« Relire Hameline, un penseur actuel »

p. 302-304

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Prégnante pour d’excellents penseurs actuels de l’éducation, la pensée de Daniel Hameline aura aussi permis d’« actualiser, ou d’« acter » le désir d’élaborer l’éducation comme une expérience des plus complexes et simples à la fois de beaucoup d’enseignants-chercheurs et formateurs de terrain. Dont je suis, même, ou surtout, avec le recul, qui me permet encore de retrouver aujourd’hui les gribouillis de mes premières tentatives de comprendre mieux les modalités et enjeux de l’éducation pour les soumettre à l’analyse de publics de praticiens déjà expérimentés.

Publié en 1971, Du savoir et des hommes fut pour moi d’emblée actuel en ce sens. Il m’apparut à point nommé, comme une bouée et un tremplin au moment de ma nomination sur un poste jugé impossible par mes prédécesseurs, dans la mouvance de « mai 68 » qui disait la pédagogie fautive et honteuse. Comment, alors, s’y investir sans s’y assujettir ?

Le champ idéologiquement – philosophiquement, médicalement chargé de ce qu’on appelait alors « l’Enfance inadaptée » (en laissant en suspens le sens même de l’inadaptation, dont les déclinaisons terminologiques officielles suivirent en un véritable ballet) – apparaissait comme une jungle épaisse au jeune enseignant de philosophie que j’étais, juste sorti du désert d’un lycée du sud tunisien où régnait, alors, la soif d’apprendre. Il y avait bien sûr, pour ouvrir quelques sentiers en ce maquis, les hautes figures de l’époque, érigées en vigies de la liberté quand ce n’était pas en pythies, propres à la fois à défrayer la chronique, fasciner les consciences et, à inciter à penser. Mais il y eut aussi, plus modestes, plus efficaces, des génies de proximité, moins virevoltants, moins brillants sans être ternes, à même d’apporter les outils pour éclairer le cheminement des enseignants et de leurs formateurs qui s’interrogeaient sur l’idée même de formation.

Génie du titre, auquel je reste sensible aujourd’hui : non pas « le » savoir et « les » hommes, titre repu de sa suffisance, mais du savoir et des hommes. Splendeur de l’indéfini, de l’indéterminé. Questionnement sous la nomination même. Non pas, comme tentera de le dire « le » rapport au savoir, en indiquant un faisceau de déterminismes pour ainsi dire à plat, une convergence de biais au point du savoir, mais plutôt une incitation à examiner de plus près l’intention d’instruire, avec ses illusions propres, en quelque sorte axiomatiques. J’ignore, depuis que j’en apprends plus sur les référents personnels de Daniel Hameline1, si intention est aussi à prendre au sens d’intention de prière, n’étant pas catholique pour ma part. Mais il y a dans cette formule une impossibilité de réduire une visée à sa cible. Un arrière-plan est exigé – symbolique, mental, axiologique ? Que l’intention qui voudrait s’immuniser de tout soupçon par référence au motif d’instruire ait plutôt obligation de s’interroger sur son halo, voire sa mise en scène imaginaire, sa distribution actancielle s’avéra et reste pour moi inspirant et fécond. Peut-être que, combinée avec la pensée de Jean Vial, ce titre aura-t-il amorcé en moi l’idée d’un espace de formation axiologique à élaborer de manière plus globale, avec les apports théoriques d’Aucouturier et de Darrault sur des « discours » d’investissement (sensori-moteur, symbolique, cognitif, fantasmatique), de Binswanger (structures épiques, lyriques, tragiques des rapports au monde), de l’« espace-sujet(s) » de René Kaès, qui tous contribuaient à donner consistance à l’intuition d’Hameline d’un imaginaire (« illusion » non illusoire ?) propre à chaque orientation, visée d’éducation et/ou d’instruction et/ou de formation et/ou d’animation.

En somme, l’apport de Daniel Hameline aimanta pour moi une mise en forme d’espace(s) de formation qui intègrent (ou reposent sur) des rapports à l’autre et au monde. À la fois le goût de la typologie et la capacité à aussitôt atténuer le surplomb des formalisations par trop aisées dans la raison graphique (Goody) furent fondateurs pour moi. J’appréciais que cette offre me parvienne sans odeur ni d’encens ni de soufre, en un temps où le cynisme, la provocation servaient souvent de paraphe d’excellence supposée. Non, rien de tel dans les tonalités d’un Hameline – dont les accents Voix et voies de la formation d’un Jacky Beillerot. Prouesse : pas de disjonction entre d’une part une axiomatique altière et, d’autre part, une analyse opératoire des méthodes pédagogiques. Hameline le montrera dans Les objectifs pédagogiques, seul ouvrage qui me permit de supporter ce courant quelque peu ampoulé et managérial, technologique en diable, épris de s’appliquer partout sans égard pour les spécificités de domaines, de style et de contenus, bref un peu dominateur, quoique propre à clarifier… nos objectifs (quid des « intentions » ?). L’approche et le ton de Daniel Hameline m’ont permis de m’y intéresser et… d’y faire face sans les bouder. Chapeau l’artiste qui me fit cette obligation. Chapeau bas devant un auteur et une œuvre ô combien heuristiques.

Notes

1 Cf. le dossier thématique consacré à Daniel Hameline dans le numéro 4 de La Pensée d'Ailleurs. Return to text

References

Bibliographical reference

Gérard Fath, « « Relire Hameline, un penseur actuel » », La Pensée d’Ailleurs, 5 | 2023, 302-304.

Electronic reference

Gérard Fath, « « Relire Hameline, un penseur actuel » », La Pensée d’Ailleurs [Online], 5 | 2023, Online since 20 octobre 2023, connection on 09 décembre 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/lpa/index.php?id=379

Author

Gérard Fath

Ancien élève de l’ENS Ulm, agrégé de philosophie, professeur des universités émérite à l’université de Lorraine, équipe Normes & Valeurs.

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