Introduction
Depuis 2014, l’association Les Trois Saisons de La Plaine organise tout au long de l’année six concerts par an dans l’église Saint-Paul auprès de différents publics de La Plaine Saint-Denis : habitants du quartier, résidents d’un EHPAD, salariés du territoire, publics scolaires (maternelles, élémentaires). Le projet comprend la mise en place de concerts (où des musiciens de renom sont invités à se produire) pour le public scolaire, encadrés par une médiatrice musicale, visant à rendre la « musique classique » accessible au plus grand nombre d’élèves par la rencontre avec les œuvres, les lieux et les artistes. Le partenariat entre l’association et l’École concerne chaque année plusieurs établissements scolaires de ce territoire. Ce type de projet partenarial, comme le souligne François Baluteau (2017), est banalisé dans l’espace scolaire et est devenu omniprésent dans tous les espaces sociaux. Il ne s’agit pas d’un partenariat « clé en main », mais d’un partenariat qui s’est construit au fur et à mesure par les acteurs locaux1. Le projet, qui repose sur la rencontre entre plusieurs mondes professionnels – celui des musiciens professionnels concertistes, celui de l’école, et celui de la médiation musicale – questionne la formalisation de ce type d’intervention « hors les murs » à l’aune du concept de forme scolaire. Provenant d’une approche sociohistorique de Guy Vincent (1980), la notion de forme scolaire s’est construite en opposition avec l’éducation populaire, propre à l’espace de développement de la médiation culturelle : « l’éducation populaire se situe initialement dans un accompagnement critique du projet scolaire » (Kerlan, 2007, p. 28). Les attentes et représentations sociales des acteurs qui participent à ce dispositif rencontrent les attentes et représentations du rôle de l’École. L’analyse conduira à comprendre comment s’opère l’ouverture vers cet autre espace, en analysant l’activité de la médiatrice musicale et les expériences réalisées dans le cadre des concerts. Comment l’intervention de la médiatrice fait-elle référence au paradigme de la médiation ou de la forme scolaire ? Le dispositif de développement de l’écoute musicale à travers des concerts auprès d’élèves de primaire repose sur des représentations sociales (Jodelet, 1989) de l’écoute musicale de la part des professionnels du monde scolaire et des professionnels du monde de la musique. En quoi ce dispositif répond-t-il ou non à des conceptions liées à la forme scolaire ? Comment perdure la forme scolaire en dehors des murs de l’école au sein de l’espace concert ? Un dispositif centré sur une médiatrice musicale n’entraîne-t-il pas une hybridation entre forme scolaire et forme non scolaire, entre l’éducation formelle, non formelle, informelle, ou encore entre une éducation au sein de la classe et hors les murs ?
À partir de l’analyse des interventions d’une médiatrice musicale, cet article interrogera donc les pratiques, les représentations et les attentes au regard du concept de forme scolaire. Après avoir présenté la notion de forme scolaire et de médiation, il s’agira de comprendre les articulations entre la forme scolaire et cette intervention extérieure, entre complémentarité ou rupture, en passant par l’analyse de ce que peut apporter une expérience esthétique à l’école, ainsi que le rôle spécifique de la médiatrice musicale.
La forme scolaire face aux interventions d’artistes
La forme scolaire désigne « le mode de socialisation caractérisé par une relation inédite – pédagogique – entre un maître, ses élèves et des savoirs au sein d’un espace et un temps spécifiques, codifiés par un système de règles impersonnelles » (Vincent, Lahire & Thin, 1994, p. 19). La notion renvoie donc à un certain mode de transmission propre au monde scolaire, reposant sur une programmation, une codification, des contraintes et des règles de fonctionnement en vue de transmettre certains apprentissages, et basé sur une asymétrie enseignant-enseigné (Bohn, 2023). Dans notre dispositif, l’École fait appel à une expert extérieure, la médiatrice, spécialiste de musique. Une nouvelle triangulation apparaît alors. Le rapport à l’objet enseigné (l’écoute musicale) est-il sous certains aspects en décalage avec la forme scolaire, comme le souligne Alain Kerlan : « La médiation, nouveau mode de socialisation ? Nouvelle figure de l’idée éducative ? » (2007, p. 25) ? La médiatrice entretient en effet un rapport singulier à son média sonore (Montandon, 2024).
