit fusil qu’il s’est déchargé108 » et interroger « les personnes qui peuvent avoir été présentes qui ont soupé avec luy, ce qu’il a dit, s’il a eu l’esprit troublé ainsy qu’on le dit et quelles marques s’en a donné109 ». Selon le rapport :

le dit Hermann curé auroit huit jours avant la mort donné plusieurs marques qu’il avoit l’esprit troublé, qu’il avoit dit à ceux qui beuvoient avec luy dans la maison curiale : Buvez et divertissez-vous mes amis car on viendra me prendre bientôt, et c’est peut estre la dernière fois que je bois avec vous ; qu’il seroit venu le jour même de la mort le 4 du présent mois de bon matin chez Jean Adam Kuhn, prévost dudit lieu d’Erstein110, dire d’une bonne voix et d’un visage fort agacé, pourquoi luy prévost et les autres du villages estoient des ennemies et pour quelles raisons il vouloient le livrer à ses ennemies pour estre mené en captivité ; que le dit 4e jour du présent mois après le soupé, le nommé Jean Vetter boulanger d’Erstein seroit venu voir ledit curé et auroit beu avec luy un verre de vin, et voulant en retourner chez lui, ledit curé auroit dit en soupirant : C’est l’un de ceux qui reviendra tout prestemment avec une compagnie de soldats pour m’enlever et ledit Jean Vetter ayant entendu raisonner ledit s[ieu]r recteur de la sorte, et remarqué qu’il avoit l’esprit troublé, luy auroit dit plusieurs choses pour l’encourager et pour guérir son imagination, disant aux domestiques dudit s[ieu]r curé qu’il veilleroit cette nuit auprès de luy, de peur de l’accident et pendant que ledit boulanger alloit chez luy dire qu’il ne coucheroit point à la maison, ledit s[ieu]r recteur seroit monté dans sa chambre où un instant après on entendit bien un grand coup de fusil. La servante y estant accourue trouva le s[ieu]r curé par terre, le fusil d’un costé, la baquette et un tire four de l’autre, et ayant voulue le soulever, ledit curé auroit dit : Laissez, laissez, cela ne me fera point de mal. Les deux chapelins, le prévost, greffier tout ceux du bourg estant venus aussy, auroient trouvé ledit s[ieu]r curé dans cet estat, et l’auroient veu expirer une petite demie heure après…

Suit l’évocation de troubles mentaux depuis plusieurs années, d’un séjour forcé chez les capucins de Strasbourg, puis chez un sieur Rauch « où il avoit esté traité par les s[ieu]rs Hammerer et Palzman médecins comme hypocondriaque111 ». Il aurait connu ensuite du mieux et des rechutes112. D’où les conclusions « qu’il y a apparence, que ledit s[ieu]r curé ayant chargé et bandé son fusil et voulant le prendre de la muraille où il estoit pendu à un clou pour se défendre contre des ennemis imaginaires, ledit fusil se soit déchargé ». Les conclusions permettent qu’il soit enterré dans le cimetière avec le cérémonial ordinaire et en disant « un sermont au peuple le jour de l’enterrement ou le lendemain, des vies, moeurs et conduite du défunt et de quelle manière ce malheureux accident poussé par la faiblesse de son esprit estoit arrivé, et comme cela ne doit pas faire tort à la mémoire auprès des hommes ». L’affaire rebondit un temps, lorsqu’une seconde procédure est initiée en 1705 par le conseil souverain d’Alsace113, d’où une intervention du vicaire général de Strasbourg auprès du premier président du Conseil, en exposant les dommages qu’une telle procédure causerait :

Je me donne l’honneur de vous écrire […] pour vous supplier très humblement, Monsieur, de vouloir consentir à ce qu’on n’informe pas d’avantage sur ce fait […] l’information qui a déjà été faite à la requête du sieur promoteur […] conste que le curé était, sinon, tout à fait fol, au moins si fort blessé que cela suffit pour l’excuser ; en conséquence de quoi on a permis qu’on l’enterra et on a fait un discours ou oraison funèbre [pour] calmer le scandale que sa mort avait causé et prouvé que cela ne diminuait point le mérite de ce qu’il avait fait étant dans un parfait bon sens. En sorte que l’information qu’on pourrait faire maintenant ne pourrait faire qu’un très mauvais effet et remuer sans aucun succès les cendres de ce pauvre prêtre […] Comme il est presque inouï qu’un prêtre se soit désespéré, je vous prie, monsieur, pour l’honneur du sacerdoce, de consentir à ce qu’on ne réveille pas cette action qui commence à s’assoupir. On vous aura peut-être ajouté que ce prêtre avait abusé d’une sienne parente qui se trouve effectivement grosse. Mais ce fait n’est pas certain. Au contraire on fait actuellement procès à l’officialité à celui qui est coupable et qui a déjà avoué sa faute dans la première114.

En réponse, le président garantit que l’affaire n’ira pas plus loin115. Il conclut que le procureur « est homme sage et ne fera rien qui puisse diminuer le respect que les peuples doivent conserver pour leur pasteurs ». Ce procès complémentaire met en perspective les enjeux d’un procès fait à un curé suicidé, comme Bennenot en 1689. Pour Hermann, des raisons ont été trouvées assez facilement pour expliquer une imprudence, un accident de manipulation d’arme. Ainsi l’intention éventuelle a-t-elle été effacée. En revanche, Bennenot s’est à coup sûr homicidé lui-même. Mais pourquoi ? Comprendre les motivations d’une personne qui se tue est toujours compliqué, et d’autant plus que Bennenot a laissé un mot, mais énigmatique : « On meurt sans raison. » Pour entrer « Dans la tête de Bennenot » on ne dispose que d’une enquête judiciaire, laquelle n’a pas cherché à comprendre le geste mais seulement à démontrer la folie, ce qui était la solution commode pour éviter d’avoir à condamner la dépouille d’un prêtre.

On a parfois davantage d’éléments, comme dans un cas, célèbre celui-ci, où deux jeunes militaires se sont suicidés ensemble dans une chambre de l’auberge de l’Arbalète à Saint-Denis en 1773. L’un, Bourdeaux, âgé de 20 ans, a en effet laissé, non pas quatre mots, mais toute une lettre. L’autre, Dumain, âgé de 24, n’a rien laissé. Toute une lettre ! Et pourtant on a mis longtemps à lire ce qu’elle disait. Pour Voltaire « Jamais suicide ne fut accompli avec plus de sang froid » et il a publié la lettre d’adieu de Bourdeaux à un officier connu par lui en Picardie :

Je croix vous avoir dit plusieurs fois que mon état actuel me déplaisait […] Je me suis examiné depuis plus sérieusement et j’ai reconnu que ce dégoût s’étendait sur tout et que j’étais également rassasié de tout état possible, des hommes, de l’univers entier et de moi-même. De cette découverte la conséquence était facile à tirer116.

