Éducation et commun

Référence(s) :

Jean-François Dupeyron. À l’école de la Commune de Paris : l’histoire d’une autre école. Éditions Raison et Passions, 2020.

Jean-François Dupeyron. Commun-Commune (1871). Kimé, 2021.

Jean-François Dupeyron. L’école des communs. Le Bord de l’Eau, 2024.

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Éducation et commun

Jean-François Dupeyron fait partie des philosophes de l’éducation les plus actifs depuis plusieurs années au sein de la communauté philosophique francophone1. Il est, avec d’autres évidemment, un des piliers de la Société francophone de philosophie de l’éducation (SOFPHIED) et il publie régulièrement articles, chapitres et ouvrages. Ces dernières années, ses publications se sont recentrées plus particulièrement sur l’articulation éducation/commun.

Il a ainsi publié À l’école de la Commune de Paris : l’histoire d’une autre école (2020), puis Commun-Commune (1871) (2021), et plus récemment L’école des communs (2024). Certes, il n’est pas le seul auteur à évoquer la question du commun ou des communs dans le champ éducatif. Nous avions rendu compte dans les colonnes de La pensée d’ailleurs des travaux de Laurence De Cock, de Christian Laval et Francis Vergne où ces questions étaient abordées2. Cependant, comme nous allons le voir, Dupeyron se saisit de ces thématiques avec originalité, puisque le souci pour l’archive vient nourrir la réflexion philosophique et donner lieu à un style d’intervention spécifique. Si de nombreux comptes-rendus des derniers ouvrages de Dupeyron ont été publiés dans des revues scientifiques (Ferté, 2021 ; Lamarre, 2021, 2024 ; Mole, 2021 ; Puche, 2020), notre recension cherche à rendre compte de ces trois livres (Dupeyron 2020, 2021, 2024) en tant qu’ils constituent probablement les pièces d’un même dispositif. Par ailleurs, à l’occasion de ce compte-rendu, nous prolongeons ici un dialogue mené à partir de recensions croisées avec cet auteur (Dupeyron, 2021b, 2022, 2023 ; Riondet, 2017, 2020).

La Commune, analyseur d’une histoire de l’éducation ensevelie

Le premier des trois livres s’intitule À l’école de la Commune de Paris : l’histoire d’une autre école. Cet ouvrage s’ouvre sur la mise en lien de deux scènes : une première scène que l’auteur tire d’un compte-rendu d’une requête de la Société de l’éducation nouvelle datant de 1871 publiée dans le Journal officiel de la République française et une seconde scène qui provient de la recension d’un ouvrage du pédagogue et philosophe américain John Dewey dans la revue La vie ouvrière en 1914. Ces premières pages sont essentielles pour saisir la stratégie argumentative en jeu dans l’ouvrage, car elles permettent à l’auteur de se positionner dans le champ de l’histoire de l’éducation en faisant l’hypothèse d’un projet d’éducation nouvelle qui non seulement préexisterait au mouvement bien connu de l’Éducation nouvelle mais se caractériserait par son ancrage dans un milieu social particulier, lié aux mouvements d’émancipation et au monde ouvrier. C’est donc par une sorte de dissensus dans le champ de l’histoire de l’éducation francophone et en allant à rebrousse-poil de certaines « incongruités » que le propos de l’auteur se déploie en interpellant implicitement les chercheurs : comment expliquer l’ensevelissement de ces réflexions et parfois expérimentations en question dans le récit historique alors qu’elles incarnent peut-être une philosophie de l’éducation singulière ?

L’auteur parle à cet égard des « ob-scènes » de l’histoire de l’École pour évoquer certains éléments de l’histoire scolaire que la domination de la « science normale » contribue à reléguer dans les oubliettes de l’histoire (ibid., p. 275). Pour Dupeyron, on ne peut pas en rester à cette histoire et ne pas analyser ce qui peut apparaître ici comme des « occultations » ou des « dissuasions » de la part de la « science des vainqueurs » (id.). La IIIe République émergea bien sur les braises de la Commune, et, par ailleurs, les premiers manuels scolaires pendant le ministère Ferry avaient incontestablement diabolisé cet événement « insurrectionnel ». L’auteur fait donc l’hypothèse que « la force d’un paradigme » est bien à l’œuvre au quotidien pour nous détourner de certaines références. Pour illustrer son propos, il prend l’exemple d’une brillante et récente anthologie de l’histoire de l’École3 qui se caractérise, selon lui, par l’absence totale de référence à des personnages historiques comme Édouard Vaillant, de référence aux éducateurs communards ou aux militants cégétistes (ibid., p.14). Certes, au sujet du traitement de la Commune dans les manuels, on pourrait objecter qu’il s’agissait d’une stratégie politique pour rallier aux républicains des partisans et des camps politiques de manière à installer durablement la IIIe République. On pourrait également expliquer la prudence des auteurs de manuels scolaires en rappelant l’amnistie tardive des communards en 1880. Cependant, l’ampleur du traumatisme de 1871 laisse plutôt penser que les acteurs politiques et scolaires se retrouvaient davantage dans la peau du malade souhaitant oublier et refouler dans sa conscience certains épisodes jugés douloureux, voire insurmontables, et que ce processus a perduré4. Quoi qu’il en soit, l’organisation, consciente ou inconsciente, de cet oubli devant servir l’établissement d’un commun pacifié (pour que la république s’enracine, que la nation redevienne dominante et que le progrès change la société) qui avait fait face au développement du mouvement ouvrier5 dut également affronter ses prolongements et la répétition de cette scène lorsque d’autres acteurs cherchèrent à réfléchir à d’autres configurations du commun en lien avec cette expérience.

Dupeyron insiste sur un élément factuel : en creux du grand récit sur l’histoire scolaire qui fait de l’École de Ferry un événement progressiste presque indépassable, il y avait une autre histoire de l’éducation, mais qui précéda et survécut à la Commune. C’est en effet au xixe siècle qu’un pluralité de socialisme se diffusa et contribua à questionner le cadre dans lequel l’éducation, l’instruction et la scolarisation étaient pensées par les institutions de la société. Dupeyron fait la recension des différentes tendances socialistes de cette époque en évoquant des écoles de pensée liées à aux questions de pauvreté populaire et d’injustices sociales, des engagements pour rompre avec un ordre social jugé injuste pour fonder une organisation sociale radicalement différente, des mouvements populaires et les différentes actions du mouvement social (2020, p. 72-73). L’auteur rappelle que le xixe siècle fut riche de différentes expériences et réflexions, comme le socialisme utopique dans la première partie du siècle6. Indéniablement, ces propositions ont eu plusieurs vies et ne se sont pas restreintes à certaines périodes historiques. Progressivement, une évolution notable se produit donc dans l’écriture de Dupeyron, puisque la critique d’une histoire de l’École va laisser place à l’histoire d’une autre École.

