Langues et culture de la diplomatie au xviie siècle

DOI : 10.57086/rrs.97

p. 199-212

Résumés

À juste titre, le congrès de Westphalie, point de départ de notre réflexion sur les langues et la culture de la diplomatie, a été qualifié d’« archétype » des congrès internationaux. Force est de constater que, par leur caractère polyglotte, les négociateurs de la paix de 1648 incarnent le microcosme du monde diplomatique moderne. Les langues de la diplomatie sont le reflet de la culture de leur époque ; l’humanisme est leur apanage. Derrière le latin, principale langue des négociateurs au congrès, le français s’établit comme langue des diplomates, mais il doit encore partager le palmarès avec d’autres langues vernaculaires, surtout l’italien mais aussi l’allemand, l’espagnol et le néerlandais. L’essor du français, qui s’accentue lors des congrès suivants, s’explique par la suprématie culturelle et, d’une certaine manière, politique de la France en Europe, mais surtout par le rayonnement de sa civilisation.

Der Westfälische Friedenskongress, Ausgangspunkt unserer Überlegungen zu Sprachen und Kultur der Diplomatie, wurde zu Recht als « Archetyp » der internationalen Kongresse bezeichnet. Zweifellos verkörperten die polyglotten Unterhändler des Friedens von 1648 den Mikrokosmos der ebenso durch Mehrsprachigkeit geprägten Welt der frühneuzeitlichen Diplomatie. Die diplomatischen Verkehrssprachen spiegelten die humanistische Kultur ihrer Epoche wider. Hinter dem Lateinischen, Hauptsprache der Friedensunterhändler, etablierte sich Französisch als Diplomatensprache, musste sich jedoch diese Auszeichnung noch mit anderen Volkssprachen teilen, allen voran Italienisch, aber auch Deutsch, Spanisch und Niederländisch. Der bei den Folgekongressen deutlicher hervortretende Aufstieg des Französischen erklärt sich durch eine kulturelle und gewisse politische Vormachtstellung Frankreichs in Europa, besonders aber durch seine kulturelle Strahlkraft.

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Parmi les interrogations nouvelles de l’historiographie contemporaine des relations internationales, qui a beaucoup profité d’un regard inspiré d’une vision plus vaste de l’histoire des sociétés englobant les institutions, l’économie, les mentalités, et surtout d’une approche culturaliste, se détache le quotidien des négociateurs. Si l’on veut porter son regard sur les diplomates au travail, l’instrument même de leurs négociations, de leurs lettres et mémoires – la langue – ne se situe certainement pas parmi les problèmes mineurs1. Comme Lucien Bély, on peut même constater que l’étude « des langues utilisées [par les diplomates] pendant les discussions est un pas décisif pour une approche culturelle, au sens le plus large, de la pratique politique »2. Pourtant, ce sujet n’a jamais été traité de manière exhaustive ni cohérente, même si des ouvrages sur les congrès de diplomates aux xviie et xviiie siècles examinent parfois la question3. Or, ce sont justement les congrès de paix qui jouèrent un rôle majeur, puisque ce fut à ces moments cruciaux pour la diplomatie que des changements purent s’imposer ou qu’ils éclatèrent au grand jour, tandis qu’ils restaient moins perceptibles dans le cadre des représentations diplomatiques permanentes et des relations bilatérales.

Le congrès de Westphalie comme modèle de négociation

À juste titre, le congrès de Westphalie a été qualifié d’« archétype » des congrès internationaux des Temps modernes. Premier congrès multilatéral d’une telle ampleur, il représente une véritable nouveauté dans la diplomatie européenne : y participent cent neuf délégations, représentant seize États européens et cent quarante principautés et villes d’Allemagne. Excepté l’Angleterre, la Russie et la Sublime Ottomane, toute l’Europe est présente en Westphalie.

L’importance du congrès de Westphalie, qui s’est trouvé confronté à un grand nombre de problèmes majeurs découlant de la triple dimension de la guerre de Trente Ans, pour le développement de « l’art de la paix » et du droit international a fait l’objet, parmi les historiens, d’évaluations diverses, parfois contradictoires. Les solutions apportées à ces problèmes (conflit international, civil et confessionnel) doivent retenir l’intérêt des historiens d’autant plus que, à l’heure actuelle, nombreux sont ceux qui se demandent si le Moyen-Orient ne vivrait pas aujourd’hui sa guerre de Trente Ans, si Alep ne serait pas devenue la Magdebourg du xxie siècle. La question est discutée à la fois par les hommes politiques et par des chercheurs spécialistes de l’Europe du xviie siècle et du Moyen-Orient contemporain, dans le cadre d’un projet auquel j’ai eu le plaisir de participer récemment à Cambridge4.

L’un des problèmes majeurs que les négociateurs durent, lors du congrès de Westphalie, résoudre fut de s’accorder sur les langues de la négociation entre les représentants de tant de souverains et peuples différents, allant de la péninsule Ibérique à la Scandinavie, et d’élaborer, ensuite, une terminologie propre à traduire les particularités du droit public des différents États représentés à Münster et à Osnabrück, et reconnue par tous. C’était devenu une nécessité absolue dans la mesure où les relations entre les États européens ne pouvaient plus se régler par le seul langage de la féodalité. Aux problèmes linguistiques proprement dits s’ajoutèrent donc ceux de la traduction5.

En Westphalie, certains diplomates parlent très bien plusieurs langues étrangères et presque tous maîtrisent, plus ou moins bien, le latin. L’italien est toujours une langue de prédilection pour les gens cultivés, le français par contre moins bien connu qu’un siècle plus tard, l’allemand parlé par les ressortissants du Saint-Empire et des puissances nordiques. Par ailleurs, les envoyés au congrès sont naturellement aidés par le personnel de leurs chancelleries et disposent d’interprètes et de secrétaires étrangers qui nous sont parfois bien connus, comme Jeremias Jacob Stenglin (1609-1660), issu d’une famille augsbourgeoise, secrétaire et interprète de Henri II d’Orléans, duc de Longueville et chef de la délégation française.

