Saxo Grammaticus à l’épreuve du médiévalisme : l’exemple de la série Vikings de Michael Hirst

  • Saxo Grammaticus to the Test of Medievalism: Michael Hirst’s Vikings series
  • Saxo Grammaticus auf dem Prüfstand des Mediävismus: Das Beispiel der Serie Vikings von Michael Hirst

DOI : 10.57086/sources.924

p. 43-61

La contribution s’attache à étudier comment le scénariste Michael Hirst a exploité la matière narrative entourant la légende de Ragnar aux Braies velues pour le scénario de la série Vikings (2013-2020), à travers l’exemple précis des Gesta Danorum de Saxo Grammaticus. Malgré un souci de réalisme revendiqué, Hirst a surtout cherché à renforcer l’analogie entre le passé et le présent, en proposant une galerie de portraits attachants et proches du téléspectateur. Pour ce faire, le scénariste a procédé à une normalisation mais aussi une féminisation des personnages.

This contribution studies the way screenwriter Michael Hirst used the narrative material surrounding the legend of Ragnar Hairy-Breeches for his Vikings series (2013–2020), by focusing on his use of Saxo Grammaticus’s Gesta Danorum. Despite his commitment to realism, Hirst especially sought to reinforce the analogies between past and present by creating a series of endearing characters that the viewers would feel close to. In order to do so, the screenwriter both normalised and feminised the characters.

Der Beitrag untersucht, wie der Drehbuchautor Michael Hirst das narrative Material rund um die Legende von Ragnar Lod-brok („Lodenhose“) für das Drehbuch der Serie Vikings (2013–2020) am konkreten Beispiel der Gesta Danorum des Saxo Grammaticus verwertet hat. Trotz seines erklärten Bemühens um Realismus ging es Hirst vor allem darum, die Analogie zwischen Vergangenheit und Gegenwart zu verstärken, indem er viele liebenswerte und dem Zuschauer nahestehende Figuren konzipierte. Um dies zu erreichen, nahm der Drehbuchautor eine Normalisierung ebenso wie eine Feminisierung der Charaktere vor.

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Michael Hirst face au défi des sources médiévales scandinaves

Parmi les nombreux personnages qui peuplent les Gesta Danorum de Saxo Grammaticus, tous n’ont pas connu la même fortune. Certains ont rapidement sombré dans l’oubli, tandis que d’autres ont été immortalisés à travers d’innombrables adaptations artistiques. Plusieurs contributions du présent volume sont consacrées à la figure la plus célèbre évoquée par Saxo : Amlethus. Mais il en est une autre, qui a également été promise à une illustre destinée : Regnerus Lothbrog, mieux connu sous son nom norrois Ragnarr loðbrók, c’est-à-dire Ragnarr aux Braies velues1. Regnerus est introduit dans le neuvième livre des Gesta à partir du 3e chapitre. Dans la traduction française par Jean-Pierre Troadec, 22 pages sont dédiées au héros et à ses fils2. Même si la popularité de Ragnarr aux Braies velues ne s’est jamais démentie, le personnage a accédé à une nouvelle célébrité planétaire à partir de 2013, grâce à la série télévisée Vikings, écrite par le Britannique Michael Hirst pour la chaîne américaine History3.

Pour échafauder le scénario de cette production télévisuelle, qui compte six saisons pour un total de 89 épisodes4, Hirst a eu recours à plusieurs œuvres du Moyen Âge nordique, mais aussi à des annales et des chroniques continentales, irlandaises et britanniques faisant mention de chefs vikings du nom de Reginheri ou Ragenarius/Raginerus ou de Lotrocus/Lothbrocus et de figures historiques qui ont été interprétées comme ses fils. Précisons d’emblée que les Gesta de Saxo ne constituent pas la source principale de Hirst, exception faite de la matière narrative qui concerne l’héroïne Lagertha (orthographié Lathgertha dans l’édition de Paris des Gesta). En effet, cette dernière est inconnue des autres textes scandinaves. Dans l’ouvrage The World of Vikings, paru en 2015 en guise d’accompagnement à l’œuvre télévisuelle, l’archéologue Justin Pollard qui a épaulé le scénariste en tant que consultant historique a dressé une liste de leurs sources primaires5. Sans surprise, il cite en premier lieu les sagas islandaises légendaires Ragnars saga loðbrókar (Saga de Ragnarr aux Braies velues) et Ragnarssona þáttr (Dit des fils de Ragnarr). Il mentionne ensuite les poèmes scaldiques, la Ragnarsdrápa (Poème en l’honneur de Ragnarr) attribuée à Bragi Boddason et le poème anonyme Krákumál (Chant de Kráka). Il poursuit en énumérant plusieurs sagas de la catégorie des sagas des familles et des sagas légendaires. Puis, il indique les Eddas et le recueil de sagas royales Heimskringla de Snorri Sturluson et, en vingtième position, il signale enfin les Gesta de Saxo. Pollard n’éclaire en rien l’ordre dans lequel les références sont données, mais nous pouvons d’entrée de jeu supposer, avant même d’avoir amorcé la moindre analyse, que le rang très modeste attribué à la fresque danoise ne paraît pas lui rendre justice.

Concevoir un canevas à partir de sources d’origines aussi diverses, s’étirant depuis le ixe jusqu’au xiiie siècle, ne s’annonçait pas chose aisée, mais tout semblait indiquer que Hirst était particulièrement bien armé pour réussir à transposer la vie du chef légendaire danois et de ses fils au petit écran. De fait, il s’est spécialisé dans les films et les séries télévisées à caractère historique (Elizabeth en 1998 et Elizabeth : The Golden Age en 2007, la série The Tudors et la première saison de The Borgias). Aussi le spectateur pouvait-il s’attendre à une certaine rigueur dans le traitement des sources médiévales et un véritable souci de réalisme de la part de Hirst. Ce dernier a effectivement souligné à plusieurs reprises, notamment dans des entretiens, qu’il s’était entouré d’une équipe d’historiens et de conseillers, afin de garantir la vraisemblance et le caractère historique de son œuvre. Parmi les objectifs clairement annoncés dans la préface à l’ouvrage The World of Vikings, Hirst déclare qu’il souhaitait, entre autres, déconstruire l’image que la postérité s’est forgée des anciens Scandinaves : « Afin de rendre justice à ces féroces pirates nordiques, qui ont tant rempli d’effroi nos ancêtres, nous devons libérer notre esprit de l’accumulation de préjugés et d’idées toutes faites qui les entoure depuis toujours6. »

Dans cet article, je me propose précisément d’examiner comment le créateur de Vikings a abordé certaines sources médiévales dans ses efforts de restituer le contexte spatio-temporel du haut Moyen Âge nordique, mais aussi quel regard il porte sur cette civilisation. Il ne saura être question ici que d’une étude volontairement réductrice, axée sur la façon dont Hirst a réutilisé la matière narrative en rapport avec la légende de Ragnar dans les Gesta de Saxo. Mon analyse relève du médiévalisme, c’est-à-dire l’étude des réappropriations par la postérité de la matière et des thématiques médiévales, mais aussi la réception de la période elle-même. Il s’agit d’un champ disciplinaire encore relativement jeune7. Mais il ne paraît pas trop audacieux d’affirmer de façon liminaire que les difficultés liées à l’exploitation de sources anciennes, si elles ne sont pas inhérentes aux productions actuelles issues des médias de grande diffusion, risquent de se poser avec une plus grande acuité dans une série telle que Vikings que, par exemple, dans les romans historiques du xixe siècle. Pourtant, Claudie Bernard a montré que les auteurs romantiques se heurtaient déjà à ce qu’elle appelle des « tentations “romanesques”8 » qui menaçaient la restitution fidèle du passé. Cette dernière était constamment mise en péril par un penchant pour « le pittoresque, ou la “couleur locale” […], “l’aventure” [et le] “sentimental”9 ». Or, il s’agit précisément là d’éléments constitutifs majeurs dans les œuvres contemporaines relevant des industries culturelles et créatives ! Comment dès lors aborder un texte ancien, y puiser des motifs et des intrigues qui sauront parler à un public moderne, tout en cherchant à recréer avec exactitude la civilisation des Vikings ? Nous verrons que Hirst a été, à l’évidence, sans cesse tiraillé entre différentes ambitions irréconciliables, voire parfois diamétralement opposées.