Cette histoire dans l’ouvrage de Dupeyron, c’est celle, dans un premier temps, de l’École sous la Commune au sens où c’est l’analyse de cet événement qui va orienter l’auteur et les lecteurs vers les autres épisodes. Les pages suivantes sont consacrées à cet événement social et politique, et à la mise en intrigue des débats, propositions, projets et réalisations qui se sont alors joués dans le champ éducatif. L’enquête est minutieuse et donne lieu à des passages extrêmement intéressants. Certains épisodes méconnus de notre histoire française, situés en dehors du paradigme dominant (Dupeyron, 2020), renvoient à ces croisements entre éducation, société et politique. Pendant l’épisode de la Commune des réflexions et des initiatives sur les questions artistiques et éducatives avaient circulé. Certaines revendications ouvrières, comme le fait de dépasser la division entre la main et la tête, préexistaient à cet événement, mais indéniablement la Commune a permis des expérimentations concrètes. Les écoles confessionnelles furent fermées par décision d’une commission dirigée par Édouard Vaillant et composée par Jean-Baptiste Clément, Jules Vallès, Gustave Courbet et Augustin Verdure. Des asiles pour orphelins furent mis en place, ainsi que des écoles professionnelles. On réfléchit alors sur la composition du corps enseignant ou l’installation de crèches. Ces passages prolongent certaines publications récentes, on peut penser ici à Kristin Ross qui rappela, dans un de ces derniers livres, que, durant la Commune, l’éducation publique, obligatoire, et laïque fut instituée, et donna lieu à une organisation assez distincte de la forme scolaire républicaine qui allait lui succéder (Ross, 2015, p. 52). On peut également songer à des publications plus anciennes, et notamment au travail de Maurice Dommanget (1964), enseignant syndicaliste et historien, que certains qualifiaient de prolétaire en veston (Rouch, 1984), qui fut l’auteur de nombreuses pages sur l’éducation pendant la Commune (1964) et les grandes figures socialistes de l’éducation (1970). Dupeyron s’intéresse notamment à la requête du 1er avril 1871 que l’auteur qualifie de « réforme radicale de l’instruction publique » (2020, p. 97). La Commune, par ses commissions et ses réseaux, s’attaqua à la gratuité et à la laïcisation des écoles. Ses actions et déclarations de principes se sont déployées d’une manière singulière (et de manière très variable selon les arrondissements parisiens) même si le temps et les finances pour concrétiser ces prises de position ont cruellement manqué.

Dupeyron s’intéresse dans cet épisode à l’émergence d’une « méthode de gouvernement propre à la tendance générale du pouvoir communal, à savoir l’ouverture aux initiatives associatives, aux demandes de divers groupes et revendications émanant des chambres syndicales ouvrières, des clubs républicains et des bataillons de la Garde Nationale » (2020, p. 105). Dans ce qui apparaît peut-être rétrospectivement comme une « méthode à tendance autogestionnaire », l’enjeu était que le peuple puisse « se gouverner » et ne pas rester gouverné. C’est à cet endroit que se joue quelque chose de singulier, car, dans l’ouvrage À l’école de la Commune de Paris, Dupeyron ne revient pas seulement sur les réalisations éducatives des acteurs et sympathisants de la Commune, il décrit au fil des pages et des chapitres toute une filiation de réflexions et d’expériences dans laquelle le mouvement ouvrier pensa dès les premières décennies du xixe siècle sa propre école et ses propres modalités éducatives, et qui se prolongea dans les innombrables projets et problématisations élaborés par le syndicalisme révolutionnaire bien après la Commune. Bien que celle-ci ne fut donc pas une tentative éducative isolée, il est évidemment pertinent de l’évoquer pour saisir ce qui fut le cœur de son projet éducatif : l’éducation intégrale. L’histoire d’une autre école n’est donc pas seulement l’histoire de l’École sous la Commune, c’est l’histoire d’une multitude de fils dynastiques. Le cinquième chapitre s’ouvre d’ailleurs sur cette question : « Le flambeau de la réforme scolaire mise en œuvre par la Commune fut-il repris ou s’éteignit-il après que la Commune eut tiré ses derniers coups de canon le dimanche 28 mai 1871 dans une rue de Belleville ? » (ibid., p. 215). Entre deux grandes traditions scolaires et historiographiques (L’École des républicains d’ordre et l’École congréganiste ou religieuse), l’auteur s’intéresse au pansyndicalisme, défini ici comme « une théorie et une pratique de l’action syndicale visant à faire du mouvement syndical une force autosuffisante » pour agir au nom de la révolution sociale et faire émerger, ce que Dupeyron appelle « une contre-société indépendante » ébauchant les futures « structures de la société révolutionnée » (ibid., p. 224-225). C’est dans ce cadre que plusieurs pages sont consacrées aux Bourses du travail et à la Confédération générale du travail (CGT), et à la manière dont l’éducation au sens large y est abordée, en circulant à travers les notices du Maitron et les revues syndicales à la recherche des réseaux, des projets et des tentatives que l’on pourrait regrouper sous l’appellation « école rouge » (ibid., p. 242). À cette occasion, Dupeyron reconstruit un paradigme spécifique, celui de la philosophie éducative de cette école rouge, à partir de plusieurs principes et mots-clefs : « les capacités de la classe ouvrière, sa souveraineté pédagogique et ses besoins pratiques d’une éducation intégrale centrée sur le travail » (ibid., p. 245-246).

En conclusion, l’auteur revenait sur sa démarche : s’intéresser à ce qui est hors champ en suspendant la force du paradigme dominant qui a presque conféré jusqu’alors un caractère sacré à l’histoire scolaire. Cette ambition, comme il le rappelle, permet de se rappeler à quoi a répondu l’école de Jules Ferry tout en montrant qu’un projet singulier et souvent oublié avait été formulé à cette époque, celui d’un projet révolutionnaire de République sociale articulée à la volonté de faire émerger une éducation nouvelle7.

Au cœur de la Commune, quelle philosophie politique ?

Le deuxième livre que nous avons souhaité recenser a pour titre Commun-Commune (1871). Il paraît quelques mois après l’ouvrage sur l’école de la Commune. L’introduction commence par une mise en scène concrète : l’auteur arpentant une des rues de Montreuil et décryptant, sur une cheminée, une vieille inscription d’Eugène Varlin qui a survécu à l’usure du temps (« Tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines ») (2021a, p. 8). Cette trace permet d’introduire la question de la mémoire oubliée, mais également l’idée d’un « fragment de pensée politique » qui aurait survécu jusqu’à nous. Le projet est ainsi formulé en ces termes : « comprendre la phrase de Varlin en remontant jusqu’à la pensée politique des acteurs de la Commune », en prenant en compte la multiplicité à l’œuvre dans cette pensée et la conjoncture dans laquelle elle s’est matérialisée (ibid., p. 10). Une telle ambition n’est pas sans obstacle : d’une part, le silence organisé au tour de ces événements, et d’autre part, « la désignation de la Commune et de ses acteurs » (ibid., p. 15). Un principe prévaudra dans ce livre : il faudra rompre le silence (ibid., p. 14). Cependant, et avant toute chose, ces premières pages sont l’occasion pour Dupeyron de procéder à des précautions sémantiques en clarifiant les termes utilisés : « Assemblée communale », « Commune », « Commune municipale », « Commune révolutionnaire », ou encore « Commune socialiste » (ibid., p. 16-17). L’introduction se termine par l’énonciation de la « modeste ambition » en jeu dans ce livre : « contribuer à l’exploration de la philosophie politique et des pratiques politiques qui circulèrent dans le “Paris libre” du printemps 1871 » (ibid., p. 18).

La première partie permet à Dupeyron d’aborder les différentes légendes de la Commune. La légende noire renvoie à un ensemble discursif hétérogène qui s’étend parfois des récits versaillais à certaines positions exprimées dans les manuels scolaires de la IIIe République, et dont l’enjeu consista à caricaturer et diaboliser l’événement. La légende rouge est celle de la gauche révolutionnaire et du marxisme officiel, puisque celle-ci chercha, au contraire, à mythifier la Commune. Enfin, la légende blanche qui est, pour l’auteur, la légende « bleu blanc rouge » du républicanisme d’ordre, et qui œuvra pour minimiser la portée de la séquence révolutionnaire de 1871 pour « magnifier l’œuvre politique et scolaire du parlementarisme républicain opportuniste, radical et radical-socialiste » (ibid., p. 22). Le raisonnement est le suivant : pour comprendre la Commune, il faut comprendre ce qu’elle ne fut pas. Ainsi, il sera possible, d’une certaine manière, de distinguer le vrai du faux, et de s’entendre sur une base minimale d’éléments sur laquelle il sera possible de reconstruire un propos et une analyse.