Son mal-être est daté : « dès ma quinzième année ». Suivent des détails pratiques et la lettre se termine par : « Adieu, mon cher lieutenant ; soyez confiant dans votre amour pour Saint-Lambert, pour Dorat, voltigez de fleurs en fleurs, épuisez toutes les jouissances… » Ensuite les deux jeunes hommes se sont tués à coup de pistolet. Voltaire en restait à l’admiration des philosophes pour qui décide de son existence, selon la voie tracée par les antiques stoïciens. Le philosophe Bayet, dans sa monumentale Histoire du suicide (1922) s’est d’ailleurs étonné du nombre de suicides à Paris à la fin du xviiie siècle et il a fait part des réflexions des lettrés sur l’acte de suicide117. En effet, certains admiraient les « suicides philosophiques » et d’autres refusaient tout lien. On ne se tue pas « par spéculation » écrit d’Holbach et pour Mercier des suicidés « ne sont rien moins que des philosophes118 ». Grimm a cité exactement le cas des cavaliers de 1773, comme exemple « des ravages qu’une philosophie trop hardie peut causer dans des têtes mal disposées119 ». Bayet en 1922 a présenté à son tour le cas de 1773, concluant : « Je n’aurais garde de conclure [de la lettre] qu’il y a là suicide philosophique. Les deux soldats n’allèguent pas la philosophie de leur temps et […] leurs raisonnements sont enfantins ». Mais des auteurs, comme Voltaire et Grimm, ont été fascinés par le cas et plus généralement par l’idée d’un « suicide philosophique » et donc admirable. À la même époque, le suicide d’amour, romanesque, suscitait une indulgence universelle120. Mais ni les Lumières ni Bayet ne semblent avoir vraiment lu la lettre de Bourdeaux, car enfin, n’avions-nous pas deux jeunes hommes qui se tuent ensemble dans une chambre, dont un lettré qui date son mal-être du commencement de sa puberté et qui parle à son ami militaire d’amour et de jouissances auxquelles il vaut mieux s’abandonner… Silence de plomb. Jeffrey Merrick semble avoir été le premier historien à expliquer le cas par une orientation sexuelle interdite et malheureuse, dans un article et plusieurs livres au sujet de l’homosexualité121. Les clés étaient pourtant évidentes dans la lettre. La ligne de Bonnenot « On meurt sans raison. » fait du curé de Pompierre un cas autrement compliqué.

La région constitue un dernier élément de contexte du suicide de Bennenot. Pompierre est dans le pays de Montbéliard, où l’on penserait trouver des âmes d’élite : les soldats de Dieu de l’évêque de Besançon qui combat la présence luthérienne depuis le xvie siècle, et qui est soutenu par le roi de France depuis la conquête de la Franche-Comté dans les années 1670. L’état d’esprit des curés de la région était-il marqué par l’enthousiasme ou le désespoir ? Une illustration peut en être donnée avec un autre curé comtois, à Lyoffans122, qui s’adresse à ses paroissiens en 1715, leur disant : « Messieurs, je ne sçais comment vous attraper pour vous faire assister au catéchisme. Quand je le fais à midy il n’est que des enfans et les grande personnes desdaignent d’y assister ». Du coup, il entreprend en quelque sorte de reprendre les bases que sont « la prière et le Saint Sacrifice de la messe [car] nous sommes tout voisins des huguenots et si quelques uns d’eux vous demandoit ce que c’est que le Sacrifice de la messe vous ne sauriez leur expliquer » – ce qui provoque la colère de l’un des assistants et une procédure « pour propos scandaleux et calomnies pendant un office contre les gens d’Eglise »123.

Au final, l’étude d’Élodie Lemaire ne révèle pas clairement la « vérité » de Bennenot, occultée par une procédure orientée124. Grâce à son analyse des dépositions, elle a quand même relevé de quoi supposer plusieurs raisons au suicide de Bennenot. La folie est avancée dès le commencement, lorsqu’un témoin, Momier, dépose en premier que son curé « extravagoit ung peu sur plusieurs discours ». L’information abonde lors de la seconde visite, pendant laquelle le juge déclare que le curé « s’estoit homicidé soy-mesme par folie ». Les autres pistes, notamment celle du meurtre, ne seront jamais exploitées125. Les paroissiens décrivent tous un bon curé, mais plus ou moins dérangé et personne ne prend le contre-pied d’une certaine image126. Momier, encore, rapporte que Bennenot « croyait en un complot visant à le destituer, mené par son oncle Étienne Joye, curé de Saint Julien, et par Claude Joseph Labbé, un des décimateurs de la cure, et enfin le patron de la cure, le prieur de Lanthenans ». Délire paranoïaque – comme pour Hermann ? Élodie Lemaire confirme que Labbé était « un homme influent et ambitieux », que Bennenot lui devait de l’argent et qu’un conflit les avait opposés, alors qu’il était question de « bastir une grande maison de cure » – dépense qui aurait pesé sur les habitants les plus riches et les décimateurs. L’hypothèse d’Élodie Lemaire est que Labbé voulait le mieux pour le presbytère, contre l’avis de Bennenot, plus modeste. On peut imaginer l’inverse : Bennenot, avec une haute idée de son ministère et de sa position, voulait le plus. Un ou deux mois avant le suicide, une entrevue entre Bennenot et Labbé aurait profondément troublé le curé. C’est que les affaires matérielles de la religion étaient largement des affaires d’argent127. Bennenot apparaît finalement comme un curé « rigoriste », un curé d’élite, mais par-là même fragile lorsque la situation religieuse est tendue, difficile à cause des voisins non-catholiques, et décevante à cause des catholiques. Ce curé fragilisé, Élodie Lemaire le voit affronter « un complot » contre lui, avant sa mort et prolongé lors du procès fait à son cadavre. « Reste ces derniers mots bien énigmatiques : Sine causa morimur. Les hypothèses concernant leur sens sont nombreuses. Volonté de décharger de leur culpabilité son entourage ? Véritable et profonde mélancolie ? » : Élodie Lemaire termine son article sur une interprétation ferme, qui est tout à son honneur de jeune historienne.