Pour les négociations, il n’y a pas de langue unique ni même de règle générale. Les conférences des ambassadeurs de France – Henri II d’Orléans, duc de Longueville, Claude de Mesme, comte d’Avaux et Abel Servien, comte de La Roche-des-Aubiers – avec les Impériaux sont marquées par un mélange de plusieurs langues : latin, italien et français. Les négociateurs du congrès ont également recours à d’autres langues vernaculaires, en particulier l’espagnol, l’allemand et le néerlandais. Cette diversité tient en partie au mode de travail du congrès qui ne se réunit jamais en séance plénière. Répartis entre les deux villes de Münster (puissances catholiques et Provinces-Unies), et d’Osnabrück (puissances protestantes et délégation impériale, pour partie), les États négocient soit directement avec leur adversaire, soit par l’interposition d’un médiateur6. La France choisit ce dernier procédé pour ses négociations avec l’empereur et le roi d’Espagne, se servant de la médiation du nonce apostolique Fabio Chigi et de l’ambassadeur de la République de Venise Alvise Contarini, ainsi que de celle des plénipotentiaires néerlandais à partir de septembre 16467. Comme langue commune de l’Occident chrétien8, le latin est utilisé en particulier dans les documents solennels en tant que langue d’un registre relevé. C’est à ce titre qu’il est employé dans les traités de paix entre l’empereur, les états de l’Empire et respectivement la France et la Suède, signés le 24 octobre 1648 à Münster9. En revanche, le troisième traité, la paix particulière entre l’Espagne et les Provinces-Unies conclue le 30 janvier 1648 à Münster, est un acte bilingue, dressé en néerlandais et en français. Si le latin est la principale langue des diplomates au congrès, il est loin d’être la seule. Derrière lui, on voit s’établir le français comme langue des diplomates, mais il doit encore partager le palmarès avec d’autres langues vernaculaires, surtout l’italien, langue des médiateurs Chigi et Contarini et l’une de celles de la cour impériale de Vienne, mais aussi l’allemand, souvent parlé par les envoyés de l’empereur et des états de l’Empire, mais aussi plus généralement par les puissances du Nord, et, dans une moindre mesure, l’espagnol et le néerlandais.

Seules l’Espagne et les Provinces-Unies suivent une règle précise dans leurs négociations, établie par l’accord, politiquement très important, du 5 mai 164610. En vertu de ce dernier, les plénipotentiaires espagnols accordent à leurs homologues néerlandais le rang d’ambassadeurs d’une puissance souveraine. Cela constitue pour les Provinces-Unies un premier pas vers leur indépendance et leur souveraineté nationale. On convient de négocier en latin, en français ou en néerlandais ; les résultats des négociations doivent être consignés par écrit, et ceci exclusivement en français et en néerlandais. Ces langues sont, en quelque sorte, aussi celles des Espagnols : l’un de leurs plénipotentiaires, Antoine Brun, est Franc-Comtois, un autre, Joseph de Bergaigne, Anversois. Par ailleurs, le français fait office de langue administrative des Pays-Bas espagnols. Renoncer à l’emploi de l’espagnol dans la négociation apparaît donc comme un sacrifice modeste de la part des Espagnols, du moins au regard de leurs autres concessions. Celui-ci n’est cependant pas anecdotique : Peñaranda, premier plénipotentiaire du Roi Catholique comprenait seulement un peu le français, et il aurait certainement été plus pratique pour lui de pouvoir s’exprimer en espagnol. Le compromis linguistique traduit ici la ferme volonté politique des Espagnols de parvenir à une trêve ou à un traité de paix avec leur adversaire néerlandais. Pour les autres puissances souveraines et les états de l’Empire, les choses sont bien plus compliquées et une distinction fondamentale doit être opérée entre les différents registres, surtout entre les négociations orales et les documents que les délégations échangent entre eux ou déposent auprès des médiateurs. L’usage oral est flexible et éphémère, l’usage écrit peut être péremptoire et définitif ; pour ce dernier, des compromis sont donc plus difficiles à obtenir. La situation à Osnabrück, où sont regroupés les seuls États septentrionaux, est plus facile à comprendre que celle à Münster, où se côtoient les langues méridionales et germaniques.

En effet, les Suédois sont tenus à un usage certain par leur instruction principale du 15 octobre 1641 qui permet aux ambassadeurs de négocier en allemand, en latin, en français ou dans une autre langue, tout en précisant que tous les documents, notamment le traité de paix, doivent être rédigés en latin uniquement11. Les Suédois cultivés sont généralement trilingues ; outre leur langue maternelle et l’allemand, ils maîtrisent le latin. Les Allemands, quant à eux, tiennent au latin, deuxième langue officielle du Saint-Empire au moins depuis 151912. Le latin est employé notamment dans les relations de l’Empire, de ses princes et villes avec l’étranger. Les documents qui doivent servir de base à la négociation (résumés des prétentions, réponses aux prétentions adverses, articles à insérer dans le traité de paix) sont normalement, mais pas toujours, rédigés en latin par les Impériaux et les Suédois, et dans leur langue maternelle par les Français. Les Espagnols usent de l’espagnol envers ces derniers13. Enfin, les notes que les médiateurs Chigi et Contarini prennent au cours des conférences sont en règle générale en italien, langue qui devient ainsi, par leur biais, l’une des principales du congrès, car c’est dans celle-ci qu’ils résument les propositions soumises, le cas échéant, en français ou en espagnol, et souvent le texte italien était ensuite traduit en latin.