La seconde partie traite spécifiquement des pratiques et idées politiques en jeu dans la Commune. C’est l’occasion pour Dupeyron de souligner le pluralisme en jeu dans cet événement. Pour l’auteur, il est plus pertinent de s’intéresser aux décisions, aux actes, aux écrits et aux discours qui ont été à l’œuvre « au sein du mouvement de 1871 » plutôt que de surinterpréter une origine supposée du mouvement, une variable, un facteur ou un élément en jeu dans cet épisode historique. Ce qui compte pour lui, c’est précisément la praxis au sein du mouvement et non, ce qui précède ou suit cette expérience collective. Certes, il est possible de considérer que se concrétise alors une forme singulière de République sociale et que l’expression « socialisme révolutionnaire » soit pertinente pour distinguer cette tentative par rapport à d’autres, mais ce qui importe, dans l’analyse de Dupeyron, c’est l’agir commun, non la reconstitution artificielle d’une pensée supposément commune (ibid., p. 268-269). Ce choix induit de s’intéresser aux acteurs, à leur vie, aux interactions et aux productions. Le chapitre suivant (« La république des travailleuses et des travailleurs) repose sur l’idée d’« expérience plébéienne ». Cette formulation permet de ne pas enfermer les acteurs et les actions dans une catégorisation trop cloisonnée, pour rendre compte d’« un événement politique subversif par lequel, ponctuellement, une partie de la population située du côté inférieur de la frontière hiérarchique tracée par la domination sociale, voire repoussée vers l’extérieur de la société sous l’effet des forces économiques, sociales, politiques et idéologiques centrifuges, revendique politiquement son acceptation pleine et entière dans la société » (ibid., p. 277). Il s’agit ici d’un apport décisif, car cette lutte plébéienne ne correspond pas strictement à la lutte des classes car elle ne se restreint pas à la question sociale. Ce qui est commun, écrit l’auteur, entre les « partisans de la Commune », c’est un même « sentiment d’indignité » : « le plébéien ce n’est pas que le pauvre, c’est plutôt l’innomé, l’indigne, l’incompté » (ibid., p. 281). On sort donc du vocabulaire et de la grammaire strictement marxiste, pour lorgner vers d’autres références, comme Negri notamment, pour voir dans cette expérience la manifestation d’une multitude. Ce modèle d’analyse pour rendre compte de la population mobilisée permet d’insister sur la diversité d’acteurs et de pensées qui se sont exprimées en 1871. Cette remarque permet de comprendre que l’événement de la Commune reposait sur certains consensus, autour de l’idée d’une république communale démocratique et sociale, et de différentes tendances en interne qui pouvaient cohabiter pour aller dans telle ou telle direction selon les arrondissements de Paris. Un autre apport décisif en jeu dans ce chapitre apparaît dans les pages suivantes quand Dupeyron montre à partir d’une analyse des résultats aux élections que, durant cet épisode, « la République rouge avait bel et bien été portée au pouvoir à Paris […] par les urnes et non par les barricades » (ibid., p. 299). Ce passage, dont l’enjeu est de faire comprendre aux lecteurs que la Commune ne se résuma pas à une barricade, permet à l’auteur d’entrer en matière par rapport aux pratiques en jeu dans la Commune et sur les questions qu’elles posèrent du point de vue de la philosophie politique. S’intéressant aux instances et institutions créées à cette occasion, Dupeyron insiste sur deux processus institutionnels distincts : d’un côté, déployer et faire vivre une Commune municipale ; d’un autre côté, concevoir le modèle républicain à partir de ce type de structure et de gouvernementalité. L’assemblée communale devait-elle se prévaloir d’attributions locales ou assumer de se comporter comme une Assemblée nationale ? Derrière cette question se formulait une interrogation cruciale : que faire de l’État ? (ibid., p. 316) Pour nourrir les réflexions à ce sujet, Dupeyron note tout d’abord que l’on avait pu observer à la fois la destruction de l’appareil institutionnel oppressif et en même temps la maîtrise démocratique du pouvoir municipal. Dans cette transition, il fallut créer du commun en se dotant de structures, d’un cadre et de références pour agir au quotidien. L’auteur visualise ici six thématiques dans cet agir commun qui s’est progressivement concrétisé : la constitution sociale de la République, la démocratie directe, la méthode syndicale, les services communs, l’opposition du gouvernement et de l’administration, l’expérience populaire du commun (ibid., p. 324). À travers ces pages, le lecteur observe des expérimentations et des tentatives, montrant la richesse des réflexions qui furent à l’œuvre autour d’une conviction partagée par les acteurs : « Une autre République était possible » (ibid., p. 361).

La conclusion reformule les principaux éléments qui ont été à l’œuvre dans cet ouvrage imposant dont l’enjeu était, par-delà les obstacles, de cerner l’événement et de revenir sur les faits pour s’intéresser sur la pensée et la praxis qui y étaient en jeu. L’enjeu du livre était de rendre accessible aux lecteurs cette aspiration collective qui donna lieu à une véritable philosophie plurielle populaire reposant sur des expériences concrètes, des argumentations et des concepts politiques (ibid., p. 364). Ce travail montre bien, derrière l’idée caricaturale selon laquelle cette mobilisation collective ne fut que le signe de « faits de quartier », la capabilité des acteurs, dans leur manière de vouloir penser l’État, le politique, les questions sociales et éducatives, et la proposition inédite et collective qui en résulta autour de trois axes : Commune municipale, révolutionnaire et socialiste. Pour l’auteur, le grand intérêt de cette redécouverte, c’est précisément l’« actualisation possible » de cette pensée (ibid., p. 367) à travers plusieurs thèmes, comme ces innombrables réflexions contemporaines sur le Commun et les communs, comme ce désir collectif de démocratie participative, directe et radicale que l’on peut observer en diverses circonstances (ibid., p. 368), qui ne peuvent pas, en dernière instance, ne pas avoir eu de répercussions sur les manières de penser l’éducation et la pédagogie. Dupeyron avait commencé avec Varlin, il termine avec lui, avec la citation suivante : « Pour être définitive, la révolution prochaine ne doit pas s’arrêter à un simple changement d’étiquette gouvernementale, et à quelques réformes de détail ; elle doit affranchir radicalement le travailleur de toutes exploitations : capitaliste ou politique, et établir la justice dans les rapports sociaux » (cité par Dupeyron, p. 369). Si le lecteur resitue cet ouvrage dans l’économie globale du travail de l’auteur en philosophie de l’éducation, il n’est pas illégitime de voir émerger implicitement la triple thèse suivante : toute philosophie de l’éducation est d’emblée une philosophie politique ; le recours à l’histoire dans ces formes de pensée n’a pas vocation à légitimer le présent, mais à rendre visibles différentes lignes de fuite possibles ; la philosophie de l’éducation est une forme d’intervention dans l’actualité éducative qui contribue à discuter de l’existant et de ses limites en lien avec des acteurs et des expériences concrètes.

