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p. 239-252

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Histoire et patrimoines de l’industrie

Dans le sillon creusé par « l’école mulhousienne », le pôle « Histoire et patrimoines de l’industrie » rassemble des enseignants-chercheurs venus de disciplines différentes et travaillant collectivement sur les entreprises, les patrimoines, les arts industriels et plus globalement sur les dynamiques économiques, culturelles et sociales du territoire transfrontalier du Rhin Supérieur du xviiie siècle à nos jours. Ce réseau de chercheurs déploie son activité dans plusieurs directions et compte plusieurs projets en cours à son actif.

Le premier champ de recherche renvoie au couple industrialisation/désindustrialisation. En effet, le territoire haut-rhinois connaît, à partir de la fin du xviiie siècle, un mouvement collectif d’industrialisation fondé sur l’exploitation d’un produit nouveau réclamé par le marché, l’indienne, qui impulse ensuite le développement de la chimie et de la construction mécanique. Cette dynamique s’explique moins par des conditions naturelles favorables que par un environnement économique, politique, social et culturel remarquable, un faisceau de facteurs immatériels à l’origine duquel on trouve des capitaines d’industries protestants ayant initié des politiques sociales originales. Ce processus aboutit à une concentration remarquable d’entreprises au xixe siècle et à la construction d’une compétence de production de qualité liée au savoir-faire de la main-d’œuvre. Après l’Annexion et deux guerres mondiales, événements dont on mesure encore mal les répercussions sur le tissu économique comme sur les familles patronales, un processus de désindustrialisation débute et se décompose en plusieurs étapes. Dans les années 1990, l’image de l’Alsace comme lieu de production idéal liant la technicité au savoir-faire motive toutefois les investisseurs des pays voisins, puis ceux d’Asie à venir s’installer sur les terres alsaciennes. Une nouvelle étape se joue néanmoins au début des années 2000 puisque l’Alsace continue de perdre des emplois industriels : en douze ans, l’industrie alsacienne a perdu 40 555 emplois (source Accos-Urssaf 2013) et ce désastre se matérialise par des friches industrielles dans la région tout entière.

Le deuxième champ de recherche concerne l’histoire des patrimoines industriels et de leur valorisation, poursuivant les travaux aux origines du CRÉSAT. Les travaux de Pierre Fluck renouvelant les approches d’archéologie industrielle se poursuivent. Le projet Interreg « Regio Mineralia – Aux origines de la culture industrielle dans le Rhin supérieur » – doit consolider les résultats acquis par les spécialistes d’archéologie industrielle, en considérant les territoires et les paysages comme un vaste laboratoire naturel où se rencontrent l’histoire, l’archéologie, les sciences de la terre et celles de l’environnement. Le terme « patrimoine industriel » sera aussi appliqué aux productions générées par l’activité des entreprises. L’étude des indiennes qui ont fait la réputation de Mulhouse sera ainsi poursuivie dans la perspective d’écrire une histoire de la création artistique et de l’innovation, résultat de circulations et de transferts interculturels. L’importance des collections muséales – textiles et papier peint – a favorisé le renouvellement des approches autour des objets relevant des « arts industriels ». Enfin, la question de la valorisation du patrimoine industriel fera l’objet d’une réflexion, à partir de l’exemple de Mulhouse, « ville de musées techniques », sur le rôle des acteurs de l’industrie dans la constitution des collections et leur valorisation avec l’ouverture de musées spécialisés en France et en Europe depuis le xixe siècle.

Parallèlement, tous les deux ans, l’équipe organise en partenariat avec l’université de technologie Belfort Montbéliard, les Journées d’Histoire Industrielle (JHI). Après les caractéristiques de l’entreprise rhénane dans une perspective comparatiste en 2012 (« L’entreprise rhénane, mythe ou réalité ? »), le concept de transition énergétique en 2014 (« La transition énergétique, un concept historique ? »), la communication des entreprises en 2016 (« Communication et entreprises »), les huitièmes JHI ont eu pour thématique « Les industries aux colonies et les indigènes dans l’industrie » (novembre 2018)1.

