Une proposition d’enseignement en immunologie pour donner aux étudiants des connaissances socio-politico-scientifiques sur le vaccin contre le COVID-19

DOI : 10.57086/lpa.990

Abstracts

L’objectif de cette étude est de construire un modèle politique d’enseignement de l’immunologie à travers la participation des étudiants à des séances plénières en visioconférence. Une activité de travail de problèmes ouverts a été construite afin que les étudiants puissent discuter des enjeux socio-politico-scientifiques de la production d’un vaccin pour une population. Cette situation a été élaborée à partir des doutes, questions, positions et revendications, recueillis via la méthodologie de l’ethnographie lors d’une séance avec les étudiants. Nous analysons leurs connaissances socio-politico-scientifiques sur le thème des vaccins. Ainsi, nous avons pu proposer ce modèle par l’articulation entre les idées des assemblées et celles issues de l’enseignement par problèmes, ce qui constitué ce que nous pouvons qualifier de base pour une « immunologie sociale ».

The aim of this study is to build a political model for teaching immunology through student participation in plenary sessions by videoconference. An open-ended problem-solving activity was designed to enable students to discuss the socio-political and scientific issues involved in producing a vaccine for a population. This situation was developed on the basis of doubts, questions, positions and claims, collected using the ethnographic method during a session with the students. We analysed their socio-politico-scientific knowledge on the subject of vaccines. In this way, we were able to propose this model by linking the ideas from the assemblies and those from the problem-based teaching, constituting what we can describe as the basis for a “social immunology”.

Outline

Text

Au cours de soins infirmiers de l’école de santé et de bien-être de la FMU, São Paulo, Brésil. Cette étude a été approuvée par le comité d’éthique. Ce projet de recherche a reçu un financement du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne dans le cadre de la convention de subvention Marie Skłodowska-Curie no 899546.

Introduction

Cette recherche a été menée au second semestre 2021, un an après que les premiers cas de COVID-19 aient été détectés au Brésil et que le processus de vaccination de la population soit déjà bien avancé. En France, la population est entrée dans un débat vif portant sur les mesures sanitaires et la vaccination contre le COVID-19. Un sondage réalisé fin 20201 par l’Institut d’études opinion et marketing en France et à l’international (Ifop), a montré qu’environ 59 % de la population française n’avait pas l’intention de se faire vacciner contre le COVID-19 parce qu’elle ne croit pas en l’efficacité des vaccins. Il s’agit d’un phénomène caractérisé par « l’hésitation vaccinale », qui ne consiste pas seulement en un déni du vaccin contre le COVID-19 mais en un courant de pensée fondé sur la remise en question et la méfiance à l’égard de la santé publique, de la science et des politiques (Thomas & Moulin, 2022). Cela pose la question de l’éducation à la santé. Nous abordons plus largement l’éducation comme un processus de construction sociale, d’interaction (Vygotsky, 1962) et de politique entre des collectifs de personnes (Freire, 1970).

La pandémie de COVID-19 imposé l’isolement et le non-rassemblement des personnes dans les espaces publics, tels que les salles de classe et autres espaces communs. Il s’agit d’un problème important, sachant qu’il y a un manque d’espaces de discussion et de construction collective à ce sujet. Butler (2015) reprend l’idée de l’importance des assemblées proposée par Hannah Arendt et des réunions tenues par la population sous la forme de manifestations publiques d’action politique (plénières). En bref, ce que Butler propose concerne l’importance pour les gens de se rassembler pour des discussions et des délibérations publiques sur des questions d’intérêt public, par exemple, telles que la science et les vaccins. Or, l’entrave aux réunions collectives et aux discussions d’instances favorise les processus de domination et d’oppression du pouvoir politique. Une éducation politique et contre un système d’oppression nécessite la participation d’un collectif (Freire, 1970).