Notes

1 Pompierre-sur-Doubs : Doubs, ar. Montbéliard, c. Bavans. De même pour la commune voisine de Clerval (ou Clercval dans la source). Le troisième lieu directement concerné est Santoche, immédiatement au sud de Pompierre. Return to text

2 Archives Nationales de France (désormais AN), K 2194, liasse 2 : « Visite du chirurgien ». La suite des évènements vient des témoignages du procès de Bennenot sous la même cote : « Information ». Le dossier a été étudié dans notre mémoire de recherche : Élodie Lemaire, « Sine causa morimur ». Microhistoire du suicide d’un curé franc-comtois à la fin du xviie siècle, Université Paris 8, 2018 et 2019, sous la direction d’Anne Bonzon. La source est aussi un révélateur de la vie des villageois de Pompierre et de Clerval, des relations entre les curés de la région, entre les paroissiens, et entre un curé et ses paroissiens ; questions étudiées dans Anne Bonzon, L’esprit de clocher. Prêtres et paroisses dans le diocèse de Beauvais (1535-1650), Paris, Le Cerf, 1999 ; « La question de l’identité des curés au xviie siècle : bilan et perspective des recherches françaises », Rivista di storia della Chiesa in Italia, n° LX-1, 2006, p. 31-48, etc.  Return to text

3 Sorte d’agnus dei, une pâte de Rome est un mélange de cire et de poussière d’ossements de martyrs issus des catacombes romaines. Elle est aussi appelée « pâte humaine » ou encore « pâte des martyrs ». Stéphane Baciocchi Duhamelle , Reliques romaines : invention et circulation des corps saints des catacombes à l’époque moderne et Christophe (dir.), Rome, École française de Rome (coll. « Collection de l’École française de Rome », n° 519), 2016, p. 18. Return to text

4 Rappelons que tout homicide est un crime à cette époque. Le mot « suicide » apparaît en Angleterre au milieu du xviie siècle et est introduit en France en juillet 1734 par l’abbé Prévost dans son journal Le Pour et le Contre selon Armelle Mestre, en introduction à son étude sur plus de cent cas en milieu rural : La mort volontaire au xviiie siècle en Eure et Eure-et-Loir, thèse de l’École des Chartes, 2013. Return to text

5 Antoine Follain (dir.), Les justices de village. Administration et justice locales de la fin du Moyen Age à la Révolution, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002 ; Idem (dir.), Les justices locales dans les villes et villages du xve au xixe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006 ; Benoît Garnot, « Une réhabilitation ? Les justices seigneuriales dans la France du xviiie siècle », Histoire, économie & société, n° 2, 2005, p. 221-232. Return to text

6 Le titre de « maire », comme d’autres utilisés en Lorraine et Bourgogne, est trompeur : il peut recouvrir des réalités diverses et il s’agit donc ici d’un « menu maire » faisant office de sergent. Cf. Antoine Follain, Le crime d’Anthoine. Enquête sur la mort d’une jeune femme dans les Vosges au xviie siècle, Paris, L’Harmattan, 2017, entre autres publications sur la justice dans les provinces de l’Est. Ce livre est aussi un modèle récent de microhistoire judiciaire. Return to text

7 Une « exclave » est le mot proposé par Christophe Duhamelle pour désigner de tels territoires : « Dedans, dehors : espace et identité de l’exclave dans le Saint-Empire après la paix de Westphalie », p. 93-115 dans Hélène Delacroix, Guillaume Garner et Béatrice Hirschhausen (dir.), Espaces de pouvoir, espaces d’autonomie en Allemagne, Lille, Presses du Septentrion, 2010. Le terme désigne « un bout de pays totalement séparé de celui-ci, il faut traverser d’autres entités politiques pour le rejoindre », p. 262. Une première invasion française est réalisée en 1668 puis la Franche-Comté est rendue contre des gains en Flandres et envahie de nouveau en 1674. Return to text

8 Marie-Odile Piquet, La Chambre de réunion de Metz, Paris, Presses universitaires de France, 1969. Return to text

9 Plus tard encore, lorsque le traité de Ryswick rétablit Georges de Wurtemberg dans la possession du comté de Montbéliard, des fiefs de Clerval et de Passavant, etc. une distinction est opérée entre le comté qui est reconnu immédiat du Saint-Empire et d’autres territoires comme Clerval et Passavant qui sont reconnus seulement tenus en fiefs et situés dans le comté de Bourgogne. Return to text

10 Bennenot signale obligeamment à la suite « À observer, 100 sacs pour mes meubles ». Return to text

11 Un exemple récent est donné dans A. Follain, Le crime d’Anthoine…, op. cit., où précisément la question « Pourquoi a-t-il tué ? » trouve des réponses, alors qu’une procédure ancienne doit répondre seulement à la question « Qui a tué ? ». Un autre exemple de retenue de la justice a été analysé par Hervé Piant, « “Un mauvais sujet dont la commune seroit fort aise d’être débarassée” : justice, crimes et relations sociales en Lorraine à l’époque révolutionnaire (1799) », Source(s), n° 11, 2017, p. 89-106, avec une étude de cas sur une série de crimes extraordinaires dont la justice a cherché les coupables mais pas exploré leurs raisons. Return to text

12 Voir entre autres Gabriel Matzneff, « Le suicide philosophique », Revue des Deux Mondes, janvier 1979, p. 63-75. Return to text

13 Ainsi, dans sa 70e lettre à Lucilius, Sénèque écrit « Le sage vit autant qu’il doit et non autant qu’il peut […] il se libère […] La vie te plaît ? Vis. Elle ne te plaît pas ? Tu peux retourner d’où tu es venu. » C’est la liberté suprême. Dans son traité De la Providence il attribue aussi à Dieu la liberté de mourir : « J’ai pris soin qu’on ne pût vous retenir malgré vous : l’issue est grande ouverte. » Return to text

14 Karsten Lehmkühler, « Le suicide dans l’histoire de la théologie : d’Augustin à Bonhoeffer », Études sur la mort, n° 150-2, 2016, p. 63‑78. Return to text

15 Émile Durkheim, Le suicide : étude de sociologie, Paris, Alcan, 1897. Le livre a été remis en perspective dans Massimo Berlandi et Mohamed Cherkaoui (dir.), Le Suicide un siècle après Durkheim, Paris, Presses universitaires de France, 2000. Pour les historiens, Armelle Mestre rappelle que ce livre « constitue l’illustration des Règles de la méthode sociologique[article paru en 1895 dans la Revue philosophique] et la démonstration par l’exemple de la valeur de cette démarche » et, sur le sujet du suicide, « l’héritage de Durkheim semble rester indépassable [pour] chaque nouvel ouvrage ». Return to text