Les traits invariants mis en avant par Guy Vincent (1980) concernent le modèle disciplinaire (au sens d’un contrôle de soi), les caractères des savoirs enseignés, ou encore les modes d’enseignement et de relations pédagogiques propres au monde scolaire. La notion de « forme scolaire » renvoie, dans son approche sociologique, à des normes et un certain mode d’organisation des apprentissages institués dans l’espace-temps de l’école. Cinq traits la caractérisent : un espace et un temps spécifique ; une relation pédagogique spécifique au pouvoir ; une relation spécifique aux savoirs « décontextualisés ». Ce concept a évolué, passant d’une conception péjorative, qui renvoie à une vision statique, fermée2 avec l’expression « scolaire » perçue alors négativement, à une perception englobant l’innovation et donc une vision davantage formalisante et structurelle. Se questionner sur les interventions d’une médiatrice musicale au sein de l’espace scolaire en interrogeant ses effets sur la forme scolaire amène à analyser la spécificité même de la médiation par rapport à l’enseignant, mais également sur la spécificité du sonore et du musical. La « forme scolaire » (Vincent, 1980) renvoie à une relation pédagogique instaurant un temps spécifique (heures de classe, récréation, étude), un espace spécifique (école, salle de classe avec son organisation : rangées de tables, estrade, tableau) et des règles (immobilité, silence, écoute, travail). Elle repose sur certains principes comme l’utilisation de manuels, de l’enseignement simultané, de la discipline avec des élèves assis, immobiles et silencieux. Le rapport à l’écrit et l’explication par le langage jouent également un rôle central. La médiation repose quant à elle sur une posture de tiers, d’intermédiaire, et la spécificité du sonore et du musical est d’être envahissant, émotionnel, spontané (Lecourt, 2012).
La systématisation de l’explication par le langage qui supplante alors l’apprentissage par l’action est selon Bernard Rey un marqueur de la forme scolaire : « La parole échangée avec le jeune devient alors, non plus une parole dans l’action, mais sur l’action. Lorsque cette forme de transmission se systématise, lorsqu’elle s’effectue dans un lieu et dans un temps isolés des pratiques sociales, lorsqu’elle est assurée par un adulte qui n’a pas d’autre fonction que la transmission, on a une “école” ou du moins la forme scolaire de transmission » (2014b, p. 143). La médiatrice musicale explique le sens des œuvres par le langage, mais a recours à des actions partagées (la danse lors de ses interventions au sein des classes) et/ou à des actions individuelles (l’écoute de musiques enregistrées au sein de la classe, de musiques en live lors des concerts) qui accompagnent l’expérience esthétique au sens de John Dewey (2008). Pour ce dernier, l’expérience esthétique, considérée comme le prototype même de l’expérience (Kerlan & Lemonchois, 2017), repose sur une qualité relationnelle du sujet dans l’activité, et le conduit à une certaine prise de conscience de transformation lors de ce vécu. Il s’agit donc de s’intéresser au vécu des acteurs dans un tel dispositif (Kerlan & Lemonchois, 2017). Le projet de proposer aux élèves une expérience de concert peut tout d’abord apparaître comme une occasion d’apprendre à écouter, d’acquérir une posture d’élève attendue par l’école, de renforcer l’immobilité des élèves ou au contraire l’occasion de vivre une expérience esthétique en privilégiant le paradigme expérientiel. Elle englobe ainsi un vécu, un rapport à l’autre et à soi-même, et même des valeurs. « L’expérience est l’ensemble des processus interactionnels de nature cognitive, émotive et volitive qui constituent notre relation au monde et avec nous-mêmes, ainsi que l’ensemble des compétences acquises par la récurrence de ces processus » (Schaeffer, 2015, p. 39). La musique, et particulièrement l’expérience de l’écoute d’un concert, propose un nouveau rapport au sens de mon expérience dans un temps scolaire, et ouvre ainsi un nouvel espace d’apprentissage en tant qu’expérience. Le monde de la médiation culturelle donne une place centrale à cet apprentissage expérientiel (Dewey, 2008). Il ne s’agit pas, dans ce dispositif, d’un enseignement classique de la musique, puisque c’est une médiatrice qui intervient, avec un parcours professionnel issu du monde de la musique.
La médiation de la musique ne se réfère pas au même paradigme que l’enseignement de la musique. Toute médiation fait appel à un tiers au sein de la relation, ouvre un espace que Daniel Winnicott définit comme intermédiaire (1971). Les concerts proposés dans le cadre scolaire permettent, selon les acteurs de l’association, d’apporter une expérience musicale à un public qui n’a pas la possibilité d’aller écouter des concerts. Le recours à une médiatrice musicale souligne, selon les professionnels de la musique de l’association, qu’un accompagnement est nécessaire. Si la forme scolaire renvoie à une éducation formelle, la médiation fait appel à l’éducation informelle, que Gilles Brougère définit comme « des apprentissages fortuits sans volonté d’apprendre, où l’apprentissage est le résultat d’une rencontre, d’une situation qui n’a pas été programmée » (Brougère, 2016, p. 51). Les moments de concert offrent des rencontres avec des professionnels n’appartenant pas à l’Éducation nationale où les élèves échangent avec eux, par exemple, à la fin du concert : ils montent alors sur l’estrade pour rencontrer les musiciens et les instruments. Le dispositif « hors-les-murs » permet de faire un pas de côté. Comme l’activité des concerts se situe dans le temps scolaire, Bruno Garnier (2018) préfère parler d’éducation non formelle qui « peut donc être définie comme espace métaphorique de rencontre entre l’élève et la source des savoirs, entre le récepteur et l’émetteur des contenus de formation, dans une relation nouvelle, construite pour dire le sens des savoirs » (2018, p. 17). L’éducation non formelle correspond, selon cet auteur, à un type d’éducation informelle, mais dans le cadre scolaire, car le caractère intentionnel et même programmatique existe toujours. Que ce soit lors des interventions au sein des classes ou lors des concerts de la médiatrice, nous avons pu observer, à côté de ce qui est programmé, une grande part d’improvisation, d’adaptation, de réactivité qui souligne que l’imprévu existe toujours.
