Quel avenir pour un territoire post-nucléaire ?

p. 257-259

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12 novembre 2018 | Colloque
Org. Brice Martin, Teva Meyer

En septembre 2018, 154 réacteurs nucléaires étaient à l’arrêt dans le monde. Aujourd’hui, leurs stades de démantèlement sont très variables, mais seuls 19 d’entre eux ont été totalement déconstruits. Si l’on s’en tient à la durée de 40 ans d’exploitation des centrales (prévue par exemple par la France ou les États-Unis), 111 réacteurs supplémentaires devraient être mis à l’arrêt d’ici à 2030. Cet horizon a donné lieu à un foisonnement d’articles scientifiques traitant du démantèlement comme d’un enjeu technique, managérial ou économique. Mais les enjeux socio-spatiaux de ces processus demeurent mal documentés.

Dès ses débuts, l’industrie atomique s’est pensée comme a-territorialisée1. De multiples travaux contemporains portant sur l’empreinte spatiale du nucléaire ont montré que cette activité industrielle n’a pourtant cessé de créer du territoire : zones d’exclusions autour des centrales accidentées2, zones restreintes autour des sites du complexe atomique (Kuchinskaya, 2012)3, bunkers4, nuclear-free zones5, etc. La filière nucléaire s’inscrit donc dans des territoires d’exception où des règles spécifiques s’appliquent pour éviter la dissémination de matières radioactives et pour prévenir l’intrusion d’indésirables. L’invisibilité de la radioactivité et la difficulté à tracer sa propagation au rythme des rejets assimilent les territoires du nucléaire à des espaces de l’incertitude dont l’échelle s’étire du global jusqu’au corps humain6.

De nombreuses recherches ont souligné que le déploiement de l’industrie nucléaire a entraîné la constitution de « communautés nucléaires »7 territorialisées et singularisées par leur expérience commune de la radioactivité. L’étude de la perception du risque dans ces communautés a fait l’objet d’une vaste littérature mêlant approches qualitative et quantitative et soulignant l’existence d’un « effet halo »8 autour des infrastructures. Loin d’être l’apanage des géographes, de multiples recherches venant d’autres disciplines ont exploré la diversité des dynamiques spatiales de l’électronucléaire. Toutefois, l’étude des dynamiques spatiales causées par la fermeture de centrales reste à son balbutiement malgré l’augmentation du nombre des démantèlements dans le monde.

Quelle que soit la place donnée à l’électronucléaire dans les futurs mix énergétiques, il devient urgent d’interroger les mécanismes sociaux et politiques à l’œuvre dans la fermeture des centrales nucléaires et de s’interroger sur les futurs possibles et souhaitables pour leurs territoires. Il s’agit de réfléchir, en dehors de tout positionnement militant, à l’avenir de ces nuclear communities lorsqu’elles perdront l’infrastructure qui les a structurées. Telle a été l’ambition de ce colloque, mobilisant historiens, géographes, anthropologues et sociologues spécialistes du fait nucléaire.

 

La matinée s’est organisée autour des enjeux de la patrimonialisation de l’histoire locale du nucléaire dans ses territoires. Yves Bouvier (Sorbonne Université) a proposé de sortir du récit stricte- ment national du programme nucléaire français pour identifier les dynamiques locales de l’histoire de la centrale de Fessenheim et de son territoire. À sa suite, Florence Fröhlig (Stockholm Universität) a discuté des différentes formes de mémorialisation du passé nucléaire dans le monde en soulignant les tensions existantes entre visions utopiques et dystopiques. Enfin, Audrey Jeanroy (ENSA Lyon) a offert d’interroger l’architecture des centrales nucléaires et les enjeux de la patrimonialisation des sites nucléaires.

La deuxième partie de cette journée a été l’occasion de questionner les dynamiques spatiales des infrastructures nucléaires, de leur implantation à leur fermeture. Prenant le site de Marcoule dans le Gard comme exemple, Pierre Fournier (Aix-Marseille Université) a décrit les bouleversements causés par l’arrivée de l’industrie atomique dans des espaces ruraux. Jean-François Heimburger (CRÉSAT) a présenté les enjeux du démantèlement des centrales nucléaires au Japon à la suite de la catastrophe de Fukushima. Mobilisant une recherche inédite réalisée avec les étudiants de l’ENS de Lyon, Romain Garcier (ENS de Lyon) a mis en lumière les mouvements migratoires induits par la fermeture du réacteur Superphénix (Ain) en 1997. Enfin, en s’appuyant sur les cas des centrales de Barsebäck en Suède et Krümmel en Allemagne, Teva Meyer (ENS de Lyon) a proposé un retour d’expérience sur les stratégies actuelles de reconversion des territoires du nucléaire.