16 Durkheim distingue un « suicide égoïste » qui concerne les individus qui se sentent exclus, isolés ; un « suicide altruiste » pratiqué par les individus qui ne supportent pas de faillir aux règles imposées et qui vivent un échec imposant dans leur esprit une réparation qui est leur suicide ; et un « suicide anomique » qui touche des désespérés, trop en attente vis-à-vis d’une société qui ne peut pourvoir à leurs désirs devenus insupportables. Return to text

17 Marc Bloch, « Un symptôme social : le suicide », Annales d’histoire économique et sociale, 1931, p. 590-592. Bloch rendait compte en premier du livre de Maurice Halbwachs, Les causes du suicide, Paris, Alcan, 1930. Return to text

18 Albert Bayet, Le suicide et la morale, Paris, Alcan, 1922. Dans le milieu contemporain comme dans le passé, Bayet distingue deux doctrines sur le suicide : une morale simple qui condamne tout suicide et une morale nuancée, plus souple, qui distingue entre les cas. Elle comprend tout un spectre de réactions : horreur, désapprobation, pitié, excuse, voire admiration. Return to text

19 M. Halbwachs, Les causes du suicide, op. cit. Return to text

20 Albert Camus, L’homme révolté, Paris, Gallimard, 2010, p. 44. Albert Camus va plus loin : au-delà de la société comme cause au suicide, il voit la religion, et fait coïncider la révolte métaphysique avec l’apparition du christianisme. Return to text

21 Le sujet a suscité de nombreuses études de cas, dont voici une liste non exhaustive permettant de situer la présente étude dans ce mouvement historiographique : Reynald Derain, « Suicide d’un prêtre dans la paroisse St. Martin d’Erstein en 1704 », Société d’histoire des Quatre cantons, n° 36, 2019 ; Alain Joblin, « Le suicide à l’époque moderne. Un exemple dans la France du nord-ouest à Boulogne-sur-Mer », Revue Historique, 1994, p. 85‑119 ; Marc Ortolani, « Le procès au cadavre du suicidé au xviiie siècle. Deux exemples provençaux », Historia et ius - Rivista di storia giuridica dell’età medievale e moderna, 2016 ; Romain Parmentier, « Dans l’ombre d’un pendu : justice et mentalités autour du suicide à la fin du xviie siècle », Dix-septième siècle, n° 271, 2016, p. 303‑326 ; Michel Porret, « Mourir l’âme angoissée : les “Réflexions sur le suicide” de l’horloger genevois J.-J. Mellaret (1769) », Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, n° 42-1, 1995, p. 71‑90 ; Christophe Regina, « Se délivrer soi-même de la vie », Rives méditerranéennes, n° 44, 2013, p. 107‑123. Return to text

22 Alain Joblin, « Le suicide à l’époque moderne… », op. cit. Return to text

23 M. Ortolani, « Le procès au cadavre… », op. cit. Return to text

24 C. Régina, « Se délivrer soi-même de la vie », op. cit. Return to text

25 Georges Minois, Histoire du suicide : la société occidentale face à la mort volontaire, Paris, Fayard, 1995. Return to text

26 Maud Ternon, « La folie entre sens commun et définition experte », Hypothèses, n° 14-1, 2011, p. 129‑140. Return to text

27 Raoul Van de Made, « Une page de l’histoire du droit criminel : la répression du suicide », Revue de droit pénal et de criminologie, 1948, p. 31. Cité par M. Ortolani, « Le procès au cadavre… », op. cit. Return to text

28 Jean-Claude Schmitt, « Le suicide au Moyen Âge », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, n° 31, 1976, p. 3-28. Return to text

29 Michael Ma Donald, « The Secularization of Suicide in England 1660-1800 », Past & Present, n° 111, 1986, p. 50-100. Return to text

30 Dominique Godineau, S’abréger les jours : le suicide en France au xviiie siècle, Paris, Colin, 2012. Return to text

31 Ainsi, dans notre affaire, parmi les 22 témoins interrogés, dont plusieurs prêtres, aucun n’avance plus la thèse de la possession ou de l’œuvre de Satan. Return to text

32 Philippe Ariès, L’homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977 ; Michel Vovelle, Mourir autrefois : attitudes collectives devant la mort aux xviie et xviiie siècles, Paris, Gallimard, 1974 ; aussi François Lebrun, Les Hommes et la Mort en Anjou aux xviie et xviiie siècles. Essai de démographie et de psychologie historiques, Paris et La Haye, Mouton, 1971. Return to text

33 J.-C. Schmitt op. cit. Parmentier op. cit., « Le suicide au Moyen Âge », ; R. , « Dans l’ombre d’un pendu… », Return to text

34 La théorie des humeurs est l’une des bases de la médecine antique et bénéficie de l’autorité d’Hippocrate (ive siècle avant notre ère) et de Galien (iie siècle). Selon cette théorie, le corps est constitué des quatre éléments fondamentaux, air, feu, eau et terre possédant quatre qualités, chaud ou froid, sec ou humide. Ces éléments antagoniques (l’eau éteint le feu, le feu fait s’évaporer l’eau) doivent coexister en équilibre pour que la personne soit en bonne santé. La théorie domine la médecine à la Renaissance alors que tout a discrédité plus tard cette approche de la biologie humaine. Return to text

35 Voir une mise en perspective historique dans Stéphane Hampartzoumian, « La mélancolie au creux de la modernité », Sociétés, n° 86, 2004, p. 21-35. Return to text

36 Jean Delumeau , La Peur en Occident xive-xviiie siècles, Paris, Fayard, 1978, et Le Péché et la peur : la culpabilisation en Occident, xiiie-xviiie siècles, Paris, Fayard, 1983. Return to text

37 Robert Burton, The Anatomy of Melancholy : what it is. With all the kindes, causes, symptomes, prognosticks, and seuerall cures of it. In three maine partitions, with their seuerall sections, members and subsections…, Oxford, 1621 (édition définitive 1638). Dernière édition scientifique française : Paris, J. Corti, 2000. Angus Gowland, « Burton’s Anatomy and the Intellectual Traditions of Melancholy », Babel. Litteratures plurielles, n° 25, 2012, p. 221-257. Burton (1577-1640) semble être mort pendu dans sa chambre du collège de Christ Church à Oxford mais le confirmer aurait empêché une inhumation décente. Return to text

38 Scipion Dupérier (1588-1667), docteur en droit, pense qu’il faut punir ceux qui se sont suicidés par crainte d’un châtiment de justice, mais que « les autres sont des mélancoliques, et la mélancolie est une forme de folie. ». H.-J. Joly (éd.), Oeuvres de Scipion Du Périer…, Nouvelle édition… par M. D. L. T. [de La Touloubre], Avignon, 1759, p. 166. Return to text