Pour Bernard Rey (2014b), la forme non scolaire de la transmission repose principalement sur le fait d’apprendre « sur le tas », c’est-à-dire au sein de l’action qui fait appel à l’immersion grâce à la pratique, ou encore par imitation, et au le rôle de l’expérience. Lors des concerts, la médiatrice questionne les élèves sur ce qu’ils ont vécu (ce qu’ils ont entendu, vu, observé, éprouvé). Selon Bruno Garnier, « l’éducation informelle introduite au cœur de la forme scolaire subvertit celle-ci, car elle estompe la frontière entre l’école et son environnement » (2018, p. 17). L’ouverture de l’école (Montandon & Wagner, 2022) sur son territoire date de l’Éducation nouvelle et engendre de nouvelles pratiques pédagogiques favorisant le partenariat, renvoyant par exemple à la notion de « territoire apprenant » (Bier, 2010). Le recours d’une intervenante extérieure, une médiatrice musicale, transforme la forme scolaire, l’articulant alors au format de la médiation artistique : « Investi de cette mission de mise en situation artistique de l’élève, l’enseignant n’en a toutefois pas le monopole, car les passeurs se sont diversifiés. Les enseignants partagent désormais le terrain de l’action avec un ensemble d’acteurs qui ne relèvent pas uniquement de l’école. L’éducation artistique telle qu’elle se forge s’ouvre à l’informel par le type d’acteurs dont elle a besoin et qu’elle mobilise. La mise en œuvre de projet artistique se déroule avec le concours d’un ensemble d’acteurs qui n’ont pas forcément un statut scolaire » (Mazière, 2018, p. 42).
Le partenariat ouvre des espaces d’altérité, des pratiques professionnelles différentes, mais qui peuvent être complémentaires et se soutenir mutuellement : « Si la notion de médiation culturelle n’appartient pas au noyau dur et originel de l’éducation scolaire, elle s’est néanmoins développée dans sa mouvance, dans le post et le périscolaire, comme un accomplissement critique de l’ambition éducative démocratique. L’histoire de la médiation culturelle renvoie à celle de l’éducation populaire » (Kerlan, 2007, p. 26).
Dans le cadre d’une approche ethnographique, nous avons suivi ce dispositif pendant deux ans et nous avons réalisé une série d’entretiens semi-directifs auprès des différents acteurs qui y participent (sept entretiens : deux auprès d’enseignantes, deux auprès de directrices d’école, deux auprès de musiciens dont l’un est responsable au sein de l’association, un auprès de la médiatrice, et un auprès d’un responsable de l’association). À ces entretiens3 s’ajoutent les observations réalisées au sein des écoles et sur le lieu des concerts (observation de huit concerts, et de deux journées dans les classes, lors des interventions de la médiatrice). La médiatrice intervient avant les concerts, prenant en charge les différentes classes au sein des écoles, puis lors des concerts. Nos observations se sont focalisées sur l’espace, le temps, les interactions entre élèves et adultes, les consignes, l’utilisation du tableau dans la classe. Lors des concerts, nos observations se sont dirigées vers le déroulement temporel, les postures des corps en présence, les rapports adultes-enfants, l’espace, les réactions par rapport aux sollicitations sonores. Nous avons essentiellement analysé ici ce qui relève des traits de la forme scolaire définie plus haut ainsi que la posture spécifique de la médiatrice.
