L’industrie au royaume de Flore : cultiver et créer des fleurs du xviiie siècle à nos jours

p. 289-293

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4-5 avril 2019 | Colloque
Org. Aziza Gril-Mariotte

Au xviiie siècle, l’engouement pour les jardins favorise l’essor de la culture des fleurs dont la mode s’est répandue, donnant naissance à de nouveaux secteurs de productions : fleurs en porcelaine, fleurs en tissu, etc. La flore devient omniprésente, en particulier dans les arts décoratifs, la mode, le textile et le papier peint, à tel point que, selon Savary, « Fleur » désigne « des étoffes, quand elles sont nouvelles, et qu’elles ont encore leur brillant et toute leur fraîcheur »1. Au xixe siècle, l’apparition de nouveaux secteurs industriels, parfumerie, cosmétique par exemple, augmente le besoin en fleurs. Longtemps réservé aux élites, le goût des fleurs se diffuse grâce à différents secteurs (fleurs coupées, fleurs en pot, parfumerie ou production de fleurs artificielles). Dans la seconde moitié du siècle, l’horticulture se développe pour satisfaire les besoins des jardins publics et privés. La culture des plantes se démocratise auprès de nombreux amateurs réunis dans des sociétés d’horticulture et devient progressivement une production à grande échelle, avant de faire l’objet d’un commerce international. Depuis les années 1970, en Europe, les producteurs subissent la concurrence des pays émergents et doivent cultiver leur différence pour faire perdurer leur culture florale.

Ce colloque, en rassemblant des interventions sur la production des fleurs, leur usage dans l’industrie, ainsi que leur représentation dans les arts industriels et la mode, avait pour objectif de faire des fleurs un sujet d’études en sciences humaines2.

Conférence inaugurale : Fleurs d’Alsace du xviiie siècle à nos jours

Jacqueline Jacqué, conservatrice honoraire du musée de l’Impression sur étoffes

En évoquant la production florale de quelques-unes des grandes manufactures alsaciennes d’impression sur étoffes, la conférence a présenté un choix de leurs réalisations les plus identifiables. Depuis le xviiie siècle en Alsace, la majorité des motifs textiles s’inspire de la nature. Ce sont quelques fois des copies de fabrications plus réputées, mais aussi des créations des dessinateurs industriels à partir de croquis, de livres de botanique et au courant des siècles, de peintures de fleurs, de gravures, de lithographies ou encore de photos. Certains motifs anciens étonnent par leur modernité et leur actualité : nous avons pu découvrir comment après avoir traversé les siècles, certains font encore partie de notre vie quotidienne.

Pour une historiographie de la flore en histoire et en histoire de l’art

Aziza Gril-Mariotte, maître de conférences en histoire de l’art, université de Haute-Alsace

L’histoire des fleurs, du point de vue de leur culture, de leur circulation dans le monde, de la mode et du goût semble avoir relativement peu intéressé les chercheurs, du moins en tant que sujet d’étude indépendant des nombreux travaux sur les jardins3. Il faut reconnaître que par définition fugace, associée au monde féminin, la flore se conçoit difficilement comme un objet d’étude. Après avoir montré comment les fleurs ont pu être abordées par des historiens et des anthropologues, a été présentée leur place ambivalente dans l’histoire de l’art. En effet, la peinture de fleurs est considérée comme un art mineur, généralement pratiqué par les femmes, « sans doute une étude louable »4. Pourtant, dans l’école viennoise d’histoire de l’art, dès la fin du xixe siècle, des travaux précurseurs ont fait de la nature et de la flore l’origine de l’art. Alois Riegl, dans son ouvrage Stilfragen (1893) a montré que « tout art, et partant l’art décoratif, entretient un lien indissoluble avec la nature »5. Pour Riegl, à partir de son étude des décors antiques, la représentation des plantes a été le plus souvent stylisée, le motif floral existe, mais pas à l’état naturel. L’ornement végétal stylisé a perduré pendant tout le Moyen Âge car « la nature est restée le modèle des formes esthétiques »6. L’objectif de cette rencontre était donc de faire des fleurs un sujet d’histoire en abordant ce champ tant du point de vue des arts, de la culture que de l’économie.