L’École des communs, synthèse d’une philosophie politique de l’éducation renouvelée

Le dernier livre sur lequel nous avons voulu revenir, L’école des communs, a été publié plus récemment, en 2024. Il s’agit d’un livre original que l’auteur présente comme une production atypique se rapprochant de la forme de l’essai (ibid., p. 7). L’introduction commence par ces mots : « Nul ne saurait ignorer l’importance de la question de l’éducation dans la vie des êtres humains » (ibid., p. 9). Comme l’explique l’auteur, cet énoncé qui transpire d’évidence et de banalité invisibilise non seulement la complexité qui se cache derrière l’entreprise éducative mais également le dissensus qui se joue à son sujet dans la société. L’auteur situe son propos dans une conjoncture où le refus d’une éducation en commun et aux communs essaime sous des formes diverses. Entre école néolibérale et éducation en dehors de l’institution publique, se dessinerait-il d’autres voies possibles pour « reconstruire ou réinventer la forme scolaire afin de la rendre cohérente avec des projets de démocratique sociale et écologique » (ibid., p. 13) ? Cette éventualité est énoncée depuis de nombreuses années car l’enjeu d’une école populaire autogérée comme « distincte de l’école étatique et des écoles du séparatisme social » était au cœur du mouvement ouvrier. Mais comment rendre compte d’un tel projet aujourd’hui, dans un contexte où la rhétorique du commun est partout et parfois nulle part ?

Suite à ces précisions, le lecteur peut entrer dans la pensée de l’auteur. Se composant de chapitres courts avec quelques références de lecture (« Pour nourrir et prolonger la discussion »), cet ouvrage constitue, comme l’a rappelé Jean-Marc Lamarre, une sorte de « traité d’éducation » (2014) qui cherche à se frayer un chemin original dans la philosophie de l’éducation et ses grandes questions fondatrices (dont la principale, qu’est-ce qu’éduquer ?, question centrale de la philosophe de l’éducation, cohabite avec la question cruciale de la philosophie moderne : qu’est-ce qu’aujourd’hui ?). Il faut sans doute aborder cette production avec la célèbre formule d’Althusser, « toute thèse est une antithèse par nature » (1994, p. 52), puisque les positions défendues par l’auteur sont finement explicitées pour montrer le pas de côté qui est proposé dans le champ en répondant par avance à certaines objections et à certains adversaires théoriques ou institutionnels.

L’auteur propose trois parties. La première (« L’éducation des communs ») s’ouvre sur l’argumentation d’un choix : parler des communs, plutôt que du commun. S’inspirant de Massimo De Angelis, Dupeyron écrit que les communs désignent « des organisations sociales rassemblant trois axes interconnectés : un périmètre commun de ressources, une communauté sociale et un faire en commun » (Dupeyron, 2024, p. 21). La délimitation de ces axes compte autant que leurs liens. Pour résumer la pensée de Dupeyron, une formule : « Pas de communauté de coopérants, pas de communs » (ibid., p. 23). On voit donc à quel carrefour se situe l’ouvrage : au croisement d’une réflexion sur les communs et sur les formes d’éducation qui pourraient y contribuer. Comment la philosophie pourrait délimiter les contours d’une éducation, voire d’une école des communs, et à partir de quelles références ?

Le deuxième chapitre revient ainsi sur le concept d’éducation qui a été abondamment traité jusqu’alors et qui peut être considéré comme un concept positif au même titre que le bonheur et la santé. Il en faut et il faut le souhaiter, mais Dupeyron relativise : il y a parfois de mauvaises éducations et éduquer peut donner lieu à des formes d’assujettissement. Ces quelques pages permettent non seulement à l’auteur de tempérer l’ardeur du lecteur qui penserait que toute éducation et que toute scolarisation sont synonymes d’émancipation, mais également que cette idée contient un présupposé qu’il convient d’interroger (si l’on considère que c’est uniquement à l’école que l’éducation et l’instruction se jouent, cela signifie que sans l’école les individus peuvent être et rester dans une situation d’ignorance) car il induit une certaine manière de concevoir l’émancipation (l’école et les enseignants, ceux qui savent, émancipent les élèves qui, à la base, font partie de ceux qui ne savent pas). Dupeyron choisit pour sa part de se revendiquer de Paolo Freire (« Les hommes s’éduquent entre eux par l’intermédiaire du monde ») pour insister sur ce qui pourrait être entendu dans l’école des communs : « des maisons d’éducation populaire » ou encore « des créations collectives continues par lesquelles la population utilise ses capacités d’auto-organisation pédagogique » (ibid., p. 35).

En revenant sur l’une des étymologies du verbe « éduquer » (educare), qui entend dans cette action des éléments matériels (soin, protection, nourriture), le troisième chapitre introduit dans la réflexion la question de la vie. L’éducateur y est présenté comme protecteur de la vie et celui qui met à disposition les ressources. C’est l’occasion de faire référence à l’enjeu du buen vivir revendiqué dans les luttes décoloniales pour insister sur les enjeux éthiques et politiques pour l’éducateur dans une conjoncture où l’imaginaire capitaliste (faisant l’apologie de la consommation et d’un rapport individualiste au monde et aux ressources) pourrait détourner ces questions. Dans ce double souci (de l’autre, l’enfant, et du monde) qui s’entremêle dans l’éducation, Dupeyron écrit que « Les enfants ne sont ni du bétail, ni un champ céréalier » (ibid., p. 43). L’enfant est, au contraire, un « être d’expérience porteur d’une énergie de découverte et de création » ; ce qui doit être recherché c’est « l’entretien soigneux de l’énergie créative de la vie humaine » (ibid., p. 42-43). L’autre grande étymologie souvent mobilisée pour rendre compte du verbe « éduquer » (educere) est au cœur du quatrième chapitre. C’est l’occasion de revenir sur les deux manières de concevoir la question de l’émancipation (émanciper ou s’émanciper) et, de nouveau, de se revendiquer de Freire (« Personne ne libère personne, personne ne se libère tout seul : les êtres humains se libèrent ensemble ») pour insister sur une nuance décisive : éduquer l’Autre n’induit pas nécessairement une conduite paternaliste.

À la suite de ces « variations étymologiques », l’auteur a commencé à positionner ses thèses dans le champ : l’éducation des communs doit « prendre soin de la vie des populations » (educare) et « permettre à celles-ci d’accomplir par elles-mêmes leur adaptation collective et créative à la vie (e-ducere) » (ibid., p. 51). L’enjeu de ces pages consiste à placer l’anthropologie au cœur du processus éducatif, comme véritable « base de l’éducation ». L’argumentaire est rigoureux, et l’auteur construit, point par point, une ligne de pensée stimulante. Dupeyron distingue, ici, un mode majeur d’un mode mineur d’éducation. Le premier renvoie à « tout dispositif visant l’installation d’une essence humaine prédéterminée et partant de cet objectif pour déterminer ses modalités interventionnistes » alors que le second se distingue par le refus d’une conception considérant les formes culturelles comme « des produits fixes et achevés » (ibid., p. 57). Le mode mineur ne repose pas sur l’idée de transmission d’une forme figée de la culture mais il ne fait pas non plus la promotion d’« une capacité auto-éducation vide et indifférenciée » (ibid., p. 59), ce qui induit d’être sensible aux éléments suivants : « l’attention, la relation, la présence au monde et la capacité d’adaptation » (ibid., p. 60).