Le souci de réalisme : comment normaliser les Vikings

L’une des premières préoccupations qui semble avoir animé Hirst dans son exploitation de la matière ancienne est celle d’une certaine forme de réalisme et de crédibilité. Aussi tous les éléments prodigieux présents chez Saxo, mais aussi dans la Saga de Ragnarr aux Braies velues et le Dit des fils de Ragnarr, ont-ils été gommés.

Estomper à tout prix ce qui est fabuleux

Dans la tradition médiévale, la légende de Ragnar est étroitement liée au récit de luttes contre des bêtes de toutes sortes. Ces épisodes, relevant du registre merveilleux, se déroulent dans le cadre d’une quête amoureuse où le personnage doit affronter des animaux sauvages, voire monstrueux pour prouver sa vaillance et sa virilité. Dans les Gesta, Regnerus est d’abord forcé de terrasser un chien et un ours que Lathgertha a elle-même placés devant sa maison pour décourager les ardeurs du soupirant10. Par la suite, le protagoniste triomphe de deux serpents élevés par Thora, fille du roi Herothus de Suède, devenus gigantesques à l’âge adulte11. Ayant vaincu ces reptiles féroces, Regnerus peut enfin épouser la jeune fille. Cette péripétie figure aussi dans les textes islandais, où il est question d’un seul serpent, gardé par la belle Þóra12. À l’occasion du combat contre un ou plusieurs monstres ophidiens, le héros conquiert non seulement la femme : il gagne aussi un nom. De fait, la tenue poilue et étrange qu’il se fabrique pour résister aux morsures des serpents lui vaudra d’être affublé du surnom curieux qu’on lui connaît : « Lothbrog » chez Saxo, « loðbrók » dans les sources norroises, c’est-à-dire aux Braies velues. L’origine de son accoutrement est évoquée à la fois dans la fresque danoise et dans les récits islandais, mais seul Saxo insiste sur le caractère ridicule de l’ensemble, à travers la réaction hilare du roi Herothus. C’est lui qui attribue le sobriquet de Lothbrog à Regnerus13.

Sans surprise aucune, dans Vikings, on ne trouve nulle trace d’un affrontement entre Ragnar et des serpents géants. Mais la suppression de ce récit légendaire a comme conséquence de ne jamais éclairer le sens et l’origine du surnom insolite du héros dans la série. Au fil des épisodes et des rencontres, aucun personnage ne s’interroge d’ailleurs sur sa signification. Pire encore, Lothbrok est parfois perçu comme un patronyme, donné aux fils de Ragnar de temps à autre14 ! De peur qu’un certain lectorat ne comprenne pas le véritable sens du nom de Lothbrok ou loðbrók, l’éditeur Anacharsis a décidé, au moment de rééditer la saga, de substituer le titre original en français Saga de Ragnarr aux Braies velues par la variante La Saga de Ragnarr loðbrók15.

L’unique vague référence aux histoires extraordinaires de joute avec des bêtes sauvages que Hirst a décidé de conserver dans la série se trouve au début de l’épisode 1 dans la première saison, au moment où Ragnar se rend au þing avec son jeune fils, Björn. Le soir, avant de s’endormir, le père raconte comment il a cherché à prouver son amour à Lagertha, afin d’obtenir sa main16. Conformément à la narration de Saxo, il relate que la maison de la bien-aimée était gardée par un ours et un chien énorme. Il explique qu’il a tué le premier avec sa lance (chez Saxo, c’est à l’aide d’une flèche17), puis qu’il a étranglé le deuxième de ses propres mains. À l’instar du téléspectateur, le jeune Björn n’est pas dupe et ne semble pas y prêter grande foi. Peut-être le scénariste a-t-il choisi d’inclure cette brève anecdote malgré tout, car elle constitue un clin d’œil certes modeste, mais indéniable aux Gesta et un lointain écho à l’intime corrélation qui semble exister dans la tradition danoise mais aussi islandaise entre le protagoniste et les combats contre des animaux féroces.

Sur un autre point précis, et encore pour des raisons de vraisemblance, le créateur de Vikings a décidé de ne pas suivre la trame narrative tissée par Saxo. En effet, dans la fresque danoise et dans l’œuvre télévisée, nous ne faisons pas la connaissance du personnage principal au même moment de sa vie. Hirst, tout comme la tradition islandaise, s’intéresse au héros in medias res, au moment où celui-ci est déjà dans la fleur de l’âge. L’auteur des Gesta, en revanche, démarre le récit ab ovo et relate dans un premier temps les enfances fabuleuses de Regnerus. Ce dernier apparaît dans le chapitre 3 du livre IX au moment où le royaume de Seeland, gouverné par son père Sywardus Ring, subit une attaque perfide de la part d’un cousin du roi, Ringo, lui-même souverain du Jutland. Lorsqu’ils apprennent le retour imminent de Sywardus Ring, les Seelandais ne savent plus quelle cause embrasser. Le jeune Regnerus fait alors preuve d’une grande maturité et éloquence. Il s’adresse à ses concitoyens hagards et il parvient à leur insuffler le courage et la détermination de se dresser contre Ringo. Tout le monde loue les qualités extraordinaires de l’enfant, qui laissent présager un règne grandiose. Même s’il ne faut pas prendre la formulation au pied de la lettre, Saxo précise tout de même que Regnerus est, à ce moment-là, « tout juste sorti du berceau18 ». La tradition norroise ne fait pas mention de ces enfances remarquables et elles sont aussi totalement passées sous silence dans Vikings.

De façon générale, Hirst a procédé à une normalisation de Ragnar et des autres personnages dans son adaptation télévisée. Malgré leurs exploits militaires, succès politiques et voyages épiques, les protagonistes de Vikings restent des hommes tout à fait ordinaires. Ainsi, une différence cruciale entre le Ragnar de Hirst d’une part et Regnerus Lothbrog et Ragnarr loðbrók d’autre part est leur origine sociale. Si les héros médiévaux sont des jeunes princes danois19, le personnage conçu par Hirst est un simple paysan. Il n’appartient pas à l’élite politique ou sociale et rien ne le destine à la gloire. En effet, lorsqu’il ne guerroie pas sur les routes de l’est, il s’occupe de sa modeste exploitation agricole et pêche. Ce n’est qu’à partir du moment où il décide de ne plus se soumettre aux dictats du jarl Haraldson de Kattegat, qui refuse de lui accorder le droit d’aller explorer les routes de l’ouest, que Ragnar va pouvoir accéder à un autre rang social. Il entre alors en conflit direct avec le jarl, le tue lors d’un duel et prend sa place. Dans la saison 2, il épouse la princesse Aslaug, qui lui donnera une nombreuse descendance. Mais malgré son statut de jarl, il continue encore de se définir avant tout comme un fermier, alors que la série ne le montre plus en train de se livrer à la moindre activité agricole20. Pourtant, en éliminant le souverain Horik, il finit par monter sur le trône danois. Le Ragnar de Hirst constitue donc l’exemple même de l’arriviste qui parvient à accéder aux plus hautes responsabilités, grâce à son ambition et à sa bonne fortune. Il incarne l’idéal du self-made-man, si souvent célébré dans la culture populaire américaine à travers l’histoire d’une ascension spectaculaire21, transposée ici dans le cadre spatio-temporel des viiie et ixe siècles nordiques. Grâce à cet effort de normalisation des héros, le scénariste a clairement cherché à provoquer une forme d’identification entre le téléspectateur et les Vikings. Mais afin que cette complicité puisse s’instaurer entre l’homme moderne et celui du passé, il a d’abord fallu procéder à une désidéalisation de ce dernier.

Descendre le Viking de son piédestal

Depuis le xixe jusqu’au début du xxe siècle, dans les ouvrages historiographiques, mais aussi dans les arts, la tendance était à la glorification des anciens Scandinaves, généralement vilipendés par les chroniqueurs des monastères pillés22. Mais les Gesta de Saxo et les sagas constituent la preuve que les lettrés en Europe du Nord commencent déjà à porter un regard très idéalisateur sur les mythes anciens et l’ère préchrétienne seulement une centaine d’années après la fin de l’époque viking. Or, c’est lorsque le romantisme déferle sur le continent européen et les îles britanniques que les Vikings vont faire l’objet d’une exaltation sans bornes. Cependant, depuis la deuxième moitié du xxe siècle, ils ne sont plus conçus comme des surhommes et, dans un souci de réalisme, on aspire à les représenter sous leur véritable jour. On a ainsi commencé à mettre l’accent sur leurs caractéristiques les moins reluisantes : leur saleté, leurs manières frustes et leur grande violence. La création de Hirst s’inscrit clairement dans le prolongement de cette démythification, même si nous verrons que le scénariste n’a, à l’évidence, pas totalement rompu avec une certaine forme de fascination pour les anciens Scandinaves.