Par leur caractère polyglotte, certains personnages comme le plénipotentiaire suédois Johan Adler Salvius, le comte d’Avaux ou Maximilien comte de Trauttmansdorff, chef de la délégation impériale14, incarnent le microcosme du monde diplomatique moderne, lui aussi polyglotte. Les langues de la diplomatie constituent le parfait reflet de la culture de l’époque : l’humanisme reste leur apanage. Pourtant, il y a bien des problèmes de communication. Si Henri de La Court, ministre résident de France à Osnabrück, rapporte, le 1er décembre 1646, qu’il a essayé de parler allemand à un secrétaire, ce qui semble attester quelques connaissances, il doit avouer, le 17, ses problèmes de compréhension lors d’un dîner chez Salvius où l’un des personnages présents ne parlait ni le latin ni le français15. Si, apparemment, ces problèmes n’étaient pas fréquents, ils touchaient en principe toutes les représentations et toutes les langues16.

À la différence de l’usage écrit, il est assez difficile de saisir les langues utilisées dans les négociations orales. En prenant certaines précautions méthodiques, on peut dresser le constat suivant : à Osnabrück, on parle en général un allemand parsemé de latin tandis qu’à Münster, nous trouvons, à côté du latin, surtout l’italien et le français – pourtant moins répandu qu’au milieu du siècle suivant. Tous les négociateurs ne comprennent pas le français. C’est la raison pour laquelle, le 9 juillet 1648, en discutant d’un mémoire sur la Lorraine, les états de l’Empire font part de leur désir « de faire dicter ce mémoire et [de présenter] outre l’original français une version dans une langue connue de tous les députés, c’est-à-dire en allemand ou en latin »17.

Or, la langue n’est pas seulement l’instrument, mais aussi l’un des objets des négociations en Westphalie. Si l’emploi de plusieurs langues est courant lors du congrès, leur choix n’est pas toujours facultatif. L’analyse structurelle révèle le rôle politique majeur de l’emploi des langues dans la diplomatie et ses implications à la fois politiques et juridiques. Cela permet de comprendre pourquoi la volonté d’arriver à un accord politique se manifeste souvent par des concessions linguistiques, tandis que l’intransigeance dans ce domaine peut se révéler le symptôme d’une crise générale ou même de l’échec imminent des négociations (comme dans le cas des pourparlers franco-espagnols). En effet, le recours à leur propre langue par les diplomates est une caractéristique de la souveraineté étatique et est censé servir à l’honneur et à la gloire du prince souverain. Le latin, pour sa part, est considéré comme une langue neutre et restera, d’ailleurs, bien vivant dans la diplomatie du siècle suivant18. De ce fait, le congrès de Westphalie sert, dans une certaine mesure, à perpétuer la tradition antérieure en fournissant un exemple aux générations futures de diplomates. L’analyse des aspects linguistiques du congrès de la paix de Westphalie révèle un monde en transition, mais non en perte de tradition.

Le congrès de Nimègue entre tradition westphalienne et remise en cause de la neutralité du latin

Au congrès de Nimègue, qui met fin à la guerre de Hollande (1672-1679), le français fait pourtant des progrès notables en tant que langue véhiculaire non-officielle. Pour autant, comme l’historien de la langue française Ferdinand Brunot l’a déjà montré, la tradition selon laquelle le français aurait alors obtenu toutes ses prérogatives de langue diplomatique, n’est en réalité qu’une légende19 – une légende qui, pourtant, naquit au xviiie siècle.

Le congrès de Nimègue a plutôt eu tendance à confirmer les traditions anciennes qu’à les abroger. Sans chercher à imposer leur langue aux autres délégations, les Français insistent sur le respect de ces traditions et exigent que les Danois leur donnent leurs pleins pouvoirs en latin (et non en danois, comme ces derniers le revendiquent en vertu du principe d’égalité), tandis que les mêmes traditions leur permettent de rédiger les leurs en français. C’est cette défense de la tradition que les plénipotentiaires français se fixent comme objectif, comme nous le montre leur dépêche adressée au secrétaire d’État des Affaires étrangères, Simon Arnauld de Pomponne, le 5 février 1677 : « il n’y a nulle raison de changer ce qu’un long usage qui est la seule regle sur laquelle on puisse régler de pareilles contestations, a suffisamment estably »20.

En général, le latin demeure une langue importante de la diplomatie, et on l’emploie même dans les conférences, à l’oral comme à l’écrit ; mais l’ascension du français s’accentue par rapport au congrès de Münster dans les occasions informelles mais aussi comme langue de travail dans les conférences et pour certains documents. Pour autant, les autres langues vernaculaires, comme l’italien, l’espagnol et le flamand, ne disparaissent pas et restent toujours employées dans certains cas. Les Impériaux notamment continuent à user du latin dans leurs négociations avec les ambassadeurs du roi de France et à ne pas vouloir admettre le français. Cela résulte clairement du procès-verbal, dressé en 1679, d’une réunion avec leurs homologues français. Ce document est d’autant plus intéressant qu’on le ressortit au congrès de Ryswick; il tira donc à conséquence21. Le principe de la latinité des négociations est donc confirmé à la demande des Impériaux. Ce principe commence, pourtant, à se heurter à la réalité de la connaissance de plus en plus modeste du latin chez les diplomates, sinon impériaux, du moins français (en l’occurrence, le maréchal d’Estrades, un militaire de formation, et Colbert de Croissy) et anglais (l’ambassadeur médiateur britannique William Temple préfère également s’exprimer en français). Il est naturel que par la suite, le choix de la langue se soit progressivement conformé aux préférences personnelles des négociateurs. Cependant, à Nimègue, la primauté du latin, du moins pour les documents solennels, est maintenue. Pour cette raison, le traité de paix passé par la France avec le Saint-Empire, en date du 5 février 1679, n’est pas rédigé en français mais en latin.