Enfin, grâce au travail collectif des chercheurs, le Pôle documentaire de la Fonderie s’enrichit sans cesse de la création de nouvelles bases de données (dont 250 portraits en ligne de membres de Société industrielle de Mulhouse), de la mise en ligne d’expositions (« 1853-2013, 160 ans de la SOMCO » ; « L’habitat populaire, marque de fabrique mulhousienne »), du lancement du Trésor du mois, etc.

Territoires intelligents / Intelligence territoriale

Du Big data au e-commerce en passant par la voiture connectée, la révolution numérique est devenue une composante de la vie de tous les jours, pesant sur notre façon de travailler, d’habiter, de nous déplacer, de nous soigner, de concevoir et de nous approprier le territoire. Cette évolution offre évidemment de nouvelles opportunités économiques et est devenue un enjeu d’attractivité des territoires. Il n’y a pas un territoire, quelle que soit l’échelle, qui n’affiche son « intelligence ». Ce qualificatif, directement issu de l’anglicisme « smart » (smart cities, smart grids, etc.), traduit l’apport colossal du numérique dans l’efficacité de l’action locale. Mais il ne s’agit pas d’une simple révolution technologique. Ce sont toutes les relations entre les territoires et leurs acteurs qui sont concernées : « Face aux incertitudes générées par ces enjeux de modernisation de l’action territoriale, l’intelligence collective permet de fédérer un territoire autour de nouvelles politiques publiques d’aménagement et de développement durable en recréant du lien et du sens entre les territoires et leurs habitants » (Centre National de la Fonction Publique, 2016)2.

Pour appréhender toute la complexité des « territoires intelligents », il peut être intéressant de commencer par définir ce qu’est l’intelligence territoriale, concept encore relativement neuf et par ailleurs réducteur. L’intelligence territoriale constitue initialement une déclinaison, dans le contexte des territoires, de l’intelligence économique définie comme « l’ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution en vue de son exploitation, de l’information utile aux acteurs économiques » (Rapport Martre, 1994). Mais il suffit d’évoquer, au préalable, comment se caractérise le concept de territoire, pour comprendre que l’intelligence territoriale ne peut se réduire à une simple question économique.

Si le territoire est d’abord un espace approprié, les processus qui permettent cette appropriation sont très variés. Ils s’inscrivent dans un système d’interactions à plusieurs échelles, entre nature et sociétés, entre acteurs et groupes sociaux, dans lequel les représentations, l’imaginaire, les héritages, etc. jouent un rôle essentiel. Cette appropriation s’inscrit dans les domaines décisionnels, organisationnels, politiques, etc. qui vont contribuer à fabriquer un territoire dans lequel les acteurs pourront ou non s’identifier (individuellement ou collectivement). Le territoire renvoie donc à l’identité et, de ce fait, se voit attribuer une valeur patrimoniale contribuant à produire de l’inclusion et/ou de l’exclusion. Ces interactions sont dynamiques et évolutives, dans le temps et dans l’espace : si le territoire est le produit d’une société, il rétroagit également sur cette société, en fonction de facteurs internes et externes, positifs ou négatifs, d’ouverture ou de fermeture, notamment dans le contexte de la mondialisation.

 

Dès lors, qu’entend-on par intelligence territoriale ? Compte tenu des systèmes d’interactions multiscalaires caractérisant le territoire, le premier objectif de l’intelligence territoriale consiste d’abord à produire et partager l’information entre les acteurs et à les mettre en réseau, mais en tenant compte des échelles pertinentes dans l’espace et dans le temps. Il s’agit de contribuer ainsi au renforcement des territoires, mais sans se restreindre ni privilégier la seule approche économique. Les questions sociétales et environnementales sont tout aussi importantes pour com- prendre les enjeux territoriaux et s’inscrire dans une dynamique de développement durable. La mise en œuvre et la réussite d’une transition environnementale (considérée comme la définition des interactions permettant le passage d’un système à un autre, plus durable) repose ainsi sur l’intelligence territoriale.