De façon générale, les personnages de Vikings se caractérisent par une grande rudesse. Tout d’abord, leur hygiène est plus que douteuse. La scène où les hommes se frottent le visage, se rincent la bouche, recrachent l’eau ou se mouchent, le tout dans une vasque commune sans que l’eau soit changée, illustre cette malpropreté notoire23. La même séquence figure au début du film Le Treizième Guerrier (The 13th Warrior) de John Mc Tiernan, sorti en 1999. Le témoignage, censé être véridique, provient de Risâla, un récit de voyage rédigé par l’émissaire Ibn Fadlân, envoyé par le Califat abbasside en l’an 921 en pays bulgare24.

Dans le cas de Vikings, la scène des ablutions communes se termine sur le viol d’une esclave par Rollo, le frère cadet de Ragnar25. Les viols ou les tentatives d’agression sexuelle sont multiples dans la série et trahissent à la fois l’extrême précarité de nombreuses femmes dans la société scandinave du haut Moyen Âge – nous y reviendrons –, mais aussi le triomphe des pulsions. En effet, les personnages cèdent facilement à leurs instincts : ils sont généralement ambitieux, cupides et libidineux. La grande fête sacrificielle à Uppsala s’accompagne de l’évocation incontournable d’orgies collectives26. Mais aussi dans l’intimité du couple, on s’adonne volontiers à la luxure. Ainsi, Ragnar n’hésite pas à proposer au moine Athelstan, ramené captif après le pillage de Lindisfarne, de partager sa couche avec son épouse, Lagertha27. De la même manière, Floki invite son ami Torstein à se joindre à lui et sa compagne Helga28, et Ubbe, fils de Ragnar, propose à son frère Hvitserk de partager le lit nuptial avec lui et Margrethe, puisqu’il sait que Hvitserk l’aime29. La jeune mariée s’inquiète de la jalousie des frères, mais Ubbe déclare que ce ne sera pas le cas, puisqu’ils sont des Vikings, sous-entendu donc que leur civilisation admet une grande liberté sexuelle30. Ici, il n’est absolument pas question d’une quelconque violence faite aux femmes, puisque celles-ci semblent enchantées à la perspective de ces ébats. La légèreté des mœurs des anciens Scandinaves est un cliché tenace et, de ce point de vue, Hirst ne fait que restituer l’avis des auteurs médiévaux tel qu’Adam de Brême, mais aussi Ibn Fadlân, mentionné ci-dessus.

Par ailleurs, les Vikings se caractérisent par leur gloutonnerie : surtout dans les deux premières saisons, nous les voyons sans cesse manger ou, du moins, grignoter quelque chose. Invités à la cour du roi Aelle de Northumbrie, leurs manières de se tenir à table sont absolument grotesques et tranchent avec la discrétion des Anglo-Saxons. Ils sont voraces, se servent sans y avoir été invités, mangent avec les mains, rotent, rient fort et s’amusent à casser la vaisselle31. Probablement, en agissant de la sorte, espèrent-ils que le souverain leur fasse une offre généreuse pour se débarrasser au plus vite de ces envahisseurs brutaux. Plusieurs scènes illustrent aussi leur goût immodéré pour les boissons alcoolisées et l’ivresse. Mais surtout, les personnages se distinguent par leur grande violence, leur ardeur au combat et leur absence totale de peur, ce qui déconcerte et terrifie leurs ennemis. En outre, les Vikings dans la série pratiquent une méthode d’exécution particulièrement sanguinolente : l’aigle de sang, infligé au jarl Borg32 et au roi Aelle33. Hirst s’est directement appuyé ici sur les sources médiévales, qui affirment que Aelle a été tué de cette manière précise par les fils de Ragnar afin de venger la mort de leur père. C’est le cas de la Saga de Ragnarr aux Braies velues et le Dit des fils de Ragnarr, mais aussi des Gesta34. Des trois textes, c’est le Dit des fils de Ragnarr qui livre la description la plus féroce et spectaculaire du traitement infligé au souverain de Northumbrie et c’est évidemment celle-ci qui a servi de modèle aux deux scènes de l’aigle de sang dans Vikings : « Ils firent tailler un aigle dans le dos d’Ella puis séparer toutes les côtes de l’échine avec une épée, de façon à lui arracher par là les poumons35. »

Parmi les nombreux protagonistes de la série, quelques personnages paraissent concentrer les pires excès qu’on puisse imputer aux anciens Scandinaves. Est-ce que le scénariste a conçu ces héros en demi-teinte afin que la cote de popularité des autres personnages en ressorte grandie auprès du téléspectateur ? La question mérite d’être posée tout d’abord en ce qui concerne Rollo. Fondé sur la figure historique de Rollon (par ailleurs, absent des Gesta), le futur premier duc de Normandie, Hirst a greffé son destin à l’épopée de Ragnar et de sa descendance, tout en s’accommodant très largement de la chronologie historique36. Rollo est un être impulsif et un combattant redoutable. Lors de la première bataille pour essayer de prendre Paris, il est insinué qu’il serait une sorte de berserkr, un guerrier-fauve. Nous le voyons à la tête d’une petite troupe d’élite constituée de champions enragés. Ceux-ci se battent torse nu, même si certains portent, en plus, des peaux de loups. Ils vocifèrent, tout en tapant leur hache contre le bouclier37. Mais déjà auparavant, Rollo s’était distingué durant les combats par une frénésie qui étonne, voire horrifie son propre entourage38. Dans The World of Vikings, il n’est laissé aucun doute sur sa véritable nature, puisqu’il est qualifié explicitement de berserkr39.

Le caractère sanguinaire et brutal des Vikings atteint son apogée en la personne d’Ivar, le plus jeune fils de Ragnar, surnommé le Désossé (« Boneless » en anglais) à cause d’une infirmité congénitale aux jambes. Même s’il connaît une certaine évolution au cours de la dernière saison de la série – son tempérament se radoucit un peu et il devient davantage capable d’empathie –, il demeure l’incarnation de la cruauté et du sadisme. Il prend manifestement plaisir à infliger une mort douloureuse à ses adversaires, comme le prouve son comportement lors de l’exécution du roi Aelle par l’aigle de sang. Avec fascination, il rampe jusqu’au souverain torturé pour observer de près le visage tordu par la douleur40. Puis, lors du pillage de York au début de la saison 5, Ivar s’amuse à supplicier un prêtre, en lui versant du métal en fusion dans la bouche. La séquence se clôt sur l’hilarité du personnage41. Ce dernier laisse un très grand nombre de morts dans son sillage, parmi lesquels son propre frère, Sigurd Œil-de-serpent (« Snake in the eye »), tué de façon totalement irréfléchie dans le dernier épisode de la saison 4. De plus, au cours de la saison 5, Ivar semble développer une folie et mégalomanie aiguës, puisqu’il se prend désormais pour un dieu.

Notons que le portrait d’Ivarus et d’Ívarr ne prend jamais une apparence aussi sombre et inquiétante ni dans les Gesta, ni dans la Saga de Ragnarr aux Braies velues ou encore le Dit du fils de Ragnarr. Dans les trois textes, le jeune homme est, au contraire, loué pour sa grande sagesse et son esprit rusé. Ainsi, Saxo et les auteurs norrois ne lui prêtent pas les mêmes défauts et excès que ceux rapportés par des annales et des œuvres historiographiques antérieures42, dont semble s’être inspiré Hirst pour la création de son antihéros. L’auteur danois ignore même ou choisit de ne pas mentionner la prétendue infirmité du protagoniste, qui serait d’ailleurs liée à une mauvaise lecture ou une interprétation erronée de l’adjectif latin exosus, c’est-à-dire haï ou odieux, confondu avec exos, qui signifie sans os43.

Nous avons évoqué le besoin pour Hirst de normaliser le Viking, afin que le téléspectateur puisse s’identifier aux héros. Mais dans le but de toucher un public plus vaste, le scénariste a également procédé à une féminisation des protagonistes et des figurants. Aussi a-t-il dû concevoir un nouveau type d’héroïne.