39 Citation de Corti, t. 1, p. 55, traduite par et publié dans Jackie Pigeaud, Melancholia : le malaise de l’individu, Paris, Payot & Rivages, 2011, p. 32. Return to text

40 AN, K 2194 (2), Dernier interrogatoire, p. 2-3. Return to text

41 Doubs, ar. Pontarlier, c. Valdahon. Return to text

42 Collège de l’université de Paris fondé au début du xive siècle par testament de la reine Jeanne II de Bourgogne, épouse de Philippe V le Long. Le collège disparaît en 1762, en même temps que l’ensemble des « petits collèges ». Return to text

43 Jean-Louis Quantin, « Le rigorisme : sur le basculement de la théologie morale catholique au xviie siècle », Revue d’Histoire de l’Église de France, n° 89-1, 2003, p. 23‑43. Return to text

44 Notice de Marie-Madeleine Compère, Les collèges français 16e -18e siècle Paris/Lyon/Rouen, Institut national de recherche pédagogique, 2002, Répertoire 3 : Paris, p. 442-445. Elle s’est appuyée sur une Histoire du séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet, 1612-1908, publiée en 1909. Adrien Bourdoise (1584-1655) aurait voulu très tôt (1598) « chercher tous les moyens possibles, et les plus efficaces, afin d’exciter les ecclésiastiques à vivre saintement dans leur profession ». En 1611 il rejoint le cardinal de Bérulle et rencontre Vincent de Paul. Il se distingue par son genre de vie et ses efforts pour créer un cadre où former et fortifier les prêtres destinés à animer les paroisses, à Saint-Nicolas-du-Chardonnet et lors de nombreuses missions en province. Sa vie exemplaire est racontée dans un manuscrit « La vie du vénérable serviteur de Dieu messire Adrien Bourdoise premier prêtre et instituteur de la communauté de Saint-Nicolas-du-Chardonnet », Paris, Bibliothèque Mazarine, ms. 2453 et dans le livre La vie de monsieur Bourdoise, premier prestre de la communauté de S. Nicolas du chardonnet, Paris, Chez Fournier, 1714. Return to text

45 Les papiers sont conservés aux Archives Nationales, MM 478 et suiv. mais aucune liste d’élèves n’est conservée avant 1758. Return to text

46 Doubs, ar. Montbéliard, c. Maîche. Return to text

47 Les modalités de sa nomination font d’ailleurs débat, puisqu’elles prennent appui sur le concours d’accès à la cure. C’est un point que nous abordons plus largement dans notre mémoire de master II : É. Lemaire, « Sine causa morimur »…, op. cit. Return to text

48 La référence pour les évènements induits par la conquête de la Franche-Comté par Louis XIV est l’ouvrage collectif Jean-Marc Debard, Maurice Gresset et Pierre Gresser (dir.), Histoire de l’annexion de la Franche-Comté et du pays de Montbéliard, Le Coteau, Horvath, 1988. Return to text

49 La Franche-Comté est située sur l’axe lotharingien, une frontière séparant catholiques et protestants. Cette zone concentre ainsi les efforts de l’Église catholique pour lutter contre le protestantisme. Le projet Lodocat s’intéresse justement aux formes de christianismes développées dans les zones de marges, comme l’est la Franche-Comté. Voir <https://lodocat.hypotheses.org/category/a-propos>. Return to text

50 Le collège est ancien. L’université, prévue de longue date, est créée seulement en 1670. Return to text

51 Élisabeth Berlioz, « L’instruction protestante dans les Quatre Terres au xviiie siècle : un enjeu majeur pour les luthériens du Pays de Montbéliard », Chrétiens et sociétés xvie-xxie siècles, n° 22, 2015, p. 175-186. Return to text

52 Paul Perdrizet, « Les survivances catholiques dans le pays de Montbéliard », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, n° 82, 1938, p. 149-150. Return to text

53 La chapelle de Santoche conserve les reliques de saint Ermenfroy. Return to text

54 En plus des travaux d’Anne Bonzon cités plus haut, voir Serge Brunet, « Les prêtres des campagnes de la France du xviie siècle : la grande mutation », Dix-septième siècle, n° 234, 2007, p. 49-82, et plus généralement : Michel Lagrée et Nicole Lemaitre (dir.), Histoire des curés, Paris, Fayard, 2002, et pour les rapports avec les communautés d’habitants Antoine Follain, Le village sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2008. Return to text

55 Gilbert Larguier, « Un prêtre provençal en Cerdagne. Joseph François Auberge curé de Saint-Pierre-dels-Forcats », p. 29-44 dans Idem (dir.), L’Église, le clergé et les fidèles en Languedoc et en pays catalan : xvie-xviiie siècle, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2017. Return to text

56 Anne Bonzon, Les artisans de paix : clergé paroissial et règlement des conflits dans la France d’Ancien Régime, mémoire inédit d’HDR, 2018. Le cas des curés franc-comtois a été étudié pour les années 1700 dans Anne-Marie Kaminski-Parisot, Les curés de campagne en Franche-Comté au xviiie siècle, thèse de l’École des Chartes, 1975. Return to text

57 Michel Vernus, Le presbytère et la chaumière : curés et villageois dans l’ancienne France (xviie et xviiie siècles), Cromary, Togirix, 1986. Return to text

58 Pour les conflits autour de la dîme novale : Archives départementales du Doubs (désormais AD Doubs), G 2487, Sommation à payer les dîmes, 6 juillet 1691. Et pour ceux autour des montants du casuel : AD Doubs, G 676, Décision de l’officialité de Besançon sur les revenus casuels du curé de Pompierre, 18 juillet 1691. Return to text

59 Somme mentionnée sur un billet de Bennenot. Soit 99 livres françaises ou 150 francs comtois. Return to text

60 Voir la méthode de l’expertise médicale et l’analyse d’un cas déterminant dans A. Follain, Le crime d’Anthoine…, op. cit., p. 59-60 et p. 90-92. Return to text

61 Benoît Garnot (dir.), Les Témoins devant la justice : une histoire des statuts et des comportements, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, et « La justice pénale et les témoins en France au xviiie siècle : de la théorie à la pratique », Dix-huitième siècle, n° 39, 2007, p. 99-108. Return to text

62 AD Doubs, E AC (Archives communales déposées) 4202 GG1 à 4202 GG2, registres traités par les généalogistes du Doubs. Return to text

63 «  Titre VI - des informations. Article 5. Les témoins prêteront serment et seront enquis de leur nom, surnom, âge, qualité, demeure, et s’ils sont serviteurs ou domestiques, parents ou alliés des parties, et en quel degré ; et du tout sera fait mention, à peine de nullité de la déposition, et des dépens, dommages et intérêts des parties contre le juge. » Return to text