 

La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut- Rhin) constitue un exemple significatif de l’importance de l’intelligence territoriale dans le processus de transition : aux questions environnementales s’agrègent des enjeux socio-économiques liés au futur du territoire, à la conservation des acquis, à la définition d’un nouveau projet commun, le tout en valorisant les expériences comme la trajectoire géohistorique du territoire. La dimension patrimoniale ne doit pas être négligée dans cette approche. La collecte et le partage de l’information, la mise en réseau des acteurs sont des processus indispensables mais complexes :

  • d’une part en raison de l’emboîtement des échelles nécessaires à la compréhension du fonctionnement du socio-système de cette centrale, d’autant plus complexe qu’on se situe en secteur transfrontalier. La Suisse et l’Allemagne partagent non seulement une frontière avec la France dans le Fossé rhénan, mais se trouvent confrontées, elles aussi, à ces questions de la fermeture et de l’après-centrale.

  • d’autre part, en raison de la compétition entre les acteurs et les territoires, et des intérêts parfois divergents qui les animent.

 

On touche là à l’une des ambiguïtés de l’intelligence territoriale, puisqu’elle peut être appréhendée selon deux logiques différentes : la mise en concurrence ou la recherche de synergie entre acteurs et territoires à différentes échelles, même si l’objectif de faire émerger des projets reste identique. Néanmoins, dans le premier cas, l’enjeu économique l’emporte et vise à renforcer la compétitivité et l’attractivité des territoires, tandis que dans le second on privilégie l’approche durable et la « réalisation du “bien-être humain” »3. À une logique top-down où s’exprime souvent au départ la volonté de l’État, s’oppose une logique bottom-up de co-construction de projet à partir des caractéristiques internes du territoire. Au-delà de la transition vers le développement durable, il s’agit ici de poser les bases d’une bonne gouvernance, construite sur un capital social lui-même issu de la trajectoire géohistorique du territoire et de ses héritages multiples.

 

Pour le CRÉSAT, c’est évidemment cette approche qui est intéressante car elle s’inscrit dans une logique interdisciplinaire : la mise en réseau des acteurs et des territoires s’appuie sur une réflexion autant spatiale que temporelle, et la production d’informations et d’indicateurs fait aussi appel aux compétences d’archivistes, d’économistes, de sociologues, de juristes, ou de géopolitologues. Quant à la diffusion et au partage de l’information, leur appréhension passe la compréhension des dynamiques et processus de communication.

On voit donc l’application d’un concept, voire d’une méthode, à une pratique ancienne au sein du laboratoire. Ainsi, l’ensemble des travaux réalisés dans le cadre des programmes ANR-DFG TRANSRISK et Interreg CLIM’ABILITY autour des risques d’inondation (connaissance géohistorique des phénomènes, confrontation des échelles, représentations, mémoire et patrimonialisation, trajectoire des territoires, gestion en relation avec les acteurs des scènes locales du risque, communication et partage de l’information) s’inscrit parfaitement, même si cela n’a jamais été évoqué en tant que tel, dans une logique d’intelligence territoriale visant à co-construire une culture du risque à travers la reterritorialisation des inondations et la responsabilisation des acteurs.

Culture·s et médias : milieux de communication, dispositifs, usages

La recherche au CRÉSAT articule trois champs problématiques fondamentaux en sciences de l’information et de la communication :

  • la culture et la communication (médias, organisations),

  • la dynamique des interactions (acteurs et agents de l’interculturel),

  • les stratégies et les pratiques des médiations technologiques (des dispositifs aux usages).