L’éducation a été l’un des secteurs les plus touchés par la pandémie. Les étudiants et les enseignants ont été contraints d’enseigner à distance pour éviter l’augmentation des contaminations. De nombreux professionnels de la santé, tels que les infirmiers, sont les principaux acteurs de la lutte contre la pandémie de COVID-19. Ainsi, la compréhension des dynamiques d’enseignement est fondamentale pour responsabiliser ces professionnels à la santé collective. Un moyen important d’y parvenir est de préparer des activités didactiques structurées et en ligne pour l’enseignement à l’université, favorisant ce processus d’enseignement et d’apprentissage. Ici, nous avons construit une séquence d’enseignement structurée sous la forme d’une simulation de plénières collectives publiques afin que les étudiants en soins infirmiers, qui travaillaient activement dans les hôpitaux brésiliens en première ligne dans COVID-19, puissent échanger et s’exprimer à propos des vaccins dans une perspective socio-politico-scientifique.

Comment favoriser, par des activités didactiques, la mobilisation de l’engagement des étudiants infirmiers dans les savoirs politiques en cours en ligne sur ces aspects de la thématique vaccinale dans le contexte brésilien de la situation de la pandémie de COVID-19 ? L’objectif de notre travail était de construire et d’étudier une séquence d’enseignement en ligne pour favoriser la participation politique des étudiants en santé sur le thème des vaccins.

Cadre théorique

L’immunologie est un domaine des sciences biologiques qui a connu une forte croissance des connaissances au cours du xxie siècle, principalement à la fin du siècle avec la pandémie de VIH/SIDA (Silverstein, 1989). L’investissement dans les méthodes d’enseignement de l’immunologie est nécessaire pour une plus grande démocratisation de ces connaissances scientifiques dans la société.

Depuis 10 ans, nous nous sommes engagés dans l’étude des processus d’enseignement et d’apprentissage de l’immunologie en classe comme moyen de travailler avec la culture et la politique et scientifiques. Nos analyses ont montré que la mise en œuvre des séquences d’enseignement mobilise des pratiques épistémiques (De Almeida et al., 2016 ; Mello et al., 2019) et la production d’arguments. Depuis lors, nous avons commencé à réfléchir à l’enseignement de l’immunologie en fonction de quatre dimensions que nous définissons comme suit : du langage (comment les mots, les concepts, les images et les modes de construction des connaissances sont utilisés en immunologie – De Almeida et al., 2016), en philosophie historique (comme une façon de présenter la connaissance de l’immunologie insérée dans les processus historiques et dans les contextes des discussions de la philosophie des sciences – De Almeida et al., 2019), en sciences expérimentales (comme un moyen de fournir des éléments expérimentaux du laboratoire d’immunologie pour les étudiants dans le développement des compétences et des capacités des techniques de base en immunologie – Mello et al., 2019) et sociales.

Ce dernier aspect est le développement que nous proposons dans cette étude, en lien avec les sciences sociales (Zeidler et al., 2019), la nature de la science (Mac Comas et al., 2020), la justice sociale (Dimick, 2012), ainsi que l’engagement dans une pédagogie critique (Pasquinelli & Bronner, 2021) dans l’enseignement des sciences. En effet, face aux nouveaux défis imposés par la pandémie de COVID-19 et aux discussions sur les vaccins dans la société, il est important d’intégrer des méthodes d’enseignement-apprentissage en rapport avec les questions socio-politique-scientifiques sur le thème des vaccins (Morin & Dutreuil, 2022).