Les pages suivantes approfondissent cet abandon de la maîtrise au profit de la médiation et puisent dans des références peu utilisées en philosophie de l’éducation occidentale (par exemple le candomblé, une religion afro-brésilienne). Il s’agit moins de « maîtriser la réalité » que de se mettre en relation avec la réalité. En cela, l’éducation doit refuser que ce que l’auteur appelle « les logiques de dissociation des populations entre elles » et s’ouvrir « au partage des expériences » (ibid., p. 64-65). Ces réflexions amènent le lecteur à la question des contenus. C’est par la référence à l’éducation zapatiste que l’auteur entre sur ces questions : dans ce contexte, l’éducation est centrée sur « la culture des moyens concrets de subsistance, de communication et d’épanouissement social » (ibid., p. 67). Ce nouveau chapitre introduit l’idée d’un « primat pédagogique des besoins de la population et de la question des subsistances » (ibid., p. 69). En d’autres termes, il faut partir de la population et de ses problèmes, ce qui induit de considérer ce que désigne ce terme de « population », c’est-à-dire toutes personnes qui coexistent sur un même territoire et qui n’ont pas nécessairement initialement de liens, de proximité ou d’affinités. C’est pour cette raison que Dupeyron en vient à clarifier ce que peut signifier le terme d’action éducative populaire en l’entendant comme l’« action de la population sur elle-même » (ibid., p. 83). L’éducation, dans cette optique, compose avec les obstacles et affronte les phénomènes de discrimination et de domination qui peuvent se déployer sur un territoire au sein de la population. À ce titre, l’éducation doit pouvoir rendre possible l’émergence de lieux pour se protéger et se ressourcer face à ces phénomènes et ces violences potentielles. Évidemment, le défi est celui de la rencontre, mais ce défi ne peut être pleinement relevé sans prise en compte de la situation réelle, notamment liée à la colonialité. Il faut reconnaître que cette notion et la bibliographie qui la sous-tend ont bien du mal à entrer dans le champ de la philosophie de l’éducation francophone, et Dupeyron a le mérite d’essayer de remédier à cette situation.

Le douzième chapitre se penche sur la thématique de la démocratie. Rapidement, le lecteur constate qu’il s’agit d’une certaine idée de la démocratie, en tant que pouvoir instituant, activité populaire permanente et pratique commune de l’autogestion (ibid., p. 105). Elle ne vient pas d’en haut, d’une personne concentrant le pouvoir ; la démocratie correspond ici à un processus de politisation de l’expérience commune par l’éducation. L’ensemble de ces réflexions ne saurait se concrétiser sans conditions de possibilité. Or, il faut avoir conscience de l’écart qui se joue entre les conceptions ordinaires de l’éducation et ce projet d’éducation aux communs. Cette différence tient, entre autres, à un autre rapport au temps. Il faut savoir prendre du temps et en cela, les réflexions de Dupeyron rencontrent d’autres productions récentes dans les recherches en éducation (Sensevy, 2019 ; Go et Prot, 2024 ; Potier et Hétier, 2024). Le projet en jeu doit permettre de concrétiser une éducation intégrale, où il s’agit d’éduquer l’esprit, la main et le cœur, prolongeant ainsi d’autres tentatives et expériences ; ce qui nécessite, outre les aspects de contenus et de société à faire advenir, de réfléchir au type d’enfant que l’on veut voir émerger et au type d’éducateur que cela nécessite et aux liens qui peuvent se tisser entre eux. Dans le triangle didactique « élève/maître/savoir », ce qui est central, c’est la relation rappelle Dupeyron pour clore cette partie.

La deuxième partie (« L’école des communs ») s’intéresse à l’école. C’est un passage presque obligé pour un auteur critiquant l’école. Se revendique-t-il d’Illich et souhaite-t-il la disparition de l’école ? Dupeyron répond par la négative : comme d’autres (Go et Prot, 2024), il ne veut pas supprimer l’école, il veut transformer la forme scolaire (Dupeyron, 2024, p. 148). Ce qui doit guider cette re-formation, c’est le fait que la vie des populations exerce elle-même la fonction épistémique (ibid., p. 149). Une école pour la vie, comme le revendiqueraient certains pédagogues, doit être une forme sociale qui assume d’exercer une « fonction éducative pour et par les populations » en s’adonnant à la fois à « la relation épistémique » et à « la relation de convivialité par l’action coopérative et la vie démocratique partagée » (ibid., p. 157). Cela signifie qu’il faut assumer d’être une école populaire et que l’on doit pouvoir la distinguer, dans les faits, des écoles non populaires, c’est-à-dire qu’on doit pouvoir y observer un « caractère universellement accueillant » et un « mode autogestionnaire de pratique de la fonction éducative » (ibid., p. 165). Pour insister sur la différence qui se joue ici, Dupeyron utilise la notion d’école plébéienne et celle de « centre populaire d’enquête sociale ». Le lecteur habitué par les travaux de Dupeyron pourra observer comment ses livres précédents ont pu faire évoluer sa pensée. Le chapitre 22 traite de la vie scolaire et de la constitution d’un milieu de vie suffisamment riche pour être ambitieux au niveau éducatif et être à la hauteur des enjeux évoqués. Or, ces réflexions ne sont pas seulement de nature architecturale ou écologique, elles induisent se réfléchir à la convivialité et à des questions d’ordre éthique relatives au type de vie et de relations que les individus, différents par leurs origines, leurs conceptions spirituelles et politiques, vont pouvoir mener et entretenir. Dupeyron termine donc cette partie en évoquant les principes qui pourraient structurer cette école des communs. À cette occasion, il reconstruit ce que pourrait et devrait être une éthique laïque.

La troisième partie de l’ouvrage est consacrée aux « pédagogies des communs ». S’il est question de transformer la forme scolaire, cela ne veut pas dire qu’il n’y aurait qu’un modèle possible à imaginer et à mettre en place. Il y a donc bien une œuvre commune à laquelle participeraient, de fait, les pédagogies critiques en étant sensibles aux différents enjeux sociaux, économiques, culturels et politiques qui traversent la société contemporaine et le monde en général et qui doit rendre possible cette ambition éducative et scolaire. Dupeyron semble insister sur un point : toute pédagogie n’est pas critique et toute critique ne fait pas nécessairement le jeu de l’éducation. Cette précision invite sans doute les acteurs de ces pédagogues critiques à se reconnaître, se regrouper et à ne pas laisser cette œuvre commune perdre en créativité, en subversion et en cohérence, en se faisant assujettir par d’autres forces, tout comme, sans doute, elles doivent aussi éviter de se consumer dans des critiques trop radicales qui empêcherait de penser l’éducation et les communs. On pourrait ajouter que la pédagogie critique ne doit pas oublier d’envisager les aspects pédagogiques des problèmes sous prétexte qu’elle revendique son positionnement critique.

Ces détours conceptuels, bibliographiques et parfois militants permettent à l’auteur de mettre les pieds dans le plat et d’identifier une pluralité de mots d’ordre pédagogique qui doivent animer l’intention de l’éducateur dans cette quête des communs : « critiquer, résonner, chercher » ; « être vigilant, être relié, être en quête » ; « problématiser, échanger, agir » (ibid., p. 217). Il convient d’être attentif car la force du néolibéralisme est de pouvoir récupérer et détourner des pratiques et des actions collectives. La discussion change donc de terrain pour envisager les relations entre les agents de l’institution (les enseignants) et l’institution elle-même, et rendre compte de la « fonction de contrôle de l’enseignement » (ibid., p. 219). Or, ce contrôle existe à différents niveaux : contrôle des enseignants, contrôle des élèves. Dans ce chapitre, Duperyon invite à ne pas tomber dans le panneau des « slogans trompeurs » derrière lesquels s’observent des pratiques qui font vivre une école de la différenciation sociale et de l’inhospitalité. Pour l’auteur, si l’on veut contribuer à libérer la population des dominations, « il faut réduire au maximum le pouvoir politique, social et pédagogique de l’évaluation individuelle » (ibid., p. 222).