Une complémentarité entre forme scolaire et médiation musicale
La médiatrice doit intervenir dans un temps donné (trente minutes) et propose alors un format du découpage temporel précis (présentation du programme et de l’affiche du concert, des instruments, des compositeurs, écoute et danse sur de la musique enregistrée, questionnement et participation des élèves). Contrairement à l’espace de la classe, dont la configuration souligne la dissymétrie enseignant-élève, la médiatrice commence son intervention par la transformation de ce lieu, en créant un double espace où les tables sont mises à l’écart : le premier, vise à permettre le mouvement des corps (pouvoir se mettre debout, se mouvoir, danser) au milieu, le second, avec des chaises en cercle sans table (pour pouvoir se lever facilement). La médiatrice fait partie du cercle, même si elle est sur le côté. La transformation de l’espace de la classe reste, au premier abord (à l’exception des tables acculées sur les côtés), toute relative. En effet, l’intervention est conçue en partie autour du tableau (espace traditionnel de la classe renvoyant à la forme scolaire), plus précisément d’un diaporama projeté où la transmission de connaissances par la vue (écrit, image, visuel) reste centrale (le diaporama intègre également des extraits de concerts, associant donc à l’image, la musique). Cette importance de la « scripturalisation des savoirs » fait partie de la forme scolaire (Rey, 2014a, p. 151). Les élèves sont invités à déchiffrer et à lire la composition d’une affiche de concert, à découvrir les instruments qu’ils vont voir et écouter lors du concert et à développer des connaissances sur les compositeurs, le répertoire, et certains modes de jeux ou éléments structurels relatifs aux œuvres. Ils décrivent les images, lisent (le nom des instruments figure sous les images), comparent (« le violoncelle est plus gros que le violon »). Le rapport à l’écrit et le positionnement spatial de l’enseignant vis-à-vis du tableau renvoient ici à la forme scolaire (Vincent, 1980). Ce moment pédagogique s’appuie sur les connaissances de la médiatrice qui possède une formation avancée en musicologie. Il faut considérer que l’espace positionnel du tableau PowerPoint, central, participe à créer un espace relationnel (Le Guern & Thémines, 2023) : le tableau conduit à être tous ensemble dans l’activité, dans une même temporalité, et participe aussi à éduquer à la posture d’un spectateur actif4.
Dans la salle de concert, les élèves d’environ quatre classes sont assis sur les bancs de l’église, les musiciens étant installés sur l’estrade. Tout le monde est en position assise, en silence, immobile. Les adultes accompagnateurs (enseignants et parfois les parents pour les plus petits) écoutent également et parfois se lèvent pour déplacer un élève qu’ils jugent perturbateur. Les enseignants gardent ici leur posture d’autorité alors que la médiatrice, à l’aide d’un micro, intervient entre chaque morceau. Les musiciens prennent aussi le micro pour répondre ou présenter ce qu’ils font. Les enseignants ne sont plus en charge de leur enseignement, ce qui « constitue une profonde transformation de l’organisation de leur travail » (Carraud, 2017, p. 16). Pendant le concert, l’explication de la médiatrice par le langage est centrale et importante au sein du processus de médiation : elle présente les œuvres, rappelle ce que les élèves ont déjà vu avec elle en classe, donne des indications d’écoute. L’importance du langage a été soulignée dans la définition de la forme scolaire. Les interventions verbales de la médiatrice oscillent entre des connaissances (instruments, compositeurs, œuvres) et des explications musicales (jeu instrumental, phrasé, émotion recherchée). Les instrumentistes, ainsi que la médiatrice parlent entre les morceaux pour revenir à ce qui s’est passé, préparer ce qui va venir et faire des liens avec l’intervention en classe. Lors de l’entretien, la médiatrice explique que les musiciens n’ont pas toujours l’habitude de prendre la parole et qu’elle est là pour gérer ce temps de parole (« ni trop peu ni trop long » – Esd Mé). Que ce soit en classe ou dans la salle de concert, elle apporte de nouvelles relations au corps, au silence, à l’espace, à l’écoute, aux sensations individuelles, au sujet et à ses expériences. Les attentes du monde scolaire ne sont pas forcément en totale adéquation avec les attentes du monde professionnel musical, mais peuvent se compléter, voire amener un supplément au domaine scolaire.
Selon les professionnelles de l’Éducation nationale (directrices et enseignantes), les attendus sont essentiellement de l’ordre des connaissances (reconnaissance des instruments, des œuvres, du tempo ou du mouvement, de la tessiture) : « Ils ont des questions, ils sont curieux, ils connaissent beaucoup de choses […]. Ils reconnaissent pas mal d’instruments, parce que la dernière fois, il y avait un cor. Bon, cela ne court pas les rues non plus hein […] il y a des enfants qui savent » (Esd E2), « les élèves savent faire la différence entre le violon et l’alto » (Esd E1). Pour les enseignantes, le dispositif de concert permet surtout de rejoindre des objectifs scolaires liés au processus d’attention, afin de susciter plus particulièrement l’activité d’écoute chez les élèves. La musique est mise au service du développement de compétences attentionnelles, d’une attitude d’écoute, posées comme des enjeux transversaux fondamentaux pour les apprentissages scolaires : « voilà l’écoute, toujours l’attention, l’écoute après un travail sur les maths » (Esd D2). La maîtrise des corps, l’écoute (renvoyant au fait de se « contenir »), font partie des normes de conduites attendues du spectateur des concerts de musiques savantes occidentales, et sont perçues par les enseignants comme une condition, mais aussi comme