64 La présence des curés élargit l’aire de provenance des témoins. Sinon ils sont tous de Pompierre et Clerval. Return to text

65 La géographie ecclésiastique est connue grâce aux travaux de Henri Hours (dir.), Fasti ecclesiae Gallicanae: répertoire prosopographique des évêques, dignitaires et chanoines de France de 1200 à 1500, Turnhout, Brepols, 1996 ; François Ignace Dunod De Charnage, Histoire De L’Église, Ville Et Diocèse De Besançon : Qui comprend la suite des Prélats de cette Métropole depuis la fin du second siècle, leur vie, leurs actions, l’illustration de leur Siège par la qualité & les droits de Princes de l’Empire…, Besançon, chez Claude-Joseph Daglin et Jean-Baptiste Charmet, 1750. Return to text

66 D’ailleurs aucun n’a voulu de la taxe proposée par le juge, ou bien elle ne lui a pas été proposée en raison de la résidence sur place. La taxe (le remboursement du temps perdu) est de droit mais la refuser est un moyen de distinction sociale cf. Hervé Piant, « Le prix de la vérité. Témoignage, argent et vérité dans la justice française d’Ancien Régime. Une analyse de la “taxe” des témoins », dans B. Garnot (dir.), Les Témoins devant la justice…, op cit. p. 209-220. Return to text

67 340 habitants en 1793. Estimation fondée sur les registres paroissiaux de Pompierre : AD Doubs, E AC 4202 GG1 à 4202 GG2, registres traités par les généalogistes du Doubs. Return to text

68 Sur l’utilisation de la lexicométrie en histoire voir : Claire Lemercier et Claire Zalc, Méthodes quantitatives pour l’historien, Paris, Éditions La Découverte (coll. « Collection Repères », n° 507), 2008 ; ou encore Polo de Beaulieu et Marie Anne, « Panorama de la lexicométrie », Histoire & Mesure, n° 2-3, 1987, p. 173‑197. Return to text

69 Nous tirons les théories d’Ambroise Paré de l’ouvrage de Jean Delumeau, Le péché et la peur: la culpabilisation en Occident, xiiie-xviiie siècles, Paris, Fayard, 1983, Partie 1 : Macabre et pessimisme à la Renaissance, chapitre 5 : Un homme fragile, III. Mélancolie, p. 189-208. Return to text

70 Ibid. Return to text

71 Voir la définition de « troubler » du Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500) (désormais DMF) : <http://www.atilf.fr/dmf/definition/troubler>. Return to text

72 J. Pigeaud, Melancholia…, op. cit., p. 17. Return to text

73 Issues d’un numéro thématique de la revue Épistémè consacré à la mélancolie religieuse, voici la liste d’articles qui nous ont particulièrement aidé à bâtir ce lien entre la mélancolie de Bennenot et cette forme particulière : Lisa Roscioni, « L’invention de la mélancolie religieuse ? Quelques réflexions sur un concept pluriel », Études Épistémè. Revue de littérature et de civilisation (xvi e- xviii e siècles), n° 28, 2015 ; Christine Orobitg, « La face noire de l’âme : la mélancolie “religieuse” dans les textes spirituels et médicaux de l’Espagne des xvie et xviie siècles », Ibid. ; Mathilde Bernard, « Mélancolie et apostasie aux xvie et xviie siècles », Ibid.. Return to text

74 Le suicide de Roland Pippe est un exemple de mélancolie religieuse chez un laïc puisqu’il le fait a priori pour des questions d’éthiques religieuses, et ce même si le terme n’est pas employé : Werner Paravicini, « Un suicide à la cour de Bourgogne : Roland Pippe », Revue du Nord, n° 380, 2009, p. 385‑420. Return to text

75 Robert Burton et Gisèle Venet, Anatomie de la mélancolie, Paris, Gallimard (coll. « Collection Folio Classique »), 2005. Pour comprendre cet ouvrage majeur et son apport, nous recommandons aussi la lecture de cet article : Angus Gowland, « Burton’s Anatomy and the Intellectual Traditions of Melancholy », Babel. Littératures plurielles, n° 25, 2012, p. 221‑257. Return to text

76 M. Bernard xvie xviie op. cit., « Mélancolie et apostasie aux et siècles », Return to text

77 Au sujet du terme « scrupule » voir particulièrement l’étude de Christine Orobitg, consacrant une sous-partie entière sur la notion : C. Orobitg op. cit., « La face noire de l’âme… », Return to text

78 AN, K 2194 (2), Information, p. 69. Nous devrions référencer par pièce et folio mais l’information a été entièrement repaginée, d’où les numéros de pages que nous employons dans ces notes. Return to text

79 C. Orobitg op. cit., « La face noire de l’âme… », Return to text

80 Voir la définition de « scrupule » du DMF : <http://www.atilf.fr/dmf/definition/scrupule1>. Return to text

81 J. Pigeaud Melancholia op. cit., …, Return to text

82 L. Roscioni op. cit., « L’invention de la mélancolie religieuse ? » Return to text

83 AN, K 2194 (2), Information, p. 51. Return to text

84 Voir la définition de « zèle » du DMF : <http://www.atilf.fr/dmf/definition/zèle>. Return to text

85 À l’image de Benoist Gauderon : AN, K 2194 (2), Information, p. 6-10. Return to text

86 Comme le raconte, par exemple, Nicolas Picquet : Ibid., p. 47-49. Return to text

87 Nous faisons ici référence aux témoignages de Guillaume et Jean Romain : Ibid., p. 10-15. Return to text

88 Ibid., Visite de la justice, p. 7. Return to text

89 Ibid., Visite du juge, p. 2. Return to text

90 Et pourtant le maître chirurgien atteste de la force du ou des coups : « ay trouvé ledit curé mort ne donnant aucuns signe de vie qui luy avoit esté ostée à cause d’une playe transversallement faitte à la gorge par un instrument fort tranchant qui avoit couppé les muscles qui servent à la flexion du col, ceux de la langue, de la machoire inférieure, la trachée artère, l’œsophage, la solution desquels fesoient une grande dilatation par laquelle j’ay veu le larinx et l’os hyoïde qui sert de base et fondement à la langue ; estoient aussy couppés plusieurs ramaux des veinnes jugulaires et entièrement les artères carotides, ce qui a causé une grande hémorragie et perte de sang avec dissipation des esprits et par conséquent la mort ; laditte playe estoit longue d’environ six à sept poulces dilatée de trois » (procès-verbal, f°1r.). On peut se demander si de tels dégâts n’auraient pas pu faire envisager un assassinat. Dans l’information le chirurgien dépose que l’on s’est demandé « s’il s’estoit homicidé luy mesme ou bien si quelques ennemys auroit faict le coup » (p. 3) et maintenant interrogé, il ajoute « qu’il failloit avoir beaucoup de force » pour infliger de tels dégâts, ne pouvant assurer objectivement que Bennenot lui-même s’est donné la mort, non plus « qu’aulcung autre en ayt esté la cause principale » mais seulement qu’il y a eu plusieurs entailles. La justice n’a pas poussé ses investigations du côté d’une agression. Return to text