À certains égards cependant, le congrès de Nimègue s’écarte du modèle westphalien. Pour une partie des pourparlers (en l’occurrence, les négociations hispano-suédoises), il n’y avait pas d’usage établi. Mais le changement le plus important vient des plénipotentiaires français. Même si la France se résigne à signer son traité avec l’empereur en latin, cette langue n’est plus considérée comme un idiome neutre, mais comme l’apanage du Saint Empire romain germanique. C’est la raison pour laquelle, le 8 novembre 1678, les plénipotentiaires français rapportent à Louis XIV avoir accepté la rédaction du traité en latin, « quoiqu’on puisse soutenir que la langue latine devant être censée comme naturelle au Roi des Romains [en l’occurrence, l’empereur Léopold Ier], nous soyons en droit de faire notre exemplaire en langue française »22. Peut-on voir dans cette prise de position une doctrine française en matière de langues diplomatiques ? Cette hypothèse paraîtrait hasardeuse, car, à la fin du règne de Louis XIV, François de Callières, à la fois diplomate français et auteur d’un traité majeur sur l’art de négocier, soutient la neutralité du latin23. Toujours est-il que peu de temps après la signature du traité de Nimègue, lors d’une conférence franco-allemande à Francfort, les négociateurs français remettent également en cause la qualité du latin comme langue neutre.

Vers une politique linguistique ? Les conférences de Francfort et le congrès de Ryswick

À Francfort, en 1682, un certain recul du français par rapport au latin semble s’observer. Il faut néanmoins prendre en considération la situation particulière, qui résulte du fait qu’une assemblée impériale (plus précisément, une députation de la diète) traitait avec la France. Frédéric-Charles Moser considère même que le différend qui surgit à Francfort au sujet des langues est resté le plus important en la matière jusqu’au milieu du xviiie siècle, et qu’il a été très discuté après 168224.

La véritable nouveauté qui surgit à l’occasion des conférences de 1682 est la remise en cause du rôle du latin comme langue neutre par les Français, qui le considèrent plutôt comme une langue propre au Saint-Empire, et opposent à son emploi le principe de l’usage des langues dites « naturelles », ce qui révèle clairement le fait que le latin était en train de perdre son caractère universel même si les Impériaux et les ordres, tout en soutenant la tradition romaine du Saint-Empire, ne considéraient point le latin comme leur apanage; bien au contraire, selon eux, cette langue passait pour l’héritage commun à tout l’Occident chrétien, comme la langue universelle par excellence.

Par la suite, non seulement François de Callières, mais aussi d’autres diplomates français, retiendront bien le latin comme langue commune. Il n’y a donc pas encore de doctrine fixe en la matière. Mais à Francfort, en 1682, le statut du latin comme langue neutre semble bien être remis en cause dans les milieux diplomatiques français (plus sérieusement qu’en 1678), au profit de l’usage des langues « naturelles », c’est-à-dire du français pour les représentants de Louis XIV et de l’allemand pour les députés du Saint-Empire. Contrairement à Nimègue, on constate, à la conférence de Francfort (rompue, en décembre 1682, sans conclusion d’aucun accommodement), un vrai refus français d’accepter la neutralité du latin et, par la suite, une dispute acharnée au sujet des langues.

À la fin du xviie siècle, le congrès de Ryswick reconnaît le caractère normatif des congrès précédents. Par rapport aux langues de la négociation, il s’en tient au protocole du congrès de Nimègue. On suit le modèle instauré à Münster : la France fait ses propositions en français, l’Empire proteste, et l’on passe à la conclusion du traité en latin. Mais, comme langue de travail d’un registre plus informel, l’avancée de la langue française paraît incontestable. Par ailleurs, le recours à l’italien décline. Alors que, en 1648, les médiateurs Chigi et Contarini étaient italiens25, en 1697, nous avons à faire à un médiateur suédois, Niels Lillierot, dont le journal confirme justement l’essor du français26.

Conclusion

En conclusion, il faut retenir le caractère polyglotte de la diplomatie du xviie siècle. La langue est à la fois l’instrument et l’un des objets de la négociation. Comme l’a déjà montré Lucien Bély, les négociations à la fin de la guerre de succession d’Espagne, dont les résultats sont entérinés par les traités d’Utrecht, de Rastatt et de Bade (1713-1714), sont marquées par le déclin des compétences en latin des envoyés, en particulier des diplomates français27. Cette tendance se fait sentir dès le congrès de Nimègue, en particulier chez les militaires.

Si, en 1714, le traité de Rastatt est le premier traité de paix conclu en français entre l’empereur et le roi de France, il s’agit d’un traité conclu « à la soldate », car ce sont bien des généraux (le maréchal de Villars et le prince Eugène de Savoie, né à Paris et parti à Vienne à l’âge de dix-neuf ans, représentant respectivement le roi de France et l’empereur) qui ont à négocier et à rédiger ce traité. D’ailleurs, le traité de Rastatt n’a pas été sanctionné par la diète de l’Empire. L’usage que l’on fait du latin lors du traité de Bade, conclu peu de mois après celui de Rastatt avec l’accord de la diète, prouve que la langue de Rome n’est pas encore remplacée par le français. La primauté du latin est sérieusement ébranlée, mais les jeux ne sont pas encore faits, comme le montre le congrès de Bade en Suisse où plus de quatre-vingts délégations de souverains européens se réunissent pour traduire en latin, langue ordinaire du Saint-Empire dans ses rapports extérieurs, le traité (préliminaire) de Rastatt rédigé en français28. Or, comme l’a mis en valeur Rolf Stücheli, diplomate suisse et historien à ses heures, les pourparlers qui aboutissent à ce résultat se sont tenus en français29. De toute évidence, ce sont les compétences linguistiques des négociateurs plutôt qu’une politique linguistique des cours qui ont été à l’origine de ce choix.