un critère du développement ou de l’expression des processus attentionnels. L’écoute – faire taire ce qui s’agite en moi – s’éduque, d’après une directrice : « pour les habituer à écouter, à être spectateurs, à écouter de la musique classique sans parler » (verbatim issu de l’observation du 24/01/2024) ; « Nous, on s’est dit aussi que ça pouvait être aussi un apport pédagogique à travers l’écoute […] c’est vrai qu’on a des enfants qui manquent d’attention » (Esd D2). Les représentations sociales de l’écoute renvoient à l’immobilité du corps chez les enseignants. Le concert permettrait de travailler cette posture d’élève. Les enseignants soulignent combien les élèves ont pu développer une curiosité (« ils posent des questions » Esd E2) et une attention particulière en reliant ces bénéfices au dispositif des concerts. Les enseignantes évoquent aussi d’autres compétences, dites psychosociales, comme la confiance en soi, mais en la rapportant aux spécificités que l’on prête ordinairement à une éducation artistique qui conduit l’enfant à investir son expressivité, sa créativité, dans une démarche active qui implique le corps pour mobiliser ses émotions : « je vous ai dit sur l’attention, la confiance en soi, la prise de risque aussi, le fait de se produire devant quelqu’un […] On travaille sur les émotions […] on exprime des choses » (Esd D1). Cependant, ces compétences spécifiques sont rapportées à nouveau à des enjeux de compétences scolaires plus générales, puisqu’il s’agit de répondre aux injonctions des programmes (MEN, 2015, 2020) où le travail sur les émotions (considéré comme objet de connaissance) prend une place de plus en plus importante (Cuisinier, 2016). Les compétences transversales décrites par les enseignants interviewés se retrouvent particulièrement en éducation civique et morale, mais aussi dans l’enseignement des arts (arts plastiques et visuels, éducation musicale, histoire des arts). Selon les enseignants, le concert permet de contribuer aux attendus des programmes par rapport à la « capacité des enfants à identifier, exprimer verbalement leurs émotions et leurs sentiments » (MEN, 2015, p. 6).
Les enseignantes évoquent également les compétences langagières, lexicales, phonologiques que pourraient développer les enfants au contact des ateliers musicaux : « On s’était dit, si on travaille la musique, l’écoute […] on aura des répercussions […] on va travailler les sons, la lecture, etc. [...], on apprend à écouter de la musique, mais, du coup, on est dans une séance de phonologie » (Esd E2) ; « ça développe des compétences langagières et ils apprennent autrement aussi, dans un autre contexte » (Esd D2). Ces acquisitions concernent l’oral – les enfants étant amenés à verbaliser sur la musique, à échanger, à argumenter –, mais elles sont aussi appréhendées en relation avec le développement de compétences d’ordre scriptural, renvoyant ainsi à la forme scolaire : avant le concert, ils sont invités à écrire des questions qu’ils vont ensuite poser aux musiciens lors du concert. L’expérience de ces ateliers, comme nous l’évoque une des directrices (Esd D2), constituait aussi un enjeu de travail de l’écrit : « le deal [avec l’équipe enseignante] cette année, c’était qu’il y ait des traces écrites […] » (Esd D2).
Rupture par rapport à la forme scolaire
En amont à l’école, et à côté de connaissances transmises, l’entrée dans la musique s’effectue par une démarche sensible, par l’éveil des corps, avec des échauffements corporels et différentes activités qui mettent en jeu le mouvement (du mouvement improvisé au mouvement plus chorégraphié de pas de danse) dans sa synchronisation avec la musique. C’est dans ce cadre que les élèves vont effectuer des gestes apparentés, par exemple, à celui du mouvement de l’archet, en entrant dans une démarche active qui implique le corps pour ressentir rythme, mouvement mélodique, ou encore type de jeu instrumental. Lors de la visualisation des instruments de la famille des cordes sur le diaporama (instruments qui participeront au concert), l’image de l’archet est alors renvoyée à sa dimension kinesthésique, vécue précédemment, et l’image du violoncelle est enrichie par une sorte d’appropriation corporelle de l’objet par le mime. Dans la découverte des instruments, la médiatrice insiste sur le lien entre la partie du corps (doigts, pieds) et la partie de l’instrument (touches, pédales, archet…) avec la production du son, à travers la visualisation de vidéos (par exemple : « les pédales du piano, ça change le son »). Pour comprendre le pizzicato sur le violoncelle, elle montre une vidéo qui permet de voir le geste instrumental : « regardez bien comment joue la musicienne ». Il ne s’agit donc pas d’un apprentissage formel de la connaissance des instruments et de leur famille (comme on le retrouve régulièrement dans le cadre scolaire, posters à l’appui), mais d’appréhender l’expérience de l’instrument comme corps sonore grâce au geste du musicien, et de préparer au temps du concert.
Lors des interventions dans les classes, la médiatrice propose systématiquement de prolonger par un temps de silence l’écoute de morceaux afin de voir quels effets la musique procure. Ensuite, elle invite les élèves à exprimer ce qu’ils ont retenu, imaginé, ressenti : « on garde les yeux fermés dans le silence ; ma mémoire se souvient de cette musique ; j’entends encore quelque chose, un souvenir, une image » (Esd Mé). Lors de l’entretien, elle raconte comment un enfant partage ce moment imaginaire où il était dans les étoiles avec la musique : « c’est sacré, que l’enfant s’approprie et soit autorisé à s’exprimer » (Esd mé). Un temps, même court, est consacré à l’émergence des images et expressions, qui ne sont donc pas uniquement centrées sur la reconnaissance des instruments, mais davantage sur l’imaginaire, le ressenti.