 

Malgré la délimitation que ces champs esquissent, ces domaines d’investigation s’articulent et se coordonnent par une recherche qui pense les milieux de communication. Culture et cultures de communication, processus et pratiques d’information, technologies et cadres de l’échange, périmètres de circulation des messages et des symboles sont postulés comme ce qui nous saisit, nous lie, nous relie, nous sépare, nous fait interagir : la communication co-habite et évolue avec nous selon les quatre dimensions que sont le temps, l’espace, la société et la culture. La configuration transfrontalière, contexte du CRÉSAT, donne un sens supplémentaire à cette approche. La région métropolitaine tri-nationale du Rhin Supérieur constitue un milieu privilégié pour penser la communication en tant que dialogue entre enjeux territoriaux et globaux. Des stratégies des acteurs économiques (entreprise rhénane / non rhénane) et politiques (institutions) géographiquement ciblés à la recherche en communication entre partenaires scientifiques des trois pays, les travaux de l’équipe en sciences de l’information et de la communication du CRÉSAT éclairent l’environnement régional comme acteur des échanges. Son évolution est étudiée en fonction de l’actualité des médias, des usages et des dispositifs.

En effet, ce pôle de recherche questionne l’ancrage des processus de communication en mobilisant la notion de dispositif. Si cette notion est inséparable de l’essor des technologies numériques, il ne s’agit pourtant pas d’adopter une approche technique/techniciste des évolutions en cours. Le dispositif peut être numérique mais également matériel, organisationnel, voire discursif, symbolique ou plus largement culturel. Les travaux menés au CRÉSAT questionnent donc les pratiques culturelles et les usages médiatiques à travers les articulations spécifiques qui peuvent être observées entre des dispositifs hybrides, un cadre ou environnement, et enfin des usages qui constituent des modalités d’appropriation.

Les significations culturelles, particulièrement complexes dans leur dimension communicationnelle, mobilisent des approches centrées sur les usages et les pratiques. Sont alors déployés dans ce pôle de recherche plusieurs domaines d’étude afin de saisir les enjeux socio-culturels et professionnels de la communication : les pratiques culturelles, les usages des médias numériques, les « traces » par les méthodes dites « digitales », les modes contemporains de circulation du savoir, les formes émergentes d’apprentissage – numériques et en ligne –, la littératie médiatique et numérique ainsi que les mutations des usages en communication organisationnelle.

Si les réflexions menées ne sont pas limitées aux médias numériques, cette catégorie présente toutefois un grand intérêt étant donné l’actualité des dispositifs. Et si la culture, les médias, l’usage et les dispositifs sont au centre des travaux de ce pôle de recherche, celui-ci s’intéresse également aux détournements et aux non-usages, aux pratiques culturelles non médiatiques, aux usages des dispositifs non-communicationnels mis en écho avec une problématique communicationnelle.

Par conséquent, ce pôle de recherche du CRÉSAT envisage la relation entre culture·s et médias en tant que constitutive des identités collectives dans leurs variations multiples : nationales ou supranationales, transfrontalières, locales, professionnelles, etc. Il postule qu’il n’est pas d’identité collective sans médias, puisque la culture suppose des représentations partagées, c’est-à-dire véhiculées pour être accessibles à grande échelle. Cette approche communicationnelle de la culture, considérée comme le cadre de référence permettant la communication, présuppose la mobilité des artefacts quand culture·s insiste sur la pluralité des formes observées, comparables à des poupées gigognes, de la définition anthropologique large de la culture à celle, restreinte, des productions des arts et de l’esprit, en passant par des dimensions intermédiaires (médiatique, organisationnelle, numérique).

