Auto-construction : L’idée d’auto-construction de l’individu s’est développée avec ce que Hannah Arendt appelle la « crise de la culture ». Entre le fantasme de l’autonomie et celui de l’émancipation qui prédominent depuis le siècle des Lumières, l’individu est poussé, consciemment ou non, à se libérer du poids des générations précédentes et est encouragé à bâtir un monde tourné vers le progrès et l’avenir.
Dans Une folle solitude, le fantasme de l’Homme auto-construit (2006), le philosophe français Olivier Rey illustre ce constat par le changement d’orientation des poussettes qui s’est opéré en France depuis les années 1970 et qui a, de manière métaphorique, influencé l’émancipation de l’enfant. Tourné jusqu’alors vers le visage connu de la figure maternelle, l’enfant se retrouve soudain orienté vers l’inconnu et l’immensité du paysage lui faisant face. L’image de la mère comme celle de repères préétablis disparaît. À travers cette analyse, il s’agit avant tout d’éprouver les porosités entre le désir d’émancipation qui peut être observé dans l’établissement de communautés et celui de se libérer des normes et d’établir ainsi de nouveaux codes et fonctionnements sociaux en dehors des conventions.
Boîte de nuit : Lieu clos de vie nocturne, la boîte de nuit est communément dédiée à la fête et au divertissement. Il s’agit d’un microcosme aux règles implicites ou explicites particulières qui permet à l’individu de s’échapper de son quotidien au sein d’un espace-temps hétérotopique.
Elle peut tout aussi bien être considérée comme un lieu de désocialisation, dans lequel le culte de soi est exacerbé et où il est difficile de tenir une conversation, ou comme un lieu de socialisation, favorisant la rencontre ou encore la séduction. Dans cet espace de tous les possibles, l’individu est poussé — de manière consciente ou non — à s’affirmer dans sa singularité ou, à l’inverse, à se fondre dans une identité commune. À la manière d’une soupape de relâchement, la fête possède un caractère cathartique et permet aux hommes de se libérer de tensions dans un cadre dans lequel cette libération est socialement acceptée.
Communauté : Bien que la définition qui peut en être faite soit vaste, le terme de « communauté » désigne habituellement un groupe d’individus rassemblés physiquement ou virtuellement, qui partagent un mode de vie, des aspirations, des idéaux ainsi que des schémas de pensée.
La notion de communauté s’inscrit aujourd’hui encore dans un débat qui anime sociologues et anthropologues. Alors que le sociologue et philosophe allemand Ferdinand Tönnies établit clairement dans son ouvrage Communauté et société (Gemeinschaft und Gesellschaft, 1887 ; Communauté et société, trad. fr. par Niall Bond et Sylvie Mesure, Paris, 2010) la distinction entre les termes Gemeinschaft (communauté) et Gesellschaft (société) — décrivant le premier comme une organisation où le tout prime sur l’individu et l’autre comme le « théâtre de l’individualisation » (Sylvie Mesure, « Communauté et société », Sociologie [en ligne], Les 100 mots de la sociologie, mis en ligne le 01 mars 2015, https://journals.openedition.org/sociologie/2574) — nombreux sont les spécialistes qui refusent l’opposition des deux termes. Jacques Derrida décrit la notion de communauté dans son ouvrage avec Elisabeth Roudinesco, De quoi demain: dialogue comme intimement liée à celle de « minorités » qui résistent parmi la majorité, définition qui a tendance, à tort, à créer une confusion entre les notions de « communauté » et de « communautarisme ».
Qu’elle soit d’ordre religieux, social ou politique, la communauté constitue un repère pour les individus qui la composent et contient ses propres schémas de fonctionnement. Ici, le terme est adopté pour désigner l’ensemble des groupes qui tendent vers une marginalité, vers un « ailleurs » qui serait celui d’un autre réel.
Communauté in-situ : En référence à la notion d’« ici et maintenant », la communauté in-situ se constitue d’un rassemblement d’individus par des idées et désirs communs dans un cadre spatio-temporel précis et déterminé, qu’il soit physique (manifestations) ou immatériel (forums, réseaux sociaux). Elle possède de ce fait un caractère éphémère, car relatif à un moment et un endroit unique.