91 Ibid., Information, p. 2-3 Return to text

92 Ibid., Récolement, p. 3. Return to text

93 Ibid., Interrogatoire, p. 5. Return to text

94 Bernard Schnapper, Revue d’Histoire du Droit, « Testes Inhabiles. Les témoins reprochables dans l’ancien droit pénal », n° 33-4, 1965, p. 575‑616. Return to text

95 J.-L. Quantin op. cit., « Le rigorisme… », Return to text

96 Le probabilisme est considéré par les jansénistes et les rigoristes comme une dérive morale induite par les jésuites qui la prônent particulièrement. Voici comment Jean-Louis Quantin la définit : « ce système de théologie morale qui tient que l’homme n’est pas tenu à la Loi dès qu’il y a en faveur de sa liberté une opinion probable (soit intrinsèquement par les raisons, soit extrinsèquement par l’autorité des docteurs), même si elle est moins probable que l’opinion opposée. », J.-L. Quantin op. cit., « Le rigorisme… », p. 24. Return to text

97 AN, K 2194 (2), Information, p. 52-53. Return to text

98 J.-L. Quantin op. cit., « Le rigorisme… », Return to text

99 Dominique Godineau, S’abréger les jours…, op. cit. ; Georges Minois, Histoire du suicide…, op. cit. Return to text

100 Saint Augustin, De Civitate Dei, Livre 1, Chapitre XXI. Return to text

101 Ibid., l. 17 : « […] et, en se tuant, il est d’autant plus coupable que son innocence était grande dans la cause qui l’a poussé au suicide ». Return to text

102 Par Antoine Follain. Return to text

103 Synthèse dans Jacques Leclercq, Leçons de droit naturel, Louvain, Société d’études morales, sociales et juridiques, 1937, t. IV, partie 1 « Vie et disposition de soi ». Cette dignité est une règle morale ancienne et partagée quasiment partout. Le respect dû aux cadavres inspire les cérémonies des funérailles. Les lois antiques, modernes et contemporaines protègent tout cadavre humain. Return to text

104 Acte cité dans Jean Barles, « Procès fait en 1742 au cadavre d’un pendu », Les Archives de Trans en Provence, n° 1, 2014, n.p. Il est remarquable ici que, dans l’attente de l’arrêt de confirmation, la justice locale se soucie de conserver le corps : « Mais parce qu’il ne doit être procédé à ladite exécution que de l’autorité de la Cour […] ce qui exige trait de temps, pour obvier à l’infection du cadavre qui pourrait nuire aux habitants, avons ordonné [que] le cadavre sera incessamment éventré et embaumé, jusqu’à ce qu’il plaise à la Cour de statuer sur l’exécution de la présente sentence ». Ce qui sera confirmé. Return to text

105 Cette évolution vers l’extinction de la répression pénale du suicide, est montrée par un collègue à partir de deux « procès à cadavre ». Le premier condamne le cadavre à être « attaché par l’exécuteur de haute justice au derrière d’une charrette, et traîné sur une claie, la tête en bas et la face contre terre, par les rues du fort des îles Sainte-Marguerite jusqu’à la place d’armes, où il sera pendu par les pieds à une potence qui à cet effet sera dressée et après qu’il y aura demeuré vingt-quatre heures, jeté à la voirie » – en 1760. Le second suicidé est condamné et ses biens confisqués mais le jugement ne prononce aucune sanction à l’encontre du cadavre – en 1771. Les dates n’ont pas tant d’importance. Le premier cas est tourné vers le passé et le second vers l’avenir. Marc Ortolani, « Le procès à cadavre des suicidés à la fin de l’Ancien Régime. Deux exemples provençaux », Historia et ius, n° 10, 2016, en ligne : <http://www.historiaetius.eu/uploads/5/9/4/8/5948821/ortolani_10_1.pdf>. Return to text

106 Un exemple plus ancien que l’Ordonnance correspond bien à ce caractère extraordinaire. Après l’assassinat d’Herni III et le massacre de Jacques Clément par les gardes, le 1 er  août 1589, un arrêt est rendu par Henri IV, dès le 2 août, condamnant le cadavre à être écartelé puis le corps brûlé . Jousse donne aussi l’exemple du procès fait au cadavre de Nicolas Lhôte, commis du secrétaire d’Etat M. de Villeroy, poursuivi pour crime de lèse-majesté et qui, dans sa fuite, s’était noyé dans la rivière de Marne. Son cadavre fut condamné à l’écartèlement, tiré à quatre chevaux, et les quartiers mis en exposition le 13 mai 1604 : Daniel Jousse, Traité de la justice criminelle de France…, Paris, Debure père, 1771, t. IV, p. 137. Jousse évoque p. 135-138 des cas de suicide avec leur jugement, tous plus anciens que le xviiie siècle, comme souvent chez cet auteur. Return to text

107 Reynald Derain, « Suicide d’un prêtre dans la paroisse St Martin d’Erstein en 1704 », Société d’histoire des Quatre cantons, n° 36, 2019, p. 41-50. Return to text

108 Archives départementales du Bas-Rhin, G 6321, p. 167-170. Return to text

109 Ibid. Return to text

110 Bas-Rhin, ar. Sélestat, ch.-l. c. Return to text

111 L’hypocondrie est un syndrome caractérisé par une peur et anxiété excessives concernant la santé et le bon fonctionnement du corps d’un individu. Le sujet hypocondriaque interprète tout comme le signe d’une maladie grave. Return to text

112 On l’aurait vu plusieurs fois « courir dans les champs tout hors de luy même, jeter son argent dans la rivière de l’Ill et faire d’autres extravagances, ainsy qu’il estoit notoire au dit lieu d’Erstein, à Strasbourg, même dans tout l’évêché ». Return to text

113 Il tient lieu de Parlement dans la petite province. Return to text

114 Archives municipales d’Erstein, GG 4, doc. 5-9. Le dossier comprend les réponses du conseil souverain. Return to text