Dans l’esprit des cultural studies, toute définition de la culture correspond à un objectif politique, à un enjeu de pouvoir qui appelle le regard scientifique. En outre, l’université de Haute-Alsace participant à la structure européenne Eucor avec les universités de Bâle, Fribourg-en-Brisgau, Strasbourg et Karlsruhe, les chercheurs du pôle, dans leur pratique du transfrontalier, dialoguent avec les collègues à l’international. Des chercheurs de ce pôle s’inspirent de l’approche des sciences de la culture et des médias pratiquée dans les pays voisins (Kulturwissenschaften, Medienkulturwissenschaften), approche qui se caractérise par sa transdisciplinarité et sa vision symbolique, dispositive et diachronique du média, et retravaillent méthodologiquement les notions d’interculturalité, de multi- et de transculturalité dans leurs deux dimensions, diachronique et synchronique. Une attention particulière est apportée à la relation entre l’interculturalité, les dispositifs et les usages du numérique, question essentielle de l’espace européen dans ce premier quart du xxie siècle.

Au sein du CRÉSAT, l’approche des milieux de communication (nourrie notamment par la sémiotique et l’analyse des discours et des pratiques des acteurs culturels, économiques, politiques et médiatiques) permet d’expliquer et donc de rendre compte des implicites culturels qui président à l’action et guident les stratégies.

Espaces publics et circulations internationales

La reconfiguration technique et sociale de l’information à l’ère numérique a relancé le besoin de comprendre les généalogies de la constitution d’espaces d’échanges et de débats, progressivement identifiés comme espaces publics. Le choix de considérer cette question dans le temps long permet de mesurer l’évolution de l’épaisseur socio-politique des espaces publics, les variations de leurs extensions géographiques et les configurations mouvantes de leurs dispositifs communicationnels. Les historiens du politique renouvellent leur champ avec cet outillage conceptuel en posant les questions de la construction de l’information4 et de la prise en compte par le pouvoir de l’opinion publique5. Les historiens des relations internationales se confrontent à l’opinion publique, cette « force profonde » identifiée depuis longtemps comme une actrice des relations interétatiques, mais notion labile qui exige pour se laisser appréhender de croiser l’étude des archives diplomatiques avec les matériaux les plus divers, des sources médiatiques aux écrits du for privé. Les premiers fruits de cette réflexion contestent la fausse évidence d’un progrès lent mais linéaire, qui verrait émerger un espace public européen synchronisé aux progrès techniques, juridiques et économiques6.

La notion d’espace public renvoie nécessairement à l’œuvre féconde d’Habermas, très débattue depuis la parution de Strukturwandel der Öffentlichkeit en 1962. Les historiens se sont emparés de l’ouvrage pour discuter la périodisation proposée par le philosophe allemand. Au risque de l’anachronisme, puisque l’expression d’opinion publique apparaît au milieu du xviiie siècle, ils ont proposé de considérer la notion à d’autres périodes que l’âge d’or identifié dans l’ouvrage fondateur. Les médiévistes ont récemment discuté l’inexistence d’un espace public pour leur période, réputée ne pas dissocier sphères publique et privée7. Les modernistes ont observé le phénomène à l’échelle continentale8 et montré la consistance sociale d’une opinion publique lectrice d’une presse politique en cours de structuration9. Les politistes, de leur côté, se sont approprié la notion en l’appliquant aux périodes les plus récentes, considérant des espaces dilatés par la porosité des frontières nationales et l’émergence de nouveaux acteurs des relations internationales10.

La rencontre de ces approches s’effectue tout particulièrement depuis quelques années autour de la notion de communication politique, propre à synthétiser l’ensemble des processus socio-politiques de construction, diffusion et/ou de mise en scène de l’information11. Étudier la communication politique oblige à porter une attention particulière aux modalités d’écriture de l’information, à ses médias et réseaux, à ses modalités de diffusion et de discussion, aux langues des relations internationales comme instruments et comme objets de la communication politique12. Le discours politique se construisant aussi par opposition, on distinguera ce qui relève de l’espace public et ce qui appartient à l’espace strictement politique et étatique à travers les notions de secret et de transparence qui conduisent inévitablement à une redéfinition des modalités d’action politique, entre structures officielles et prises d’influence indirectes.