Forger une nouvelle catégorie de personnages féminins

Dans l’historiographie mais aussi dans l’imaginaire collectif, on a traditionnellement considéré le monde scandinave ancien comme un univers ultra-masculinisé avec l’idéalisation de la figure du Viking aventurier mais surtout guerroyeur. Certes, les femmes ne sont pas absentes dans la littérature médiévale nordique, mais leur rôle dans les sagas islandaises ou dans les Eddas se caractérise fréquemment par une grande stéréotypie. Elles y jouent des rôles assez traditionnels tels que l’épouse loyale ou, au contraire, la fauteuse de trouble, la gardienne de l’honneur familial qui pousse les hommes à venger tout affront, la reine, la voyante, la sorcière, la déesse, la géante ou encore la femme guerrière ou la valkyrie. Les études historiographiques et littéraires consacrées aux femmes dans le haut Moyen Âge scandinave se sont multipliées depuis une trentaine d’années, avec l’ambition de les rendre enfin visibles44.

De ce point de vue, le texte de Saxo s’avère une source particulièrement précieuse, puisque cette fresque danoise met en scène un nombre surprenant de personnages féminins. Cette singularité a poussé la Suédoise Birgit Strand à dédier sa thèse de doctorat précisément à l’étude de ces protagonistes. Elle constate que « dans ce monde masculin [sic], nous rencontrons étonnamment beaucoup de femmes. De manière générale, Saxo est le premier auteur nordique qui livre de véritables descriptions détaillées de femmes45. » Seul Snorri Sturluson pourrait se mesurer à lui46.

Pour le créateur de Vikings, les Gesta constituent une mine d’information primordiale, car la chronique est la seule qui permette d’éclairer l’histoire de celle qui a été hissée au rang d’héroïne principale dans la série : Lagertha (Lathgertha chez Saxo), inconnue dans la tradition islandaise liée à l’histoire de Ragnar aux Braies velues. Cependant, il est possible que Lathgertha soit apparentée à un personnage mentionné dans une saga légendaire relativement méconnue : la Hálfdanar saga Brönufóstra (non traduite en français à ce jour). Y apparaît une dénommée Hlaðgerðr, qui règne sur les îles de Hlaðeyjar47. On a également voulu rapprocher Lathgertha de la divinité Þorgerðr Hǫlgabrúðr ou Hǫrðatrǫll, présente notamment dans plusieurs þættir (dits ou courts récits) dans le manuscrit du Flateyjarbók, dans la Jómsvíkingasaga (Saga des Vikings de Jómsborg) et l’Óláfs saga Tryggvasonar (Saga d’Óláfr Tryggvason), mais aussi, par exemple, dans la Njáls saga (Saga de Njáll)48. Cette figure paraît intimement liée au célèbre Hákon jarl des Hlaðir, qui lui voue un véritable culte : elle serait son esprit tutélaire. Le toponyme des Hlaðir rappelle le prénom de Lathgertha, dont l’équivalent norrois serait Hlaðgerðr ou Hlaðagerðr, comme nous l’avons vu ci-dessus. Mais dans la Saga des Vikings de Jómsborg et dans le Dit des Vikings de Jómsborg (Jómsvíkinga þáttr), on relève un autre point commun entre le personnage de Saxo et Þorgerðr Hǫlgabrúðr : elles se distinguent par leurs prouesses militaires et se battent à côté de l’homme qu’elles ont choisi de soutenir. Dans le cas de Þorgerðr (rapidement rejointe par sa sœur Irpa), son ardeur belliqueuse est clairement d’origine surnaturelle. Dans ces textes, elle est présentée comme une géante et une magicienne qui provoque un déluge de grêle afin d’accabler les adversaires de Hákon jarl49.

La femme guerrière

Chez Saxo, la première apparition de Lathgertha a aussi lieu dans un contexte de guerre. Regnerus se rend en Norvège, royaume qui appartenait à son grand-père. Cette expédition fait suite à l’invasion de la Norvège par le roi de Suède, Frø. Comble de l’horreur, le souverain suédois en a profité pour faire enfermer plusieurs femmes norvégiennes dans un lupanar. Le détail est important, car il permet à Saxo de justifier du point de vue moral le recours de Regnerus à l’assistance militaire de ces femmes : « Alors, celui qui ferait payer l’affront infligé à leur sexe ne ressentit aucune honte à profiter de leur aide, puisque leur lutte contre l’infâme était aussi celle de leur vengeur50. »

Bien que l’auteur danois exprime une admiration certaine pour leur bravoure, il est clair qu’il n’approuve pas vraiment le choix des combattantes de s’habiller en hommes et de livrer bataille. Néanmoins, il a l’honnêteté de reconnaître que leur intervention dans le conflit armé se révèle absolument décisive et que, sans elles, Regnerus ne l’aurait probablement pas emporté sur l’ennemi suédois. Le mérite de la victoire revient surtout à Lathgertha, décrite dans des termes très élogieux, qui insistent à la fois sur ses qualités martiales mais aussi sur son apparence avantageuse. Saxo s’attarde surtout sur les cheveux de l’héroïne qui, si on pouvait en douter, confirment sa féminité51.

Ce type de guerrière est relativement bien représenté dans les Gesta et témoignerait de l’influence de la culture antique sur Saxo, puisqu’il rappelle les Amazones ou le personnage de Camille dans l’Énéide52. Mais dans les Eddas et les sagas légendaires islandaises, on trouve aussi des équivalents de femmes martiales sous les traits de valkyries et de vierges au bouclier, les fameuses skjaldmeyjar, qui rejettent le mariage, les activités propres au sexe féminin et qui préfèrent mener une vie belliqueuse53. Il est évident que les combattantes de Saxo se confondent avec les vierges au bouclier de la tradition norroise, d’autant plus que l’auteur les désigne souvent par le nom de virgines (virgo au singulier). Mais Jesch a aussi cru voir une allusion aux valkyries dans l’évocation de Lathgertha durant une seconde bataille, où son intervention s’avère une nouvelle fois décisive. Saxo relate comment, au bout de trois ans de mariage, Regnerus quitte sa première femme pour épouser Thora. Mais lorsqu’il doit subitement affronter un adversaire politique redoutable, Lathgertha n’hésite pas à lui prêter main forte. Dans la mêlée, elle se bat « en volant de-ci de-là, dans le dos de ceux qu’elle encerclait par surprise54. » Saxo entendait peut-être que la guerrière voletait au sens figuré, mais Jesch interprète l’image de manière littérale et y voit une parenté entre l’héroïne et les valkyries55.

Afin de nourrir le portrait de son personnage féminin principal, Hirst a exploité tous les éléments narratifs fournis par les Gesta en rapport avec Lathgertha. Lorsque nous faisons sa connaissance dans le premier épisode de la première saison, elle mène une vie familiale paisible auprès de Ragnar et de leurs deux enfants, mais son passé de combattante est mentionné à plusieurs reprises. Hirst a transposé le terme de vierge au bouclier, skjaldmær, directement en anglais et, dans la suite de la série, Lagertha ainsi que les autres femmes martiales qui y feront leur apparition sont désignées par l’appellation shieldmaidens. Le scénariste a donc pris le récit de Saxo au pied de la lettre et considère que ce type de figure ne constitue pas seulement un personnage mythologique et légendaire, mais qu’il correspond aussi à une réalité historique. C’est désormais également le cas de nombreux historiens et archéologues œuvrant en Scandinavie. En 2016, c’est-à-dire trois ans après le lancement de Vikings, les résultats d’une analyse ADN effectuée sur l’un des squelettes les plus célèbres de Birka, centre marchand de l’époque viking sur l’île de Björkö, à quelques kilomètres à l’ouest de Stockholm, ont confirmé que le défunt de la tombe Bj.581, l’une des tombes les plus riches de Birka en mobilier funéraire, notamment en matière d’armes et d’équipement militaire, était en réalité une femme56. Mais déjà avant cette découverte, l’idée avait commencé à faire son chemin parmi les chercheurs scandinaves que les guerrières ne relevaient peut-être pas juste d’un imaginaire littéraire nordique57, théorie reprise donc par Hirst. Souhaitant proposer des héroïnes charismatiques qui parlent surtout à un public contemporain constitué, entre autres, de femmes émancipées, il participe au grand renversement idéologique qu’on observe dans l’historiographie mais aussi dans la culture populaire. On veut, à tout prix, accroître la visibilité d’aïeules capables de rivaliser avec des hommes. Nous constatons une nouvelle fois combien le scénariste s’est efforcé d’instaurer une connivence entre les téléspectateurs et les protagonistes.