S’inscrivant dans le renouveau épistémologique que connaissent les études en sciences humaines et sociales sur le nucléaire, ce colloque témoigne de l’engagement du CRÉSAT dans l’analyse pluridisciplinaire de la reconversion des territoires nucléarisés, qu’ils soient civils ou militaires, et participe au lancement des projets du laboratoire sur ce nouveau champ de recherche.

1 Stephen Jones, « The Economic Geography of Atomic Energy : A Review Article », Economic Geography, 27-3 (1951), p. 268-274.

2 Sasha Davis, Jessica Hayes-Conroy, « Invisible Radiation Reveals Who We Are as People », Social & Cultural Geography, 19-6 (2017) [En ligne : htt

3 Olga Kuchinskaya, « Twice Invisible : Formal Representations of Radiation Danger », Social studies of science, 43-1 (2013), p. 78-96.

4 Ian Klinke, « The Bunker and the Camp : Inside West Germany’s Nuclear Tomb », Environment and planning D: Society and Space, 33-1 (2015), p. 154-168

5 Kevin Clements, Back from the Brink : The Creation of a Nuclear-Free New Zealand, Wellington, Bridget Williams, 2015, p. 277.

6 Shannon Cram, « Becoming Jane : The Making and Unmaking of Hanford’s Nuclear Body », Environment and Planning D : Society and Space, 33-5 (2015), p.

7 Tapio Litmanen, Matti Kojo, Mika Kari, « The Rationality of Acceptance in a Nuclear Community : Analysing Residents’ Opinions on the Expansion of

8 Patrick Ronde, Caroline Hussler, « De l’impact de la localisation résidentielle sur la perception et l’acceptation du risque nucléaire : une analyse

Notes

1 Stephen Jones, « The Economic Geography of Atomic Energy : A Review Article », Economic Geography, 27-3 (1951), p. 268-274.

2 Sasha Davis, Jessica Hayes-Conroy, « Invisible Radiation Reveals Who We Are as People », Social & Cultural Geography, 19-6 (2017) [En ligne : https://doi.org/10.1080/14649365.2017.1304566].

3 Olga Kuchinskaya, « Twice Invisible : Formal Representations of Radiation Danger », Social studies of science, 43-1 (2013), p. 78-96.

4 Ian Klinke, « The Bunker and the Camp : Inside West Germany’s Nuclear Tomb », Environment and planning D: Society and Space, 33-1 (2015), p. 154-168.

5 Kevin Clements, Back from the Brink : The Creation of a Nuclear-Free New Zealand, Wellington, Bridget Williams, 2015, p. 277.

6 Shannon Cram, « Becoming Jane : The Making and Unmaking of Hanford’s Nuclear Body », Environment and Planning D : Society and Space, 33-5 (2015), p. 796-812.

7 Tapio Litmanen, Matti Kojo, Mika Kari, « The Rationality of Acceptance in a Nuclear Community : Analysing Residents’ Opinions on the Expansion of the SNF Repository in the Municipality of Eurajoki, Finland », International Journal of Nuclear Governance, Economy and Ecology, 3 (2010), p. 42-58.

8 Patrick Ronde, Caroline Hussler, « De l’impact de la localisation résidentielle sur la perception et l’acceptation du risque nucléaire : une analyse sur données françaises (avant Fukushima) », Cybergeo, 2012 [En ligne : http://journals.openedition.org/cybergeo/25581].

Citer cet article

Référence papier

« Quel avenir pour un territoire post-nucléaire ? », Revue du Rhin supérieur, 1 | 2019, 257-259.

Référence électronique

« Quel avenir pour un territoire post-nucléaire ? », Revue du Rhin supérieur [En ligne], 1 | 2019, mis en ligne le 01 novembre 2019, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/rrs/index.php?id=110

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