Par la suite, la diplomatie européenne entre dans une période marquée d’incohérences où l’on conclut tantôt en français, tantôt (et dans un premier temps surtout) en latin. Au début du xviiie siècle, le français est d’abord utilisé à côté et non à la place du latin. Ce dernier reste la langue d’un registre relevé appliqué aux documents formels entre des partenaires pour lesquels cette langue est traditionnellement d’usage. Le français, quant à lui, s’impose comme langue parlée, aussi dans des situations de communication plutôt formelles, et les négociateurs y ont de plus en plus recours pour la rédaction de leurs documents, y compris les traités préliminaires. Cependant, les recherches récentes de Gilles Siouffi confirment que l’usage du français dans l’Europe du xviiie siècle, en particulier dans les milieux diplomatiques, n’est pas aussi fréquent qu’on l’a longtemps pensé30.

Pour sa part, Lucien Bély a montré que si, à Utrecht, le français est la langue prédominante, comprise et parlée par la plupart des négociateurs, dans leurs conférences, son essor ne remet pas en cause le caractère fondamentalement polyglotte de la diplomatie européenne. C’est ainsi que l’ambassadeur anglais à Madrid, Lexington, peut déclarer que « le nombre de papiers qui doivent être insérés et traduits en différentes langues » lui paraît si important « que nous pourrions faire traduire et copier toute la Bible en moins de temps »31.

À la succession du français au latin, il faut donc substituer l’idée d’une contemporanéité de plusieurs langues, en particulier du français et du latin, surtout dans les rapports entre le royaume de France et le Saint-Empire. Or, si l’on faisait des exceptions à la règle qui veut que le Saint- Empire négociait en latin avec les étrangers, c’est en général le français que l’on admettait en tant qu’idiome étranger, dans un monde germanique culturellement de plus en plus imprégné de « gallomanie »32. En 1748, le traité d’Aix-la-Chapelle constitue le premier véritable traité de paix passé en français par le Saint-Empire. Bien qu’une clause particulière précise que cela ne devait pas tirer à conséquence33, le français prend, à ce moment-là, incontestablement le relais comme première langue diplomatique dans les rapports entre le Saint-Empire et la France.

Mais comment se fait-il que le français ait pu prendre le relais du latin ? Même si le Saint-Empire n’abandonne pas tout à fait la langue de Rome jusqu’à sa dissolution, en 1806, la primauté passe incontestablement entre 1648 et 1748 du latin au français. Ce passage s’insère dans une évolution culturelle fondamentale qui regarde l’Europe entière. À l’origine de l’essor du français comme langue diplomatique, il n’y a pas eu de volonté politique ferme de la part de la France pour imposer systématiquement sa propre langue aux autres pays. Rappelons que ce n’est pas à l’apogée de la gloire du Roi-Soleil mais à la fin de la guerre de la Succession d’Espagne que le français est employé pour la première fois dans un traité de paix passé par le roi de France avec l’empereur.

L’essor du français s’explique par la suprématie culturelle de la France en Europe, par une certaine forme de suprématie politique également, mais surtout par le rayonnement de sa civilisation. Langue des cours, de l’aristocratie, des savants, le français est, depuis la seconde moitié du xviie siècle, entré dans la culture des diplomates, et il est naturel qu’il finisse par s’imposer dans leurs documents professionnels. De plus, sans mener de politique agressive qui aurait pu choquer les autres nations, les Français ont défendu, depuis le congrès de Münster, leur liberté de s’exprimer dans leur langue maternelle. Sans être hégémonique, cette politique pourtant tenace fit entrer le français dans les milieux diplomatiques. Dans la mesure où la France remplaça la Rome antique comme modèle culturel de l’Europe, le latin devint l’idiome du temps passé, le français celui du temps présent. Quand on s’interroge sur l’apport de l’art de la paix du xviie siècle, qui s’est construit à travers un langage commun malgré la diversité linguistique de l’époque, aux problèmes du monde contemporain, les correspondances des ambassadeurs de France tout comme les rapports des autres délégations diplomatiques s’avèrent être des sources de prime importance, qui nous renseignent également sur le rôle des envoyés dans la construction de savoirs, leurs réseaux d’informations, leur quotidien et leur profil intellectuel. C’est justement un projet de recherche de plus longue haleine que j’ai lancé en 2014-2015, et qui porte sur le rôle des diplomates comme intermédiaires culturels dans la circulation, la production et la transformation des savoirs à l’époque moderne, que je souhaiterais poursuivre à l’Université de Haute-Alsace, en comptant sur la collaboration au sein du CRÉSAT. De 2015 à 2018, j’ai organisé deux colloques internationaux consacrés à ce sujet (à Rome, en juin 2015, colloque dont les actes ont été publiés en octobre 201834, et à Bayreuth, en octobre 201735), deux colloques qui en appellent évidemment un troisième – pourquoi pas sur les langues des relations internationales et les problèmes de communication entre souverainetés du Moyen Âge à l’époque contemporaine ?

1 Stefano Andretta et al. (dir.), Paroles de négociateurs. L’entretien dans la pratique diplomatique de la fin du Moyen Âge à la fin du xixe siècle

2 Lucien Bély, L’Art de la paix en Europe. Naissance de la diplomatie moderne, xvie-xviiie siècle, Paris, Presses universitaires de France, 2007, p.

3 Voir, par exemple, pour le congrès d’Utrecht, l’ouvrage fondateur de Lucien Bély, Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, Paris, Fayard, 1990

4 Voir, entre autres, Frank-Walter Steinmeier, « Der Westfälische Frieden als Denkmodell für den Mittleren Osten » [discours du ministre allemand des

5 Pour une première approche du problème, voir Guido Braun, « Les traductions françaises des traités de Westphalie (de 1648 à la fin de l’Ancien

6 Les états de l’Empire se réunissent dans les trois collèges traditionnels des princes électeurs, des princes et des villes, répartis eux aussi entre

7 Guido Braun, « Les formes de la négociation franco-espagnole à Münster. Médiation, interposition, projets d’arbitrage », in L. Bély, B. Haan, S.