Immersion : Du latin in-mergo (plonger et engloutir, cacher et rendre invisible). L’immersion est l’action de plonger dans l’eau ou quelque autre liquide, de passer dans un environnement inconnu, d’être transporté par l’atmosphère d’une œuvre, d’entrer dans un état psychique particulier. Qu’il soit compris en regard des nouvelles technologies ou en dehors de celles-ci, le terme d’immersion est ici entendu comme un processus polysensoriel de passage de la réalité quotidienne vers un nouveau plan de réalité, qu’il relève du virtuel, de l’hétérotopie ou de l’hyper-réalité (décrite par Jean Baudrillard comme l’incapacité à faire la distinction entre une situation de simulation et la réalité tangible). Dans le champ de l’art comme dans celui de la sociologie, c’est le sujet qui est au centre du processus d’immersion.
Dans son ouvrage Immersivité de l’art. Interactions, insertions, hybridations (Paris, L’Harmattan, 2015), Anaïs Bernard s’intéresse principalement au rapport du spectateur face aux arts immersifs. Elle constate alors la mise en place systématique de sensations chez le sujet en proie à l’immersion, allant du « sentant » dirigé par le subconscient au « senti » éprouvé par la conscience. La notion d’expérience est donc inhérente au processus d’immersion, provoquant un passage du « corps vivant » au « corps vécu ». Le phénomène de l’immersion se construit par l’établissement successif de plusieurs strates spatio-temporelles qui ont pour effet de plonger l’individu dans un champ proprioceptif différent de celui expérimenté de manière quotidienne et tangible. L’immersion, si elle peut donc devenir un processus quotidien par le désir qu’éprouvent ses sujets à l’éprouver, reste cependant une expérience inédite qui nécessite un ensemble de conditions pour être possible.
Individu hyper-contemporain : Né du concept d’individu « hyper-moderne » décrit comme désaffilié et sans repères par le sociologue Robert Castel, l’individu hyper-contemporain rejette toute idée de construction sociale basée sur la communauté, par le rapport individualiste qu’il entretient avec le monde qui l’entoure. Il agit pour lui et non pour l’ensemble, il pense se suffire à lui-même. Ce comportement autocentré est symptomatique d’une génération née avec l’avènement des réseaux sociaux et de l’hyper-connectivité qui développe le désir de s’auto-construire à travers une image en temps réel de son quotidien, mais qui reste néanmoins tributaire d’une reconnaissance extérieure.
Microcosme : Le microcosme peut être défini comme une petite société, un petit monde hors ou dans notre société actuelle. Il peut également se rapporter au tribalisme de Maffesoli, pour qui chaque tribu est un microcosme se rassemblant autour d’un totem, d’une préoccupation ou d’un lien commun. Le microcosme comporte ses propres règles, ainsi que ses propres comportements, lois et de manières de considérer la « normalité » à travers des codes esthétiques singuliers.
Rite : Le rite est une pratique sociale répétitive et symbolique, qui se déroule selon des procédures précises et qui est destinée à produire un effet. C’est un moyen de régler les rapports entre ce qui constitue l’existence humaine et ce qui la dépasse ; on amène la pensée à croire en quelque chose, on se laisse prendre au rituel, on y trouve une vérité. Lieu d’interaction et d’inclusion sociale, il engage un processus psychologique et sociologique qui permet à une communauté de faire corps. Le rite est ainsi un instrument du « faire-société ».
Virtuel : Le terme de virtuel est ici appréhendé sous deux définitions différentes. La première nous amène à la définition qui a pu en être faite par Gilles Deleuze, lorsque celui-ci n’oppose pas le virtuel au réel, mais plutôt souligne que le virtuel n’est autre que le réel à qui il manquerait l’acte d’actualisation. Pierre Lévy, dans Qu’est-ce que le virtuel ? et Philippe Quéau, dans Le virtuel, vertus et vertiges, s’accordent sur un point semblable à celui que soulève Gilles Deleuze : le virtuel ne peut être actualisé et, de ce fait, basculer dans le domaine du réel que s’il y a mouvement. Ici, le mouvement vu sous le prisme de la communauté et de l’immersion peut être considéré comme l’élan fédérateur qui va pousser certains groupes à agir et concrétiser des aspirations et des idéaux communs.
La deuxième définition qui peut être faite concerne davantage son usage contemporain, notamment en regard de l’apogée des nouvelles technologies permettant à l’utilisateur de s’immerger dans un univers immatériel, au-delà du réel. C’est le cas des jeux-vidéos en ligne ou en réseau qui permettent à l’utilisateur de recréer un monde possédant ses propres codes, proche ou non visuellement de la réalité, où l’ensemble des interactions entre les membres d’une même communauté sont virtuelles et n’existent qu’à travers l’interface de l’écran.