Comme le rapporte la médiatrice, cette première rencontre de l’œuvre musicale est importante dans le processus d’appropriation, et l’un des enjeux – qui est aussi une demande des enseignants, nous confie-t-elle – est de permettre à l’enfant qu’il « s’autorise à s’exprimer » (Esd Mé). Il ne s’agit pas seulement que l’enfant « ose entrer en communication » (objectif de la maternelle, domaine du langage), mais qu’il puisse manifester son vécu subjectif, ses expériences d’écoute, au moyen de différents langages (corps, voix, langage verbal, dessin) : « à la différence d’un enseignant, je suis là pour valoriser l’expérience de l’écoute. (…) On n’est pas dans la performance » (Esd Mé). Ces propos de la médiatrice s’éloignent de la forme scolaire si l’on considère que l’un des traits de la forme scolaire est celui de « normes d’excellence », de l’existence de « critères d’évaluation permettant de définir une progression » (Maulini & Perrenoud, 2005, p. 152). Le développement des compétences de communication orale, ou du langage, si elles constituent un objectif important pour les enseignants, n’est pas un objectif mis en avant par la médiatrice musicale, même s’il peut y avoir des répercussions informelles. Elle leur indique que, parfois, lors d’un concert, il se peut qu’on soit moins attentif, qu’on « décroche » : « au concert, personne n’a la bonne ou mauvaise réponse, on est libre de voir ce qu’on veut, de s’ennuyer aussi, mais on n’a pas le droit de parler » (Esd Mé). Elle répète à chaque intervention qu’il n’y a aucune injonction à écouter, chacun faisant sa propre expérience : « si vous n’écoutez pas, ce n’est pas grave, il ne faut pas empêcher les autres d’écouter ». La centration sur le sujet sensible, unique et singulier, libre de ne pas faire ce qu’on lui demande (avec certaines limites), va à l’encontre de la forme scolaire (collectif, transmissif, obéissance). Le concert est perçu comme un bain sonore, une action d’écouter (Rey, 2014b) où chacun va faire sa propre expérience esthétique singulière.
Le concert de musique classique offre un espace avec des codes culturels a priori en partie différents de ceux de l’école, où l’émotion, l’écoute, le corps, le partage d’une expérience esthétique conduisent à des apprentissages singuliers. Les concerts proposés ne sont pas destinés exclusivement aux scolaires : au lieu de trente minutes, les mêmes concerts sont présentés à midi et le soir avec une durée un peu plus longue (45 minutes). La programmation est la même ; la médiatrice de la musique prépare cependant en amont avec les musiciens le programme scolaire (choix des œuvres, présentation des instruments ou des compositeurs, durée des morceaux en demandant de ne pas faire de coupure, mais plutôt des choix d’œuvres dans le programme). L’idée est d’offrir un concert, exactement le même qu’avec les autres publics, avec un quart d’heure de moins, car le public est jeune. Le format diffère également par rapport aux autres concerts de la journée, car la médiatrice prépare des moments d’interactions entre élèves et musiciens. Nous pouvons également observer des moments informels de rencontre avec les musiciens où s’instaure une relation différente entre enfants et adultes (absence des enseignants qui se mettent de côté) : après le concert, les élèves s’approchent de la scène, montent même sur l’estrade autour du piano ou des autres instruments. Cette activité de découverte, d’instruction sur les instruments, et d’interactions non structurées fait penser à l’éducation informelle comme définie plus haut. Lors du concert, les acquisitions faites par les élèves peuvent être d’un autre ordre que celles faites dans la classe. Les activités d’observation, d’écoute, de découverte, de ressenti ne sont que partiellement structurées en amont (la médiatrice prépare en effet à l’observation en expliquant ce que les élèves vont certainement voir, entendre), laissent place à l’expérience individuelle pendant le concert. Pour Bruno Garnier (2018, p. 18), « la mobilisation de connaissances acquises hors l’école, (…) et aussi la mobilisation de la conscience intime de la personne de l’élève, d’autre part, à travers tout le registre des émotions et des affects » renvoie à l’éducation informelle, contre la forme scolaire. Se pose alors la question de l’articulation de savoirs différents : celui privilégié par la forme scolaire renvoyant à l’instruction, à la raison, et celui provenant du monde sensible et de l’expérience individuelle.