8 Françoise Waquet, Le latin ou l’empire d’un signe, xvie-xxe siècle, Paris, Albin Michel, 1998.

9 Réfléchissant à la question de la langue du traité de paix, les Français étaient en effet arrivés à la même conclusion que les Impériaux et les

10 Copies : Archives diplomatiques, Correspondance politique [désormais Arch. Dipl., CP], Munster 1, fol. 21r–21v ; Bibl. Institut, Godefroy 87, fol.

11 Acta Pacis Westphalicae [désormais : APW], série I : Instruktionen, vol. 1 : Frankreich, Schweden, Kaiser, édité par Fritz Dickmann et al., Münster

12 En 1519, la capitulation signée par le nouvel empereur Charles Quint accorde aux langues latine et allemande le statut de langues officielles

13 À la différence des Néerlandais, les Français ne sont jamais parvenus à un accord linguistique formel avec l’Espagne. Alors que le français est

14 Ils maîtrisent en particulier le latin, l’allemand, le français, l’italien, Salvius aussi le suédois.

15 Arch. dipl., CP, Allemagne 67, fol. 394r, lettre adressée à Servien, 1er décembre 1646 ; Arch. dipl., CP, Allemagne 68, fol. 136r-v, lettre

16 Par exemple, la délégation française compte peu de membres maîtrisant l’allemand (le comte d’Avaux et le jurisconsulte Théodore Godefroy, notamment

17 Selon les procès-verbaux du collège des princes d’Osnabrück : « daßelbe [Memorandum] ad dictaturam zu bringen und nebens dem Französischen original

18 Le traditionalisme des chancelleries, décrit par le juriste Frédéric-Charles Moser en 1750, explique que l’essor du français comme langue de la

19 Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française des origines à nos jours, Paris, Colin, 1966-1968, t.V.

20 Cette dépêche est citée dans ibid., p. 403-404n, avec une date erronée.

21 Au sujet des langues, les Impériaux notent : « Le Médiateur [William Temple] fit un discours succint en François, dont il demanda après excuse

22 Voir la lettre envoyée par les ambassadeurs de France à Nimègue à Louis XIV le 8 novembre 1678, citée d’après Paul Otto Höynck, Frankreich und

23 Pour Callières, le latin était la langue commune de la Chrétienté. Voir François de Callières, De la maniere de negocier avec les souverains. De l’

24 Cf. F.-C. Moser, qui l’a écrit littéralement dans son ouvrage sur les Staatssprachen… op. cit., p. 335-336.

25 Guido Braun, « Französisch und Italienisch als Sprachen der Diplomatie auf dem Westfälischen Friedenskongress », in A. Gerstenberg (dir.)

26 Pour ce journal inédit, voir Werner Buchholz, « Zwischen Glanz und Ohnmacht. Schweden als Vermittler des Friedens von Rijswijk », in H. Duchhardt (

27 L. Bély, Espions et ambassadeurs… op. cit.

28 Heinz Duchhardt, Martin Espenhorst (dir.), Utrecht – Rastatt – Baden 1712–1714. Ein europäisches Friedenswerk am Ende des Zeitalters Ludwigs XIV.

29 Rolf Stücheli, Der Friede von Baden (Schweiz) 1714. Ein europäischer Diplomatenkongress und Friedensschluss des « Ancien Régime », Fribourg

30 Gilles Siouffi, « De l’“universalité” européenne du français au xviiie siècle : retour sur les représentations et les réalités », Langue française

31 Dépêche citée par L. Bély, Espions et ambassadeurs… op. cit., p. 454.

32 Wolfgang Adam, Jean Mondot (dir.), Gallotropisme et modèles civilisationnels dans l’espace germanophone (1660-1789), vol. 1-3, Heidelberg

33 Regina Dauser, Ehren-Namen. Herrschertitulaturen im völkerrechtlichen Vertrag 1648-1748, Cologne et al., Böhlau, 2017.

34 Guido Braun (dir.), Diplomatische Wissenskulturen der Frühen Neuzeit. Erfahrungsräume und Orte der Wissensproduktion, Berlin-Boston, De Gruyter

35 Voir le compte-rendu de ce colloque : Johannes Frankow, Felicitas Kahle, Franca Reif, « Spies, Espionage and Secret Diplomacy in the Early Modern

Notes

1 Stefano Andretta et al. (dir.), Paroles de négociateurs. L’entretien dans la pratique diplomatique de la fin du Moyen Âge à la fin du xixe siècle, Rome, École française de Rome, 2010 ; Dejanirah Couto, Stéphane Péquignot (dir.), Les Langues de la négociation. Approches historiennes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017. L’intérêt que je porte à la culture et aux langues de la diplomatie remonte à ma thèse de doctorat soutenue en 2007 à l’Université Paris-Sorbonne sous la direction de Jean Bérenger (Guido Braun, La connaissance du Saint-Empire en France du baroque aux Lumières (1643-1756), Munich, R. Oldenbourg, 2010). J’ai poursuivi la réflexion sur la culture et les langues diplomatiques dans le cadre de plusieurs projets récemment achevés ou en cours, en particulier un projet évoqué à la fin de cette contribution sur les savoirs diplomatiques à l’époque moderne.

2 Lucien Bély, L’Art de la paix en Europe. Naissance de la diplomatie moderne, xvie-xviiie siècle, Paris, Presses universitaires de France, 2007, p. 244n.

3 Voir, par exemple, pour le congrès d’Utrecht, l’ouvrage fondateur de Lucien Bély, Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, Paris, Fayard, 1990.

4 Voir, entre autres, Frank-Walter Steinmeier, « Der Westfälische Frieden als Denkmodell für den Mittleren Osten » [discours du ministre allemand des Affaires étrangères, 12 juillet 2016] [En ligne : https://www.auswaertiges-amt.de/DE/Infoservice/Presse/Reden/2016/160712-Westfaelischer_Frieden.html]. Pour le projet de recherche : Patrick Milton, Michael Axworthy, Brendan Simms, Towards a Westphalia for the Middle East, Londres, Hurst & Company, 2018.