Historiquement, les connaissances scientifiques en immunologie sont étroitement liées à des questions sociales et politiques, comme par exemple les demandes des mouvements LGBT+ depuis les années 1980 pour le développement de traitements et la prévention de l’infection par le VIH/SIDA (Epstein, 1996), la vaccination contre le papillomavirus, l’éducation sexuelle des adolescents (Davies & Burns, 2023) et plus récemment la vaccination contre le COVID-19 (Reiss, 2022). Il est donc nécessaire d’adopter une approche didactique de l’immunologie faisant le lien entre ces questions sociales, scientifiques et politiques en classe. En particulier dans les situations de vulnérabilité des étudiants, comme ce fut le cas lors de l’isolement de la pandémie de COVID-19. Ceci afin que les étudiants puissent s’approprier les connaissances scientifiques et les articuler à leur vie sociale et politique quotidienne. Dimick (2012) a proposé trois catégories – académique, politique et social(e) – pour discuter du processus d’autonomisation des élèves dans une activité scientifique en classe de sciences. Pour l’autrice, l’articulation de ces trois catégories avec le contenu scientifique des cours de sciences peut promouvoir l’engagement et les processus de justice sociale pour les groupes opprimés exclus de la connaissance scientifique et sociale. Valladares (2021) et Morin et Dutreuil (2022) renforcent cette position selon laquelle la culture scientifique pour le xxie siècle devrait être liée à une intersection socio-politique-scientifique dans les cours de sciences. De cette manière, pour notre étude, nous avons adapté cette idée pour construire des catégories d’analyse des écrits des élèves. En bref, la première catégorie est appelée : « Académique » et consiste à mobiliser les aptitudes, les compétences académiques et les connaissances scientifiques sur le sujet abordé afin de réfléchir de manière critique à la manière dont ces structures affectent la vie des étudiants. Nous adaptons ici cette catégorie aux connaissances mobilisées par les étudiants au cours des discussions ; la deuxième est « Politique » et concerne les étudiants qui reconnaissent, critiquent et examinent les structures de pouvoir dans lesquelles ils sont intégrés et auxquelles ils participent ; et la troisième est « Sociale » et concerne les structures des relations interpersonnelles entre les étudiants et les enseignants.

Méthodologie

Participants à l’étude

Nous avons construit une séquence pédagogique sous la forme de plénières (Butler, 2015). Pour cette recherche, nous avons construit l’idée d’une activité basée sur les sessions plénières décrites par Arendt et Butler comme des espaces de discussion et de délibération publique. L’idée d’une séance plénière en tant qu’activité didactique diffère d’autres propositions didactiques bien connues telles que les débats en classe, par exemple, sur deux points principaux. Tout d’abord, la plénière diffère d’un débat ordinaire, car en plus de la discussion et de l’argumentation d’un sujet par les étudiants, la plénière est liée à une analyse de données concrètes et à une décision par vote sur une situation pour le bien collectif. La situation problématique de l’activité proposée présente des données et demande aux étudiants de les analyser afin de voter et de prendre une décision collective démocratique. Deuxièmement, les discussions et les décisions sont prises lors de différentes sessions plénières, c’est-à-dire qu’il s’agit de discussions, de demandes et de décisions qui sont continuellement évaluées et réévaluées démocratiquement par les participants. Cette forme de proposition d’enseignement des sciences est liée à l’encouragement et à l’implication des citoyens dans les questions scientifiques dans une vision de la culture scientifique alignée non seulement sur la transmission des concepts et l’utilité quotidienne de la science, mais aussi sur la science en tant que forme de transformation et de justice sociale (Valladares, 2021).

La présente étude s’appuie sur une méthodologie d’analyse qualitative avec approche ethnographique en éducation (Mills & Morton, 2013). Elle a consisté en l’observation, la collecte de données et l’interprétation de la participation à trois séances à distance d’une durée de 3h chacune, étalées sur trois semaines. Les enseignements d’immunologie ont été dispensés par le premier auteur dans une formation en soins infirmiers d’une université au Brésil. Les 84 étudiants participants sont en première année d’étude en soins infirmiers et ils étudient des contenus en microbiologie, parasitologie et immunologie2. Le thème des vaccins figurait dans le programme initial du cours, avec l’objectif de ne présenter que les contenus technico-scientifiques, c’est-à-dire la nature d’un vaccin et le mécanisme d’action sur le système immunitaire du corps humain. Au moment où cette étude a été réalisée, beaucoup de ces étudiants travaillaient dans les hôpitaux publics de la ville de São Paulo, où ils étaient de garde pour soigner les cas de COVID-19.