La nature au service de la mode : la fleur et les soieries lyonnaises au xviiie siècle

Moïra Dato, doctorante en histoire de l’art, Institut Universitaire Européen, Florence

Tout au long du xviiie siècle, la fleur fut omniprésente sur les étoffes de soie. Cette contribution a exploré la place de la fleur dans le décor des soieries à travers l’exemple des étoffes lyonnaises, et s’est attachée à retracer l’évolution du motif floral à travers la question de la mode et des innovations techniques mises en place à Lyon. Les techniques commerciales de changement de mode saisonnier, tout comme les techniques de production, influencèrent la représentation florale. De plus, l’analyse des différences entre soieries d’habillement et soieries d’ameublement montre comment la mode, mais aussi l’usage, influencèrent l’évolution stylistique du motif floral. Cette communication a ensuite exploré la question de la fleur au sein des débats qui animèrent Lyon au milieu du siècle autour de la création d’une école de dessin. À l’origine de l’étoffe se trouvait le dessinateur, artiste qui devait retranscrire les éléments de la nature sur une surface en deux dimensions. Il était alors important d’instruire les dessinateurs de soie au dessin de la fleur. Le motif floral s’inscrivait ainsi dans le contexte d’une production manufacturière : il s’agissait de mettre la fleur au service de l’industrie.

Quand la fleur renouvelle le panoramique : Isola Bella (1842)

Bernard Jacqué, conservateur honoraire du musée du Papier peint de Rixheim

À la fin des années 1830, le modèle de ce que nous nommons « papier peint panoramique » est en crise : le paysage historié se vend d’autant plus mal qu’il y en a plus d’une trentaine sur le marché. La manufacture Jean Zuber & Cie a le génie de mettre sur le marché en 1842, sous le titre mensonger d’Isola Bella, un paysage sans personnages où la nature, riche de fleurs, seule est présente, mais somptueuse, luxuriante ; elle réussit à combiner la précision botanique avec une lourde sensualité. Le succès est foudroyant : l’Eldorado (1849) et les Zones terrestres (1851) le prolongent, tandis que d’autres manufactures développent à leur tour le même concept. Le panoramique, renouvelé, va se maintenir jusqu’en 1860.

Des « bonnes herbes » au Liberty, comment les manufactures anglaises et françaises ont fait des fleurettes une mode féminine depuis la fin du xviiie siècle

Aziza Gril-Mariotte, maître de conférences en histoire de l’art, université de Haute-Alsace

« Un mélange touffu d’herbages légèrement enluminés de petites fleurs des prés », voilà comment Gottlieb Widmer décrivait l’invention des motifs de fleurettes à la manufacture de Jouy en 1795 dont le succès fut si immense que ces impressions furent baptisées « bonnes herbes » au début du xixe siècle. Depuis ces motifs n’ont cessé d’être réinterprétés notamment dans les impressions anglaises connues sous le nom de Liberty. L’étude des sources d’inspiration des dessinateurs à Jouy et en Alsace révèle comment l’origine anglaise de ces motifs explique la filiation entre les « bonnes herbes » du début du xixe et les motifs Liberty imprimés à partir des années 1920. En faisant ce parallèle audacieux entre deux époques, cette contribution a interrogé autant les formes artistiques mises au point par les dessinateurs que la popularité d’une mode dans un contexte où les motifs participent à une volonté de réformer le goût des consommateurs.

Les rosiers entre science et horticulture au xixe siècle

Cristiana Oghină-Pavie, maître de conférences en histoire contemporaine, université d’Angers

Les rosiers, cultivés et appréciés dans l’ornement des jardins, les arts décoratifs et la poésie depuis l’Antiquité, deviennent, à partir de 1815, l’objet d’une production horticole spécialisée et d’une activité soutenue de sélection de nouvelles variétés. Cette communication s’est intéressée aux caractéristiques de cet intérêt singulier pour les rosiers au xixe siècle, principalement sous l’aspect de la diversité. Comment le monde horticole, formé de professionnels et d’amateurs, appréhende-t-il la diversité des rosiers ? Les critères de choix et de succès des variétés de rosier font état d’un idéal ornemental horticole qui évolue en fonction des usages auxquels sont destinés les végétaux sélectionnés. Une attention particulière a été accordée à deux critères de choix, la duplicature et la remontée de floraison, qui orientent radicalement la sélection et, in fine, la structure de la diversité des rosiers cultivés. Les techniques d’obtention, les pratiques de description et de classification des rosiers ont été étudiées au regard de la diffusion des connaissances scientifiques pour mettre en évidence la tension entre le caractère vivant des rosiers et leur intégration dans des logiques marchandes.