5 Pour une première approche du problème, voir Guido Braun, « Les traductions françaises des traités de Westphalie (de 1648 à la fin de l’Ancien Régime) », xviie siècle, 190 (1996), p. 131-155.

6 Les états de l’Empire se réunissent dans les trois collèges traditionnels des princes électeurs, des princes et des villes, répartis eux aussi entre Münster et Osnabrück, et forment de plus deux corps en fonction de leur appartenance religieuse.

7 Guido Braun, « Les formes de la négociation franco-espagnole à Münster. Médiation, interposition, projets d’arbitrage », in L. Bély, B. Haan, S. Jettot (dir.), La paix des Pyrénées (1659) ou le triomphe de la raison politique, Paris, Classiques Garnier, 2015, p. 219-237.

8 Françoise Waquet, Le latin ou l’empire d’un signe, xvie-xxe siècle, Paris, Albin Michel, 1998.

9 Réfléchissant à la question de la langue du traité de paix, les Français étaient en effet arrivés à la même conclusion que les Impériaux et les Suédois et, dans une note rédigée probablement par Théodore Godefroy, jurisconsulte des ambassadeurs de France, s’étaient résignés à sa rédaction en latin (Note intitulée « Que le traicté de paix entre l’Empereur et le Roy se doibt plustost faire en langue latine que en langue françoise » ; copie de Nicolas Doulceur, secrétaire de Godefroy : Bibliothèque de l’Institut de France [désormais Bibl. Institut], Godefroy 22, fol. 90r–91v).

10 Copies : Archives diplomatiques, Correspondance politique [désormais Arch. Dipl., CP], Munster 1, fol. 21r–21v ; Bibl. Institut, Godefroy 87, fol. 396r–397r ; le document a été imprimé dans : Lieuwe van Aitzema, Historia Pacis, Foederatis Belgis ab Anno 1621 ad hoc usque tempus tractatae, Leyde, Elsevier, 1654, p. 376.

11 Acta Pacis Westphalicae [désormais : APW], série I : Instruktionen, vol. 1 : Frankreich, Schweden, Kaiser, édité par Fritz Dickmann et al., Münster, Aschendorff, 1962, document n° 17.

12 En 1519, la capitulation signée par le nouvel empereur Charles Quint accorde aux langues latine et allemande le statut de langues officielles, concession demandée par les princes électeurs pour éviter le français et l’espagnol de Charles Quint et de son entourage.

13 À la différence des Néerlandais, les Français ne sont jamais parvenus à un accord linguistique formel avec l’Espagne. Alors que le français est admis dans les pourparlers avec les Provinces- Unies comme langue administrative des Pays-Bas espagnols, les Espagnols tiennent au principe de la rédaction bilingue du traité avec la France, en espagnol et en français, en alléguant que leur demande est fondée sur la coutume (à l’exception du traité de Vervins, négocié en 1598 par pro- curation par l’archiduc Albert, gouverneur général des Pays-Bas). À l’égard des Provinces-Unies, les Espagnols considèrent donc le français comme leur propre langue (ou du moins comme une langue neutre) tandis que, dans les négociations avec la France, c’est l’idiome de l’adversaire. Au-delà de cette différence juridique, la position adoptée par les Espagnols montre, d’une part, leur désir de conclure la paix avec les Hollandais et, d’autre part, leur méfiance envers les Français.

14 Ils maîtrisent en particulier le latin, l’allemand, le français, l’italien, Salvius aussi le suédois.

15 Arch. dipl., CP, Allemagne 67, fol. 394r, lettre adressée à Servien, 1er décembre 1646 ; Arch. dipl., CP, Allemagne 68, fol. 136r-v, lettre adressée au même, 17 décembre 1646.

16 Par exemple, la délégation française compte peu de membres maîtrisant l’allemand (le comte d’Avaux et le jurisconsulte Théodore Godefroy, notamment), alors que tous les députés des états de l’Empire ne comprennent pas forcément le français.

17 Selon les procès-verbaux du collège des princes d’Osnabrück : « daßelbe [Memorandum] ad dictaturam zu bringen und nebens dem Französischen original auch eine version in einer sprache, so allen gesandten bekant, also in der Teutschen oder Lateinischen [zu verlesen] », séance plénière du collège des princes (ici le Directoire de Salzbourg dans la re- et correlation), Osnabrück, 29 juin/9 juillet 1648, APW, série III, vol. 3/1-3/7 : Die Beratungen des Fürstenrates in Osnabrück 1645-1648, édité par Maria-Elisabeth Brunert, Münster, Aschendorff, 1998-2013, t. 6, p. 253.

18 Le traditionalisme des chancelleries, décrit par le juriste Frédéric-Charles Moser en 1750, explique que l’essor du français comme langue de la diplomatie soit plus lent et ne suive pas immédiatement l’engouement culturel des princes de l’Europe en général et de l’Allemagne en particulier pour la langue de Molière. Au lendemain de la paix de Westphalie, le latin demeurait de rigueur. Friedrich-Carl Moser, Abhandlung von den Europäischen Hof- und Staats-Sprachen, nach deren Gebrauch im Reden und Schreiben. Mit authentischen Nachrichten belegt, Francfort, Andreä, 1750. Voir Guido Braun, « Frédéric-Charles Moser et les langues de la diplomatie européenne (1648-1750) », Revue d’histoire diplomatique, 113 (1999), p. 261-278.

19 Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française des origines à nos jours, Paris, Colin, 1966-1968, t.V.