C’est dans cet espace conceptuel que ce pôle de recherche entend faire progresser la connaissance des acteurs et du fonctionnement de la communication politique et la prise en compte d’espaces publics d’information, d’expression et d’influence à l’échelle européenne. À partir de l’étude d’espace(s) public(s) européen(s), des circulations internes comme externes et des communautés politiques, idéologiques, culturelles et/ou confessionnelles les constituant ou animant, les chercheurs de ce pôle s’attachent à questionner la constitution d’une société ou de sociétés politiques européennes, voire d’une conscience ou d’un imaginaire politique commun, ainsi que leur rôle dans la circulation de l’information, l’élaboration, la défense ou l’opposition d’une politique intérieure comme extérieure.

Le CRÉSAT explore ces questions depuis quelques années. Les travaux d’Olivier Richard et de Céline Borello ont exploré divers modes et formes de participation politique, notamment par le discours13. Désormais, les espaces de communication politiques internationaux sont au cœur de l’attention. Ainsi, les recherches actuelles de Guido Braun portent sur le rôle des envoyés diplomatiques comme intermédiaires culturels dans la circulation, la production et la transformation des savoirs à l’époque moderne ainsi que sur les langues comme vecteur du transfert culturel14, aux congrès internationaux, aux diètes du Saint-Empire et aux cours princières comme espaces transnationaux de communication aux xviie et xviiie siècles15. De même, Camille Desenclos s’intéresse aux circulations de l’information politique dès qu’un obstacle, politique, territorial, stratégique se dresse, notamment par l’identification des structures diplomatiques ou para-diplomatiques élaborées par/pour le roi de France dans le Saint-Empire16, et des modalités de protection de l’information17. Face à ces circulations, essentiellement étatiques, d’idées et d’informations, les recherches de Renaud Meltz en présentent le contrepoint en se concentrant sur l’émergence de l’opinion publique comme actrice des relations internationales18, la notion d’espace public européen19 et plus largement en observant l’évolution des espaces discursifs et sociaux de circulation de l’information à partir du xixe siècle20. Enfin, Aude-Marie Certin s’intéresse aux formes d’affirmation du pouvoir des élites citadines dans le monde germa- nique à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne, en étudiant notamment les supports utilisés (livres de famille, chroniques urbaines, etc.), les constructions narratives mobilisées et la manière dont ces pratiques et discours opèrent à différentes échelles au sein de l’Empire.

Les recherches envisagées au sein de ce pôle se situent à une échelle résolument européenne, et notamment bi-territoriale, afin d’observer les modalités de co-construction ou d’opposition entre plusieurs sociétés politiques dans leur traitement de l’information. Il s’agit de dépasser les habituels clivages liés à des structures politiques différentes, notamment le royaume de France et le Saint-Empire à l’époque moderne, pour s’inscrire dans une histoire politique et culturelle de l’Europe considérée dans sa dimension transnationale d’influences et d’échanges interétatiques à tout niveau. On envisagera l’espace européen en portant une attention particulière aux zones frontalières en général et à l’espace rhénan en particulier, comme espace de contrastes, de conflits, mais aussi de contacts entre différentes cultures administratives et politiques21.

Cette entreprise, on le voit, est résolument transdisciplinaire. Il s’agit de mobiliser ensemble une histoire de la diplomatie et des relations internationales de la fin du Moyen Âge à nos jours ; de favoriser une approche pluridisciplinaire des discours médiatiques et plus largement des modalités de construction d’une information politique. Ce pôle de recherche entend donc réconcilier une histoire des acteurs, de la décision et de la politisation avec une histoire sociale et culturelle attentive à la consistance socio-politique des espaces publics, et à leurs représentations, identités et résistances.