Le dispositif des concerts et l’expérience esthétique
« La culture scolaire “passe” pour beaucoup à côté de la “vraie” culture, de la culture vivante, appropriée » (Kerlan, 2007, p. 28). Le concert en « live » nous semble amener une dimension supplémentaire à l’éducation musicale à l’école. Le partage du sensible, que cherche à produire le concert en tant qu’expérience esthétique collective, ne peut pas exclure la prise en compte du monde sonore, des vibrations instrumentistes et vocales produites lors du concert dans une salle où l’acoustique accompagne cette expérience. Par exemple, lors du concert du Trio de trois marimbas (concert du 14/12/2023, programme de Maurice Ravel, Manuel de Falla, John Adams), les premières frappes produisent une suspension de tout mouvement corporel chez les tout-petits (maternelles). Alain Kerlan (2007) montre comment l’expérience esthétique doit faire référence à un collectif, un passé, un cadre social engageant une collectivité. L’expérience du spectateur lors de ces concerts se situe dans un espace où le collectif « classe », musiciens, adultes et enfants, prend place. La prestation du matin adaptée au public scolaire préserve les caractéristiques des codes du concert (silence, applaudissement, salutations). Le moment des applaudissements est d’ailleurs un moment de grande participation de la part des élèves.
John Dewey (2008) a expliqué l’importance de l’expérience au sein de l’apprentissage, qu’il ne faut pas séparer de l’expérience de la vie de l’enfant, insistant également sur l’expérience esthétique et le rôle de la formation du citoyen. Le dispositif des concerts semble ainsi répondre en partie à la critique de John Dewey (2011), qui indiquait comment l’organisation scolaire n’était plus en lien avec les autres institutions sociales (la société, mais aussi la famille). L’église, lieu de concert, se trouve au centre du quartier, alors que par exemple le conservatoire de musique est souvent décrit comme éloigné (il est en centre-ville). Le territoire habité, comme le décrit Bruno Garnier, « devient le “cadre d’expérience”, et qui est non seulement le lieu, mais l’instance de socialisation » (2018, p. 29). L’éducation se fait par immersion, et prend forme grâce aux nombreux partenariats que l’association tisse avec les différents acteurs de la ville, avec d’autres associations du quartier, avec des artistes reconnus, avec le monde de l’entreprise et du travail, mais aussi avec l’Éducation nationale et le ministère de la Culture. Si cette vision peut être considérée comme étant en rupture avec celle d’une éducation centrée majoritairement sur l’école (Garnier, 2018) et la forme scolaire, elle s’effectue, dans notre contexte, par l’intermédiaire de l’école qui constitue un appui important pour penser la continuité des expériences que vivent les enfants dans l’école et en dehors de l’école. Se déplacer dans la ville, aller vers le lieu de concert ouvre l’école qui n’est plus enfermée sur elle-même, fait du lien entre les apprentissages dans et hors l’école, modifiant alors la forme scolaire définie plus haut. Le trajet devient un moment de séparation/préparation pour les élèves. La question de l’ouverture de l’école sur l’extérieur renvoie à la possibilité de développer des apprentissages sociaux (Mérini, 2001).
Cet espace n’appartient donc pas au cadre scolaire, il semble aller contre la forme scolaire classique, car il ouvre vers de nouvelles dimensions, une « configuration » (Reuter et al., 2021, p. 105) où le temps, l’espace sont régis par de nouveaux codes qui sont ceux du concert, même si certains peuvent renvoyer à ceux du monde scolaire. « L’espace fait l’objet d’une expérience d’abord corporelle, kinesthésique, sensorielle, et émotionnelle » (La Pensée d’ailleurs, 2023, p. 16). Lors du concert, la règle n’est plus d’écouter forcément (avec une attention particulière comme à l’école, car au concert, le sonore est envahissant, intrusif), mais de ne pas gêner celui qui veut écouter. Ici, la médiatrice souligne que l’expérience est singulière bien qu’au sein d’un collectif, ce qui va à l’encontre de la forme scolaire qui met en avant essentiellement le collectif, mettant à l’écart le sujet (Kolly & Joigneaux, 2023). L’importance du respect d’autrui et de son expérience est mise en avant. L’expérience de l’écoute musicale est donc individuelle (corporelle, affective) ce qui l’oppose à l’écoute en classe lors de l’enseignement simultané.