Si Saxo réduit le rôle narratif de Lathgertha à celui d’une grande combattante, le créateur de Vikings a cherché à étoffer le portrait de son héroïne. Lagertha n’est pas qu’une shieldmaiden, elle endosse plusieurs fonctions. Le roi Ecbert ne s’y trompe pas lorsqu’il s’exclame (en anglo-saxon !) : « Elle n’est comme aucune autre femme que j’aie rencontrée. Il n’y a pas de femmes saxonnes comme elle. Je suis épris d’elle. Vierge au bouclier, guerrière, agricultrice, mère. Elle est incroyable58 ! » Tout comme Ragnar, elle va progressivement connaître une ascension sociale importante, accédant d’abord au statut de jarl de Hedeby, puis reine de Kattegat. En outre, Hirst l’érige en sex-symbol et lui prête de nombreuses conquêtes, à la fois des hommes et non des moindres (notamment le roi Ecbert), mais également des femmes (Astrid). Aussi les chercheurs italiens Riccardo Facchini et Davide Iacono perçoivent-ils Lagertha comme « un symbole féministe59 », dotée d’une liberté sexuelle absolue, mais aussi « comme une championne des thématiques queer et LGBT60 ».

Le dernier élément dans la trame narrative des Gesta en rapport avec Lathgertha a de quoi surprendre. Car si Saxo avait, jusque-là, brossé un portrait très positif de la jeune femme, louant ses qualités militaires mais aussi sa loyauté à l’égard de Regnerus, il ne manque pas ensuite de flétrir son image. De fait, il rend Lathgertha coupable d’un meurtre sournois : elle tue son deuxième mari de ses propres mains par pur orgueil : « Elle profita de la nuit pour atteindre son mari à la gorge, d’une flèche qu’elle avait cachée sous sa robe. Elle s’empara ainsi du titre et du pouvoir souverains. Femme présomptueuse, elle trouva plus plaisant de gouverner seule que de partager la fortune de son époux61 ».

Dans sa thèse, Strand constate que le portrait est effectivement très contradictoire. Elle émet l’hypothèse que Saxo, « à travers Lathgertha, cette femme énergique et active, qui ne se soumet à personne, illustre le manque de fiabilité, l’obstination et la soif de pouvoir des femmes62. » Cette vision dépréciative des femmes ne constitue en rien l’apanage des chrétiens dans le Moyen Âge occidental. Même si nous ignorons à quel point ils reflètent une éthique remontant réellement à l’époque préchrétienne, les Hávamál (Dits du Très-Haut) dans l’Edda poétique dispensent des conseils teintés d’une même idéologie misogyne, où on fustige la mauvaise foi des femmes63. Hirst a décidé de conserver l’élément narratif de l’assassinat de non pas un, mais de deux maris (ou futur mari) de Lagertha, mais il n’a, à l’évidence, pas avancé des explications aussi sexistes que celles de l’auteur des Gesta.

Être une femme dans un monde de brutes

Le personnage de Lagertha constitue la preuve que, malgré un statut élevé et des capacités exceptionnelles de guerrière, la sécurité d’une femme n’est jamais une chose acquise dans l’ancienne société scandinave. Elle est la première d’une longue série de figures féminines dans Vikings à subir la violence physique et sexuelle des hommes. Le scénariste a le mérite d’avoir souligné cet aspect, car les ouvrages d’histoire mais aussi les productions culturelles ont désormais uniquement tendance à souligner combien la femme nordique était indépendante et disposait de droits qui la protégeaient, ainsi que ses enfants. Mais nous devons peut-être aussi envisager l’hypothèse moins réjouissante que Hirst ait simplement cédé à la tentation de proposer des motifs spectaculaires, qui répondent au goût actuel du public pour les sensations fortes et les frissons. La civilisation des Vikings avec son lot de pillages, de viols et de batailles qui se transforment en véritable boucherie convient parfaitement pour ce type d’imagerie féroce, très répandue dans les médias de grande diffusion64. Dans le genre historique, les œuvres se fondent précisément sur le rapport complexe que le téléspectateur peut entretenir avec une période aussi éloignée que le haut Moyen Âge : il oscille sans cesse entre fascination et répulsion.

Afin de justifier le meurtre par Lagertha du jarl Sigvard de Hedeby, son deuxième mari, Hirst introduit le motif de la violence conjugale, phénomène certainement immémorial, mais qui trouve une tout autre résonance dans nos sociétés contemporaines. L’éclairage apporté par le scénariste pour expliquer le geste de l’héroïne est donc résolument actuel et féministe. Après avoir quitté Ragnar Lothbrok au début de la saison 2, Lagertha épouse le jarl de Hedeby, qui se montre rapidement abusif. Elle endure sa violence durant quelque temps et attend le moment opportun pour lui enfoncer un couteau dans l’œil65. Elle s’empare alors de son pouvoir et entame ainsi son ascension sociale et politique. Le deuxième assassinat commis par Lagertha visant à éliminer Kalf, son bras droit qui l’a trahie en usurpant le titre de jarl en son absence, ressemble davantage à l’épisode décrit par Saxo. Même si elle avait annoncé qu’elle lui ferait payer un jour sa traîtrise, Kalf paraît tout aussi surpris que le téléspectateur quand Lagertha le poignarde, alors qu’elle s’apprête à l’épouser66. Partant, à l’instar de son modèle du xiiie siècle, elle fait preuve d’ambition, d’un immense orgueil mais aussi de roublardise.

Même si aucune autre héroïne ne peut rivaliser avec Lagertha, Hirst propose de nombreux portraits féminins attachants. Plusieurs connaissent une évolution tragique, prouvant à quel point la position de la femme pouvait être extrêmement précaire dans la société scandinave ancienne. Même leurs compétences guerrières ne les mettent pas à l’abri d’abus. Par exemple, Astrid, vierge au bouclier et ancienne compagne de Lagertha, subit un viol collectif de la part d’un équipage de pêcheurs67. Son mariage récent avec le roi de Norvège, Harald à la Belle chevelure, ne la préserve pas d’un tel outrage. Le téléspectateur ne peut s’empêcher d’y déceler quelques échos actuels au mouvement #MeToo.

En guise de conclusion : comment caractériser le médiévalisme à la Hirst ?

Au vu des remarques formulées précédemment, nous pouvons constater que la démarche de Hirst, dans ses efforts de restituer la civilisation des anciens Scandinaves et de se réapproprier des thématiques et des motifs issus de la littérature médiévale nordique, se caractérise par un grand opportunisme. Le scénariste a certes puisé dans les sources textuelles dont nous disposons, mais ses choix ont été faits « à la carte », dictés par son propre programme. Face à des éléments narratifs ou des points de vue qui ne servaient pas son propos, il n’a clairement pas hésité à les ignorer ou à les orienter, afin de les faire correspondre davantage à ses propres desseins.

L’approche de Hirst n’a rien de singulier. Les productions issues des médias de grande diffusion et qui relèvent du médiévalisme nordique semblent désormais procéder de cette même manière. La réécriture ou l’adaptation fidèle d’une œuvre médiévale ne paraît plus au goût du jour, comme cela pouvait être le cas au xixe siècle ou dans la première moitié du xxe siècle. Au lieu de cela, on préfère « saupoudrer » sa création de références parcimonieuses, piochées ci et là au gré des besoins. On peut parfois se demander à quoi cette coloration historique peut bien servir : s’agit-il d’apporter une véritable touche d’authenticité à sa création ? ou cherche-t-on juste à faire preuve d’érudition ? La démarche peut sembler un peu vaine, puisque la recherche d’historicité n’empêche pas l’introduction parfois de références anachroniques renvoyant aux débats modernes sur la tolérance religieuse, le multiculturalisme ou encore la violence faite aux femmes.