Le chapitre suivant (« S’unir ») se concentre sur l’enjeu de cohésion sociale au cœur de l’entreprise éducative et scolaire. Dans la pensée de Dupeyron dans laquelle le langage marxiste est repérable, l’école des communs doit s’incarner dans une « forme matériellement démocratique » (ibid., p. 223). Vaste programme, truffé d’obstacles, mais qui ne peut être esquivé, d’autant qu’il est lié à l’impératif d’hospitalité qui s’impose de plus en plus à nous au quotidien. Dans ce cadre, il ne s’agit pas de « neutraliser la lutte des classes » mais de penser cette nouvelle école comme un « création populaire » dont l’horizon, à travers l’élaboration d’une « forme de vie concrète », serait une société sans classe.

Dans le prolongement de ces propos s’invite la thématique de la norme. Prenant appui sur des références multiples (Zig Blanquer, Delphy, Bentouhami, Simone de Beauvoir, Fanon, Lorde, Tolstoï, etc.), Dupeyron propose de procéder à une « véritable inversion anthropologique » dans laquelle il faut passer de l’Un au multiple dans la manière de penser les normes. La conséquence logique de cette proposition consiste à penser l’approche de l’enseignement et de l’éducation de manière « polyculturelle » (ibid., p. 237). On ne s’étonnera pas ici que le poète Édouard Glissant, penseur de la créolisation et de la mondialisation, soit cité au milieu de différents auteurs issus de contextes culturels différents. Ce chapitre avec lequel se termine cette partie est emblématique du pas de côté envisagé par Dupeyron par rapport aux débats médiatiques et politiques contemporaines centrés sur l’identité et par rapport à la manière traditionnelle de philosopher sur l’éducation dans l’espace francophone8.

Comme l’auteur le reconnait lui-même, la conclusion n’en est pas une (« Sans conclusion »). On ne conclut pas un essai, il faut transformer l’essai, comme l’auteur l’écrit en faisant l’analogie avec le rugby. Ces dernières pages sont l’occasion de rendre compte de la place atypique d’une telle production dans une actualité marquée par le désir de certains d’en revenir à une conception trop transmissive de l’éducation au milieu de différents « fléaux » (« capitalisme, ethnonationalisme, racisme, sexisme, validisme, homophobie, dominations, discriminations, militarisme, etc. »). Rappelant que l’éducation des communs est « une éducation de combat » (ibid., p. 224), l’auteur fait une synthèse du programme à suivre et ses propos témoignent de la nature de sa production : un traité d’éducation qui est apparemment destiné à des lecteurs installés dans leur bureau, mais qui est également une intervention philosophique dans le champ de l’éducation en s’adressant à des praticiens sur le terrain. Les dernières pages sont consacrées au recensement et à la présentation des références mobilisées dans le texte. Dupeyron décrit en quelques mots et deux ou trois lignes les auteurs et autrices cités. Ce geste est beaucoup plus conséquent qu’il n’y parait, car à cette occasion, l’auteur montre patte blanche à ses lecteurs par rapport aux principes et valeurs qui structurent les réseaux dans lesquels ce dernier évolue : 148 noms dans l’index, dont 75 femmes et 73 hommes, mais également dont un tiers de personnes racisées (« selon la colonialité eurocentriste » précise l’auteur)9.

Que dire d’un tel ouvrage ? Certes, on pourrait se demander, comme l’a fait Lamarre (2024), si Dupeyron n’idéalise pas les populations et un certain nombre d’aspects en jeu dans la discussion. On pourrait également interpeller l’auteur sur la voie à suivre pour concrétiser ce projet d’école des communs dans la forme sociale actuelle avec ses appareils idéologiques et répressifs d’État. Il n’en demeure pas moins que l’intérêt de la proposition est précisément sa radicalité et son ambition, appelant indirectement le lecteur à s’emparer des nombreux thèmes traités dans l’ouvrage plutôt que de les mettre sous le tapis.

Conclusion

En conclusion, nous souhaiterions revenir sur l’hypothèse envisagée au début de cette recension. Nous évoquions en ouverture l’éventualité de considérer ces trois productions comme les pièces d’un même dispositif. Quel serait ce dispositif et qu’aurait-il de particulier ? Tout d’abord, il faudrait mettre en évidence la singularité de ces trois ouvrages. Sur la forme, plusieurs éléments distinctifs peuvent être relevés : le recours à des scènes, le souci du récit et de la narration, la circulation entre le présent et le passé (et entre le passé et le présent), la rigueur dans le vocabulaire et la volonté de redélimiter l’espace de réflexion à partir de nouveaux repères et de nouvelles références. Ces aspects ne renvoient pas seulement à une politique d’écriture mais bien à une forme de pensée spécifique, ce qui signifie que les choix de forme sont profondément liés à des positionnements de fond. On perçoit dans ces trois ouvrages que Dupeyron a cherché à articuler, d’une part, histoire et philosophie, et d’autre part, questions éducatives et questions politiques pour construire une proposition philosophique fondamentalement liée à une conception de l’histoire et à un souci de l’archive.

Ensuite, il nous faudrait revenir sur l’articulation de ces trois projets. À cet égard, il nous semble que l’ordre des parutions est trompeur, puisque la première publication porte sur l’École et non, strictement, sur les questions politiques, ce qui pourrait suggérer implicitement que le changement de l’École précédera le changement de société. Il s’agirait là d’une surinterprétation malheureuse. Nous faisons au contraire l’hypothèse qu’il s’agit d’un triptyque, au sens ordinaire du terme : une œuvre en trois volets qui peut se replier sur celui du milieu. Cette analogie est stimulante car si l’on se fie à l’ordre chronologique, c’est l’ouvrage Commun-e qui constitue le volet du milieu parmi les trois ouvrages évoqués.

Ce livre sur le(s) commun(s) durant la Commune, qui a été l’occasion pour l’auteur de rencontrer d’autres manières théoriques et concrètes de penser le politique et l’éducation, représente sans doute l’émergence d’un programme orienté vers les pensées et savoirs d’en bas, situés en dehors des zones et territoires mis en lumière par les paradigmes dominants. Au contact de ces problématisations alternatives où les enjeux sont mêlés les uns aux autres (enjeux sociaux, politiques, économiques, éducatifs, etc.), le chercheur en philosophie est amené à s’intéresser à la manière dont ces pensées spécifiques du commun peuvent questionner le champ éducatif mais aussi à la manière dont des formes spécifiques d’éducation issues d’autres contextes sociaux abordent, explicitement ou implicitement, ces enjeux. Ce qui se jouerait ici, c’est une sorte de déchirure dans le tissu de la pensée contemporaine dominante pour donner à voir et à lire d’autres manières de concevoir l’articulation éducation-politique-commun qui cherchent moins à se débarrasser de certains termes (République, citoyens, démocratie, éducation, École) qu’à leur redonner un sens et à susciter un enthousiasme à leur égard en adéquation avec des valeurs jugées non négociables.