115 « l’information ne se fera pas sitôt, nonobstant les mouvements qu’on s’est donné inutilement pour forcer monsieur le procureur général de remplir son ministère malgré lui en cette occasion ». Qui étaient ces « on » qui voulaient qu’un scandale éclate ? On ne le sait pas. Return to text

116 Œuvres de Voltaire. Correspondance générale…, édition de 1792, Paris, Baudouin et Stoupe, 1802, t. 3, p. 396-398. Return to text

117 Albert Bayet, Le suicide et la morale, Paris, Alcan, 1922, p. 681-682. Return to text

118 Sébastien Mercier reliait le cas de 1773 à de grandes raisons parisiennes et françaises, une sorte de déprime de fin de Régime, ainsi qu’à la contagion de l’irréligion cf. Tableau de Paris… édition de 1782, volume 2. Le cas est cité aussi dans Charles Moore, A full inquiry into the subject of suicide: To which are added (as Being Closely Connected with the Subject) two treatises on duelling and gaming. In two volumes, London, Rivington, 1790, vol. 1, p. 342-344. Return to text

119 Correspondance… par Grimm, Diderot, Raynal, Meister, etc. revue sur les textes originaux par Maurice Tourneux, Paris, Quantin, 1877-1882, t. X p. 341-342. Return to text

120 Il n’y a guère de voix dissonantes. Ainsi, en 1770, le suicide du maître d’armes lyonnais Faldoni est commenté par Voltaire et Rousseau, entre autres, et il est même romancé dans une Histoire tragique des amours de Thérèse et de Faldoni (1771) et seul, sur le moment, le Journal encyclopédique réduit le cas à un « double meurtre entre amant et maîtresse » mais plus tard le Journal sera parmi les laudateurs d’une nouvelle version littéraire, les Lettres de Léonard, 1783. L’histoire inspire encore une pièce jouée en 1809 : Thérèse et Faldoni, ou le Délire de l’Amour, fait historique, en trois actes… Return to text

121 Jeffrey Merrick est l’auteur de : Homosexuality in modern France, New York/Oxford, Oxford University Press, 1996 ; Homosexuality in French History and culture, New York/Londres/Oxford, Harri,gton Park Press, 2001 ; etc. Des articles révisés ont été réunis dans Idem, Order and Disorder under the Ancien Régime, Newcastle, Cambridge Scholars Publishing, 2007. Est consacré à l’affaire l’article « Suicide, Society, and History: The Case of Bourdeaux and Humain, 25 December 1773 », p. 113-157 dans Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, Oxford, 2000 (publication périodique de The Voltaire Foundation). Noter que le nom Dumain a été exprès remplacé par Humain. Aussi : Jeffery Merrick, « Le suicide de Pidansat de Mairobert », Dix-huitième Siècle, n° 35, 2003, p. 331-340. Pidansat, commis d’un Grand, et surtout libelliste, libertin et sodomite, s’est suicidé en 1779 pour ne pas « survivre à l’opprobre dont il se trouvait couvert » après avoir été menacé par le Parlement. Return to text

122 Haute-Saône, ar. et c. Lure. Return to text

123 Archives départementales de la Haute-Saône, B 3439 f°13v. D’après les recherches en cours d’Olivier Wolffer, étudiant en master à Strasbourg, sur « Les délits à l’encontre de la religion dans le bailliage de Lure ». Pompierre est au sud et Lyoffans au nord de la même enclave protestante. Return to text

124 Les historiens du judicaire savent bien que les procédures ne sont pas toujours sufffisantes pour savoir ce que nous voudrions. Parfois aussi, elles peuvent dire le contraire de la vérité. Il y a dans le registre de Gray un exemple remarquable qui part d’un jugement du 10 juillet 1739 qui condamne Nicolas et Jean Moussu pour avoir injurié Guillaume Lasnier, curé de Brussey, « et de l’avoir en cette circonstance traité d’indigne prêtre et de coquin » et « d’avoir en différents temps, lieux et circonstances débité et proféré » des injures en public. Les deux sont condamnés à « déclarer hautement et intelligiblement que malicieusement et contre la vérité ils ont proféré contre led[it] s[ieu]r Lasnier les injures cy dessus et qu’ils s’en repentent et luy en demandent pardon ». Une affaire somme toute banale entre des paroissiens mauvais et un curé forcément vertueux. Or plusieurs années après, un jugement est rendu cette fois… contre Lasnier ! Il est « convaincu d’avoir par ses attouchements et attitudes déshonnestes donné lieu à quatre différents particuliers et à quatre différentes fois de penser qu’il avoit dessein de tomber avec eux dans le crime de sodomie » avec d’autres crimes, tant relatifs à son état de prêtre qu’à sa personne. On a donc là des jugements totalement contradictoires et un prêtre exemplaire qui se révèle à la fin être l’« indigne prêtre » dénoncé par les Moussu. L’affaire se trouve aussi très documentée dans les archives de l’officialité et elle est en cours d’étude. Return to text

125 J’ai moi même vu la source aux Archives nationales à Paris (voir la transcription, supra , note 90) : comment ne pas penser à une agression ? J’ai donc vérifié auprès de collègues du secteur hospitalo-universitaire à Strasbourg si les dégâts à la gorge de Bennenot étaient conformes, lesquels m’ont répondu qu’un auto-égorgement causait effectivement de tels dommages et laissait apparaître ce qui est décrit en 1689. Mais une agression aussi. C’est d’ailleurs ce que dit le chirurgien, quand il dépose qu’il ne peut pas garantir que les blessures ont été faites par le défunt ou par quelqu’un d’autre. Prudence d’expert. Return to text

126 Élodie Lemaire a même repéré des formulations communes à plusieurs témoins – comme « mélancolicque, rêveur et pensif », « mélancolicque, pensif et rêveur » et « pensif, rêveur et mélancolicque » – qui font penser à une image construite à plusieurs et imposée aux autres, pour unifier la procédure. Return to text

127 Voir Antoine Follain, « Fiscalité et religion : les travaux aux églises et presbytères dans les paroisses normandes du xvie au xviiie siècle », Revue d’histoire de l’Église de France, n° 208, 1996, p. 41-61. Return to text

References

Bibliographical reference

Élodie Lemaire, « Dans la tête du curé Bennenot. Le suicide du curé de Pompierre en Franche-Comté en 1689 », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 14-15 | 2019, 135-169.

Electronic reference

Élodie Lemaire, « Dans la tête du curé Bennenot. Le suicide du curé de Pompierre en Franche-Comté en 1689 », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [Online], 14-15 | 2019, Online since 26 septembre 2023, connection on 09 décembre 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=169

Author

Élodie Lemaire

Élodie Lemaire a obtenu un master d’histoire à l’université Paris 8 en 2018.

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