Les plénières

Les plénières ont été planifiées en trois étapes (tableau 1). La première a été appelée plénière I. Elle a d’abord consisté à recevoir les questions des étudiants sur les vaccins, leurs sentiments, leurs curiosités, leurs doutes, leurs craintes, leurs insécurités quant à la capacité des vaccins à sauver des vies. Par la suite, la question suivante leur a été posée par écrit : « Comment pensez-vous qu’une étude sur les vaccins est réalisée ? »3. L’étape II a consisté en la réalisation d’une activité de situation-problème ou de problème ouvert (Boilevin, 2005) impliquant une étude de deux vaccins dans une ville fictive, « Esperança » (Espérance), à partir des points soulevés et revendiqués par les étudiants lors de la séance plénière I. Dans cette activité, les étudiants ont été divisés en groupes et ont analysé la problématique. Chaque groupe a été encouragé à présenter oralement en classe des arguments et des explications sur ses décisions et ses positions concernant les résultats de l’étude sur les vaccins dans la ville d’Esperança. L’étape III a consisté en une séance plénière II, au cours de laquelle les étudiants ont été invités à présenter et à discuter leurs impressions, leurs positions et leur analyse de l’expérience de l’activité sur les vaccins. Ensuite, les étudiants ont répondu par écrit à la même question que lors de la séance plénière I.

Tableau 1. Étapes de la séquence didactique sur les implications socio-politico-scientifiques du développement d’un vaccin.

Étapes Activités Objectifs d’enseignement et d’apprentissage
I Plénière I : discussion entre les étudiants à partir de la question : « Comment pensez-vous qu’une étude sur les vaccins est réalisée ? » Analyser, critiquer, défendre et mettre en relation les points clés et les connaissances sur le développement des vaccins
II Problématisation sur les vaccins Analyser, identifier, comparer, argumenter et expliquer les arguments en faveur du développement de vaccins
III Plénière II : discussion entre les étudiants à partir de la question : « Comment pensez-vous qu’une étude sur les vaccins est réalisée ? » Analyser, critiquer, défendre et mettre en relation les points clés et les connaissances sur le développement des vaccins

Analyses et interprétations

Les écrits individuels des étudiants ont été analysés à l’aide du logiciel d’analyse linguistique AntConc afin de déterminer le corpus des expressions les plus élevées dans les écrits des séances plénières I et II (Anthony, 2005). Le programme AntConc a été utilisé pour effectuer l’analyse en construisant une banque de mots spécifiques pour chaque catégorie.

Les analyses des écrits des plénières I et II ont été synthétisées sur la base de l’apparition de mots liés aux catégories telles qu’elles ont été organisées. Par exemple, pour la catégorie académique, les mots scientifiques-techniques de la connaissance immunologique tels que : pathogènes, tests, anticorps, cellules, immunité, expérimentation, système immunitaire, substances ont été des marqueurs importants pour la sélection de ces discours. Pour la catégorie politique, des mots ressortent comme : gouvernement, pouvoir, ressources financières, argent, investissement. Dans la catégorie sociale, des mots comme : individu, collectif, santé, logement, âge, sexe, mode de vie, impact, population ont été pris en compte. Suite à la sélection par analyse linguistique, les contenus des discours ont été analysés et confrontés à l’idée de proposition de chaque catégorie pour la classification.

Résultats et discussion

À propos de la plénière I

Les analyses des écrits issus de la plénière I montrent une prédominance des réponses et des positions des étudiants liées aux savoirs académiques et sociaux. Ces résultats suggèrent que le sujet des vaccins pour les étudiants pourrait avoir peu de liens avec d’autres discussions, intérêts et connaissances au-delà des connaissances technico-scientifiques et académiques. Cette question peut refléter l’idée que les valeurs subjectives et sociopolitiques de la nature de la science sont peu abordées dans les cours de sciences (Skordoulis & Stefanidou, 2014). Ainsi, après cette première séance plénière, les étudiants ont été incités, par le biais d’une activité, à réfléchir aux connaissances sociales et politiques liées au thème du vaccin.