Parmi les objectifs qu’il s’était fixés, Hirst mentionnait les préjugés entourant la figure du Viking qu’il souhaitait si ardemment combattre. Alors, qu’en est-il ? La série propose-t-elle une vision du haut Moyen Âge scandinave débarrassée des sempiternels stéréotypes et clichés éculés sur la virilité primitive des guerriers nordiques, leurs pérégrinations lointaines et les violents pillages auxquels ils se sont livrés ? Les téléspectateurs échappent-ils aux longues évocations du paganisme des Scandinaves et aux descriptions d’offrandes sanglantes lors desquelles on va jusqu’à sacrifier des êtres humains ? Il n’en est rien ! Tous les éléments énumérés ici (à l’exception de la virilité primitive peut-être) renvoient certes à une réalité historique, mais ils constituent des aspects de la civilisation viking parmi tant d’autres. Or, en leur accordant une place aussi prédominante, Hirst ne fait que perpétuer des poncifs et une représentation caricaturale du monde septentrional ancien. Mais nous ne pouvons nier le défi scénaristique que la série a dû représenter – jamais auparavant on n’a produit une œuvre audiovisuelle aussi vaste et ambitieuse, consacrée à l’époque des Vikings – et les impératifs de rentabilité commerciale auxquels elle a certainement été soumise. Aussi son créateur a-t-il fatalement été poussé à privilégier l’action, les rebondissements et un visuel spectaculaire, afin de tenir le public en haleine. La vie d’un simple fermier ou d’un artisan au haut Moyen Âge n’aurait jamais suscité le même intérêt.

Est-il d’ailleurs juste de reprocher à Hirst son penchant pour les schémas narratifs à ramifications multiples et un recours excessif aux intrigues ? Après tout, quand nous examinons la matière légendaire en rapport avec Ragnar et ses descendants dans les textes médiévaux, nous sommes également frappés par le foisonnement des péripéties et les voyages des protagonistes ! C’est surtout très net dans les Gesta, où Regnerus et ses fils parcourent la quasi-totalité des territoires connus en Occident dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge. En revanche, Hirst ne s’est pas limité au même cadre spatial que Saxo. Désireux de représenter toute l’étendue de l’expansion viking, il a déplacé l’action jusqu’en Afrique du Nord, en Islande et en Amérique du Nord dans les dernières saisons. Il était également inconcevable pour lui de ne pas reproduire les différents assauts menés par les Scandinaves contre Paris, mais auxquels les Gesta, la Saga de Ragnarr aux Braies velues ou le Dit des fils de Ragnarr ne font aucune allusion. Néanmoins, ces attaques et sièges sont étroitement liés au mythe construit autour de Ragnar, puisqu’ils sont imputés à des figures historiques, dont le fameux Reginheri à la tête de l’incursion de 845, qui ont ensuite servi de modèle dans l’élaboration progressive du personnage légendaire danois68.

C’est le propre du médiévalisme que de brouiller la frontière entre le passé et le présent : l’époque qui voit naître la nouvelle référence au Moyen Âge déteint sur la représentation de l’histoire. En nous interrogeant sur la façon dont la postérité s’est emparée de la matière légendaire tissée autour de Ragnar et de ses fils, il apparaît que, sur certains points précis, les démarches de Saxo et de Hirst ne divergent pas tant. À environ 800 ans d’intervalle, ils posent tous les deux un regard éminemment personnel sur la période préchrétienne et ils chargent leurs personnages principaux d’incarner le dynamisme traditionnellement associé à l’époque, marquée par l’aventure, la conquête et les exploits. Mais les qualités et les tares qu’ils prêtent aux héros et héroïnes diffèrent grandement. Les Gesta sont empreintes d’un grand patriotisme, d’une rigueur morale et d’une piété chrétienne teintée de misogynie, comme nous pouvons nous y attendre de la part d’un auteur qui a évolué dans l’entourage d’Absalon, archevêque du Danemark. Saxo rapporte les récits qui entourent la figure légendaire de Regnerus et de sa famille, car il a été chargé d’ériger ce qu’il appelle « un monument commémoratif69 » à la gloire de l’histoire danoise. Or, les portraits des protagonistes et surtout ceux de Regnerus et Lathgertha ne sont en aucun cas complaisants et encore moins des panégyriques. Si Saxo épargne davantage les fils de Regnerus, il juge sévèrement le héros et sa première épouse. À plusieurs reprises, il souligne que le souverain danois manque de qualités morales. Surtout, il ne pardonne pas à Regnerus d’avoir anéanti les efforts antérieurs d’introduire le christianisme au Danemark. Aussi Saxo ne s’attarde-t-il pas sur la mort du héros dans la fosse aux serpents70 et ne cherche aucunement à magnifier la scène, lui réservant une fin piteuse.

La façon dont Hirst traite l’exécution et le trépas de Ragnar est représentative de ses choix scénaristiques et esthétiques. Sous couvert d’un réalisme sanguinolent, où l’on n’épargne pas grand-chose au téléspectateur, il procède néanmoins à une forme de sublimation de la séquence, conférant au personnage un statut de héros légendaire par le stoïcisme avec lequel celui-ci supporte les mauvais traitements et la torture de la part du roi Aelle et ses soldats71. Cette impression de glorification se renforce encore davantage quand Ragnar déclame quelques vers paraphrasés du chant funèbre Krákumál (Chant de Kráka), avant d’être précipité dans la fosse aux serpents. Au moment de l’agonie, à cause de la monophtalmie de Ragnar, Hirst souligne même sa ressemblance avec Odin. Cette tendance du scénariste à l’exaltation ne se manifeste pas seulement dans cette scène emblématique. De manière générale, Hirst se situe dans une démarche indéniable de célébration du Viking, héritée du xixe siècle, cherchant sans cesse à distiller un souffle épique à sa création audiovisuelle et entourant le haut Moyen Âge d’une aura romantique.

Notes

1 Il ne m’est pas possible ici de répertorier tous les textes médiévaux qui sont venus alimenter le mythe tissé autour de la personne légendaire de Ragnarr aux Braies velues. La littérature scientifique consacrée à cette question est extrêmement vaste. Parmi les études les plus récentes, on peut citer : Elizabeth Ashman Rowe, Vikings in the West : The Legend of Ragnarr Loðbrók and His Sons, Fassbaender, Wien (Studia Medievalia Septentrionalia, vol. XVIII), 2012 et Rory McTurk, Studies in Ragnars saga loðbrókar and its Major Scandinavian Analogues, Oxford, The Society for the Study of Mediæval Languages and Literature (Medium Ævum Monographs, new series vol. XV), 1991. La postface de Jean Renaud à la Saga de Ragnarr aux Braies velues constitue un résumé très utile : Saga de Ragnarr aux Braies velues suivie du Dit des fils de Ragnarr et du Chant de Kráka, traduit du norrois par Jean Renaud, Toulouse, Anacharsis, 2005, p. 109-137. Return to text

2 Saxo Grammaticus, La Geste des Danois : Gesta Danorum livres I-IX, Jean-Pierre Troadec (trad.), Paris, Gallimard (L’aube des peuples), 1995, p. 388-410. Return to text

3 Dans la série télévisée, le nom du héros est orthographié Ragnar Lothbrok. Ci-après, j’emploierai donc cette forme en référence au personnage créé par Michael Hirst, la forme Regnerus Lothbrog pour désigner le personnage de Saxo et Ragnarr loðbrók ou Ragnarr aux Braies velues pour évoquer le héros dans la tradition norroise. Quand je me référerai au personnage en tant que légende, j’écrirai Ragnar aux Braies velues. Return to text

4 Michael Hirst (scén.), Vikings, saisons 1-6 [DVD], MGM, 2013-2022 (ci-après Vik). Return to text

5 Justin Pollard, The World of Vikings, San Francisco, Chronicle Books, 2015, p. 8-9. Return to text

6 Ibid., p. 5 : « In order to do justice to these fierce Northern raiders who struck such fear into the minds of our ancestors, we need to clear our own minds of the clutter of prejudices and received opinions that have always surrounded them. » Les traductions, sauf mention contraire, ont été faites par mes soins. Return to text

7 Voir Vincent Ferré, « Introduction (1). Médiévalisme et théorie : pourquoi maintenant ? », Itinéraires. Littérature, Textes, Cultures, vol. III, 2010, p. 7-25, en ligne : <https://journals.openedition.org/itineraires/1782> et Martin Aurell, Florian Besson, Justine Breton et Lucie Malbos (éd.), Les Médiévistes face aux médiévalismes, Rennes, Presses universitaires de Rennes (Histoire), 2023. Saluons les efforts de collègues très actifs et prolifiques en France, comme Laurent Di Filippo à l’Université de Lorraine ou Annelie Jarl Ireman et Simon Lebouteiller à l’Université de Caen, mais aussi les historiens Alban Gautier à l’Université de Caen et Lucie Malbos à l’Université de Poitiers, qui ont permis au médiévalisme spécifiquement nordique d’éclore également sous nos latitudes. Return to text