L’horticulture : une nouvelle industrie pour l’économie alsacienne ?

Cécile Roth-Modanèse, doctorante en histoire contemporaine, université de haute-alsace

Alors que l’Alsace s’industrialise, se développe un nouvel art de vivre, propice à la naissance d’un nouveau marché pour les productions horticoles. Un établissement du Sud-Alsace se positionne dès le début du xixe siècle : les pépinières Baumann de Bollwiller dont la renommée se diffuse rapidement à travers l’Europe. Ces pionniers sont suivis par d’autres établissements notamment aux portes des grandes villes industrielles du xixe siècle.

Les occasions manquées de l’horticulture française pendant les Trente glorieuses

Régis Boulat, maître de conférences en histoire contemporaine, université de Haute-Alsace

Si la France est un des pays européens les mieux dotés agro-climatiquement pour la production horticole, les horticulteurs français n’arrivent pas à se mettre en « ordre de bataille » et à saisir les chances d’un marché de masse en expansion au cours des Trente glorieuses. Contrairement à la filière néerlandaise, la filière française repose ainsi sur d’innombrables petites entreprises, une répartition des tâches entre la production et le négoce, un syndicalisme sclérosant alors que la recherche fondamentale est peu développée. Après avoir décrit les différentes filières horticoles françaises, cette communication s’est notamment intéressée à leur difficulté d’adaptation à la libéralisation des échanges communautaires.

1 Jacques Savary des Bruslons, Dictionnaire Universel du commerce, Copenhague, C. et A. Philibert, 1759, t. II, p. 441.

2 Ce colloque a été organisé en lien avec l’exposition « Quand les fleurs font l’étoffe, une histoire de la flore dans l’imprimé » au musée de l’

3 Monique Mosser, Georges Teyssot (dir.), Histoire des jardins de la Renaissance à nos jours, Paris, Flammarion, 1990 ; Keith Thomas, Dans le jardin

4 Gérard de Lairesse, Le grand livre des peintres ou l’art de la peinture considéré dans toutes ses parties et démontré par principe, t. 2, l. II

5 Alois Riegl, Questions de style. Fondements d’une histoire de l’ornementation, trad. Henri-Alexis Baatsch et Françoise Rolland (édition allemande

6 Ibid., p. 14.

Notes

1 Jacques Savary des Bruslons, Dictionnaire Universel du commerce, Copenhague, C. et A. Philibert, 1759, t. II, p. 441.

2 Ce colloque a été organisé en lien avec l’exposition « Quand les fleurs font l’étoffe, une histoire de la flore dans l’imprimé » au musée de l’Impression sur étoffes (26 octobre 2018 - 29 septembre 2019) dont l’université de Haute-Alsace est partenaire et avec le soutien du GIS-Acorso.

3 Monique Mosser, Georges Teyssot (dir.), Histoire des jardins de la Renaissance à nos jours, Paris, Flammarion, 1990 ; Keith Thomas, Dans le jardin de la nature. La mutation des sensibilités à l’époque moderne, Paris, Gallimard, 1985.

4 Gérard de Lairesse, Le grand livre des peintres ou l’art de la peinture considéré dans toutes ses parties et démontré par principe, t. 2, l. II, chap. 1 : « Des fleurs en général », Paris, Panckouche, 1787, p. 487-591.

5 Alois Riegl, Questions de style. Fondements d’une histoire de l’ornementation, trad. Henri-Alexis Baatsch et Françoise Rolland (édition allemande 1893), Paris, Hazan, 1992, p. 13.

6 Ibid., p. 14.

Citer cet article

Référence papier

« L’industrie au royaume de Flore : cultiver et créer des fleurs du xviiie siècle à nos jours », Revue du Rhin supérieur, 1 | 2019, 289-293.

Référence électronique

« L’industrie au royaume de Flore : cultiver et créer des fleurs du xviiie siècle à nos jours », Revue du Rhin supérieur [En ligne], 1 | 2019, mis en ligne le 01 novembre 2019, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/rrs/index.php?id=113

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