1 Voir p. 253-256.

2 Rencontres régionales de l’ingénierie territoriale, La Ciotat, 13 octobre 2016.

3 Maud Pelissier, Isabelle Pybourdin, « L’intelligence territoriale. Entre structuration de réseau et dynamique de communication », Les Cahiers du

4 Johann Petitjean, L’intelligence des choses : une histoire de l’information entre Italie et Méditerranée (xvie-xviie siècles), Rome, École française

5 Pierre Karila-Cohen, L’état des esprits. L’invention de l’enquête politique en France (1814-1848), Rennes, PUR, 2008.

6 Renaud Meltz, « Quel espace public européen pour une opinion publique internationale dans le premier xixe siècle ? », in G. Raulet (dir.), L’espace

7 Patrick Boucheron, Nicolas Offenstadt (dir.), L’espace public au Moyen Âge. Débats autour de Jürgen Habermas, Paris, PUF, 2011.

8 L’opinion publique en Europe, 1600-1800, Paris, PUPS, 2011.

9 Marion Brétéché, Les compagnons de Mercure. Journalisme et politique dans l’Europe de Louis XIV, Ceyzérieux, Champ Vallon, 2015.

10 Bertrand Badie, Le diplomate et l’intrus. L’entrée des sociétés dans l’arène internationale, Paris, Fayard, 2008.

11 Luise Schorn-Schütte (dir.), Aspekte der politischen Kommunikation im Europa des 16. und 17. Jahrhunderts : politische Theologie, res publica

12 Dejanirah Couto, Stéphane Péquignot, Les Langues de la négociation. Approches historiennes, Rennes, PUR, 2017.

13 Céline Borello, Du Désert au Royaume : parole publique et écriture protestante (1765-1788), Paris, Honoré Champion, 2013 ; Olivier Richard, « Le

14 Guido Braun, Du Roi-Soleil aux Lumières. L’Allemagne face à l’« Europe française », 1648-1789, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du

15 Guido Braun (dir.), Diplomatische Wissenskulturen der Frühen Neuzeit. Erfahrungsräume und Orte der Wissensproduktion, Berlin-Boston, De Gruyter

16 Camille Desenclos, « Au-delà de toute diplomatie : la constitution de réseaux parallèles protestants et érudits entre France et Empire au début du

17 Camille Desenclos, « Écrire le secret quotidien : pratiques de la cryptographie dans la diplomatie française (xvie-xviie siècle) », in G. Braun, S.

18 Renaud Meltz, Vers une diplomatie des peuples ? L’opinion publique et les crises internationales sous la monarchie de Juillet : France et

19 Renaud Meltz, « L’opinion publique et les crises franco-anglaises des années 1840 », Histoire, Économie, Société, 2014/2, p. 58-78 ; Id., « Les

20 Delphine Diaz, Renaud Meltz (dir.), La mondialisation de l’information: la révolution médiatique du xixe siècle, numéro de: Monde(s), 16 (2019).

21 Camille Desenclos, « Diplomate, huguenot ou humaniste : le modèle de l’agent français auprès des princes protestants allemands au début du xviie

Notes

1 Voir p. 253-256.

2 Rencontres régionales de l’ingénierie territoriale, La Ciotat, 13 octobre 2016.

3 Maud Pelissier, Isabelle Pybourdin, « L’intelligence territoriale. Entre structuration de réseau et dynamique de communication », Les Cahiers du numérique, 5-4 (2009), p. 93-109.

4 Johann Petitjean, L’intelligence des choses : une histoire de l’information entre Italie et Méditerranée (xvie-xviie siècles), Rome, École française de Rome, 2013.

5 Pierre Karila-Cohen, L’état des esprits. L’invention de l’enquête politique en France (1814-1848), Rennes, PUR, 2008.

6 Renaud Meltz, « Quel espace public européen pour une opinion publique internationale dans le premier xixe siècle ? », in G. Raulet (dir.), L’espace public européen : histoire et méthodologie, Bruxelles, Peter Lang, 2016, p. 105-128.