Tableau 2. Analyse des écrits des étudiants sur la session plénière I

Catégories Exemples de textes ou de prises de position produits par les étudiants Nombre de réponses
Académique E18 : « Le laboratoire commence à faire des recherches et à analyser les possibilités, puis il commence à faire des tests in vitro ou sur des cellules, et en fonction des résultats, il décide s’il passe à l’expérimentation animale » 72
E59 : « En utilisant des morceaux ou des restes de l’agent pathogène, une substance est développée qui alerte le système immunitaire sur ce virus et sur la manière de le combattre ; les premiers tests sont effectués sur des animaux, après des résultats positifs sur des animaux dont le système est proche du nôtre (comme les souris) »
Sociale E45 : « À mon avis, plusieurs facteurs sont analysés, l’âge, le sexe, les équipements, les régions et les conditions de logement. Ils font l’enquête sur les caractéristiques de la population. Ils commencent les enquêtes initiales et analyses » 12
E42 : « Des personnes de différents âges, morbidités, modes de vie, etc. sont sélectionnées pour participer à l’étude, afin d’évaluer l’efficacité du vaccin ».

L’activité de situation-problème (ou problème ouvert) a été élaborée à partir des questions, des doutes et des affirmations soulevées par les étudiants au cours de la discussion de la séance plénière I. Comme le montre le tableau 2, les étudiants ont présenté des connaissances académiques importantes sur la production technico-scientifique des vaccins. Cependant, au cours de la discussion, certains problèmes ont été soulevés par les étudiants et ont été importants pour la construction de l’activité de situation-problème. Par exemple, les questions suivantes ont été posées : « Quelle est la valeur d’une étude visant à tester un vaccin dans la population ? » ; « L’argent pour l’investissement provient-il du gouvernement ou d’une initiative privée ? » ; « Comment les priorités des tests sont-elles décidées dans la population ? » ; « Qui élabore les politiques de santé pour distribuer les vaccins à la population ? » ; « Comment prenons-nous connaissance des résultats scientifiques des tests ? » ; « La population participe-t-elle aux décisions en matière de politique de santé ? ». Un autre point intéressant a été la mention et l’intérêt des étudiants pour l’étude brésilienne d’un vaccin dans la ville de Serrana au Brésil4. Cette étude scientifique apportée par les étudiants a inspiré la construction de la base de la situation-problème. Ce mouvement de participation des étudiants à la construction de leurs propres activités est un mécanisme dialogique important de la pédagogie de la liberté de Paulo Freire, qui change la perspective d’un enseignement dichotomique et hiérarchique entre l’élève et l’enseignant (Freire, 1970 ; Seiler & Gonsalves, 2010).

Dans la séquence d’enseignement, les étudiants ont pris connaissance d’une ressource qui présente une étude de la vaccination dans la ville fictive d’Esperança. À cette étape, l’objectif est d’offrir un moment où les étudiants peuvent évaluer le processus d’immunisation d’une ville à partir du récit : « Une peste infectieuse virale s’est emparée de la ville d’Esperança située à l’intérieur de l’état de Minas Gerais. Il n’existe aucun traitement pharmacologique connu et efficace pour guérir l’infection, c’est-à-dire qu’il n’existe aucun médicament capable de traiter et de guérir la maladie. Le seul moyen connu de contrôler la propagation du virus est le développement d’un vaccin capable de prévenir de nouveaux cas de contamination par le virus. Pour contrôler cette épidémie et prévenir la mortalité croissante de la population, les scientifiques ont mis au point deux formes de vaccins. L’une consiste à utiliser le virus inactivé responsable de la maladie, c’est-à-dire le virus “tué” (vaccin 1). L’autre consiste à placer le matériel viral, l’ARN, dans la capside vide d’un autre virus non pathogène pour l’homme, mais ayant la capacité de pénétrer dans les cellules humaines, en introduisant l’ARN dans les mécanismes des organites des cellules pour produire des protéines virales qui seront reconnues par les cellules du système immunitaire comme des antigènes et générer une réponse immunitaire et une mémoire immunologique protectrice (vaccin 2). Les études de protection des deux vaccins et du groupe placebo ont été menées dans la ville d’Esperança. Les résultats obtenus selon l’échelle des symptômes sont présentés dans le tableau 3 » – cf. ci-dessous :