8 Claudie Bernard, Le Passé recomposé. Le roman historique français du dix-neuvième siècle, Paris, Hachette Supérieur (Hachette université Recherches littéraires), 1996, p. 70. Return to text

9 Ibid., p. 70-71. Return to text

10 GD IX.4.3. Return to text

11 GD IX.4.5-4.7. Return to text

12 Saga de Ragnarr aux Braies velues..., op. cit., p. 16-19 (ch. 2-3) et Dit des fils de Ragnarr..., op. cit., p. 75-76 (ch. 1). Return to text

13 GD IX.4.8. Return to text

14 Par exemple, le roi Harald à la Belle chevelure appelle Björn Côtes de fer « Björn Lothbrok » dans Vik S4E05, 06:50. Le minutage est donné ici à titre indicatif : il peut varier selon qu’on visionne la série en DVD ou en streaming, car un résumé des épisodes précédents est souvent inclus dans les versions en streaming. Return to text

15 La Saga de Ragnarr loðbrók suivi du Dit des fils de Ragnarr et du Chant de Kráka, traduit de l’islandais ancien et postface par Jean Renaud, Toulouse, Anacharsis (Griffe Famagouste), 2017. En outre, afin d’appâter le public de la série télévisée, la maison d’édition n’a pas hésité à rajouter un bandeau de couverture mentionnant « Aux sources de la série Vikings ». Return to text

16 Vik S1E01, 09:27-09:50. Return to text

17 GD IX.4.3. Return to text

18 GD IX.3.2. Return to text

19 De façon générale, Birgit Strand, plus connue ultérieurement sous son nom marital Sawyer, constate que Saxo s’intéresse uniquement aux couches sociales les plus favorisées : Birgit Strand, Kvinnor och män i Gesta Danorum, Göteborg, Historiska institutionen vid Göteborgs universitet (Kvinnohistoriskt arkiv, vol. XVIII), 1980, p. 5 : « Saxos värld är det ledande skiktets värld ; vi möter inte folket (annat än i undantagsfall) och inte det vardagliga arbetet på fält och gårdar. De personer vi möter är av furst- och adelssläkt. (L’univers de Saxo est celui de la classe dirigeante ; nous ne croisons pas le peuple (sauf de façon exceptionnelle) et nous n’assistons pas au travail quotidien dans les champs et dans les fermes. Les personnes que nous rencontrons sont issues de familles princières et aristocratiques.) » Return to text

20 Au cours des raids dans le Wessex en compagnie du roi Horik, Ragnar loue la fertilité de la terre anglaise et il déclare : « I’m a farmer and the son of a farmer. ( Je suis fermier et fils de fermier.) » dans Vik S2E03, 25:26). Return to text

21 Voir, entre autres, Groupe de recherche et d’études nord-américaines, From rags to riches : le mythe du self-made man : Actes du GRENA, Groupe de recherche et d’études nord-américaines, 6e colloque, [Aix-en-Provence], 2-4 mars 1984, Aix-en Provence, GRENA, 1984 et Hannu Salmi, « Success and the Self-Made Man », dans Peter C. Rollins (éd.), The Columbia Companion to American History on Film : How the Movies Have Portrayed the American Past, New York, Columbia University Press, 2003, p. 596-602. Return to text

22 Voir, entre autres : David Clark et Carl Phelpstead (éd.), Old Norse made new. Essays on the post-medieval reception of Old Norse literature and culture, London, Viking society for Northern research, University College London, 2007 ; Jean-Marie Levesque (dir.), Dragons et drakkars. Le Mythe viking de la Scandinavie à la Normandie xviiie-xxe siècles, Caen, Musée de Normandie, 1996 ; Lars Lönnroth, « The Vikings in history and legend », dans Peter Sawyer (éd.), The Oxford history of the Vikings, Oxford, Oxford University Press, 1997, p. 225-249 ; Caroline Olsson, « Vikings », dans Anne Besson, William Blanc et Vincent Ferré (dir.), Dictionnaire du Moyen Âge imaginaire. Le médiévalisme, hier et aujourd’hui, Paris, Vendémiaire, 2022, p. 435-438 et Alexandra Service, Popular Vikings : Constructions of Viking identity in Twentieth Century Britain, [thèse de doctorat en Histoire médiévale], York, Centre for Medieval Studies, University of York, 1998. Return to text

23 Vik S1E02, 14:16-15:15. Return to text

24 Voir Ibn Fadlân, Risâla ; Voyage chez les Bulgares de la Volga, Marius Canard (trad.), Paris, Sindbad (La Bibliothèque arabe / Les Classiques), 1988, p. 73. Ibn Fadlân a croisé des navigateurs d’origine scandinave, des Rûs, sur la Volga. Return to text

25 Vik S1E02, 15:53-16:01. Return to text

26 Vik E08, 17:28-21:33. Return to text

27 Vik E03, 21:08-22:40. Return to text

28 Vik E05, 29:03-29:23. Return to text

29 Vik S4E18, 16:02-18:16. Return to text

30 Ubbe déclare exactement (Vik S4E18 16:55-16:56) : « Because we are Vikings. (Parce que nous sommes des Vikings.) » Return to text

31 Vik S1E07, 22:09-24:44. Return to text

32 Vik S2E07, 37:27-43:38. Return to text

33 Vik S4E18, 45:47-49:00. Return to text

34 GD IX.5.5. Return to text

35 Dit des fils de Ragnarr..., op. cit., p. 83 (ch. 3). Le rite de l’aigle de sang, blóðörn en norrois, a beaucoup intéressé les chercheurs et a donné lieu à une littérature scientifique abondante. On se demande notamment s’il pourrait s’agir d’un simple motif littéraire. On pourra, entre autres, consulter Roberta Frank, « Viking Atrocity and Scaldic Verse : the Rite of the Blood-Eagle », The English historical review, vol. XCIX, n° 391, 1984, p. 332-343 ou encore Bjarni Einarsson, « De Normannorum Atrocitate, or the Execution of Royalty by the Aquiline Method », Saga-Book, volXXII, 1986, p. 79-82. Return to text

36 Rappelons que, dans la série, Rollo participe au premier raid de Ragnar à Lindisfarne en 793, alors que le Rollon historique jette les bases du duché de Normandie, grâce au traité de Saint-Clair-sur-Epte signé en 911. Return to text

37 Voir les courtes séquences dans Vik S3E08, 02:57-03:03 et 09:19-09:43. Return to text

38 Voir, par exemple, comment un Rollo chancelant et tenant à peine debout achève les soldats de Northumbrie à coups de hache furieux, pour tenter de prouver aux siens que son récent baptême n’était qu’un simulacre (Vik S1E07, 38:26-39:33). Puis, dans la bataille qui oppose les troupes du jarl Borg et du roi Horik, Rollo combat dans les rangs du premier contre son propre frère. Après avoir consommé des champignons hallucinogènes, il fait preuve d’une furie et d’une force inégalées, empalant son ancien compagnon Arne. À la force des seuls bras, il soulève la lance qui transperce le malheureux au-dessus de la mêlée (Vik S2E01, 06:47-09:45). Return to text

39 J. Pollard, World of Vikings..., op. cit., p. 46. Return to text

40 Vik S4E18, 45:47-49:00. Notons que plusieurs fils de Ragnar sourient tandis que l’aigle de sang est infligé au souverain. Return to text

41 Vik S5E01, 34:21-35:00. Return to text

42 Pour un compte-rendu complet de la teneur de ces sources, voir E. Ashman Rowe, Vikings in the West..., op. cit. et R. McTurk, Studies in Ragnars saga..., op. cit. Return to text

43 Voir E. Ashman Rowe, Vikings in the West..., op. cit., p. 174 et R. McTurk, Studies in Ragnars saga..., op. cit., p. 40, mais aussi le postface de Jean Renaud dans Saga de Ragnarr aux Braies velues..., op. cit., p. 119. Return to text