20 Cette dépêche est citée dans ibid., p. 403-404n, avec une date erronée.

21 Au sujet des langues, les Impériaux notent : « Le Médiateur [William Temple] fit un discours succint en François, dont il demanda après excuse lorsqu’il vit qu’on lui répondoit en Latin. […] Monsieur l’Evêque de Gurk [premier plénipotentiaire de l’empereur au congrès de Nimègue] répondit succintement en Latin […]. Le Maréchal d’Estrades s’excusant sur ce qu’il ne savoit pas la langue Latine, parce que dès sa jeunesse il s’étoit plûtôt appliqué à la profession des Armes, qu’à celle des lettres, pria Monsieur Colbert de supléer à son défaut : celui-ci avoua que suivant l’usage qui avoit été pratiqué de tout tems dans les Négociations entre Sa Majesté Impériale et le Roi son Maître, on ne devoit point se servir d’autre langue que de la Latine ; mais qu’il n’avoit pas de facilité à s’énoncer comme autre fois en cette Langue, faute de s’y être exercé. Nous insistames là-dessus, disant que dans les Conferences chacun ne devoit pas avoir la Liberté de se servir de quelle langue il voudroit pour exprimer ses pensées ». Voir la traduction française de ce document intitulée « Du Protocole de Nimégue touchant les entrevues, et la langue en laquelle l’on devoit traiter », qui a été publiée dans Actes et mémoires des négociations de la paix de Ryswick, vol. I-III/IV, Graz, Akademische Druck-und Verlags-Anstalt, 1974 (réimpression de l’édition de 1725 parue chez Jaen Van Duren à La Haye), t. II, p. 20-22. Le texte original latin du procès-verbal est publié dans ibid., p. 19-20 ; également reproduit par F.-C. Moser, Staatssprachen… op. cit., p. 53.

22 Voir la lettre envoyée par les ambassadeurs de France à Nimègue à Louis XIV le 8 novembre 1678, citée d’après Paul Otto Höynck, Frankreich und seine Gegner auf dem Nymwegener Friedenskongreß, Bonn, Röhrscheid, 1960, p. 193n. Louis XIV approuva leur décision.

23 Pour Callières, le latin était la langue commune de la Chrétienté. Voir François de Callières, De la maniere de negocier avec les souverains. De l’utilité des negociations, du choix des ambassadeurs & des envoyez, & des qualitez necessaires pour réüssir dans ces emplois […], Amsterdam, La Compagnie, 1716, p. 98-99.

24 Cf. F.-C. Moser, qui l’a écrit littéralement dans son ouvrage sur les Staatssprachen… op. cit., p. 335-336.

25 Guido Braun, « Französisch und Italienisch als Sprachen der Diplomatie auf dem Westfälischen Friedenskongress », in A. Gerstenberg (dir.), Verständigung und Diplomatie auf dem Westfälischen Friedenskongress. Historische und sprachwissenschaftliche Zugänge, Cologne et al., Böhlau, 2014, p. 23-65.

26 Pour ce journal inédit, voir Werner Buchholz, « Zwischen Glanz und Ohnmacht. Schweden als Vermittler des Friedens von Rijswijk », in H. Duchhardt (dir.), Der Friede von Rijswijk 1697, Mayence, Philipp von Zabern, 1998, p. 219-255, en particulier p. 219 et p. 225.

27 L. Bély, Espions et ambassadeurs… op. cit.

28 Heinz Duchhardt, Martin Espenhorst (dir.), Utrecht – Rastatt – Baden 1712–1714. Ein europäisches Friedenswerk am Ende des Zeitalters Ludwigs XIV., Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2013.

29 Rolf Stücheli, Der Friede von Baden (Schweiz) 1714. Ein europäischer Diplomatenkongress und Friedensschluss des « Ancien Régime », Fribourg, Universitäts-Verlag, 1997.

30 Gilles Siouffi, « De l’“universalité” européenne du français au xviiie siècle : retour sur les représentations et les réalités », Langue française, 167 (2010), p. 13-29.

31 Dépêche citée par L. Bély, Espions et ambassadeurs… op. cit., p. 454.

32 Wolfgang Adam, Jean Mondot (dir.), Gallotropisme et modèles civilisationnels dans l’espace germanophone (1660-1789), vol. 1-3, Heidelberg, Universitätsverlag Winter, 2016-2017.

33 Regina Dauser, Ehren-Namen. Herrschertitulaturen im völkerrechtlichen Vertrag 1648-1748, Cologne et al., Böhlau, 2017.

34 Guido Braun (dir.), Diplomatische Wissenskulturen der Frühen Neuzeit. Erfahrungsräume und Orte der Wissensproduktion, Berlin-Boston, De Gruyter, 2018.

35 Voir le compte-rendu de ce colloque : Johannes Frankow, Felicitas Kahle, Franca Reif, « Spies, Espionage and Secret Diplomacy in the Early Modern Period » [5-7 octobre 2017, Bayreuth], H-Soz-Kult, 21 décembre 2017 [En ligne : https://www.hsozkult.de/conferencereport/id/tagungsberichte-7475].

Citer cet article

Référence papier

Guido Braun, « Langues et culture de la diplomatie au xviie siècle », Revue du Rhin supérieur, 1 | 2019, 199-212.

Référence électronique

Guido Braun, « Langues et culture de la diplomatie au xviie siècle », Revue du Rhin supérieur [En ligne], 1 | 2019, mis en ligne le 01 novembre 2019, consulté le 18 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/rrs/index.php?id=97

Auteur

Guido Braun

Guido Braun est un ancien membre des Instituts historiques allemands de Paris et de Rome, docteur des universités de Bonn et de Paris-Sorbonne. De 2007 à 2018, il a été maître de conférences en histoire moderne à l’université de Bonn (H.D.R. en janvier 2014). Depuis septembre 2018, il est professeur d’histoire moderne à l’Université de Haute-Alsace et responsable du pôle de recherche « Espaces publics et circulations internationales » du CRÉSAT.

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