Tableau 3. Les données sur les vaccins pour l’analyse, la discussion et la prise de décision des groupes d’étudiants.

  Fièvre Fièvre + toux Pneumonie Décès
Placebo 2,000 2,000 6,700 11,000
Vaccin 1 80 280 200 100
Vaccin 2 210 99 45 120

Population totale d’Esperança : 30 000 personnes.

Sur la base des résultats présentés, les groupes d’étudiants ont été invités à discuter oralement en classe des questions suivantes : i) Quel est le meilleur vaccin à proposer à la population de la ville d’Esperança ? ii) Quels peuvent être les autres facteurs qui influencent la vaccination de la population de la ville ? iii) Quels peuvent être les défis et les obstacles dans l’étude et le développement du vaccin pour la ville d’Esperança ?

Lors de la discussion sur l’analyse de l’activité par les étudiants, il a été noté que la discussion portait davantage sur la valeur des études sur les vaccins, les investissements dans la science et la santé, et l’éducation à la santé. Les étudiants ont soulevé des points importants concernant la place des professionnels de la santé pour les soins à la population, les clarifications sur la maladie et la communication transparente des résultats à la population.

À propos de la plénière II

Les analyses des écrits des étudiants après la plénière II montrent une expression plus diversifiée des catégories par rapport à la plénière I. La plénière II a vu l’apparition d’écrits avec un engagement politique. Il y a également eu dans les discours un mélange des catégories académique et politique, ainsi qu’académique et sociale (tableau 4). Cette analyse suggère que l’élargissement des discussions, des intérêts et des connaissances sur les vaccins dans le cadre de l’activité et des séances plénières a permis aux étudiants d’acquérir une plus grande autonomie sur le sujet des vaccins, au-delà des connaissances technico-scientifiques. L’intégration de l’objectivité et des valeurs de la science dans les programmes d’études scientifiques peut constituer un mécanisme important de culture scientifique (Mac Comas et al., 2020) et d’autonomisation des étudiants sur les sujets scientifiques.

Tableau 4. Analyse des écrits des élèves sur la session plénière II

Catégories Exemples de textes ou de prises de position produits par les étudiants Nombre de réponses
Académique E36 : « Chaque vaccin et chaque virus sont étudiés d’une certaine manière dans une certaine population. Après analyse, les études sont réalisées de manière simple mais très efficace. On utilise le virus inactif pour produire les vaccins » 48
E25 : « Pour atteindre la population, le vaccin a besoin de temps et de succès dans les étapes nécessaires. Par conséquent, pour le développement d’un vaccin, il est nécessaire d’identifier l’agent pathogène et de faire beaucoup de recherches »
Politique E12 : « Dans une période de pandémie comme celle-ci, le gouvernement doit allouer plus d’argent à la science et il ne peut y avoir de coupes dans les budgets de la science et de la santé, parce que la population en a besoin ». 10
E71 : « Nous sommes conscients que l’étude d’un vaccin nécessite beaucoup d’argent pour fabriquer le vaccin et effectuer les tests. Le gouvernement doit investir plus d’argent dans la science en ce moment pour sauver plus de vies »
Sociale E39 : « Les tests impliquent des milliers de personnes et les analyses sont basées sur l’observation du vaccin dans le monde réel, c’est-à-dire que l’on s’attend à ce que des volontaires soient exposés au virus pour comprendre l’efficacité du produit ». 13
E42 : « Je crois qu’il s’agit d’une sorte de cartographie pour évaluer, entre autres facteurs, l’efficacité et l’impact de ce vaccin pour contenir une pandémie, et évaluer les niveaux de transmission parmi les personnes de la même population ».
Académique-politique E51 : « Les données scientifiques ont aidé à prendre la décision concernant le meilleur vaccin, mais le gouvernement ne peut pas interférer avec d’autres intérêts » 5
E43 : « Le gouvernement doit contribuer à la diffusion des résultats scientifiques auprès de la population. La population doit comprendre la différence entre l’immunisation par le vaccin et les symptômes causés par la maladie »
E43 : « Le gouvernement doit contribuer à la diffusion des résultats scientifiques auprès de la population »
Académique-sociale E24 : « Les vaccins sont extrêmement importants parce qu’ils aident à construire des défenses contre les infections et nous immunisent collectivement ». 8
E38 : « La vaccination individuelle est essentielle, car elle permet de réduire les cas de contamination et la prolifération des maladies dans la société »