En cela, la lecture de ces trois ouvrages imposants (respectivement 306, 406 et 266 pages) permet bien, selon nous, de cerner la spécificité des réflexions engagées par Dupeyron depuis quelques années en lui reconnaissant deux mérites incontestables. En effet, de plus en plus de collègues semblent aujourd’hui s’intéresser aux perspectives critiques en philosophie de l’éducation, parfois au détriment de la lecture des classiques de ce type de philosophie, en privilégiant les initiatives du présent et en suivant les évolutions du champ éditorial et parfois certaines modes pédagogiques. Le premier mérite du travail de Dupeyron est d’insister sur un double geste préalable : non seulement faire l’inventaire du magasin mais également s’intéresser aux poubelles de l’Histoire10 (avec un grand H)11. Par ailleurs, il faut faire remarquer que l’époque contemporaine ne se distingue pas nécessairement par le souci des nuances. Or, à force de raisonnements tranchés et manichéens, les discussions s’enlisent, la nuit tombe, et comme le rappelle le proverbe : la nuit, tous les chats sont gris. Sans maîtrise de la lumière projetée, de la mise en scène et sans cartographie, il est difficile de se repérer et de tracer sa route dans la pensée et dans la vie en général. Le second mérite du travail de Dupeyron est donc de mettre en lumière des subtilités et de développer, dans l’écriture, une politique du détail. Ainsi, ses lecteurs sont en mesure d’appréhender les discussions avec nuances. Si l’on estime que l’hospitalité, l’habitabilité, l’universalité et qui sait, la convivialité, sont des impératifs qui s’imposent aux éducateurs contemporains, qu’est-il, dès lors, souhaitable et nécessaire de faire ? On pourrait y voir du tact, un sens éthique dans la manière de faire la démonstration de la preuve, mais on peut aussi estimer qu’il s’agit d’un véritable geste épistémologique qui se déploierait dans l’élaboration et la communication de la pensée de l’auteur : la contextualisation et la démonstration sans parler à la place des acteurs pour conserver la complexité de leurs positions et de leurs actions, sans les dénaturer, sans les figer et les assujettir, pour que celles-ci puissent interpeller les contemporains et que le contraste avec l’état des institutions éducatives contemporaine puisse apparaître par-delà la rhétorique et les jeux de langage du quotidien12.

Ainsi, Dupeyron montre que l’on peut correspondre à la figure typique du philosophe de l’éducation, mobilisant des corpus, posant des questions philosophiques au cœur de l’entreprise éducative et cherchant à diagnostiquer l’actualité éducative (Prairat 2019 ; Riondet, 2025), tout en abordant le travail philosophique en s’intéressant à une pluralité de références et d’expériences qui sortent de l’ordinaire et des normes du champ. Si l’histoire de la pédagogie a pratiquement disparu du champ académique et universitaire, on voit avec Dupeyron ce qu’un certain type d’intervention philosophique pourrait représenter dans le paysage institutionnel en faisant vivre une stimulante approche matérialiste de la pédagogie. Les formations en sciences de l’éducation, les instituts supérieurs de professorat et d’éducation, ainsi que les espaces et réseaux dédiés à la pédagogie gagneraient sans doute à introduire dans leurs cursus et dans leurs débats ce genre de réflexions argumentées, exigeantes et constructives. Si certaines réflexions ont déjà été abordées et médiatisées par Christian Laval et ses collaborateurs, on voit que le champ éditorial est plus riche qu’il n’y paraît, puisque Dupeyron et d’autres en philosophie13, comme Jean-Marc Lamarre, Eric Dubreucq, Henri Louis Go, Normand Baillargeon, Renaud Hétier, Irène Pereira, Valentin Schaepelynck et Michaël Pouteyo, ou en histoire de l’éducation, comme Charles Heimberg, Frédéric Mole, Hugues Lenoir, Sylvain Wagnon, et plus récemment Jean-Charles Buttier et Delphine Patry, contribuent, aux côtés de nombreux autres collègues14, à faire vivre des sciences critiques de l’éducation qui mobilisent d’autres références (issues du monde ouvrier, du marxisme et de l’anarchisme, ou de traditions de pensée critique plus récentes) que celles véhiculées par les discours dominants qui traversent le champ éducatif et parfois le champ académique. On comprend dès lors que le recenseur a moins choisi de discuter de certains détails en jeu dans ces trois livres que de rendre compte d’une forme de pensée qui a toute sa place dans la grande bibliothèque du monde15 au rayon « philosophie critique de l’éducation » en attendant, comme d’autres, de rencontrer son public.

Bibliographie

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Dommanget, Maurice (1964). L’enseignement, l’enfance et la culture sous la Commune. Éditions-Librairie de l’Étoile.

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Dupeyron, Jean-François (2021b). Xavier Riondet, L’expérience Vrocho à Nice. Controverses et résistances du quotidien au cœur de l’évolution des normes, Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2019, 260 p. Le Télémaque, 59/1, 181-184. https://doi.org/10.3917/tele.059.0181.

Dupeyron, Jean-François (2022). Henri-Louis Go & Xavier Riondet, Hospitalité en éducation ? Recherches en éducation, 47, https://doi.org/10.4000/ree.10509.

Dupeyron, Jean-François (2023). À côté de Freinet, Henri Louis Go et Xavier Riondet. Éducation & Didactique, 17/1, 99-107. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.11271.

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Ferté, Louise (2021). Jean-François Dupeyron, À l’école de la Commune de Paris. L’histoire d’une autre école, Éditions Raison et Passions, 2020, 306 p. Le Télémaque, 59/1, 177-180. https://doi.org/10.3917/tele.059.0177.

Go, Henri Louis et Prot, Frédérique-Marie (2024). Reconstruire l’école : péripéties de la forme scolaire d’éducation. EDUL

Hobsbawm, Eric (1987/2012). L’ère des empires, 1875-1914. Fayard

Lamarre, Jean-Marc (2021). Jean-François Dupeyron, À l’école de la Commune de Paris. L’histoire d’une autre école, Recherches en éducation, 44, https://doi.org/10.4000/ree.3461.

Lamarre, Jean-Marc (2024). Jean-François Dupeyron, L’école des communs, Recherches en éducation, 56, https://doi.org/10.4000/12qy4.

Mole, Frédéric (2021). À l’école de la Commune de Paris : l’histoire d’une autre école. De Jean-François Dupeyron (2020), Éducation et socialisation, 61, https://doi.org/10.4000/edso.15445.

Potier, Géraldine et Hétier, Renaud (2024). Ne plus avoir le temps, ou le risque de l’errance temporelle : considérations anthropologiques et éducatives. Recherches en éducation, 56, https://doi.org/10.4000/12qxu.

Prairat, Eirick (2019). À quoi sert la philosophie de l’éducation ? Le Monde de l’éducation, édition du lundi 11 février 2019. https://www.lemonde.fr/education/article/2019/02/11/a-quoi-sert-la-philosophie-de-l-education_5422156_1473685.html.

Puche, Amélie (2020). Jean-François Dupeyron, À l’école de la Commune de Paris. L’histoire d’une autre école, Lectures, « Les comptes-rendus », https://doi.org/10.4000/lectures.44317.

Riondet, Xavier (2017). La vie scolaire. Une étude philosophique. Recherches & éducations, 18, https://doi.org/10.4000/rechercheseducations.5259.

Riondet, Xavier (2020). L’école pour la vie de Nikolaj Frederik Grundtvig. Le Télémaque, 56, 169-173. https://doi.org/10.3917/tele.056.0169.

Riondet, Xavier (2025). Le philosophe de l’éducation, le diagnostic de l’actualité et le sens de l’École. In E. Nal (Ed.), Mélanges offerts à Eirick Prairat, p. 107-118. EDUL.

Ross, Kristin (2015). L’imaginaire de la Commune. La Fabrique.