7 Patrick Boucheron, Nicolas Offenstadt (dir.), L’espace public au Moyen Âge. Débats autour de Jürgen Habermas, Paris, PUF, 2011.

8 L’opinion publique en Europe, 1600-1800, Paris, PUPS, 2011.

9 Marion Brétéché, Les compagnons de Mercure. Journalisme et politique dans l’Europe de Louis XIV, Ceyzérieux, Champ Vallon, 2015.

10 Bertrand Badie, Le diplomate et l’intrus. L’entrée des sociétés dans l’arène internationale, Paris, Fayard, 2008.

11 Luise Schorn-Schütte (dir.), Aspekte der politischen Kommunikation im Europa des 16. und 17. Jahrhunderts : politische Theologie, res publica, Verständnis, konsensgestützte Herrschaft, Munich, Oldenbourg, 2004.

12 Dejanirah Couto, Stéphane Péquignot, Les Langues de la négociation. Approches historiennes, Rennes, PUR, 2017.

13 Céline Borello, Du Désert au Royaume : parole publique et écriture protestante (1765-1788), Paris, Honoré Champion, 2013 ; Olivier Richard, « Le serment comme technique de gouvernement dans les villes du Rhin supérieur à la fin du Moyen Âge », in Gouverner les hommes, gouverner les âmes, Paris, Publications de la Sorbonne, 2016, p. 199-211.

14 Guido Braun, Du Roi-Soleil aux Lumières. L’Allemagne face à l’« Europe française », 1648-1789, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2012.

15 Guido Braun (dir.), Diplomatische Wissenskulturen der Frühen Neuzeit. Erfahrungsräume und Orte der Wissensproduktion, Berlin-Boston, De Gruyter, 2018.

16 Camille Desenclos, « Au-delà de toute diplomatie : la constitution de réseaux parallèles protestants et érudits entre France et Empire au début du xviie siècle », Revue d’histoire du protestantisme, 1 (2016/4), p. 531-553.

17 Camille Desenclos, « Écrire le secret quotidien : pratiques de la cryptographie dans la diplomatie française (xvie-xviie siècle) », in G. Braun, S. Lachenicht (dir.), Spies, Espionnage and Secret Diplomacy in the Early Modern Period, Berne, Peter Lang [à paraître].

18 Renaud Meltz, Vers une diplomatie des peuples ? L’opinion publique et les crises internationales sous la monarchie de Juillet : France et Grande-Bretagne, mémoire d’HDR, IEP Paris, 2015 [à paraître, revu et augmenté en 2020 chez Vendémiaire : Vers une diplomatie des peuples ? Guerre et paix au xixe siècle].

19 Renaud Meltz, « L’opinion publique et les crises franco-anglaises des années 1840 », Histoire, Économie, Société, 2014/2, p. 58-78 ; Id., « Les révolutions de 1830 : l’avènement d’une diplomatie de la place publique ? », Les Actes du CRESAT, 15 (2018), p. 101-124.

20 Delphine Diaz, Renaud Meltz (dir.), La mondialisation de l’information: la révolution médiatique du xixe siècle, numéro de: Monde(s), 16 (2019).

21 Camille Desenclos, « Diplomate, huguenot ou humaniste : le modèle de l’agent français auprès des princes protestants allemands au début du xviie siècle (1589-1620) », in I. Félicité (dir.), L’identité du diplomate : métier ou noble loisir ?, Paris, Classiques Garnier, 2019 [à paraître].

Citer cet article

Référence papier

« Pôles de recherche », Revue du Rhin supérieur, 1 | 2019, 239-252.

Référence électronique

« Pôles de recherche », Revue du Rhin supérieur [En ligne], 1 | 2019, mis en ligne le 01 novembre 2019, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/rrs/index.php?id=103

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