Des différences importantes apparaissent dans les productions écrites des étudiants entre les deux séances plénières. Il est en particulier constaté l’apparition de connaissances politiques et sociales dans les écrits produits à partir de la séance plénière II, détectées sur la base des catégories proposées par Dimick (2012). Ce phénomène peut s’expliquer par les compétences et aptitudes mobilisées dans la situation-problème (Boilevin, 2005). Ces résultats corroborent la vision de Freire (1970), selon laquelle l’éducation doit être basée sur une « éducation dialogique » dans laquelle les sujets, en particulier les étudiants, sont reconnus comme importants, dotés de conscience et capables de développer une perspective critique pour découvrir le monde et les mécanismes sociopolitiques qui conduisent aux oppressions les plus diverses, de manière à développer une citoyenneté en actes. Ainsi, l’apparition d’un plus grand nombre d’écrits impliquant l’articulation de savoirs socio-politico-scientifiques dans l’exercice de la plénière II suggère une mobilisation de la critique sociale et politique des étudiants autour de la question vaccinale, grâce à la situation-problème articulée aux propositions de la plénière dans les classes en ligne.

Conclusion

Il ne suffit pas d’avoir accès aux connaissances scientifiques sur l’immunologie pour s’approprier la science, il faut aussi savoir comment ces connaissances s’articulent avec l’engagement des étudiants dans les discussions et les décisions politiques en matière de science et de santé. La formation en science et santé pour une éducation à la santé devrait s’étendre aux processus de formation des travailleurs de la santé qui seront en contact direct avec les populations. Ainsi, l’éveil de l’engagement académique, politique et social de ces acteurs de la formation est essentiel pour viser une justice sociale en matière de santé.

Nous avons pu proposer un modèle politique d’enseignement de l’immunologie, avec la participation d’étudiants et d’un enseignant lors d’une assemblée et de situations-problèmes, ce qui peut constituer une base pour une « immunologie sociale ». L’apparition de discours avec un engagement socio-politico-scientifique dans les écrits des étudiants de la session plénière II (dans les catégories politiques, mixtes académiques-politiques et académiques-sociales, au sein desquelles la connaissance scientifique est combinée à la connaissance politique et sociale), suggère que l’activité situation-problème ou problème ouvert a mobilisé ces approches chez les étudiants. Ainsi, la problématique du COVID-19, au-delà d’une question technique de connaissances biologiques, devient une question politique où apparaît un engagement collectif.