Rouch, Jean-Louis (1984). Prolétaire en veston : une approche de Maurice Dommanget. Éditions les Monédiaires.

Sensevy, Gérard (2019). Forme scolaire et temps didactique. Le Télémaque, 55/1, 93-112. https://doi.org/10.3917/tele.055.0093.

Notes

1 Parmi les publications de l’auteur, citons notamment : Dupeyron, J.-F. (2010). Nos idées sur l’enfance. Étude des représentations de l’enfance en Occident. L’Harmattan ; Dupeyron, J.-F. et Miqueu, C. (dir.). (2013). Éthique et déontologie dans l’Éducation nationale. Armand Colin ; Dupeyron, J.-F. (2017). La vie scolaire. Une étude philosophique. PUN-Éditions universitaires de Lorraine ; Dupeyron, J.-F., Miqueu, C. et Roy, F. (2018). Nikolaj Grundtvig : L’école pour la vie. Vrin ; Dupeyron, J.-F. et Miqueu, C. (dir.). (2022). Penser la Commune (1871). L’Harmattan. Retour au texte

2 Jean-François Dupeyron a déjà collaboré avec La pensée d’ailleurs : Dupeyron, J.-F. (2020). Être un penseur fonctionnaire : fragments d’analyse d’un problème professionnel. La pensée d’ailleurs, 2, 16-52, https://doi.org/10.57086/lpa.121. Précisons également que Jean-François Dupeyron a souvent participé à des publications collectives en lien avec l’équipe Normes & Valeurs : Dupeyron, J.-F. (2015). Foucault et la forme scolaire. Dans E. Prairat (dir.). À l’école de Foucault, p. 91-123. PUN-EDULOR ; Dupeyron, J.-F. (2018). De Foucault à Prairat : un art libéral de la punition ? Dans H.-L. Go (dir.). Éthique et éducation : questions à Eirick Prairat, p. 123-138. PURH ; Dupeyron, J.-F. (2025). Cadeaux chinés pour Eirick : une lampe, un rayon de soleil et une volière. Dans E. Nal (dir.). Histoire, philosophie et sens de l’école. Mélanges offerts à Eirick Prairat, p. 181-191. EDUL. Retour au texte

3 Dupeyron fait ici à référence à l’Anthologie de l’éducation et de l’enseignement (2010) codirigée par François Jacquet-Francillon, Renaud d’Enfert et Laurence Loeffel et publiée aux éditions Retz. Retour au texte

4 Cette hypothèse est d’autant plus plausible que la désillusion et la désunion de 1870 et 1871 étaient sans doute proprement insurmontables d’un point de vue psychologique par rapport à la place qu’entendait jouer la France dans le monde depuis plusieurs décennies. Retour au texte

5 L’industrialisation grandissante de la seconde partie du xixe siècle avait recours à un nombre croissant d’ouvriers. Les rangs du prolétariat augmentaient de manière spectaculaire en plusieurs années et cette classe sociale allait compter progressivement toujours plus d’électeurs. Ces individus allaient avoir en commun leurs conditions de vie et l’hypothèse d’une conscience de classe était susceptible de venir des équilibres politiques déjà bien fragiles (Hobsbawm, 1987/2012, p. 151-152). Les différentes industries ayant besoin de « bras à titre permanent » (ibid., p. 153), ce nouveau rapport de force n’allait pas s’arranger au fil des années et décennies, d’autant que même si le prolétariat était en fait très hétérogène, certaines idéologies et organisations essayaient d’unifier cette classe sociale composée de groupes très différents. Retour au texte

6 Plusieurs doctrines avaient été diffusées dans la première partie du xixe siècle. Robert Owen, Charles Fourier ou Saint-Simon s’étaient essayé à élaborer des communautés idéales autour de règlements spécifiques et de principes en constituant des sortes de contre-sociétés. Par conséquent, différentes filiations socialistes ont coexisté : il fut question de socialisme intégral, communautaire, communaliste, collectiviste et même républicain (ibid., p. 73-77). Retour au texte

7 Les différents comptes-rendus publiés à partir du livre de Dupeyron ont insisté sur la singularité de cette production : une forme atypique, à partir d’enquêtes historiques (Mole, 2021) et d’une écriture respectueuse de ces acteurs oubliés (Ferté, 2021), mais au service d’un positionnement de fond, s’intéressant moins à la spécificité des pratiques pédagogiques mais à la manière dont les grands thèmes de la philosophie de l’éducation sont à l’œuvre dans ces épisodes historiques oubliés (école, émancipation, etc.). Dans ce cadre, ce qui pourrait apparaître comme un défaut (le fait d’insister sur le dualisme et l’opposition « une école contre une autre ») (Mole, 2021) se transforme en stratégie : appliquer une logique radicale de présentation pour interpeller le lecteur dans son rapport à l’actualité. Retour au texte

8 Nous renvoyons le lecteur au dossier consacré par La pensée d’ailleurs (no 5) à la pensée d’Augustin Berque qui nous semble emblématique de cette volonté de s’ouvrir à d’autres références et notions que celles utilisées classiquement dans le champ des recherches sur l’éducation. Cf. : https://doi.org/10.57086/lpa.319. Nous avons formulé à plusieurs reprises (en 2019 puis en 2023) l’idée selon laquelle il fallait « désoccidentaliser l’histoire de la pédagogie ». Nul doute que Dupeyron se distingue aujourd’hui dans le champ par son souci de désoccidentaliser la philosophie de l’éducation francophone. Retour au texte

9 Dupeyron écrit avec ironie : « Certains y verront l’amorce d’un “grand remplacement” philosophique » (2024, p. 247). Retour au texte

10 Cette idée est aussi à l’œuvre dans l’article sur la question de l’émancipation dans les mouvements étudiants publié dans ce numéro de La Pensée d’ailleurs (https://doi.org/10.57086/lpa.1304). Retour au texte

11 Il y a sans doute dans le travail de Dupeyron une grande Histoire (avec un « H » majuscule) qui correspond à un ordre historique à partir duquel se légitiment les discours normatifs et les institutions et une autre histoire dans laquelle coexistent des essais, des tentatives, des espoirs, des élaborations, et parfois des échecs, mais qui rend compte d’une critique dédoublée d’une créativité qui échappe à la mémoire des contemporains. Retour au texte

12 Ce qui pose sans doute la question de la politisation du langage de l’éducation. Retour au texte

13 On pourrait évoquer également certains aspects du travail de Stéphane Douailler, de Patrice Vermeren ou, plus récemment, de Bertrand Ogilvie dans Inclassable enfance (2024). On peut également avoir à l’esprit certains travaux de Vincent Charbonnier et d’Hervé Toboul et les productions des collègues en philosophie politique qui, à partir de Spinoza, Nieztsche, Althusser, Foucault, Derrida, Deleuze, Guattari ou Rancière, s’intéressent ponctuellement ou régulièrement aux questions éducatives. Retour au texte

14 Cette liste de collègues n’est évidemment pas exhaustive. Retour au texte

15 Nous faisons référence à une formule de l’historien de la littérature William Marx. Retour au texte

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Référence électronique

Xavier Riondet, « Éducation et commun », La Pensée d’Ailleurs [En ligne], 7 | 2025, mis en ligne le 22 octobre 2025, consulté le 03 décembre 2025. URL : https://www.ouvroir.fr/lpa/index.php?id=1291

Auteur

Xavier Riondet

Professeur des universités, université Rennes 2, CREAD (EA 3875). Chercheur associé au LISEC (UR 2310) et à l’équipe Normes & Valeurs.

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