La posture de la médiatrice musicale
L’observation des interventions de la médiatrice musicale, tout d’abord au sein de l’école, montre une ambivalence dans ses activités qui, tantôt rejoignent les caractéristiques de la forme scolaire (lieu, tableau, formes d’interaction entre élèves et adultes), tantôt développent des aspects propres aux apprentissages informels (bain sonore, danse et mouvement qui mettent en avant une appropriation par l’action). La médiatrice souligne, lors de l’entretien, que ses interventions sont différentes de celles de l’enseignant, du fait de sa posture de médiatrice : « c’est important que je cultive le côté artistique, créatif » (Esd Mé). « La disponibilité de l’artiste ou du médiateur à l’autre, à son style, à ses difficultés et à ses trouvailles, ainsi que la possibilité de pouvoir improviser une réponse artistique à partir de cela est sans doute un des leviers essentiels de l’efficacité de la médiation culturelle. » (Gozlan, 2018, p. 3-4). Cela renvoie à la posture même du médiateur musical, qui part de son ressenti pour accompagner l’autre, qui est centré sur le triptyque public/média/médiateur. Les émotions, le plaisir, l’imaginaire, l’écoute sont le point de départ de l’intervention de la médiatrice qui construit ses interventions à partir de son propre ressenti : « Et puis, moi, ce que ça me fait d’écouter ça ? […] Parce que le médiateur transmet le lien entre la musique et lui-même » (Esd Mé). La posture de la médiatrice est d’être impliquée, de partir de sa propre expérience : « le rapport à soi, aux autres et au monde est interrogé à partir de l’expérience » (Fourdrignier & Tourrilhes, 2017, p. 7-8). Cette expérience musicale vibratoire est une expérience totale, à la fois collective et individuelle, avec des sensations provenant des sonorités des instruments ou de la puissance vocale. Tout travail avec les émotions part d’un travail sur ses propres émotions (Carraud, 2017). Lorsque la médiatrice intervient, l’enseignant est toujours là, garant de l’ordre, étant responsable de son groupe-classe. La médiatrice s’occupe du contenu de son intervention sans la gestion du groupe, alors que les enseignants « doivent faire cours, engager l’ensemble des élèves dans le travail scolaire et garder le contrôle de ce groupe » (Carraud, 2017, p. 19-20). Durant les concerts, la médiatrice intervient peu pour calmer les enfants. L’écoute en général est de très bonne qualité, mais ce sont les enseignants qui, si nécessaire, se lèvent pour déplacer les élèves qu’ils jugent trop turbulents.
L’importance du rôle de la médiatrice, elle-même experte de la musique, est de pouvoir forger des liens entre différents mondes, différents moments (figure de l’interprète et du messager : Kaës, 2012, p. 12) et de participer à la construction de sens lors de cette expérience de concert partagé. D’ailleurs, elle part de son propre ressenti pour aller à la rencontre des auditeurs : « Je pars vraiment de l’écoute des œuvres qui m’inspirent […] c’est le plaisir. […] j’écoute les œuvres avec ou sans la partition » (Esd Mé). Le fait de partir de son propre ressenti, de son monde sensible n’est pas anodin dans la construction de cette situation interactionnelle au centre du travail de médiation. Le rôle du médiateur est de faciliter les liens entre le sujet et le sonore, de décortiquer via sa propre compréhension sensible de l’œuvre, mais aussi d’expliciter les attendus et objectifs éducatifs entre les différents partenaires (Legon, 2014). Ainsi, toute intervention d’éducation artistique privilégie « une pluralité d’acteurs tels que des artistes, des membres d’associations ou encore des médiateurs culturels » (Mazière, 2018, p. 39), car « la forme actuelle de l’éducation artistique ne s’inscrit [donc] pas exclusivement dans le cadre de l’éducation formelle » (ibid.). La médiatrice cultive les passerelles entre les réalités qui se rencontrent : celle des musiciens (par exemple, présenter le métier de musicien, « des gens comme tout le monde », Esd Mé) et celle du monde scolaire. Elle déclare être attentive au retour des enseignants afin de pouvoir s’adapter. Ce partenariat est récurrent chaque année, ce qui a amené une proximité et facilité le travail d’adaptation aux publics scolaires (Esd Mé).
La médiatrice indique que son rôle est de maintenir l’objectif qui consiste à proposer une expérience de concert, avec des morceaux qui peuvent être plus ou moins longs, en évitant des temps d’interventions verbales trop importantes : « je prends un rôle de plus en plus présent pour éviter […] (que) l’artiste prenne trop la parole » (Esd Mé). Le travail en amont du concert est de produire des interactions entre artistes et public, par le choix des morceaux musicaux adaptés au public scolaire : « c’est vraiment le cœur du métier de médiateur de la musique […] de trouver cette alchimie, cet équilibre entre les temps de musique, les temps d’échange, et de garder un climat d’attention » (Esd mé).
En conclusion
Que ce soit à travers les musiciens des concerts ou les interventions de la médiatrice, les activités musicales des experts sont perçues comme nourrissant l’espace scolaire, pas uniquement sur le plan des connaissances, mais sur « un mode expérientiel à orientation esthétique » (Kerlan & Lemonchois, 2017, p. 111). Cela amène alors « un paradigme sinon alternatif, du moins un paradigme qui interroge et travaille la forme scolaire » (ibid.). Aller écouter des concerts dépasse la forme scolaire en apportant du plaisir, une expérience subjective, singulière. L’éducation à la sensibilité et la possibilité d’éprouver du plaisir lors d’une activité (notamment musicale) font partie des principes et des objectifs des programmes de l’Éducation nationale. Mais ce plaisir n’est pas souvent mentionné lors des entretiens, les représentations sociales sur l’écoute de concert des professionnels de l’Éducation nationale se concentrant sur ce qu’ils appellent les retombées cognitives. Pourtant, les moments de joie partagée (Snyders, 1999) participent au bien-être de l’école.