En même temps, dans des situations de vulnérabilité, comme celle vécue dans l’isolement social causé par la pandémie de COVID-19, la proposition de situations intégrant des discussions socio-politico-scientifiques et les doutes des étudiants sur les vaccins, le COVID-19 et la santé ont été importants pour l’accueil empathique des étudiants dans les classes en ligne. De nombreux étudiants, en particulier au Brésil dans le contexte de crise humanitaire installée à l’époque (Ortega & Orsini, 2020), n’ont en effet pas eu l’occasion de mener leurs études et de développer leurs discussions dans d’autres espaces. Par conséquent, de nombreux étudiants ont souffert de troubles mentaux pendant la pandémie de COVID-19 (Rymer-Diez, 2021 ; Lopes & Nihei, 2021). Le développement d’un espace de discussion « plénière » tel que proposé ici a permis un exercice de la citoyenneté important pour les professionnels de la santé en formation, qui travaillaient en prenant des risques pendant la pandémie de COVID-19 et étaient soumis à des situations stressantes en raison d’une charge de travail et d’une pression élevées. Le développement d’espaces d’enseignement et d’apprentissage politiques, dans des situations d’urgence et d’oppression telles que celles de la pandémie de COVID-19, peut ainsi servir de base d’une éducation humanitaire, empathique, dialogique et émancipatrice telle que proposée par la philosophie de Freire (Freire, 1970), favorisant le sentiment d’appartenance des étudiants à l’université (Morán-Soto et al., 2022). L’articulation de cette base philosophique avec la didactique fut un mécanisme important de l’enseignement de l’immunologie pour les professionnels de la santé.

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Notes

1 Enquête réalisée en novembre 2020 Les Français et le COVID-19 : confiance dans le gouvernement et intention de se faire vacciner. Institut d’études d’opinion et de marketing en France internationale. (2020). Ifop.com. https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-le-covid-19-confiance-dans-le-gouvernement-et-intention-de-se-faire-vacciner/. Return to text

2 Le contenu de base de la microbiologie et de la parasitologie dans l’enseignement supérieur de la santé au Brésil est lié à la structure des micro-organismes, aux fonctions de ces êtres vivants dans la nature et à la manière dont ils peuvent provoquer des maladies chez l’Homme. Le contenu de base de l’immunologie est lié à la structure et aux fonctions des cellules et des organes du système immunitaire, aux réponses immunitaires innées et adaptatives. Return to text

3 Le nombre important d’étudiants dans la classe en ligne pose des problèmes tels que la manière d’exposer une opinion, d’argumenter de manière correcte, la connexion de la classe à Internet, le manque de matériel adéquat (microphone, caméras) afin qu’ils puissent s’exprimer comme ils le souhaitent, ce qui aurait pu inhiber la discussion. Un autre point important à cet égard est la peur de l’exposition et du conflit avec des camarades de classe ayant des arguments différents, ce qui pourrait générer de graves conflits en raison des désaccords sur les positions relatives à la nature obligatoire des vaccins. On peut ajouter à cela que la discussion dans un environnement virtuel renforce l’impersonnalité, la distance et les limites des relations interpersonnelles. Ainsi, une étape où chaque élève peut écrire et s’exprimer individuellement, avec du temps pour soi était importante pour qu’ils s’expriment librement, en toute confidentialité, la liberté d’expression de la pensée étant respectée. Return to text

4 Il s’agissait d’une étude menée par l’Institut Butantan dans la ville de Serrana avec le vaccin Coronavac. L’étude a montré que le vaccin produit a permis de protéger la population de la ville et de diminuer de manière significative l’aggravation des cas de covidés et des décès dans la ville : (https://agenciabrasil.ebc.com.br/en/saude/noticia/2021-10/butantan-study-shows-higher-efficiency-coronavac). Return to text

References

Electronic reference

Daniel Manzoni-De-Almeida and Patricia Marzin, « Une proposition d’enseignement en immunologie pour donner aux étudiants des connaissances socio-politico-scientifiques sur le vaccin contre le COVID-19 », La Pensée d’Ailleurs [Online], 6 | 2024, Online since 28 octobre 2024, connection on 18 janvier 2025. URL : https://www.ouvroir.fr/lpa/index.php?id=990

Authors

Daniel Manzoni-De-Almeida

Écrivain, chercheur associé au Centre de recherche sur l’éducation, les apprentissages et la didactique (CREAD).

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Patricia Marzin

Professeure à l’université de Bretagne Occidentale et à l’INSPE de Bretagne. Directrice du CREAD.

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