44 Depuis la deuxième moitié du xxe siècle, la recherche s’intéresse davantage aux personnages féminins dans la littérature médiévale nordique, tel l’ouvrage classique de Rolf Heller, Die literarische Darstellung der Frau in den Isländersagas, Halle, Max Niemeyer Verlag (Saga: Untersuchungen zur nordischen Literatur- und Sprachgeschichte, vol. II), 1958. Mais de plus en plus, les chercheurs se penchent sur les femmes du haut Moyen Âge scandinave en combinant les sources littéraires, l’apport de l’archéologie et la runologie. Les ouvrages et les articles consacrés au sujet sont aujourd’hui très nombreux. On pourra, entre autres, consulter Nancy L. Coleman et Nanna Løkka (dir.), Kvinner i vikingtid : Vikingatidens kvinnor, Oslo/Göteborg/Stockholm, Scandinavian Academic Press/Makadam, 2014 ; Jenny Jochens, Women in Old Norse Society, Ithaca, Cornell University Press, 1995 et Old Norse Images of Women, Philadelphia, University of Pennsylvania Press (The Middle Ages), 1996 ; Jóhanna Katrín Friðriksdóttir, Valkyrie : The Women of the Viking World, London, Bloomsbury, 2020 ; Les Femmes vikings, des femmes puissantes, Laurent Cantagrel (trad.), Paris, Éditions Autrement, 2020 ou encore Judith Jesch, Women in the Viking Age, Woodbridge, The Boydell Press, 1991. Return to text

45 B. Strand, Kvinnor och män..., op. cit., p. 5 : « I denna männens värld möter vi överraskande många kvinnor. Saxo är över huvud taget den förste nordiske författare, som ger oss verkliga, utförliga kvinnoskildringar. » Return to text

46 Ibid., p. 225. Return to text

47 C’est Hilda Ellis Davidson qui fait le rapprochement entre la Lathgertha de Saxo et Hlaðgerðr de la Hálfdanar saga Brönufóstra [Saga de Hálfdan fils adoptif de Brana] dans une note à l’édition Saxo Grammaticus, The History of the Danes, Books I-IX, Hilda Ellis Davidson (éd.) et Peter Fischer (trad.), Cambridge, Brewer, 1979-1980, rééd. Woodbridge, Boydell & Brewer, 1996, vol. II, p. 151, note 9. La Hálfdanar saga Brönufóstra figure dans Fornaldar sögur Norðurlanda, Guðni Jónsson et Bjarni Vilhjálmsson (éd.), Reykjavík, Forni, 1944, vol. III, en ligne : <https://www.snerpa.is/net/forn/halfd-br.htm>. Return to text

48 La parenté entre Lathgertha et la divinité Þorgerðr Hǫlgabrúðr a été suggérée par Nora Chadwick dans Nora K. Chadwick, « Þorgerðr Hölgabrúðr and the trolla þing : A note on sources », dans Cyril Fox et Bruce Dickins (éd.), The Early Cultures of North-West Europe (H.M. Chadwick Memorial Studies), Cambridge, Cambridge University Press, 1950, p. 395-417, voir en particulier p. 414 et suivantes. Return to text

49 The Saga of the Jomsvikings [édition bilingue], Norman F. Blake (trad.), London/Edinburgh, Nelson (Nelson’s Icelandic texts), p. 37-38 (ch. 33). Voir en français Vikings de Jómsborg : Jómsvíkinga saga, Régis Boyer (trad.), Bayeux, Éditions Heimdal, 1982, p. 100-103 (ch. 34). Return to text

50 GD IX.4.1. Return to text

51 GD IX.4.2. Return to text

52 Voir J. Jesch, Women..., op. cit., p. 178. Return to text

53 Pour un passage en revue des femmes guerrières dans la littérature médiévale scandinave, voir Leszek Gardeła, Women and weapons in the Viking world : Amazons of the North, Havertown (Philadelphia)/Oxford, Casemate Publishers/Oxbow Books, 2021, p. 27-45. Return to text

54 GD IX.4.11. Return to text

55 J. Jesch, Women..., op. cit., p. 180. Return to text

56 Pour une excellente synthèse sur le sujet, voir, par exemple, Neil Price et al., « Viking warrior women? Reassessing Birka chamber grave Bj.581 », Antiquity, vol. XCIII, n° 367, 2019, p. 181-198, en ligne : <https://doi.org/10.15184/aqy.2018.258>. Return to text

57 Dès 1900, à Nordre Kjølen dans le Hedmark en Norvège, on avait trouvé une tombe féminine, où la défunte avait été enterrée avec un équipement militaire complet, ainsi qu’un cheval. Voir L. Gardeła, Women and weapons..., op. cit., p. 22-23 et p. 57-60. Return to text

58 Vik S3E01, 36:07-36:21 : « She is unlike any woman I have ever met. There are no Saxon women like her. I am infatuated by her. A shield-maiden, a warrior, a farmer, a mother. She is incredible ! » La traduction a été faite à partir de cette retranscription moderne. Return to text

59 Riccardo Facchini et Davide Iacono, « “The North is hard and cold, and has no mercy”. Le Nord médiéval dans les séries télévisées », Médiévales, vol. LXXVIII, 2020, p. 43-56, ici p. 52, en ligne : <https://journals.openedition.org/medievales/10752>. Sur le féminisme incarné par Lagertha et ses limites, voir aussi Fanie Demeule, « Vikings : Lagertha ou la (r)évolution de la vierge au bouclier », 2015, seulement en ligne : <https://popenstock.uqam.ca/articles/vikings-lagertha-ou-la-revolution-de-la-vierge-au-bouclier>. Return to text

60 R. Facchini et D. Iacono, « The North is hard... », op. cit., p. 52. Return to text

61 GD IX.4.11. Return to text

62 B. Strand, Kvinnor och män..., op. cit., p. 159 : « [...] med Ladgerd, denna viljestarka och aktiva kvinna, som inte underordnar sig någon, illustrerar [Saxo] kvinnors opålitlighet, egensinne och maktlystnad. » Return to text

63 Voir, par exemple, les strophes 84 et 90 dans Hávamál : Glossary and Index, David A. H. Evans et Anthony Faulkes (éd.), London, Viking Society for Northern Research, University College London (Text series, vol. VII), 1986-1987, p. 56-57 ; L’Edda poétique, Régis Boyer (trad.), Paris, Fayard, 1992, p. 184-185. Dans une scène de Vikings, Floki et Rollo répètent ou paraphrasent plusieurs vers des Hávamál pour évoquer précisément l’inconstance des femmes. Les citations tirées des strophes 85, 86, 87, 84 et 90 sont partielles et apparaissent donc dans le désordre par rapport à leur ordre dans le poème eddique (Vik S3E01, 36:52-37:23). Return to text

64 Sur la thématique prédominante de l’extrême violence qui caractérise le Nord médiéval, voir R. Facchini et D. Iacono, « The North is hard... », op. cit., p. 45-49. Return to text

65 Vik S2E06, 33:27. Return to text

66 Vik S4E05, 42:00. Return to text

67 Vik S5E06, 35:23-36:28. Astrid soudoie les pêcheurs afin qu’ils préviennent Lagertha d’une attaque imminente contre Kattegat. Mais l’argent ne leur suffit manifestement pas. Astrid se débat, mais doit céder face au chantage des pêcheurs qui menacent de tout révéler au roi Harald. Return to text

68 Voir E. Ashman Rowe, Vikings in the West..., op. cit., p. 111-166 et R. McTurk, Studies in Ragnars saga..., op. cit., p. 1-6 et p. 45-50. Return to text

69 GD Pr.1.1. Return to text

70 GD IX.4.38. Return to text

71 La longue séquence de torture et d’exécution de Ragnar démarre dans Vik S4E15, 24:37. Return to text

References

Bibliographical reference

Caroline Olsson, « Saxo Grammaticus à l’épreuve du médiévalisme : l’exemple de la série Vikings de Michael Hirst », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, HS1 | 2024, 43-61.

Electronic reference

Caroline Olsson, « Saxo Grammaticus à l’épreuve du médiévalisme : l’exemple de la série Vikings de Michael Hirst », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [Online], HS1 | 2024, Online since 27 décembre 2024, connection on 23 avril 2025. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=924

Author

Caroline Olsson

Caroline Olsson est maîtresse de conférences à l’université Lumière Lyon 2 et membre de l’EA 1853 / Caroline Olsson is an Assistant Professor at the University Lumière Lyon 2 and a member of the research team EA 1853 / Caroline Olsson ist Dozentin an der Universität Lumière Lyon 2 und Mitglied der Forschungsgruppe EA 1853.

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